La formation musicale

au Petit Séminaire de Nancy


 

 

Le Petit Séminaire de Nancy était installé depuis octobre 1908 à la Chartreuse de Bosserville, à la suite de l’expulsion des séminaristes et professeurs de l’abbaye des Prémontrés de Pont-à-Mousson qu’ils occupaient depuis la Restauration en 1817. En 1950, le Petit Séminaire emménagea dans le domaine de Renémont à Jarville, la chaudière de la Chartreuse donnant d’évidents signes de faiblesse. Acquis le 11 mai 1937, le site était riche d’une histoire chargée. C’est là, en effet que se déroula en 1477 une partie des événements constituant la Bataille de Nancy qui s’acheva par la victoire de René II sur Charles le Téméraire. Malgré la présence d’un château du XIXème siècle sur les murs duquel une façade Renaissance d’une demeure italienne avait été plaquée, des travaux de construction et d’extension s’avéraient nécessaires. La seconde guerre mondiale ralentit considérablement le travail dont l’achèvement prévu initialement pour la rentrée d’octobre 1940 ne put se conclure qu’en 1951.



Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), ancienne abbaye des Prémontrés
(coll. Olivier Geoffroy) DR.


Art-sur-Meurthe (Meurthe-et-Moselle), chapelle de l'ancienne Chartreuse
(coll. Olivier Geoffroy) DR.


 

La cérémonie de bénédiction de la première pierre par Mgr Fleury s’était déroulée le 18 mai 1939 dans la cour du futur Séminaire avec le son « à la fois puissant et délicat d’un orgue Hammond de la maison Martin[1] ». La schola du Petit Séminaire exécutait, sous la direction du chanoine Kaltnecker, les parties vocales avec une litanie des Saints, un Tantum ergo et un cantique en français, Exaucez-nous, Vierge Marie.

 

Le cycle d’étude dispensé dans les Petits Séminaires correspondait aux classes d’enseignement secondaire des collèges et lycées. Pour les élèves de sixième et cinquième nancéiens - donc non pensionnaires – existait rue Drouin à Nancy, l’Ecole Presbytérale Notre-Dame. Après la classe de cinquième, ils entraient à Bosserville ou Renémont où ils étaient internes. La formation musicale des futurs prêtres était jugée importante à cette époque. A Bosserville puis Renémont, il s’agissait de cours particuliers sur piano, harmonium ou orgue. Seuls les élèves auxquels les parents payaient ces leçons supplémentaires - une vingtaine environ - avaient accès à l’étude d’un instrument à raison d’une heure par semaine. Les leçons étaient données le matin à onze heures trente ou après les cours à partir de seize heures trente ainsi que le jeudi, habituellement vaqué, toute la journée. Les vastes locaux disposaient de plusieurs oratoires dans lesquels se trouvaient des harmoniums et la chapelle était pourvue d’un orgue de Jean Blési agrandi par Kühn au debut du XXè siècle.

 

Le concert d’inauguration du 3 juillet 1910 fut donné par trois organistes. Outre Charles Magin, on put entendre Auguste Kling, organiste de la Basilique Saint-Epvre et Henri Pilloy (né à Nancy le 17 septembre 1867, mort vers 1939), ancien élève de l’Ecole Niedermeyer (1883-88), organiste à l’église Saint-Laurent de Pont-à-Mousson et seul professeur laïc de musique au Petit Séminaire. L’inauguration donna lieu à un article paru dans la Semaine religieuse dont voici quelques extraits :

 

« [...] L’ancien orgue du Grand Séminaire, aujourd’hui réinstallé à Bosserville, n’était qu’un instrument médiocre. Tous les organistes qui l’ont utilisé ont été unanimes à déplorer la dureté d’un de ses claviers, la pauvreté de l’autre, la nullité de la pédale expressive, la présence au grand-orgue d’une trompette assourdissante et de jeux criards, inutilisables pour l’accompagnement discret et délicat que réclament les mélodies grégoriennes. [...] Désormais, grâce à l’initiative de M. le Vicaire général Ruch, grâce à la générosité de nos bienfaiteurs, grâce au talent et à l’habileté de M. Lambert, directeur de la maison Didier-Van-Caster-et-Kuhn, la Chartreuse possède un orgue de 23 jeux, qui sans doute ne peut rivaliser avec les orgues des cathédrales, mais qui permet une très suffisante exécution de la musique religieuse et qui se prête docilement à l’accompagnement du plain-chant.

L’ancien récit, en particulier, inexpressif et terne, composé de 4 jeux, est devenu un clavier de 10 jeux, moelleux, d’un maniement extraordinairement facile.


