Marie-Louise Girod


 

En 1954 (DR.)

 

 

Voici un extrait de la revue « En Avant » (L’hebdo de l’Armée du Salut), n° 5824 du 21 décembre 1998, p. 1-3, afin de mieux connaître la personnalité et les sources d'inspiration de cette musicienne hors-pair, compositrice de talent.

 

Foi et musique, un accord majeur.

[propos recueillis par Robert Muller]

           

Marie-Louise Girod-Parrot vit sa carrière d’organiste comme une vocation. Pour elle musique et foi vont de pair. Beaucoup plus attachée à Dieu qu’à la définition de sa propre foi, elle décline aussi bien les grands moments que les petits faits de la vie de tous les jours avec optimisme. Et sans se prendre au sérieux.

           

« Aujourd’hui, je ne vis plus qu’à 150 à l’heure. » Le blanc de ses cheveux auréole son visage. A l’âge où d’autres goûtent une retraite bien méritée, Marie-Louise Girod-Parrot, organiste au Temple de l’Oratoire du Louvre, à Paris, tient encore l’allure d’une battante. L’ennui, elle ne l’a jamais connu. Il semble bien qu’elle ait hérité de l’énergie et de la détermination de son arrière-grand-père. Comtois d’origine, cet homme était venu au protestantisme par conviction. Devenu pasteur, il fonda l’Eglise missionnaire belge à Liège. « Ce qui m’a plu chez lui, c’est qu’il a décidé de placer son devoir de conscience au-dessus des convenances. C’était un homme très combatif. » d’autres personnes ont également marqué sa personnalité de leur empreinte. « Il y a le pasteur Wilfred Monod [pasteur à l’Oratoire du Louvre de 1907 à 1938, et professeur à la faculté de théologie protestante de Paris]. Ma famille et mes parents, bien sûr. Et mon mari. Certaines personnes font qu'il y a des points lumineux qui marquent dans une vie. »

 

Elle doit sa vocation à son pasteur. « Il a fait mon Instruction religieuse. C’était un homme très profond, très cultivé. Cette influence a illuminé toute ma vie, et j’en suis profondément reconnaissante. » En fait, la jeune Marie-Louise Girod ne manquait pas de centres d’intérêt. « J’avais trois vocations. C’est beaucoup, puisqu’en général, si on en a une, c’est déjà bien. Moi, je voulais être pasteur, vétérinaire, ou organiste. » Les études de vétérinaire n’étaient pas réalisables, et à l’époque la faculté de théologie n’acceptait pas les jeunes filles. Il restait la troisième voie. « Si vous considérez que l’orgue est un ministère, voyez quelle carrière s’ouvre devant vous. » Ces mots du pasteur Monod ont décidé de sa vie. Ainsi, musique et foi vont désormais dans la même direction. « Toute ma vie j’ai mené une double carrière. J’étais concertiste, et je menais parallèlement la vie d’un organiste liturgique. L’église m’attire autant que le concert. » Si la foi a donné son sens à sa carrière, elle ne s’en préoccupe pas de manière ostensible. Pas d’affirmation péremptoire. La vie de la foi ressemble au mouvement des vagues, tantôt elle s’élève, tantôt elle retombe. « Je n’ose pas dire que j’ai la foi. Je l’ai, et je la perds perpétuellement, et je n’y attache pas tellement d’importance. Ce qui compte pour moi, c’est que Dieu demeure. Ainsi, quand la vague est au plus bas, je sais qu’elle va remonter. On découvre toujours à nouveau que Dieu est là, qu’il ne s’est pas dérobé. C’est peut-être une conception personnelle des choses. Mais plutôt que de dire : je suis sûre de ceci ou de cela, je vis dans la reconnaissance journalière pour la présence de Dieu. » La foi est le mouvement qui traverse autant les grands événements que l’activité quotidienne de sa vie.

 

Pour Marie-Louise Girod, la musique a pris toute la place. « C’est ma passion, je ne peux pas l’expliquer. C’est un art qui exprime infiniment de choses. Le musicien a envie de l’analyser, tandis que quelqu’un d’autre l’écoutera autrement. Elle peut tout apporter à l’être humain qui a envie d’y découvrir quelque chose. La musique dépasse l’expression, elle est bien plus forte que les mots. » L’orgue est évidemment son instrument de prédilection, mais le domaine musical est tellement vaste qu’on ne peut rien en exclure. « Il est difficile de dire ce qu’on préfère. Si je dis que parmi les opéras, j’aime Boris Godounov ainsi que Pelléas et Melisande, je nomme deux choses qui sont le contraire l’une de l’autre. Chez Bach, j’aime tout, mais je mettrais en exergue la Messe en si, et le choral O homme, pleure sur tes péchés. Il y a aussi la musique italienne, espagnole, anglaise... Comment dire ce qu’on préfère ? Un jour on aime une œuvre ancienne, un autre, une œuvre romantique ou contemporaine. Et on ne jouera jamais la même œuvre deux fois de la même façon. »

 

Il y a là largement de quoi remplir une vie. Mais une dimension culturelle supplémentaire s’ouvre à elle lorsqu’elle épouse le professeur André Parrot, archéologue, conservateur en chef des musées nationaux, puis directeur du Musée du Louvre. Sa vie se partage désormais entre les missions archéologiques de son mari et sa vocation d’organiste.

