Georges JOLLIS
Françoise BAUDLOT-JOLLIS


 

(coll. Muriel Jollis-Dimitriu ) DR.

 

 

C’est à Gazeran (Yvelines), en banlieue parisienne, le 17 août 2019 que s’est éteint le chanteur Georges JOLLIS, dont la carrière avait débuté au début des années cinquante. Il était né le 23 octobre 1927, dans le troisième arrondissement parisien, et au cours de ses études scolaires entreprises au Lycée Lakanal de Sceaux (Hauts-de-Seine) son professeur d’éducation musicale avait remarqué sa belle voix de basse grave. Il l’encouragea à la travailler et, plus tard, il rejoignait le Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Là, il fréquentait, notamment, la classe de déclamation lyrique (opéra) de Paul Cabanel (1891-1958), et celle de chant de Georges Jouatte (1892-1969). Retiré de la scène après une brillante carrière de ténor à l’Opéra-Comique, ce dernier s’était consacré à l’enseignement depuis 1949 jusqu’à sa retraite en 1962. Régine Crespin, Mady Mesplé, Micheline Grancher, Alain Fondary et Royer Soyer comptent, entre autres, parmi ses élèves.

 

(coll. Muriel Jollis-Dimitriu ) DR.

Au début des années cinquante, tout en étudiant au Conservatoire, Georges Jollis était entré dans les Chœurs de l’Opéra de Paris, alors dirigé par Henri Busser jusqu’en 1951, puis par Emmanuel Bondeville. La fonction de choriste dans cette institution exigeante lui permis d’acquérir en quelques années une vaste expérience au sein d’une formation dirigée à cette époque par le chef de chœur René Duclos. Sans doute d’ailleurs participe-t-il, avec ces Chœurs et l’Orchestre du Théâtre National de l’Opéra, à l’enregistrement en 1952 du Faust de Gounod, sous la direction d’André Cluytens, avec Boris Christoff, Nicolaï Gedda, Jean Borthayre, Victoria de Los Angeles et Martha Angelici (4 disques 33 tours, la Voix de son Maître, 2XLA154 à 161). Une carrière de soliste va rapidement démarrer pour lui dès le début des années soixante. A l’aise dans différents genres musicaux, du théâtre musical contemporain de Claude Prey à la musique baroque, en passant par l’opéra, la musique religieuse et la mélodie française (Poulenc, Fauré, Honegger, Rivier, Margoni, Pierre Petit) et autres lieder, son activité s’exercera principalement en France, avec des incursions à Genève, Londres, Hambourg, Madrid, Santander et Venise. Quant aux institutions ou formations avec lesquelles il se produit au cours des années 1960 à 1980, elles sont légion. Pour mémoire, citons les orchestres des Opéras de Toulouse, Lyon et Nantes, ceux de Paul Kuentz, de l’Université de Paris, du Théâtre des arts de Rouen, de l’Orchestre lyrique de l’ORTF, de l’Orchestre de chambre Bernard Thomas…, sans omettre sa participation aux concerts de musique ancienne donnés dans les salons de la comtesse de Chambure avec Yvonne Gouverné ou encore aux concerts dirigés Nadia Boulanger.

 

