Les orgues Cavaillé-Coll et Mutin de la salle Poirel à Nancy

Petite revue de presse


 

La salle Poirel
(CP) DR.
Salle Poirel et l'orgue Mutin
(© photo Jean Scherbeck, coll. Jean-Pierre Puton)

 

 

Orgue Cavaillé-Coll (1898) :

 

Composition :

Grand-Orgue (56 notes) : Bourdon 16', montre 8', flûte harmonique 8', bourdon 8', prestant 4', plein-jeu III rgs, trompette 8'.

Récit expressif (56 notes) : Cor de nuit 8', viole de gambe 8', voix céleste 8', flûte octaviante 4', trompette 8', basson-hautbois 8'.

Pédale (32 notes) : Soubasse 16', basse 8'.

Orage, tir. I et II, acc. II/I en 16 et 8, appel et renvoi plein-jeu et trompette I, appel et renvoi trompette et basson-hautbois II, trémolo II.

 

Transféré vers 1922, après modifications indispensables, par Mutin au Théâtre de Nancy, Place Stanislas, l'orgue Cavaillé-Coll fut démonté et cédé à un particulier qui en entreposa la mécanique, la soufflerie et la tuyauterie chez lui à Azerailles. Récemment, l'Association pour le Renouveau des Orgues de la Cathédrale de Nancy l'a acquis et ambitionne de le remonter dans la cathédrale nancéienne en lieu et place de l'orgue de choeur actuel (Kühn, 1912), tout en conservant le buffet Cuvillier.

 

« L'orgue de la salle Poirel :

Sur l'article 226 (conservatoire de musique). On avait sollicité le concours de la ville pour installer un orgue dans la salle Poirel. Quelle suite l'administration compte-t-elle donner à cette demande ?

M. le maire. - Un orgue coûterait environ 20.000 fr. ; sur cette somme 14.000 fr. seraient à la charge de la ville et l'Etat donnerait une subvention de 6.000 fr. payable par annuités.

La demande n'a pas été rejetée, mais l'état du budget de cette année ne nous a pas permis d'y comprendre cette dépense. On pourra proposer un crédit plus tard. »

(L'Est républicain, 30 novembre 1895, np)

 

« L'orgue de la salle Poirel :

M. Gutton donne lecture d'un rapport au sujet de l'emplacement proposé par la commission du Conservatoire pour l'installation de l'orgue, salle Poirel.

La commission du Conservatoire propose d'installer cet orgue sur la scène. Le rapport rejette cette proposition, la salle Poirel n'ayant pas été construite uniquement en vue des concerts et la scène étant déjà trop exiguë en d'autres circonstances.

M. Imhaus combat ces conclusions, la salle Poirel étant rarement utilisée pour des représentations théâtrales et l'orgue ne pouvant être mieux placé que sur la scène.

Mais ce n'est pas l'avis du conseil, ni de M. le maire, qui insiste pour que le rapport mette la commission du Conservatoire en demeure de choisir un autre emplacement.

M. de Courteville demande de son côté que la fourniture de l'orgue soit réservée à un facteur local.

M. le Maire. - Cela regarde la commission, nous n'avons réservé que la question d'emplacement.
M. de Courteville. - Nous pourrions toujours émettre un voeu.

Plusieurs membres s'écrient que le conseil n'a pas de voeu à émettre à ce sujet.

M.de Courteville. - Aussi bien, l'orgue me paraît un peu tombé dans l'eau.

Les conclusions du rapport sont adoptées ».

(L'Est républicain, 16 novembre 1896)

 

« Nous avons sous les yeux la correspondance échangée entre M. Didier-Van-Caster et la sous-commission chargée du rapport sur les orgues de la salle Poirel.

Il en résulte que, dès le 6 courant, la sous-commission déclarait à M. Didier-Van-Caster, en lui exprimant ses regrets que les orgues étaient confiées à la maison Cavaillé-Coll.

On nous permettra, à notre tour, de regretter tant de précipitation. Les industries d'art sont justement renommées à Nancy. On peut dire qu'en particulier la lutherie est une des plus anciennes industries lorraines. Puisqu'il s'agit ici d'orgues, nous rappellerons que celui de la Cathédrale de Nancy, bien autrement important que celui qu'il s'agit d'installer à la salle Poirel, a été créé par les Dupont, de Malzéville, et y qu'il était depuis longtemps célèbre avant d'avoir été réparé en 1871, par la maison Cavaillé-Coll. Avant de faire la commande à Paris, il aurait fallu du moins savoir si, non seulement à Nancy, mais dans la région, on ne pouvait trouver de fabricants en état de procurer au Conservatoire un orgue réunissant les qualités voulues. Nous ne voulons pas mettre en cause la municipalité ; des spécialistes sont seuls compétents pour régler ces questions et nous reconnaissons que M. le maire a procédé correctement en laissant à la sous-commission du Conservatoire, - composée de musiciens et d'organistes, - la latitude de faire un choix. Mais on peut trouver que cette sous-commission est allée bien vite et s'est laissée peut-être trop exclusivement guider par une idée préconçue. Des comparaisons auraient dû être faites, une sorte de concours aurait pu s'organiser. Les orgues de la maison Cavaillé-Coll sont, nous dira-t-on, inimitables. C'est une affirmation. Il existe précisément à Epinal un fabricant très connu des spécialistes, M. Henri Didier, qui d'après de nombreux témoignages donne à ses orgues exactement le timbre et l'harmonie qui distinguent les orgues Cavaillé-Coll. Pourquoi ne pas en faire l'expérience ? M. Jeanjacquot, à Rambervillers, a fourni aussi des orgues dont on fait l'éloge. Il nous semble qu'avec vingt ans de garantie, engagement pris ordinairement par les facteurs de la région, on ne risquait rien d'essayer. Il y a donc eu, de la part de la sous-commission, un parti pris de s'adresser à Paris quand même. Ce parti-pris est d'autant plus fâcheux qu'à côté de la question locale, il y a la question de prix, peut-être indifférente aux musiciens, mais dont les contribuables ne se désintéressent pas. Nous croyons que la commission serait bien inspirée en modifiant la décision de sa sous-commission. Les partisans de la maison Cavaillé-Coll se récrieront. Ils nous serviront le vieil argument : « Travail exceptionnel, il n'y a que Paris qui puisse livrer, etc. » Avant de contester la valeur de nos facteurs régionaux, il faudrait au moins leur permettre de se révéler. Nier n'est point prouver. II n'est d'ailleurs pas une industrie à Paris qui ne se prétende supérieure à tout ce que peut donner la province et si ce système est adopté, on finira par laisser péricliter toutes nos industries provinciales. Il est temps de s'arrêter dans cette voie. »

(L'Est républicain, 18 novembre 1896, p. 2)

 

« Un orgue à la salle Poirel :

Le succès toujours croissant des concerts du Conservatoire, prouve que la municipalité de Nancy ne s'est point trompée, en appelant à la direction de cette institution un musicien aussi distingué que M. Guy Ropartz.

Aussi, désireuse de parfaire son oeuvre, cette dernière vient-elle de décider l'installation d'un orgue à la salle Poirel. Tout en apportant son appoint dans l'exécution des chefs-d’œuvre profanes des maîtres classiques et modernes, cet instrument sera surtout destiné à soutenir de ses accords puissants l'interprétation, par les instruments de l'orchestre et les voix, des pièces d'un caractère sacré tels que : Oratorios, Cantates d'Eglise, la magistrale messe en si mineur ainsi que la Passion du grand J. S. Bach. Ajoutons encore les magnifiques Concertos pour orgue et orchestre de Haendel, que se propose de faire apprécier du public sérieux qui l'applaudit notre savant et habile directeur.

A quel facteur allait-on confier la construction du nouvel orgue ?...

Soucieuse avant tout de fournir un instrument dont la perfection ne laissât rien à désirer, notre municipalité, d'accord avec une commission chargée de l'étude en la question, s'est naturellement adressée à la maison Cavaillé-Coll.