L’expertise de l’instrument faite par MM. Kling, Magin et H. Pilloy, a démontré que la maison Didier-Van-Caster-et-Kuhn avait tenu ses promesses.

M. H. Pilloy, organiste de Saint-Laurent, fit entendre un grand choeur de Th. Dubois Laus Deo. M. Kling, organiste de Saint-Epvre, exécuta le Minuetto en si mineur de Gigout. Le Final en ré majeur de la Deuxième Symphonie de C. Widor, interprété par M. Magin, organiste du Sacré-Coeur, termina la cérémonie.

[...] Aucun des assistants n’oubliera les émotions pieuses et artistiques de cette soirée[2]. »

 

Cet orgue sera transféré en 1951 par Jean Huguin dans la chapelle de Renémont. Si la tribune de la Chartreuse laissait encore une hauteur sous voûte suffisante pour un imposant buffet, il n’en allait pas de même à Renémont où la tribune était en longueur. L’orgue y fut posé sans autre décoration et protection qu’un soubassement de bois et les tuyaux de façade en alignement. Le buffet, vidé de ses tuyaux, demeura quelques années à la Chartreuse avant d’être honteusement déposé et détruit. Après la fermeture du petit séminaire devenu foyer au début des années 1970, l’orgue fut vendu en 1980 à la commune de Saint-Max (banlieue nancéienne) et reconstruit dans le chœur de l’église Saint-Livier de cette ville.

 

Voici sous toute réserve, à partir de quelques témoignages incomplets et de recoupements établis d’après la composition actuelle, la structure sonore de l’instrument au temps où il sonnait sous les doigts des ses titulaires, les abbés Pierre Matte (professeur de lettres) et Charlemagne (professeur de mathématiques) :

 

Grand-Orgue : Bourdon 16, montre 8, bourdon 8, salicional 8, prestant 4, quinte-flûte 2 2/3, doublette 2, trompette 8, [clairon 4 ou plein-jeu ?].

Récit expressif : [Montre-viole 8 ou ?], bourdon 8, flûte harmonique 8, viole de gambe 8, voix céleste 8, flûte octaviante 4, octavin 2, trompette 8, basson-haubois 8, voix humaine 8. 

Pédale : Contrebasse 16, soubasse 16, octavebasse 8, violoncelle 8.

 

Charles Magin enseigna l’orgue et l’harmonium au Petit Séminaire de 1945 à 1957, succédant à Jean Marck, premier prix du Conservatoire de Nancy (classe de Louis Thirion), ancien élève de Marcel Dupré (1886-1971) et organiste à la Basilique Notre-Dame-de-Lourdes à Nancy, qui professait depuis 1931.

 

Le Supérieur de la maison, Monseigneur Maurice Kaltnecker (1884-1959), lui-même musicien et compositeur fécond[3], disciple de Joseph-Guy Ropartz (1864-1955) à la classe d’harmonie du Conservatoire de Nancy, mettait toute son ardeur à la formation musicale de ses élèves. La formation des organistes lui tenait particulièrement à coeur.

 

« Si le diocèse possède des prêtres – et ils sont relativement nombreux – qui peuvent s’asseoir sur un banc d’orgue avec sérénité, si certains sont des puristes de l’accompagnement ou des virtuoses capables d’exécuter de grandes oeuvres, c’est au Père Kalt qu’ils doivent leur formation de base [...] Notons pour mémoire que les honoraires des professeurs de musique étaient quelques fois discrètement réglés par un généreux donateur : le Père Kalt n’admettant pas que l’avenir musical d’un élève  fut entravé faute d’argent[4]. »

 

Lorsque Mgr Kaltnecker prit sa retraite en 1955, son successeur l’abbé Louis Köll (1908-1999) continua de soutenir la formation musicale des séminaristes.

 

Ceux-ci eurent longtemps la possibilité de pratiquer également le violon avec messieurs Lehmann, Butin et Verstraeten. Monseigneur Kaltnecker se plaçait en précurseur. Après la seconde guerre mondiale, dans un mouvement universel, les plus hautes autorités ecclésiastiques ont clairement exprimé leur soutien en faveur de l’apprentissage musical pour les jeunes aspirants au sacerdoce.