L’éclectisme de Georges Jollis dans les différents genres musicaux et la capacité d’adapter sa voix à tous les styles ressortent tout au long de sa carrière. Il est possible de s’en faire une idée avec un aperçu de ses prestations : en 1964, on peut l’entendre à plusieurs reprises à Radio-Sottens (Suisse) où notamment le 23 février il chante des mélodies accompagné au piano par Isidore Karr ; la même année, le 10 mars, c’est à l’église Saint-Roch à Paris qu’il chante « Jésus » dans la Passion selon Saint-Jean de Bach dirigée par Jacques Roussel, avec l’Orchestre de chambre Antiqua Musica, la Chorale Elisabeth Brasseur et les chœurs catholiques, protestants et orthodoxes de Paris. Ce concert sera redonné avec les mêmes participants le 24 mars 1965, mais cette fois à l’église Saint-Louis-en-l’Ile. Le 9 juin 1964 lors du Festival du Marais, à l’Hôtel de Soubise, il est « Pluton » dans l’opéra ballet en 5 actes et un prologue Hippolyte et Aricie de Rameau (livret de Simon-Pierre Pellegrin) conduit par Jacques Jouineau, et cette même année 1964, il se produit à la Salle Pleyel le 16 décembre dans un concert spirituel au cours duquel est donné Saint Paul, un oratorio byzantin en 2 parties de Petro Pedritis qui dirige lui-même l’orchestre des Concerts Lamoureux et la Chorale Elisabeth Brasseur. En 1967 au Festival du Marais, il est « Zaccarie » dans l’opéra bouffe Les Amants turcs de Domenico Cimarosa (transcription et réalisation par Roger Blanchard), qui, le 9 septembre 1967 est retransmis par la 2èmechaîne de télévision, à 21h10. A ses côtés se trouvent d’autres illustres chanteurs : Liliane Berton, Xavier Depraz, Lina Dachary, Michel Trempont, Monique Linval, Gérard Dunan, ainsi que sa femme Françoise Baudlot réalisant le continuo. A la fin de cette année, le 29 décembre, la 1ère chaîne de télévision retransmet à 22h45 Les Miracles de Saint Nicolas, adaptation d’un texte du XIIIe siècle par Roger Blanchard et Christian Saint-Maurice ; il est cette fois aux côtés, entre autres, de Christiane Eda-Pierre, Bernard Plantey, Joëlle Pierre, Catherine Imbert, Michel Richez, avec l’Ensemble d’instruments anciens « Madrigal » et la Maîtrise de l’ORTF. En décembre 1968 au Théâtre d’Angers, il participe à la création de l’opéra-parodie On veut la lumière ?... Allons-y ! du compositeur anticonformiste Claude Prey, sur une mise en scène de Pierre Barrat, sous la direction de Daniel Chabrun ; cette pièce sera donnée ensuite au Festival d’Avignon les 18, 19 et 21 juillet 1969, puis reprise au Théâtre de l’Odéon en 1970 et retransmise par la 2ème chaîne de télévision, le 3 mai 1970 à 21h50 dans l’émission « L’écran musical » de Serge Kaufman, avec une grande partie des acteurs de 1968, dont Georges Jollis. Le journal La Critique (Bruxelles) écrivait à propos de cet opéra, qui fut également donné dans la capitale belge : « …la basse, G. Jollis, nous fit entendre une voix solide et puissante dans tous les registres. Ses diverses compositions ont été en outre, tout à fait remarquables. »

 

Le 10 juin 1969, il chante du Monteverdi (Lamento delle ninfa, Ballo dell’ingrante) sous la direction de Nadia Boulanger à la Fondation Singer-Polignac ; le 17 janvier 1972 à la Maison de la Radio il est « Barricini » dans Colomba, un drame lyrique en 3 actes et un prologue d’Henri Büsser (livret de Prosper Mérimée), avec les Chœurs et l’Orchestre lyrique de l’ORTF placés sous la direction de Pierre-Michel Le Conte. Cette même année, le 22 juin, il figure dans la distribution (rôle du « Bonze ») au Théâtre de la Fenice à Venise de l’opéra-ballet en 3 actes Le Rossignol d’Igor Stravinsky, puis le 12 mai à 22h30 sur la télévision suisse (TVF II), dans l’émission « Presto », il est l’un des participants, avec Gérard Poulet (violon) et Michel Portal (clarinette), ainsi que Pierre Petit (piano), aux côtés de Francis Blanche et sa fille Barbara qui fêtait ce jour-là ses dix ans. Au cours de cette même année 1972, il chante à l’église Saint-Médard à Paris, dans la cantate Ich habe genug BWV 82 de Bach, aux côtés de l’Orchestre de Bernard Thomas.

 