Assurément nous avons à Nancy et dans la région des facteurs de talent ; mais faire choix de l'un d'eux n'eut-il pas été jeter discrédit sur les autres ? Et d'ailleurs, à parler franchement et sans vouloir ne diminuer en rien l'habileté et la science de nos facteurs lorrains, est-il, dans ce pays, un instrument gui puisse, comme timbre et harmonisation des jeux ainsi que par la perfection de la mécanique, subir la comparaison avec les orgues de Cavaillé-Coll ?

Qu'on veuille se rappeler le magnifique grand-orgue de noire Cathédrale et celui de Saint-Léon surnommé le Bijou. Au lieu d'incriminer la municipalité de Nancy et la commission, rendons au contraire hommage à leur discrétion et à leur bon goût.

Cet orgue sera composé des jeux propres à la registration des compositions de J.-S. Bach et Haendel, leur nombre en sera en tout de 16 se divisant sur deux claviers à mains et un clavier de pédale indépendante. Le premier clavier comportera les jeux du grand-orgue, le second ceux du récit. Seul le second clavier sera expressif.

Espérons que la construction de cet instrument ne se fera pas trop attendre, et que nous pourrons bientôt goûter le plaisir nouveau et délicat que nous réservent nos édiles auxquels nous renouvelons encore une fois toutes nos félicitations. J.-E. Martin. »

(La Lorraine artiste, 13 décembre 1896, p. 494-495)

 

« Conservatoire de musique

Par décision du 12 décembre, M. le ministre de l'instruction publique a accordé une somme de 3.000 fr. au Conservatoire de musique de Nancy pour l'aider dans la construction du grand orgue de la salle Poirel et une somme de 1.000 fr. à titre d'encouragement aux concerts populaires. »

(L'Est Républicain, 19 décembre 1896)

 

« L'orgue de la salle Poirel

Le conseil municipal va discuter prochainement la question de rétablissement d'un orgue à la salle Poirel. Entre autres questions soulevées par cette installation est celle de son emplacement, pour le choix duquel on devra surtout être guidé par les lois de l'acoustique.

Si nos renseignements sont exacts, il serait question de lui faire occuper une des avant-scènes, la scène n'étant pas jugée d'une profondeur suffisante pour que l'orgue, instrument un peu encombrant, pût y être installé.

Mais on affirme d'autre part, que le choix des avant scènes aurait un non moins grand inconvénient : L'orgue ainsi placé courrait grand risque, dit-on, de n'être entendu que des personnes se trouvant dans la galerie de peinture.

Avant de prendre une décision, nous écrit un lecteur, ne pourrait-on faire l'expérience de l'avant-scène en question, au point de vue de l'acoustique ? La question mérite d'être examinée avant l'installation définitive. »

(L'Est républicain, 19 mars 1897, np)

 

« M. Gutton donne lecture d'un rapport relatif à l'emplacement de l'orgue de la salle Poirel. Deux solutions étaient seules possibles : Placer l'orgue sur un chariot mobile, au fond de la scène, de façon à pouvoir le déplacer quand les circonstances l'exigeraient, ou l'installer dans une des loges latérales donnant sur la scène. La première solution exigeait une dépense de 6,400 fr. ; la seconde 4,500. C'est à celle-ci que la commission s'est arrêtée. »

(L'Est républicain, 20 mars 1897, np)

 

« Les travaux préparatoires pour l'installation de l'orgue à la salle Poirel sont à peu près terminés. »

(L'Est républicain, 14 octobre 1897, np)

 

« M. Eugène Gigout, l'éminent organiste de l'église Saint-Augustin, à Paris, prêtera son concours au concert d'inauguration de l'orgue de la salle Poirel. »

(L'Est républicain, 17 novembre 1897, np)

 

« Ce fut encore en 1895 que fut posée, pour la première fois, la question de l'établissement d'un grand orgue à la Salle Poirel. […] La question de l’installation d'un orgue à la Salle Poirel fut de nouveau mise à l'ordre du jour et le Conseil municipal, par son vote d'un crédit de 14,000 fr. intervenu dans la séance du 21 juillet 1896, lui donna une solution conforme aux vœux du Directeur et de la Commission du Conservatoire. La direction des Beaux-Arts promit une subvention de 6,000 fr. qui, jointe au crédit voté par le Conseil, a permis de commander à la maison Cavaillé-Coll un instrument de 16 jeux distribués sur deux claviers à mains et un clavier de pédales qui, dans quelques mois, sera inauguré dans notre belle salle de concerts.

Cet orgue ouvrira aux concerts un magnifique répertoire d'œuvres classiques et modernes que jusqu'à présent on avait été obligé d'écarter des programmes. Il permettra aussi la création d'une classe d'orgue, classe dont l'utilité est incontestable et qui ajoutera une nouvelle branche à l'enseignement musical, aujourd'hui presque complet, de notre Conservatoire. »

(Le Conservatoire et les Concerts de Nancy, Nancy, 1897, p. 13)

 

« Nancy — Pour l'inauguration du bel orgue construit dans la salle Poirel par la maison Cavaillé-Coll, nous avons eu deux superbes concerts.

D'abord, le 12 mars, un Récital d'orgue par M. Eugène Gigout, le célèbre organiste de Saint-Augustin, qui dans un programme très varié, a fait apprécier, en même temps que les ressources du nouvel instrument, ses admirables qualités de virtuose. Voici le programme : Fantaisie et Fugue, J. S. Bach ; Cantabile, C Franck ; 3° Rhapsodie sur des cantiques bretons, Saint-Saëns ; Andante, Boëly ; Suite gothique, Boëllmann ; Sonate en fa, Mendelssohn ; Scherzo et Grand-Choeur dialogué Eug. Gigout ; Improvisation (sur un thème assez baroque donné par une personne de l'assistance) ; Toccata J. S. Bach.

Le lendemain, concert avec orchestre, avec un programme non moins intéressant. Jugez-en plutôt : Psaume 136 (super flumina) pour choeurs, orgue et orchestre (1ère audition), Guy Ropartz, oeuvre de tous points remarquables et d'une haute valeur musicale ; Concerto en ré pour orgue et orchestre, Haendel ; la partie d'orgue, admirablement tenue par M. Gigout ; choeur final de la Passion selon Saint Jean, J. S. Bach ; Choral en la mineur. César Franck : et enfin la magnifique Symphonie en ut mineur de Saint Saëns, dans laquelle le grand maître français a fait un si judicieux emploi de l'orgue.

On annonce pour les 3 et 4 avril deux auditions intégrales des Béatitudes de César Franck. »

(Revue musicale Sainte-Cécile, année 5, n° 12, avril 1898, p. 96)

 

« A propos du nouveau théâtre :

Le théâtre des Champs-Elysées possède un grand orgue remarquable. Il y a 53 jeux et, particularité rare, son clavier est placé dans l'orchestre même.

Ceci nous amène à demander si on a songé à un orgue pour le nouveau théâtre. Il est indiscutablement indispensable. Alors pourquoi ne prendrait-on pas pour le théâtre l'orgue de la salle Poirel. Cet instrument y est ridiculement placé dans une des loges qui surplombent la scène. Lorsqu'on l'a' établi, on a hésité, lésiné. La vraie place de l'orgue dans une belle salle de concerts — unique en province et peut-être à Paris — comme la salle Poirel, c'est -le fond de la scène. Or, quand le théâtre quittera la salle Poirel, il va falloir réparer complètement et la salle et la scène. Ce serait le moment de reprendre l'orgue pour le théâtre et de doter notre salle de concerts d'un instrument digne d'elle. Nous signalons cette nécessité aux commissions du théâtre et du Conservatoire. »

(L'Est républicain, 20 décembre 1913, p. 1)

 

« Parmi les « accessoires » indispensables au nouveau théâtre, il en est un dont nous avons déjà parlé, c'est l'orgue.

Nous nous excusons d'y revenir, mais la question de l'orgue peut avoir une solution si satisfaisante à tous les points de vue qu'il serait vraiment lamentable de la laisser échapper.

