"Les Orgues de la Mélancolie" à Saint-Etienne de Caen, œuvre des Cavaillé-Coll

Caen, l'orgue de l'Abbaye-aux-Hommes
( photo Franck Bénéï/Natives ) DR

Timbre-poste, vers 1953Les belles orgues sorties des célèbres ateliers de Monsieur Cavaillé-Coll ne sont pas que des objets matériels, fruit de la science des hommes ! Elles traduisent à dessein les émotions de l’instant qui ont accompagné leur naissance. Elles respirent, dans leurs moindres recoins, les inavouables moments des basses jalousies humaines et des intrigues ; pour laisser au temps le soin d’en atténuer les dommages et conserver ici bas leur indéniable beauté.

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »
(Alphonse de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, 1832)

« Et maintenant, Maître, dormez doucement de votre dernier sommeil,
votre nom et votre souvenir pieusement conservés …
Les Œuvres qui chantent pour vous suffisent à votre entrée dans l’immortalité ! »
(Charles Mutin, sur la tombe, rend hommage au défunt, le 16 octobre 1899)

 

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L'histoire des Orgues de Saint-Etienne de Caen ne peut pas mieux refléter les émotions qui président à leur naissance. Commandées à Monsieur Cavaillé-Coll, élaborées par les soins de sa Maison au titre d’un devis du 20 juillet 1882, les ateliers parisiens travaillent d’arrache-pied quand un drame survient.

L’un des fils d’Aristide, un certain Joseph s’est engagé dans la Marine. Le « Patron » qui ne l’a pas dissuadé - car les intérêts de la France sont aussi là-bas - fonde en lui de véritables espérances. Pourtant, le sort s’acharne et l’enfant - car c’est encore un enfant - disparaît accidentellement le 25 octobre 1884 à bord du cuirassé « La Galissonnière » en déplacement au large des côtes du Tonkin. Une blessure de la vie qui ne peut qu’influer, selon nous, sur la conduite des travaux de construction de l’instrument mythique, jusqu’au traitement de sa palette sonore : « Les Orgues de la Mélancolie » naissent à Caen et avec elles les vanités… voire « les combines d’une délocalisation des ateliers parisiens » que quelques volontés exacerbées verraient bien transférés en terre normande pour des questions de prestige et d’ambition commerciale.

Faut-il réécrire l’Histoire ? Sans doute est-ce chose aisée en ayant la distance sur les choses et le secours de documents qui prêtent à une analyse différente de l’histoire officielle. Au moment où sourd le projet de construction et où Cavaillé-Coll charge Gabriel Reinburg, son gérant préféré, de démarcher auprès du clergé de l’abbatiale pour la construction d’un grand orgue, la situation du marché de l’orgue en France est aux prises avec des contraintes économiques nouvelles. Ainsi, le chantier de Caen s’inscrit-il à la charnière d’une période économique difficile pour la Maison Cavaillé, si l’on veut bien observer que les restrictions budgétaires consécutives à la Guerre de 1870 qui affectent pour un temps la Troisième République voient leurs dispositions s’accroître sensiblement, lorsque l’Ordre Moral eut cédé la place à une République moins favorable au Clergé.

Joseph Koënig
Joseph Koënig (1846-1926),
facteur d'orgues,
harmoniste chez Cavaillé-Coll
( coll. Loïc Métrope ) DR

Aux difficultés de la recherche d’un juste équilibre financier de la Maison Cavaillé-Coll s’ajoutent au sein des troupes quelques velléités à s’établir en province où, constate-t-on, le coût de la main d’œuvre est moindre. C’est la perspective qui habite l’association des deux beaux-frères « Koënig-Mutin » qui persuadent alors d’autres ouvriers de la Manufacture parisienne de déserter la capitale, tels les Moore, Veerkamp, etc. La construction de l’orgue de Caen servirait-elle donc une motivation d’un autre ordre qu’un certain Dubois, caissier de la Manufacture inspirerait à Joseph Koënig en expliquant la conjoncture du moment : « nous avons notre salle encombrée d’instruments fabriqués et à vendre ; il n’y a plus lieu, donc, à faire du travail d’avance, ce serait folie ».