Parmi ses nombreuses collaborations, il convient de citer encore le Requiem en ré mineur, KV 626 de Mozart, donné aux « Nuits du Louvre » en septembre 1973, sous la conduite de Paul Kuentz et qui fait l’objet d’un enregistrement discographique (Deutsche Grammophon 2538352) ; le Messie de Haendel, le 9 avril 1975 à l’église Saint-Séverin, puis le 13 avril à l’église Saint-Louis des Invalides, avec les chœurs et l’orchestre de l’Université de Paris dirigés par Jacques Grimbert ; le spectacle musical (opéra-ballet) en audio-vision La Vieille (I 330), sur une musique de J. Bondon, d’après Nous autres de E. Zamiatine, avec S. Michel, C. Meloni, A. François, G. Knight, F. Petri, M. Hamel et J. Mars (dir. J.-C. Casadesus), les 20 et 22 mai 1975 au Théâtre Graslin et Opéra de Nantes (création mondiale) ; l’opéra Histoire de loups de Georges Aperghis, créé le 26 juillet 1976 au Festival d’Avignon (rôle du Père), direction Yves Prin, et le théâtre musical de chambre en 3 actes Le Procès du jeune chien de Michel Butor et Henri Pousseur, créé à Nanterre, au Théâtre des Amandiers, en 1978, œuvre dans laquelle il tient un rôle de premier plan et qui sera ensuite montée à Liège et à Bruxelles. C’est aussi Georges Jollis, en compagnie de la soprane Hélène Gouvit et de l’orchestre de l’Opéra de Paris dirigé par Pierre Dervaux, qui interpréta les Visions prophétiques de Cassandre pour soprano, basse et orchestre, de Thérèse Brenet. Cette œuvre avait valu à son auteur en 1965 le Grand Prix de Rome, et c’est lors de la séance solennelle de remise des prix le 10 novembre à l’Institut de France qu’elle fut exécutée.

 

Le Requiem de Jean Gilles figurait aussi à son répertoire et lui valut d’ailleurs cette critique parue dans Le Monde : « … la belle voix de G. Jollis, intelligemment expressive et d’une profondeur poignante, mettait dans cette Messe des Morts fastueuse et rayonnante d’espoir une note tragique. » Dans la Passion selon Saint-Jean qu’il aimait plus particulièrement « …G. Jollis mène sa voix où il veut ou, plus exactement, où Bach l’a voulu. C’est-à-dire dans un registre très vaste. Et nous admirâmes cette maîtrise du timbre et sa constante éloquence. » (Le Courrier de l’Ouest, Angers). Et, pour rester dans ce même répertoire religieux, on se doit de souligner qu’il excellait aussi dans des pages de Schütz, Buxtehude, Haendel, ou encore dans des motets de Vivaldi, dans la Missa Solemnis de Beethoven et dans les Requiem de Verdi ou de Fauré. Dans le théâtre lyrique, entre autres les rôles de Colline dans la Bohème, et de Frère Laurent dans Roméo et Juliette avec lesquels il donna plusieurs représentations furent largement salués par la critique.

 

En dehors de l’enregistrement précité, trois autres nous sont connus. Ils nous permettent ainsi de réentendre sa rayonnante voix de basse : « Jeu de Noël « Ludus nativitatis », (« Jeu liturgique de la Nativité »), réalisation de Charles Ravier d’après le manuscrit du XIIème siècle « Drame d’Hérode », par l’Ensemble polyphonique de Paris dirigé par Charles Ravier (1964, disque Valois MB443) ; Mârouf, savetier du Caire, opéra-comique en 5 actes de Henri Rabaud, rôle de « Ahmad, le pâtissier », avec le Chœur et l’orchestre de la Radio-Télévision Française placés sous la direction de Pierre-Michel Le Conte (enregistrement du 13 mars 1964, réédité en 2001 par le label Gala, GL 100.587) ; Ariane et Barbe-Bleue, opéra en 3 actes de Paul Dukas, rôle du 3ème paysan, avec l’orchestre conduit par Tony Aubin (enregistré en public en 1968, réédité par le label Gala en 2003, GL 100.721). Il existe enfin un enregistrement privé de la cantate Ich habe genug BWV 80 de Bach, dans laquelle il chante avec l’orchestre placé sous la direction de Bernard Thomas (1972, église Saint-Médard à Paris).

 

(coll. Muriel Jollis-Dimitriu ) DR.