Cette solution, on la connaît déjà. C'est de prendre pour le théâtre l'orgue de la salle Poirel. C'est un excellent instrument, qui fera merveille dans une salle de théâtre, mais qui a été ridiculement placé salle Poirel, dans le coin d'une loge, de sorte qu'il perd sa sonorité et que, dans les exécutions pour orgue et orchestre, aucun équilibre n'existe entre l'orgue, dont, les accents semblent sortir du plafond, et l'orchestre placé sur la scène. Ce qu'il faut salle Poirel, c'est un orgue de fond. Les considérations qui ont fait à l'époque hésiter devant l'emplacement d'un orgue au fond de la scène n'existent pour ainsi dire plus aujourd'hui. Et on va avoir une occasion unique de réparer l'erreur d'autrefois puisqu'on se servira pour le théâtre de l'ancien instrument (on n'en trouverait pas encore de meilleur aujourd'hui) et puisqu'on pourra profiter des travaux considérables que la scène de la salle Poirel va exiger pour la doter enfin d'un instrument digne de la salle et des auditions qui s'y donnent.

Nous attirons encore sur cette question importante l'attention de la municipalité et des commissions compétentes. »

(L'Est républicain, 9 mai 1914, np)

 

« L'orgue de la salle Poirel :

Mon distingué confrère George Boulay a bien raison de désirer le voir transporter au nouveau théâtre, ce qui permettrait de doter les concerts d'un instrument plus important, occupant le fond de la scène comme au Trocadéro, salle Gaveau, salle Pleyel, salle Aeolian, un peu partout, enfin, à Paris.

Cet instrument, trop petit, est d'ailleurs fort bon et la registration, en jeux doux, de Prélude et Fugue en si majeur, de M. Camille Saint-Saëns, que jouait M. Constant Pernin, permit de s'en rendre compte une fois de plus.

Les deux concurrents, sérieusement entraînés par M. Louis Thirion, donnent une solide et intelligente interprétation de la Fugue en sol mineur (4e livre, n° 7) du grand Bach. MM. Henri Groebet et Constant Pernin enlèvent ainsi tous les deux leur premier prix à la satisfaction générale de l'auditoire et à la leur particulière aussi, très probablement ; quoique les organistes soient les plus modestes — et pour cause — des concurrents. Jamais le public ne les aperçoit : Ils jouent dans une armoire, sur le côté droit de la salle. »

(L'Est républicain, 30 juin 1914)

 

« Et voici le moment de reprendre une question que nous avons exposée déjà avant la guerre et qui redevient actuelle : celle de l'orgue. Il faut un orgue au théâtre. On ne peut espérer jouer de grandes oeuvres, sur une grande scène, avec un harmonium dans la coulisse. Or, il existe à Nancy un orgue délicieux, fait sur mesure pour un théâtre, c'est celui de la salle Poirel. La solution, la vraie, la seule, est de l'y transporter et de doter la salle Poirel d'un orgue qui soit digne d'elle. Comme nous l'avons déjà expliqué maintes fois, la Ville, en accordant il y a quelque vingt ans un orgue à M. Guy Ropartz, a lésiné. Au lieu d'acquérir de grandes orgues qu'on aurait placées au fond de la scène, face au public, on a juché un orgue moyen, d'ans une loge située à droite de la scène, orgue d'ailleurs excellent, mais qui n'est nullement à sa place. Il est manifeste qu'on a abouti, pour les exécutions d'oeuvres pour orchestre et orgue, à un défaut d’équilibre des sonorités qui aurait été évité si l'orgue, placé au fond de la scène, avait ainsi « fait un » avec l'orchestre. Voilà le moment de réparer l'erreur. On va dépenser gros pour le théâtre et pour la réfection de la salle Poirel. On ne doit pas regarder à une augmentation de dépenses, d'ailleurs insignifiante sur l'ensemble, pour aboutir à une amélioration capitale.

(L'Est Républicain, 3 avril 1919)

 

« Enfin, et la question de l'orgue ? Il n'y a que deux façons de la résoudre. Elle ne peut pas se discuter sérieusement. Il faut, nous avons expliqué pourquoi, transporter au théâtre l'orgue de la salle Poirel et doter cette dernière d'un grand orgue placé au fond de la scène, face au public.

Matériellement, la chose, est possible. M. Cavaillé-Coll est venu à Nancy. Il s'est rendu au Nouveau Théâtre et a décidé que l'orgue de la salle Poirel peut y être installé. Il y aura, évidemment, une nouvelle disposition à adopter : les différentes parties de l'instrument devront être superposées, au lieu d'être mises sur le même plan, mais cette transformation ne sera qu'un travail de menuiserie peu important. Quant à la salle Poirel, il faut y aménager un grand orgue, digne de la salle elle-même, digne des concerts auxquels Nancy a été habituée. L'orgue actuel n'a que 15 jeux et il en faudrait au moins 35. C'est la composition normale des orgues de concert. C'est ce que possède la salle Gaveau à Paris et le Sangerhaus à Strasbourg.

Un orgue de 35 Jeux coûterait de 75 à 80,000 francs, mais il ne faut pas oublier que l'orgue actuel a coûté 20.000 francs, qu'il servira pour le Théâtre, et que, par conséquent, la dépense supplémentaire pour la salle Poirel ne serait que de 50 à 60,000 francs. Il n'y a pas à hésiter. Que sont 50,000 francs quand on consacre au Théâtre un budget de plusieurs millions, et quand il s’agit, en somme, de maintenir Nancy à son niveau artistique et de lutter pour sa prospérité. »

(L'Est Républicain, 31 juillet 1919)

 

« Le nouveau théâtre :

En ce qui concerne l'orgue, la commission spéciale propose le déplacement de l'orgue existant Salle Poirel, lequel serait monté au Nouveau-Théâtre. Un crédit de 20. 000 fr. est demandé à cet effet. »

(L'Est Républicain, 13 septembre 1919)

 

NDLR : Après son transfert au théâtre municipal, comme mentionné infra, cet instrument a été ensuite récupéré par un particulier de la région de Lunéville, puis acquis par l’actuel organiste de la cathédrale de Nancy (Johann Vexo) pour être remonté dans le secteur.

(communication de Frédéric Mayeur, professeur d’orgue au CRR de Dijon, organiste de la cathédrale de Dijon et du Sacré-Cœur de Nancy).

 

Orgue Mutin (1923) :

 

Composition originelle :

Grand-Orgue (56 notes) : Montre 16', bourdon 16', montre 8', bourdon 8', flûte harmonique 8', violoncelle 8', prestant 4', doublette 2', plein-jeu III rgs, bombarde 16', trompette 8', clairon 4'.

Positif expressif (56 notes) : Principal 8', cor de nuit 8', salicional 8', flûte douce 4', flageolet 2', trompette 8', clarinette 8', voix humaine 8'.

Récit expressif (56 notes) : Quintaton 16', diapason 8', flûte traversière 8', gambe 8', voix céleste 8', flûte octaviante 4', plein-jeu IV rgs, basson 16', trompette 8', basson-hautbois 8', soprano harmonique 4'.

Pédale (30 notes) : Grosse Flûte 16', soubasse 16', flûte 8', bourdon 8', violonbasse 8, principal 4', tuba magna 16', trompette 8'.

Tir. I, II et III, acc. III/I, II/I, III/II, I et III en 16, III en 4, appels combinaisons I, II, III, péd, appel tutti, appel fonds pédale, trémolos II et III.

 

Dans une lettre adressée à Jean Huré le 6 mai 1924, Charles Mutin évoquait cet instrument et sa composition :

 

« A Nancy, j'aurais très bien ajouté, et à mes frais, ce qu'on aurait voulu, j'avais déjà remis d'autres jeux supprimés on ne sait pourquoi – mais le mieux eût été de me laisser libre. Soit dit en passant, cet orgue possède de nombreuses combinaisons qui n'étaient pas au devis et qui ont été fournies à titre gracieux. »

(Source : https://commulysse.angers.fr/ark:/54380/a0115069521764wvzZp/from/a011506952176ZFm8gW)

 

Quelques modifications ont été effectuées au fil du temps afin de remplacer des jeux romantiques par des mutations. L'orgue a été démonté par Haerpfer-Erman au moment de la construction de l'orgue neuf de 1971 (aujourd'hui transféré à Droiteval, Claudon, Vosges). Le tuba magna 16' de Mutin figure aujourd'hui parmi les jeux de pédale de l'orgue Haerpfer de l'église Saint-Vincent-Saint-Fiacre de Nancy.