 

Au soir de la vie, c’est un humble sentiment de reconnaissance qui l’emporte. C’est aussi une malicieuse philosophie qui perce sous les quelques rides du visage. « Quand on est jeune, on a les années pour soi. Quand on vieillit, ce ne sont plus que des mois, puis des semaines. J’en suis à un moment où l'on vit avec la journée. C’est ce que j’appelle le « cinquième quart ». » Une chiquenaude à la logique. En s’amusant à dire des choses excentriques, quitte à aller ensuite dans l’autre sens, on en devient un peu plus sage. « Le premier quart de ma vie, c’est les études. Le deuxième, c’est l’entrée dans la vie active, le métier. Le troisième, c’est le mariage. Très important. J’ai pu approcher un monde différent de la musique et qui m’a enrichie. Le quatrième, c’est la solitude au décès de mon mari. Mais cette solitude a tout de suite été habitée par ce que j’avais laissé pour lui, bien que cela ne m’ait pas manqué. J’ai donc repris la première raison d’être de ma vie. Et maintenant, je profite d’un cinquième quart ».

 

C’est un supplément de vie pour lequel elle est profondément reconnaissante. Reconnaissante d’être en bonne santé, de pouvoir encore faire un tas de choses, et de pouvoir maintenir son esprit en état de prière. « Ce qui ne dérange personne, surtout pas Dieu. » Ce n’est pas pour autant qu’elle se referme sur elle-même. Son regard se porte sur les gens de la rue aussi bien que sur son entourage. En allant vers son prochain, c’est d’une certaine manière le Christ qu’elle rencontre. Même ces solitudes par milliers dans la rue, dans le métro. « Ce qu’on peut faire ? Je ne sais pas. Une parole, un geste... Mais je n’apporte pas plus que d’autres. Il se peut aussi que la personne rencontrée soit beaucoup plus forte que moi. »

 

Pas plus de prétention non plus par rapport à sa foi. « Mon père se disait athée. Mon frère aussi. Ils n’en avaient pas moins des comportements humains remarquables. C’est que la foi n’est pas une déclaration, mais une force qui vit. » Cette force, Marie-Louise Girod-Parrot veut encore la communiquer en ce temps de fête. Il ne s’agit pas de la fête factice où l’on fait semblant d’être heureux. « Noël, c’est un temps de renouvellement. Une lumière, et un chemin pour s’approcher sans jugement de ceux qui nous entourent. C’est un nouveau commencement. »

 

[Présentation par la rédaction de la revue « En Avant »] : « Marie-Louise Girod-Parrot est une musicienne aux talents multiples : organiste, concertiste, compositeur et professeur. Elève de Marcel Dupré au Conservatoire de Paris, elle obtient plusieurs Premiers prix. Titulaire des grandes orgues de l’Oratoire du Louvre, elle réalise de nombreuses tournées en France et en Europe, enregistre des disques, et compose. Elle exprime à travers l’orgue, avec force et sensibilité, une pensée toujours en éveil. »

 

collecté par Olivier Geoffroy

(mai 2021)

 

 

 

Note de la rédaction de Musica et Memoria :

Arrière-petite-fille du pasteur Ferdinand Girod, fondateur en 1838 de l’Eglise protestante de Liège (Lambert-le-Bègue), Marie-Louise Girod est née le 12 octobre 1915 à Paris et est décédée le 29 aout 2014 dans cette même ville. Après avoir débuté des leçons d’orgue auprès d’Henriette Puig-Roget, elle a effectué ses études musicales au Conservatoire national de musique de Paris. Elle y a notamment remporté un 1er prix d’orgue en 1941 dans la classe de Marcel Dupré. Tout d’abord organiste du Temple de Belleville (1934 à 1941), elle a été ensuite nommée en 1941 cotitulaire avec son premier professeur d’orgue, puis seule titulaire en 1979 à l’Oratoire du Louvre, jusqu’à sa retraite prise en septembre 2009, et, parallèlement titulaire de la synagogue Notre-Dame de Nazareth (1944 à 2005). Comme compositrice, on lui doit plusieurs pages pour orgue (Triptyque sur l’hymne ‘Sacris solemniis’Prélude, choral, FantaisieFugue sur un thème de Claude LejeuneSur le nom d’Elisabeth WeberEstans assis aux rives aquatiques, etc., la plupart publiée par les éditions de la Schola Cantorum) et des transcriptions, parmi lesquelles on relève La Basilique, extrait de la Sonate pour violoncelle et piano de Fred Barlow (Lemoine, 1959). On lui doit également une importante discographie.

En 1960, Marie-Louise Girod avait épousé André Parrot (1901-1980), pasteur, archéologue et futur directeur du Musée du Louvre de 1968 à 1972. Membre de l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem, spécialiste du Proche-Orient ancien, il avait été élu en 1963 à l’Académie des inscriptions et belles-lettres et laisse une bibliographie comportant plus de 400 titres.

           

 

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