Dans l’encyclique Musica sacra disciplina du 25 décembre 1955, le pape Pie XII demandait en effet de :

 

« Veiller avec soin à ce que ceux qui se préparent aux Saints Ordres, dans les séminaires et dans les Instituts missionnaires ou religieux, apprennent soigneusement, selon la volonté de l’Eglise, la théorie et la pratique de la musique sacrée et du chant grégorien, sous la conduite de maîtres compétents en cet art, qui aient une grande estime de la tradition et obéissent aux prescriptions et aux normes du Saint-Siège[5] »

 

La voie tracée, il était même prévu un complément de formation pour les plus doués :

 

« Si parmi les élèves d’un Séminaire ou d’un Collège religieux il s’en trouve qui aiment cet art et y soient particulièrement doués, les Supérieurs du Séminaire ou du Collège ne manqueront pas de nous en avertir pour que vous les envoyiez à l’Institut Pontifical de Musique Sacrée de cette ville ou dans une Athénée où l’on enseigne cette discipline pourvu que leur conduite et leur vertu donnent l’espérance qu’ils seront d’excellents prêtres[6]. »

 

Les publications de l’Eglise locale nous renseignent également sur l’importance que l’on attachait à cet enseignement. La Commission Diocésaine de Musique Sacrée de Nancy instituée en 1954 par Monseigneur Kaltnecker, décide de la création d’une Ecole de Musique sacrée et de Chant grégorien appelée Ecole Saint-Léon IX et émettait le vœu que :

 

« Les aspirants au sacerdoce non rompus à la gymnastique du solfège placent dans leurs préoccupations l’étude des intonations, le chant des oraisons, et des préfaces, les répons comme le Subvenite, Libera. On souhaite qu’ils apprennent à conduire le chant des enfants qui leur seront confiés. Il serait bon qu’un examen constate sur ce point leur aptitude[7]. »

 

Ce travail engagé à l’intérieur du Petit Séminaire en faveur de la musique sacrée n’était pas unique en son genre et se trouvait complété dans les établissements catholiques d’enseignement dans lesquels une meilleure connaissance du répertoire religieux était souhaitée :

 

« Les élèves du premier cycle (garçons et filles) dans nos collèges libres, les enfants des écoles paroissiales auront quelques répétitions de solfège élémentaire et étudieront les pièces liturgiques d’usage fréquent : Messes VIII, IX, XI, XVII, Credo I et III, hymnes Pange lingua, Veni Creator, Ave maris stella. Et ce programme n’est pas limitatif. On voit l’avantage qui résulterait de cette étude. Au sortir de l’école, les jeunes gens pourraient devenir des éléments intéressants pour nos scholae ou des entraîneurs pour la nef [8]. »

 

Dans un contexte aussi favorable, la tâche des professeurs de musique se trouvait grandement simplifiée. Les témoignages d’anciens séminaristes, aujourd’hui prêtres, montrent l’intérêt qu’a pu présenter pour eux cette formation complémentaire aux études philosophiques et théologiques. La situation rare de ces professeurs laïcs au sein d’une équipe éducative habituellement composée de religieux est un indicateur de la valeur accordée à cet enseignement et du souci manifeste de ne pas le dévoyer en le confiant à un personnel médiocrement formé.

 

Au Petit Séminaire, Charles Magin était secondé par Marcel Jonoux, ancien élève du Conservatoire de Nancy. Mal voyant, il fut organiste à l’église Saint-Pierre et à l’église Notre-Dame-de-Bonsecours. A partir de 1956 par Guy Jeaugey succéda à Magin au séminaire et remplit cette fonction jusqu’en 1969.

En fin d’année, des prix étaient remis aux élèves les plus méritants dans les classes de chant, de piano, d’harmonium ou d’orgue.

 

Olivier Geoffroy

(octobre 2004)

 



[1] HATON (Abbé Emile), « S. Exc. Mgr Fleury bénit la première pierre du nouveau Petit Séminaire de Renémont » in : Renémont, Petit Séminaire, Nancy, Vagner, [1939], p. 32.

[2] La Semaine religieuse de Nancy, Nancy, Crépin-Leblond, 1910, pp. 622-623.

[3] Innombrables cantiques et motets parus à Nancy (SAEM), Paris (Combre, Biton, Hérelle, Schola Cantorum), Tournai (Desclée) et dans diverses revues de musique sacrée.

[4] MARY (Abbé Jean), « A Monseigneur Kaltnecker. Le musicien » in : La Semaine religieuse du diocèse de Nancy et de Toul, Nancy, Vagner, 1959, p. 81.

[5] Article IV, cité dans La Semaine religieuse de Nancy, Nancy, Vagner, 1956, pp. 178-179.

[6] Ibid.

[7] La Semaine religieuse de Nancy, Nancy, Vagner, 1954, p. 716.

[8] Ibid.

 

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