 

« M. Louis Thirion, qui a prêté à la campagne que l'Est a menée en faveur du transport de l'orgue de la salle Poirel au théâtre, l'appui de son autorité personnelle et de sa remarquable compétence d'organiste, nous écrit pour nous faire part de ses inquiétudes. On me prend mon orgue de la salle Poirel, nous dit M. Thirion, mais sans engagement ferme de m'en rendre un autre, en tous cas sans commande ferme d'un nouvel orgue. Que M. Thirion se rassure ! La salle Poirel a droit à son orgue ! Toutes les délibérations, toutes les discussions relatives à la cession au théâtre de l'orgue de la salle Poirel comportent son remplacement par un grand orgue, établi au fond de la scène Poirel et digne de notre salle des concerts. Au surplus, le Conservatoire a des droits acquis que personne ne songe à lui discuter. Ici, à l'Est, républicain, nous n'abandonnerons pas la question du grand orgue tant qu'elle n'aura pas reçu la solution promise - et qui s'impose. Nous n'oublierons pas que, jusqu'à présent, le théâtre n'a rien fait, pour la gloire artistique et musicale de Nancy. »

(L'Est Républicain, 26 septembre 1919)

 

« On travaille en ce moment à la réfection de la salle Poirel, abîmée par les bombardements, et par près de quinze ans d'exploitation théâtrale. Elle va être renvoyée à sa destination première : concerts et conférences. Notamment la scène va retrouver sa forme et ses dimensions primitives avec la voussure chargée de renvoyer dans la salle les sonorités de l'orchestre, et le mur du fond formant limite avec la Galerie centrale. Or, on sait que ce mur du fond doit être remplacé à brève échéance par le grand orgue dont le conseil municipal a voté en principe l'acquisition.

Nous espérons donc que les travaux actuels sont conçus et exécutés d'accord avec le facteur d'orgue, en tenant compte de l'encombrement du futur instrument, en ménageant les ouvertures, trappes, etc. qui pourront être nécessaires à son fonctionnement. Car, n'est-il pas vrai, il ne viendra à personne l'idée de discuter la nécessité de rendre à la salle Poirel et au Conservatoire l'orgue auquel ils ont droit.

La municipalité actuelle est, nous le savons, d'accord sur cette question avec la municipalité précédente. Il s'agit, au surplus, du respect de la parole donnée. Qu'on relise les articles des journaux, les Interviews, les comptes rendus des commissions relatifs «au transfert de l'orgue du Conservatoire au théâtre, on y trouvera, comme base et comme condition essentielle de ce transfert, la promesse de restituer au Conservatoire l'orgue qu'on lui prenait.

La commission du Conservatoire, celle du théâtre, ne sont tombées d'accord dans leurs voeux respectifs qu'à cette condition qui s'imposait. On ne peut plus y revenir. On ne peut pas commettre vis-à-vis du Conservatoire un véritable abus de confiance.

La solution contraire, si elle pouvait, par impossible, germer dans certains esprits à courte vue, aurait cette, conséquence inouïe que notre Conservatoire posséderait une classe d'orgue et un professeur d'orgue, mais qu'il ne lui manquerait qu'une chose, l'orgue lui-même. Depuis la réouverture du Conservatoire sait-on sur quel instrument M. Thirion fait sa classe ? Sur un harmonium ! Pourquoi pas sur un piano ? Grâce à l'obligeance toujours en éveil de M. le maire, il a pu obtenir, au lendemain de la clôture de la saison théâtrale, que ses élèves aient accès sur la scène du théâtre pour y faire connaissance avec leur instrument, mais les quelques leçons dont ils ont pu profiter sont absolument insuffisantes pour leur permettre d'être familiarisés avec le maniement des « jeux » et celui des pédales, si bien que le concours d'orgue, qui aura lieu au théâtre, n'est pas très rassurant pour eux...

D'autre part, pendant la saison, on ne peut même envisager la possibilité, - la scène du théâtre étant constamment occupée, - de la réserver plusieurs fois par semaine à la classe d'orgue du Conservatoire. Aucun directeur de théâtre ne tolérerait un tel empiétement. On a dit, paraît-il, que M. Thirion pourrait facilement obtenir l'autorisation, de faire jouer ses élèves dans une des églises de Nancy. Solution évidemment impraticable, quelle que soit la complaisance des autorités ecclésiastiques ! Solution qui risquerait de troubler les offices, qui exigerait le déplacement du souffleur, qui aboutirait à de fréquentes impossibilités matérielles de tout ordre. Non, la seule solution, digne de la ville, de son Conservatoire, est celle qui, respectueuse de la parole donnée et de l'engagement pris, consiste à rendre à la salle Poirel, bientôt restaurée, le grand orgue auquel elle a droit. G. B. [...]

Lorsque l'on enleva de la salle Poirel l'orgue - excellent, d'ailleurs, mais de dimensions trop restreintes - qui s'y dissimulait un peu timidement afin d'en faire profiter les représentations théâtrales, on ne pensa pas, comme on dit vulgairement, « déshabiller saint Pierre pour habiller saint Paul ».

Il restait donc entendu que ce retrait équivalait à une promesse de remplacement... par un Cavaillé-Coll plus puissant, plus riche en combinaisons et formant, avec sa « montre », un fond majestueux à la salle, ainsi que cela a lieu au Trocadéro, à la salle Gaveau, à celle de la Schola et généralement en toute salle de concert qui se respecte. Le moment n'est-il pas venu de songer à cette amélioration, si nécessaire, de la salle Poirel ? Dans le plan de réédification de cette salle, il importe de ménager la place de l'orgue afin de ne pas avoir, plus tard, faute de cette précaution, un, surcroît de peine et de dépenses. C'est qu'un tel instrument est un organe vital dans le développement artistique de la cité, car le sort de Nancy, grande capitale de la région lorraine, est lié, même en ce qui concerne sa vie économique, au maintien énergique de sa réputation, de ville d'art.

Or, l'orgue de la salle Poirel répond à un double besoin : les concerte et l'enseignement du Conservatoire. Pour les premiers, nul n'ignore que les plus belles auditions données à Nancy ont toujours eu un appui fondamental, obligé, de l'orgue, qu'il s'agisse des grandes cantates de J.-S. Bach, des magnificences de Haëndel, des ravissements séraphiques de Franck, des pages les plus noblement inspirées de M. Camille Saint-Saëns. Et que de partitions non encore entendues, que de concertos ou de pièces spécialement écrites pour l'instrument, comme celles de Mendelsohnn que nous ignorons encore - sans compter ce que l'archéologie musicale remet au jour dans l'oeuvre des maîtres de chapelle de Louis XIII et de Louis XIV, précurseurs de l'école moderne française de l'orgue à laquelle nous devons les Guilmant, les Widor, les Boëllmann, les Gigout, les Périlhou, les Dallier, les Bonnet, etc...

Tout un domaine, peu exploré encore, du bel art, tant aimé dans notre ville, nous reste momentanément fermé et les doigtés d'un merveilleux artiste, M. Louis Thirion, professeur d'orgue au Conservatoire, sont inactifs. Au point de vue de l'enseignement, le même professeur ne dispose, pour les études de ses élèves, que d'un gros harmonium à pédalier, poussif et criard. Autant apprendre à jouer du violon sur le crincrin rouge des bazars que l'on donne en amusement aux écoliers ! Un premier prix du Conservatoire de Nancy sera-t-il obligé de recommencer (à son détriment et plus encore à celui de ses auditeurs) toute une partie de ses études lorsqu'il se trouvera nommé organiste et - enfin - en présence d'un instrument véritable ? Chaque année, en effet, notre Conservatoire forme des élèves qui, dans les paroisses où on leur confiera les orgues, devront être pénétrés du style des maîtres, répandre le goût de la musique d'orgue, la plus haute et la plus pure, et la répandre d'autant (plus efficacement que les auditions d'orgue dans les églises, temples ou synagogues, sont gratuites.