En 1953, Georges Jollis avait épousé Françoise Baudlot, née le 5 septembre 1930 à Paris. Pianiste et claveciniste, elle avait effectué ses études musicales au Conservatoire de Versailles, puis au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, tout d’abord dans la classe de piano de Lucette Descaves, puis dans celle de clavecin de Robert Veyron-Lacroix, tout en suivant également les cours d'histoire de la musique. C’est dans cet établissement qu’ils s’étaient rencontrés au cours de leurs études. Françoise Baudlot-Jollis a principalement effectué une carrière d’accompagnatrice au piano ou réalisant le continuo au clavecin dans le répertoire baroque tant avec l’Orchestre de Chambre de Paul Kuentz dès les années cinquante, qu’avec d’autres formations orchestrales, notamment les 4 orchestres de la Radio de l’époque (Lyrique, Orchestre de chambre, Philharmonique et National). Avec les orchestres Lyrique et National elle a, entre autres, interprété d'une façon mémorable les Noces de Figaro et d'autres opéras de Pergolèse, et avec le Philharmonique elle a aussi joué beaucoup de musique contemporaine. En outre, elle participait régulièrement à des enregistrements de musiques de films, particulièrement celles de Georges Delerue dont on connaît la passion pour le clavecin. Avec son mari qu’elle accompagnait parfois au piano ou au clavecin, tous deux eurent l’occasion de prendre part à des programmes de musique ancienne. Dans ce domaine, il existe un enregistrement ORTF diffusé le 14 juillet 1973, après le défilé militaire des Champs-Élysées, avec des œuvres de Dalayrac, Cherubini, Boïeldieu et Méhul.

 

Passionnée de musique ancienne, on lui doit aussi des recherches entreprises à la BN. C’est ainsi qu’elle recopiait de sa main des œuvres inédites parmi lesquelles une cantate profane de Sébastien de Brossard, et une autre, Polyphème, de Clérambault, ainsi que des chansons françaises du XVIIème siècle, de Pierre Guédron et de Gabriel Bataille. Certaines ont fait l'objet d'un enregistrement à l'ORTF le 21 septembre 1979.

 

Parallèlement et durant toute sa carrière, Françoise Baudlot-Jollis s'est livrée à l'enseignement : tout d'abord professeur de musique au Lycée de garçons Montesquieu du Mans (Sarthe) de 1958 à 1964, puis au « Centre National d’éducation de Plein Air » à Suresnes (actuellement « Institut National de formation et de recherches pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés »). Elle est décédée le 15 mars 1990 à Saint-Cloud, près de Paris à l’âge de 59 ans. En dehors de l’enregistrement de 1958 des 6 Concertos brandebourgeois de Bach avec Kuentz, réédité en 2013 par le label Forgotten Records, on lui doit en 1957 et avec le même ensemble les enregistrements des Concertos 1 (HWV289), 3 (HWV291) et 4 (HWV292) de Haendel (CND 14), la même année du Concerto pour deux trompettes RV537 de Vivaldi (CND JMF2), ainsi que du Concerto italien en fa majeur BWV 971 pour lequel écrira Clarendon (Bernard Gavoty) qu'elle « déploie un tact et une maîtrise difficilement critiquables », du 1er Concerto en ré majeur pour clavecin seul BWV 972 et de la Fantaisie et fugue BWV 906 de Bach (CND1001), puis en 1958 du Clavecin bien tempéré de Bach, livres 1 et 2 (CND1036 et 1015). Un peu plus tard, dans les années 1970, on lui doit encore la gravure de motets de Rameau pour soli, chœur, orgue et orchestre sous la direction de Guy Morançon (Inédits ORTF/Barclay 995 024). Olivier Alain avait écrit un jour qu' « on remarquera, chez Fr. Baudlot Jollis, avec le respect du texte, la fermeté du rythme, un sens aigu de la couleur instrumentale qui lui dicte ses changements de registre et de clavicors, et la parfaite intelligence du phrasé. Ces qualités en font une interprète idéale des œuvres pour clavier de J.S. Bach. »

 

Leur fille, Muriel Jollis-Dimitriu, est alto solo à l’Orchestre National d’Île-de-France depuis 1982 et alto du Quatuor Sequana ainsi que de l’Ensemble Scherzino. Mariée à Lulian Dimitriu, celui-ci est également musicien. Après avoir été violon solo des Concerts Lamoureux, il est actuellement enseignant aux Conservatoires d’Avignon (musique de chambre) et de Rambouillet (violon), tout en jouant dans les mêmes formations que celles de son épouse.

 

Denis Havard de la Montagne

(décembre 2019)

Concert des 9 et 13 avril 1975 à Saint-Séverin et Saint-Louis des Invalides, Le Messie de Haendel
sous la direction de Jacques Grimbert, avec Georges Jollis.
(coll. DHM) DR.
 

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