Dès maintenant, plusieurs des jeunes organistes formés par M. Thirion, jouent ce rôle, excellent, de vulgarisateur d'art, tant à Nancy que dans toute la région. Voilà donc encore une priorité pour notre cité qu'il importe de ne pas laisser échapper et qui prouve que l'enseignement d'un Conservatoire ne vise pas rien qu'une classe de la société, une élite, mais au contraire peut se répandre largement dans les masses populaires. L'orgue est un des instruments qui agisse le plus puissamment, et avec le plus de fréquence, sur l'âme des foules. Ajouterai-je qu'en certaines cérémonies, propres à la salle Poirel (rentrée de facultés, clôtures solennelles de congrès, galas officiels ou de bienfaisance) sa grande voix majestueuse me semble bien plus indiquée que tant d'indiscrètes fanfares à faire trembler Jéricho ? Strasbourg venait à peine d'être reconquis qu'on décidait d'installer un instrument français magnifique, dans la salle nouvelle des concerts. Pour entendre un orgue concerter avec l'orchestre, pour suivre efficacement des cours d'orgue, Nancy devra-t-il abdiquer et la Lorraine envoyer ses élèves et amateurs d'art musical... en Alsace ? Poser la question devant d'ardents régionalistes est, il me semble, la résoudre. - R. d'A. »

(L'Est Républicain, 18 juin 1920, p. 3)

 

« L'Orgue de la Salle Poirel :

Un crédit de 190.000 fr. a été voté par le Conseil municipal pour le nouvel orgue à installer à la Salle Poirel, en remplacement de l'ancien, transporté au théâtre. C'est la maison Mutin, de Paris, successeur de Cavaillé-Coll, qui construit cet orgue, en dehors de la fourniture du buffet.

Ce buffet a été demandé à la maison Neiss, de Maxéville, pour la somme de 23.000 fr. On avait pensé d'abord utiliser une simple toile décorative, qui aurait coûté 8,000 fr.

Mais l'idée du buffet en bois sculpté a définitivement prévalu. »

(L'Immeuble et la construction dans l'Est, octobre 1921, année 33, n° 7, p. 7)

 

« Auguste Vallin fils aîné, sculpteur, membre associé de la Société Nationale des Beaux-Arts, a repris depuis cette année la succession de son père.

Artiste lui-même, entouré de collaborateurs avertis, il vient déjà de réaliser dans une orientation neuve divers ensembles décoratifs et mobiliers d'art dont, entre autres, le grand buffet d'orgues de la salle Poirel, à Nancy. »

(L'Illustration économique et financière, 1923, p. 90)

 

« M. Bachelet vient de recevoir de la maison Cavaillé-Coll une lettre dans laquelle le directeur de cette maison, M. Mutin, lui promet formellement que l'orgue de la salle Poirel sera monté pour la saison d'hiver. Mieux vaut tard... »

(L'Est Républicain, 18 juillet 1923)

 

« L’orgue de la salle Poirel, un merveilleux instrument, ses complications et ses usages :

La salle Poirel va être dotée d’un orgue très complet et très puissant. Son installation a été décidée il y a deux ans et nous aurons le plaisir de l'entendre au cours du printemps prochain. Depuis près d'un an, le buffet destiné à contenu l'instrument merveilleux a remplacé le rideau de fond de la scène de la salle. D'abord peint en blanc et dépourvu de tuyaux, ce buffet semblait bien maigre. Le facteur d'orgue M. Mutin, successeur de la Maison Cavaillé-Coll, pour faire prendre patience, avait envoyé à l'avance les grands tubes derrière lesquels régnait le vide le plus absolu. Si bien qu'à la salle Poirel il eut été facile de danser devant le buffet.

Depuis, ce buffet s'est considérablement garni ; à l'heure présente il est archi-plein. Passant dernièrement par notre salle de concerts, ayant aperçu des lumières, je me suis enhardi à pénétrer sur le chantier, si je puis m'exprimer ainsi. J'y ai rencontré là deux ouvriers, un chef et un aide. L'accueil du premier fut si cordial que je fus bien à l'aise pour le questionner. Il mit la meilleure grâce du monde à m'expliquer et mieux encore à me montrer l'extraordinaire organisation d’un orgue.

Derrière les grands tuyaux apparents pour le public, se cache un organisme d’une complication difficile à décrire. Voici une succession de gradins auxquels on accède par une échelle, parcourus par d'étroites passerelles qui permettent d'approcher des innombrables détails des différents jeux ; la partie inférieure de la scène est elle-même occupée par des tuyauteries, des règles et réglettes soigneusement assemblées.

Un orgue est un instrument sous la double dépendance de l'air comprimé. Tout d'abord c'est le souffle de cet élément subtil qui met en branle les tuyaux modulateurs des sons ; d’autre part, c'est l'air compressé qui fait agir tous les mécanismes ; commandés par les claviers et ordonnés par les registres. Aussi le corps d'un orgue est-il principalement constitué par des soufflets, des tubes d'amenée d'air et des caisses en bois ou sommiers, sur lesquelles sont plantés les tuyaux émetteurs de son. Chaque jeu a un soufflet particulier, dont la pression est constante et proportionnée à la consommation d’air nécessaire à l'émission. La confection de ces différents appareils exige l'emploi de bois soigneusement choisis, de peaux de mouton, de toile et de colle. Les tuyaux d'amenée de l'air sont en métal et tous leurs joints sont enveloppés de peau de mouton encollée. Il est indispensable, en effet, qu'aucune fuite ne se produise.

En examinant ces différents appareils, on est émerveillé devant l’habileté des artisans qui les ont exécutés. En faisant un retour en arrière on pense aux prédécesseurs qui ont imaginé de tels mécanismes et les ont réalisés avec la même perfection que maintenant. L'orgue de nos vieilles cathédrales ne différait pas sensiblement de celui de nos jours. Sans doute des améliorations ont été réalisées, mais elles n'ont rien d'essentiel. C'est surtout le système de soufflerie qui a le plus profité des découvertes modernes. À la salle Poirel c'est l'électricité qui actionne les compresseurs d'air. La petite salle de droite est complètement affectée à un compresseur électrique et à un réservoir d'air de secours. Il est curieux de voir assembler des appareils très modernes à des combinaisons mécaniques moyen-âgeuses. L'orgue de la salle Poirel, sans être un instrument comparable à ceux de Saint-Sulpice, de Notre-Dame, de Riga et de l'hôtel de ville de Sydney, est cependant très complet et muni des^ derniers perfectionnements. C'est ainsi qu’il possède quarante jeux : 12 au grand orgue, 8 au positif, 12 au récit, 8 aux pédales. Certains jeux, le positif et le récit, sont placés dans des chambres séparées, aménagées dans la partie supérieure de l'intérieur du buffet. Ces chambres sont closes d'un côté par une cloison à jalousies que l'organiste ouvre, entr'ouvre ou ferme complètement à volonté.

Ce dispositif permet d'atténuer les sons un peu aigus des jeux en question ou de leur donner l'impression du lointain. En technique musicale, on dénomme ces chambres des boites expressives. On se demande comment un seul homme, l'organiste, peut mettre en action toutes les parties d'un instrument aussi compliqué. Un orgue est d'ailleurs autre chose qu'un instrument. C'est un orchestre complet permettant l'exécution d'un morceau orchestré, c'est-à-dire écrit pour les instruments les plus divers, depuis les violons jusqu'aux trombones, trompettes et tubas, indépendamment des dispositifs qui lui sont propres. C'est que tous les tubes de chaque registre sont sous la dépendance de commandes disposées sur une sorte de table qui tient du bureau et de l'étagère, devant lequel se place l'organiste. Sur ce meuble sont placés, à Nancy, trois claviers superposés, les boutons des jeux, des registres, etc. ; enfin, sous ses pieds, l'organiste dispose encore d'un clavier dit pédalier. Des règles et réglettes très minces, faites de bois de sapin rouge qui a la propriété de ne pas se dilater en longueur, se rendent aux registres et à chacun des tuyaux émetteurs de son. L'organiste en tirant plusieurs registres à la fois met en mouvement toutes les notes semblables des différents registres ouverts. De là l'ampleur et la diversité d'un jeu d'orgues, que nous voudrions plus longuement décrire si nous en avions la compétence.

L'installation des orgues de la salle Poirel est terminée. Quand on a pu se rendre compte de leur extraordinaire complication, on ne peut être étonné du long temps qu'elle a nécessité. On ne trouve pas un orgue chez le facteur tout préparé. Il n'y a pas deux orgues semblables, c’est donc une combinaison particulière à calculer, en raison de l'emplacement choisi et de l'importance qu'on veut lui donner. L'orgue commandé est complètement monté dans les ateliers ; puis, quand il est au point, on en démonte toutes les parties pour être expédiées et remises en place définitivement. Depuis fin octobre, les organiers envoyés par la Maison Mutin n'ont cessé de travailler à la salle Poirel. Depuis quelques jours, l'accordeur chargé de le mettre définitivement au point est arrivé. Son travail durera plusieurs semaines. C'est après son passage qu'on pourra procéder à sa réception. Le grand orgue de la salle Poirel va redonner à nos concerts des possibilités d'exécution qui leur faisaient défaut depuis la fin de la guerre. Mais son rôle ne se bornera pas à cette importante contribution. Nous pensons qu'il va devenir l'instrument obligatoire de toutes les grandes cérémonies qui se déroulent à la salle Poirel, distributions de prix, réceptions, fêtes, etc. Jusqu’ici nous étions gâtés par les musiques militaires auxquelles on ne faisait jamais appel en vain. Leur réduction et le départ de presque tous nos régiments ont singulièrement réduit leur importance et leur disponibilité. Nous ne voudrions pas empiéter sur les projets futurs, mais ce que nous pouvons désirer, c'est que les orgues de la salle Poirel puissent profiter le plus largement possible au grand public. Il n'y a rien de plus majestueux et de plus impressionnant qu'un morceau d'orgue.

On ne multipliera jamais trop les occasions de procurer aux foules de magnifiques instants qui font surgir des fonds de l'être des sentiments endormis parce qu'on a négligé de les faire revivre. Ce ne sera pas une dépense inutile que celle qui vient d'être faite pour ces orgues que quelques mauvais esprits ont présenté comme un luxe seulement réservé aux favorisés de la fortune. L'orgue a enchanté les croyants depuis de longs siècles, c'est l'instrument de musique populaire par excellence et il est peut-être le meilleur pourvoyeur des églises. Étendu à l'art profane, il ne peut qu'y faire merveille. Sylvestre URBAIN »

(L'Est Républicain, 6 février 1924)

 

« Comment s’accorde un orgue, un instrument extra sensible, ce que sera l’orgue de la salle Poirel :

Dans une note précédente, nous avons donné la description de l'orgue de la salle Poirel et nous annoncions sa mise au point définitive prochaine. C'est maintenant chose faite. M. Perroux, premier harmoniste de la Maison Mutin, aujourd'hui Convers, puisque le célèbre établissement passa sous sa haute direction, vient de terminer sa délicate et méticuleuse besogne. Si l'orgue est un appareil extrêmement compliqué au point de vue mécanique, il ne l'est pas moins sous le rapport musical.

D’autre part, il faut savoir que l'orgue est un instrument très délicat. Comme certaine personne ; de complexion sensible, il lui faut des soins très attentifs. Il ne répond bien que si on lui fournit tout le confort nécessaire et indispensable. Ce sont tous ces détails que M. Perroux a bien voulu nous fournir pour les lecteurs de notre journal, si attentifs à la vie de la cité. Il faut tout d'abord que les réglettes qui courent nombreuses du pupitre des claviers soient très bien ajustées dans toutes leurs articulations. Si le bois employé ne se dilate pas en longueur, il n'en n'est pas de même du jeu des raccords. Il faut aussi savoir que les appareils vibrants, les anches notamment sont excessivement sensibles. Pour qu'ils parlent avec toute leur pureté, ils doivent être en parfait état de souplesse. L'orgue est aussi sujet au refroidissement ou à la trop grande chaleur qu'une personne. Mieux que cela, il lui faut une température constante. Dans les églises, on l'accorde généralement sur la base de 13 degrés centigrades. C'est sous cette condition calorique que ses sons sont harmonisés.

Dans certaines grandes orgues pour lesquelles on est obligé de superposer en hauteur les différents jeux, il arrive que l'accord parfait de tous ces jeux devient une chose à peu près impossible, en raison des températures différentes des couches d'air du local.

A la salle Poirel il y a deux conditions à envisager. La première a été résolue facilement parce que notre orgue se trouve massé en profondeur. Donc pas de superposition de jeux. La seconde comporte une température plus élevée que la normale, puisque la salle est chauffée en hiver, les jours de concert. Sur la scène, où l'orchestre du Conservatoire se place, la température est moins élevée que dans la salle, mais elle n'est guère inférieure à 15 degrés. C'est sur cette base que l'orgue a été accordé. Dorénavant, la salle Poirel ne devra pas dépasser 17 degrés si on veut que l'orgue donne son maximum d'effets. M. Perroux nous faisait observer que même les différentes parties d'un orgue ne doivent pas offrir des différences de températures. On sait que certains jeux, le récit et même le positif, sont enfermés dans des chambres closes par des jalousies mobiles permettant de moduler les effets. Si l'organiste n’a pas soin d'ouvrir, après une audition, ces boîtes expressives ou d'en laisser une ouverte alors que l'autre est demeurée close, lorsqu'il jouera, plus tard, son orgue sera légèrement desharmonisé.

Ce sont là sans doute des subtilités de métier, mais les différences qui en résultent sont sensibles à une oreille exercée. Enfin, pour que l'orgue soit susceptible de fonctionner convenablement avec un orchestre, il faut qu'il soit accordé avec les différents instruments qui le composent. Si on ne prenait pas cette précaution élémentaire, il existerait forcément une discordance désagréable. C'est le hautbois qui a servi d'étalon.

On sait que l'orgue possède parmi ses jeux celui de hautbois dont les sons se confondent avec ceux de l'instrument désigné sous ce nom. L'orgue ainsi accordé peut apporter une précieuse contribution à tous les concerts, tout en conservant sa valeur d'instrument individuel. Toutes ces opérations ont exigé plus d'un mois. Il ne faut pas s'en étonner quand on réfléchit à toutes ces complications d'ordre technique et artistique. Nous avons en Sa grande satisfaction d'assister à quelques-uns des essais fragmentaires du merveilleux instrument dont nous avons déjà dit les applications auxquelles il pourrait donner lieu. La première qualité qui apparaît c'est sa grande douceur de son. La salle entière vibre, on éprouve la sensation que les murs se mettent à l'unisson et participent à l'harmonie générale. On se sent baigné d’une musique qui vient de partout. Ce qui frappe de suite, c'est la rondeur des sons : ils n’ont rien du vinaigre, comme disent les professionnels ; ils roulent au contraire en arabesques caressantes, pour employer une comparaison plastique. C'est avec ravissement que l'on écoute la voix humaine et la voix céleste dont l'apparition dans un morceau d'orgue a quelque chose de surnaturel.

Ces voix, dont les bons organistes n'abusent jamais, sont produites par la légère discordance de deux notes semblables jouées en même temps. Inutile d'insister sur la solennité du grand jeu qui impressionne toujours par son ampleur et sa puissance. Si M. Bachelet est enchanté de la valeur de l'instrument qui va si heureusement compléter ses concerts déjà si intéressants, M. Thirion, professeur d'orgue au Conservatoire, est ravi de pouvoir enfin donner à ses élèves un enseignement complet de la partie qu'il professe avec tant de maîtrise. Jusqu'ici, les organistes des églises se recrutaient dans notre région, un peu au petit bonheur ; maintenant, tous pourront passer par le Conservatoire de Nancy. C'est aujourd'hui dimanche que le grand orgue de la salle Poirel est inauguré officiellement au cours du 10è concert du Conservatoire. D'autres, plus qualifiés que moi au point de vue musical, diront ses réelles qualités. Il était bon de souligner comme il convient, un événement important de la vie nancéienne. Nous nous sommes efforcé de faire de notre mieux pour éclairer le grand public sur les caractéristiques d'un instrument dont quelques-uns comme toujours, ont contesté l'utilité et la valeur. Sylvestre URBAIN. [...]

 

Concerts du conservatoire, 10e concert de l’abonnement, le dimanche 23 mars 1924, à 15 heures précises :

Inauguration du grand orgue avec le concours de M. Eugène Gigout, organiste de St-Augustin, professeur au Conservatoire de Paris ; M. Louis Thirion, professeur au Conservatoire de Nancy.

programme :

1, Ouverture d'Obéron (Weber).

2, Choral pour orgue, en la mineur (Franck). M. Louis Thirion

3. Le Couvent sur l'eau, première audition Alfred Caselle), comédie chorégraphique (fragments symphoniques): Marche de fête (2è acte) ; Ronde d'enfants (1er acte) ; Barcarolle, sarabande (2e acte) ; Pas des vieilles dames (1er acte) ; Une voix ; Mlle Masson ; Nocturne, danse finale (1er acte).

4 Concerto en ré mineur pour orgue et orchestre (Haëndel) : Adagio-Allegro, cadences de E. Gigout ; Sarabande, orgue solo ; Allegro. M Eugène Gigout.

5. Prélude et Fugue, à 3 sujets, en mi-bémol (J.-S. Bach). M Eugène Gigout.

6. 5ème Symphonie en ut mineur, pour orchestre et orgue (St-Saëns). A l'orgue : M. Louis Thirion : Adagio, allegro moderato, poco adagio ; Allegro moderato.

Grand orgue de la maison Mutin-Cavaillé-Coll. Piano Pleyel de la maison Dupont-Metzner. Le concert sera dirigé par M. Alfred Bachelet. »

(L'Est Républicain, 23 mars 1924)

 

« 10è Concert du Conservatoire :

Le Tout-Nancy musical a fêté hier l'inauguration du grand orgue de la salle Poirel, en même temps que les quatre-vingts ans du vieux maître nancéien Eugène Gigout, né à Nancy, le 23 mars 1844, 12, rue de la Primatiale, « de François Gigout, horloger, et de Catherine Thierry ». Il a associé à la même ovation le très distingué professeur de la classe d'orgue du Conservatoire, M. Louis Thirion, puisque M. Alfred Bachelet avait eu la très délicate pensée de joindre sur son programme, pour cette magnifique séance d'inauguration, les noms du vieux et du jeune maîtres nancéiens.

Il me faudrait disposer d'une place inusitée pour raconter dans le détail ce que fut le magnifique concert de dimanche, donné devant une salle archi-comble, dont les auditeurs s'écrasaient dans les dégagements et étaient assis jusque sur les marches des gradins. On peut, d'un mot, proclamer que si le public nancéien a attendu de longs mois le grand orgue qui lui était promis, il a été récompensé de sa patiente attente, et qu’il possède désormais une salle de concerts que, par ses commodités, ses proportions heureuses, son acoustique, et l'adjonction d’un instrument superbe, peut nous envier la capitale.

Cet instrument, dont on vous a, ici-même, décrit très clairement la technique, a donné à la commission chargée de le recevoir, des satisfactions profondes. Il a l'ampleur et la puissance, il a le charme et la douceur des sonorités, il est muni des derniers perfectionnements, de ceux notamment qui permettent l'enregistrement automatique, avant l'exécution des morceaux, des registres dont l'emploi sera nécessaire au cours de l'interprétation ; il comprend enfin tous les jeux dont la combinaison autorise les multiples et infinies colorations nécessaires à un organiste expérimenté. A cet égard, pourtant, comme la plupart des orgues de structure moderne, il ne comporte ni nasard, ni cromorne. C'est que ces jeux sont peu employés par les compositeurs actuels, alors qu’ils étaient familiers aux auteurs anciens.

Le premier a, dans l'orgue, le rôle du basson dans l'orchestre : il est tour à tour élégiaque, bavard et narquois ; le second est une chose exquise, d'un caractère très personnel. Il a suffi que cette observation fût faite à la commission municipale pour qu'elle promît de s'entendre avec le facteur en vue de l'adjonction de ces jeux supplémentaires et peut-être même d'un piccolo, permettant de réaliser un carillon. Cette adjonction est pratiquement des plus faciles, susceptible d'entraîner une dépense peu importante, et tout fait penser qu'elle sera réalisée après la saison des concerts, et qu'à la rentrée prochaine nous posséderons un instrument à la fois complet et irréprochable... Venons-en, maintenant, au concert lui-même. Après l'ouverture d'Obéron, excellemment interprétée, M. Louis Thirion, accueilli par une ovation spontanée du public, fait son entrée. Il joue le Choral en la mineur de César Franck, un des trois chorals où le maître des Béatitudes s’est affirmé l'héritier direct de la grande variation beethovenienne. M. Louis Thirion l'interprète avec ferveur, avec une magnifique ampleur, avec une sereine majesté, avec cette profonde musicalité qui caractérise son beau talent. L'orgue est inauguré, il a répandu sur la salle, vibrante d'enthousiasme, le flot de ses harmonies puissantes et le charme de ses sonorités apaisées. M. Alfred Bachelet interprète ensuite à l'orchestre une Suite de M. Alfred Casella, extraite de sa comédie chorégraphique : Le Couvent sur l'eau. Cet intermède piquant, entremets au milieu d'œuvres austères, a beaucoup plu. C'est une succession de pièces tour à tour sonores, pleines de vie et d'action, aux sonorités piquantes, avec des coins d'esprit parodique et de verve gamine, avec d'autres d'un charme poétique très réel, auxquels la voix fraîche d'une jeune élève des classes de chant, Mlle Masson, a apporté un joli parfum mélancolique.

Précédé de deux jeunes filles qui portent des gerbes de fleurs, le vieux maître Gigout, toujours frais, toujours alerte, apparaît, tandis qu'éclate et se prolonge l'ovation. II interprète d'abord le Prélude et Fugue en mi bémol de J.-S. Bach, œuvre complète, véritable symphonie avec sa triple fugue qui nous donne comme une triple vision sur l'âme du compositeur. Est-il besoin de dire que l'interprétation de M. Eugène Gigout a été superbe ? On sait que, dans les œuvres des vieux maîtres, la registration n'est presque jamais marquée : c'est à l'organiste lui-même à « trouver » ses différents registres, à les accoupler, suivant le caractère et la coloration de la page qu'il interprète. Trop souvent, les organistes abusent des jeux « d'anches » aux sonorités trop bruyantes et qui donnent aux fugues de Bach une couleur brutale, presque vulgaire. M. Gigout, lui, a gradué ses effets avec une habileté, une sobriété remarquables, réservant pour la péroraison ses jeux d'anches et parvenant, par d'heureuses transitions de timbres, à une intensité d'effets admirable dans la péroraison. Il interpréta ensuite, avec l'orchestre de M. Bachelet, le Concerto en ré mineur de Haendel, d'une grâce si lumineuse, où sa virtuosité mit le comble à l'enthousiasme du public. Enfin, pour terminer, la magnifique Symphonie de Saint-Saëns pour orchestre, orgue et piano, une des plus belles œuvres du musicien français, admirable portique musical, aux belles formes harmonieuses, aux solides assises, orné de détails élégants qui, jamais, ne font perdre à l'auditeur les heureuses proportions de l'ensemble. Avec M. Louis Thirion à l'orgue, la Symphonie de Saint-Saëns, magistralement dirigée par M. Bachelet, avec une ampleur caractéristique, termina triomphalement le concert. Ce fut un déchaînement de sonorités et, le dernier accord apaisé, ce fut, dans toute la salle, une acclamation unanime et spontanée. G. B. »

(L'Est Républicain, 24 mars 1924)

 

« Mlle Zilgien, premier prix du conservatoire, tira du formidable instrument qu'est l'orgue de la salle Poirel, des sons gracieux et des tonnerres retentissants. »

(L'Ancien Combattant, Nancy, 15 février 1927)

 

« Nancy :

Sur le grand orgue de la Salle Poirel s'est fait entendre le maître Joseph Bonnet dans sa Deuxième Légende, à la registration colorée, au trait à doubles pédales magnifiquement exécuté par l'auteur. L'orgue a été également tenu par M. J. Jongen, directeur du Conservatoire royal -de Bruxelles, dans une solide et brillante symphonie concertante de sa composition. »

(Le Ménestrel, 10 janvier 1930, p. 14)

 

« Nancy :

C'est une Nancéienne, Mlle Anne Picavet, brillante lauréate de la classe de M. Louis Thirion, qui tint l'orgue de la Salle Poirel et fut entendue en soliste, au premier concert, avec la Fantaisie et fugue en sol mineur, de Bach. On admira la sûreté, presque virile, de ses attaques, son habileté à faire ressortir — la registration aidant — les passages du sujet aux différentes parties. Noblesse et grandeur simple, d'autre part, dans la Pièce héroïque de Franck. »

(Le Ménestrel, 9 décembre 1932, p. 505)

 

Le récital de Jeanne Demessieux :

Aux claviers de l'orgue de la salle Poirel, qui furent touchés par de grands compositeurs et de célèbres exécutants, Jeanne Demessieux est venue couronner d'un éclat sans précédent une qualité d'auditions qui ne semblait pas devoir être surpassée Le récital de cette artiste fut une révélation. Elle réunit, dans un ensemble prodigieux, des qualités musicales et des moyens techniques qui ne sauraient être comparés avec ceux des meilleurs organistes actuels. Elle apporte dans cet art une personnalité nouvelle qui ne tardera pas à peser un problème relevant de la technique pure. Il nous a paru, en effet que sa virtuosité se heurte au maximum des possibilités actuelles de l’instrument. En l’écoutant exécuter avec une stupéfiante précision des tierces à la double pédale, des accords alternés aux claviers, et surtout d’extraordinaires octaves de pédale, l’auditeur eut le sentiment que sa technique allait au-delà de ces possibilités. Et aussitôt il évoquait le nom de Liszt. Cette virtuosité transcendante est mise en service d’une musicalité absolue dans une interprétation qui fait corps avec la musique.

La Toccata en fa majeur, l’une de ces pièces maîtresses qui permirent à J.-S Bach d’atteindre les hauts sommets, en donna la preuve dès le début du concert. Jamais la richesse de la pensée musicale ne fut mieux précisée et la solide architecture présentée avec autant de puissance et de clarté. On doit relever dans la variété des ressources de Jeanne Demessieux l’admirable unité d’un legato irréprochable et la sûreté d’un staccato, sans dureté, mais d’une souplesse de poignet qui sait se faire délicate dans la légèreté. On doit louer également sa registration qui assure la plus nette distinction des différents feux, et le savent emploi des jeux de mutation, dont le mélange produit souvent des effets inconnus. Dans l’improvisation, elle montre qu’il ne suffit pas d’avoir des idées mais de la présence d’esprit. Un thème, difficile, donné par M. Marcel Dautremer, repris dès l’entrée au pédalier, devint un véritable concerto développé dans une marche harmonique nourrie des meilleures modulations et aboutissant, après un spirituel staccato à une péroraison dans un ut majeur rayonnant. Cette puissance d’improvisation faisait suite à une méditation qui fit honneur à la sensibilité de son inspiration et à son respect de la forme harmonieuse.

Chaleureusement applaudie et rappelée, Jeanne Demessieux revint donner deux bis, œuvres charmantes de Haendel et Purcell, qu’elle exécuta avec infiniment de grâce. Demain, Jeanne Demessieux gagnera l'Angleterre, où elle sera la première femme invitée à jouer le grand orgue de Westminster Puis après, ce sera l’Amérique et ses tentations pour les grands virtuoses... Puisse-t-elle nous revenir un jour. H. H. »

(L'Est Républicain, 21 février 1947)

 

« Jeanne Demessieux à l’orgue de la Salle Poirel :

Si l’orgue doit à Jeanne Demessieux son avènement à la virtuosité, car il n’est pas d’instrumentiste qui atteigne sa puissance, il lui devra encore son épanouissement dans la plénitude de sa musicalité. Les auditeurs, trop nombreux, venus hier soir, salle Poirel, l’ont admirablement senti au court d’une audition qui leur apporta un message qu’ils ne sont pas prêts d’oublier, même ceux qui pénètrent difficilement les secrets de la technique sévère du roi des instruments.

Cette technique lorsqu'elle est servie par Jeanne Demessieux parle un langage clair. C'est à cette clarté d'exécution que la grande artiste doit d’être comprise par tous. A cette qualité rare s'ajoutent des dons exceptionnels dans l’art de la registration. Jeanne Demessieux accorde à ses interprétations une richesse de combinaisons de timbres qui met chaque idée, chaque phrase en lumière. La musique jaillit avec tous ses plans, son relief et sa couleur ; le moindre thème, le plus petit détail sont dégagés par un jeu remarquablement choisi, le plus juste, le plus expressif. Dans son programme, allant de la Toccata et Fugue en ré mineur, de Bach, à ses propres oeuvres, chaque œuvre fut magnifique dans sa simplicité, faisant apparaître le contre point intérieur, la richesse de la construction harmonique. La délicatesse fut en honneur ainsi que la grâce dans une pièce de Couperin et le troisième fragment de la Fantaisie en sol majeur, si peu joué ; le style fut mis en relief avec une fugue de Buxtehude, et un choral de Franck, restitués dans leur grandeur originale, dans un Allegro, à l’écriture moderne d’une brillante facture de Jean Berveiller. A la maîtrise de l’organiste le talent du compositeur vint se joindre dans un émouvant choral-prélude et une fugue solide, suivis par l’improvisation d'une Symphonie en quatre mouvements sur sept thèmes donnés. Cette prouesse souleva l’enthousiasme du public qui fut stupéfait de voir naître une œuvre complète, mûrissant, au développement des thèmes en idées et variations, avec une intelligence de création qui ne sera pas égalée avant longtemps. H H. »

(L'Est Républicain, 8 janvier 1949)

 

« C’est un peu du visage de Nancy qui va disparaître avec l’orgue de la salle Poirel. On s’était accoutumé à la présence de cet instrument dans un décor du reste assez singulier à nos yeux d'aujourd’hui pour qu'on n’en soit pas à un détail près, fut-il des dimensions de ce monumental instrument. Toujours est-il que ses jours sont comptés puisqu'une entreprise spécialisée d’Alsace a commencé les travaux de démontage L'orgue, en effet, va subir une cure de rajeunissement absolu ment nécessaire ; ses défauts étaient nombreux : défectuosité du sommier, absence de certains jeux, moteurs bruyants, etc. Il sera refondu complètement, au propre et au figuré, et nous reviendra sous la forme d’un orgue électrique. […]

L'orgue de la salle Poirel s'en va. Le docteur Schweitzer aura été le dernier à jouer sur ses claviers. [...]


Albert Schweitzer à l'orgue de la salle Poirel, vers 1955
(photo Albert Hugy) DR.

D’autre part, à la console de l’orgue inamovible, s’en substituera une autre, mobile cette fois, reliée à l’orgue lui-même par un câble électrique, et que l’on pourra disposer selon la convenance en un point quelconque du plateau. »

[C'est la manufacture Roethinger qui fut chargée de ces travaux]

(L'Est Républicain, 4 novembre 1952)

Nancy, salle Poirel, 1952, un ouvrier, probablement de la maison Roethinger, dans les entrailles de l'orgue Mutin
(in L'Est républicain, 4 novembre 1952)

 

Collecte : Olivier Geoffroy

(août 2022, mise à jour : février 2023)

 

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