Quarante ans plus tard, le même schéma économique et social trouve encore sa raison d’être. Charles Mutin écrivant à notaire Maître Lauffray, établi à Caen : « Je vous dois une petite explication au sujet du personnel de Caen. Il y avait grand avantage à conserver celui-ci à cause du plus bas prix de la main-d’œuvre, mais aucun des ouvriers de la rue de Caumont n’avait de profession bien définie ». Mais d’où vient la naissance de l’Atelier de Caen, sinon la fusion d’énergies dégagées par le contexte du fameux orgue de l’abbaye aux Hommes... jusqu’à la constitution d’une alliance familiale entre Charles Mutin et Joseph Koënig, celui-ci épousant en la sœur du premier, Marie-Jeanne, le 20 mai 1882 à Paris 15eme. Quant au premier, les circonstances de la vie ne l’avaient-ils pas fixé en Normandie - pour déjà 5 ans – incorporé (par tirage au sort) le 17 novembre 1882, au 117e Régiment d’Infanterie stationné à Argentan. Le Segent-Chef MUTIN « désireux d’utiliser ses loisirs » s’offrait déjà pour le nettoyage, le relevage, la transformation et l’augmentation de l’orgue de l’église St-Germain de cette ville. Ainsi, alors que Gabriel Reinburg négociait et présentait un devis (signé, Cavaillé-Coll du 20 juillet 1882) ... tout un monde organistique attendait son heure historique, loin de Paris, c’est-à-dire loin de l’autorité du « Patron » pointilleux et respecté. Respectivement, Koënig était un harmoniste et Mutin, un mécanicien qui travaillaient ensemble à la Manufacture parisienne, depuis 1875. Le caissier de la Manufacture Cavaillé-Coll, Dubois n’avait-il pas écrit à Joseph Koënig alors sur un chantier avec son futur beau-frère : « vous êtes porté sur la feuille d’augmentation, à raison de 9 Frcs par jour. Petit à petit, l’oiseau fait son nid! »

Il n’est point de sordide chose dans cette affaire de Caen – du moins à cette heure – sinon le constat des circonstances fortuites de la vie. Pourtant, c’est bien tout à côté et une fois dégagé de ses obligations militaires que Charles Mutin rencontre et épouse une «  gloriette normande », Eugénie Crespin, fille unique d’un entrepreneur de bâtiments et riche héritière de son oncle et de son père, marguillier de Notre-Dame-de-Guilbray à Falaise, le 23 janvier 1888 pour s’installer provisoirement rue du Pot d’Etain, sur la paroisse … et deux ans plus tard, à Caen, rue de Caumont. L’orgue de l’Abbaye aux Hommes étant alors livré, la conjoncture d’une implantation indépendante se trouve justifiée à Caen. Charles Mutin est installé Rue de Caumont et son beau-frère rue de Bayeux. Beau-frère ne voulant pas signifier pour autant « entente cordiale » mais assurément, pour un temps, «  communauté de vue commerciale ». Seulement, les deux hommes se veulent être Chef !

Au cœur du foyer d’influence que dégage le prestige attaché à la toute récente notoriété de l’orgue Cavaillé-Coll de Caen, une stratégie d’association entre les deux beaux-frères est aussi orchestrée depuis les Vosges par l’Abbé Edmond Simonet, prêtre du clergé colonial, ami et supporter du facteur d’orgues Henri Didier. L’abbé souhaite favoriser l’alliance Didier/ Koënig … mais comment faire sans le soutien de Mutin dont le « mauvais caractère » mérite, selon lui, de prévenir son protégé dans une lettre du 29 novembre 1888: « Je ne crois pas que M. Mutin soit votre homme. Il vous subit, parce qu’il a besoin de vous, archibesoin de vous, car vous êtes tout son relief et toute sa force. - Restez sur la réserve avec la famille de M. Mutin. Restez digne et indépendant; ne laissez aucune prise aux compliments et aux flagorneries qui pourraient venir de là » - «  car un Henri vaut mieux que dix Mutin ».

L’abbé doit se résoudre à un mariage d’affaires et de raison car la fameuse Société en nom collectif « Mutin & Cie », c’est-à-dire « Mutin-Koënig et Didier » et créée en juin 1889 (quatre ans après l’inauguration de l’orgue de Caen et dix ans avant le rachat de la Maison Cavaillé-Coll par le dit Mutin). On se partagera la clientèle française en deux secteurs, le secteur Ouest et le secteur Est. Cette riche idée perdurera seulement six mois et la Société sera dissoute à Caen.

Dès lors, les deux beaux-frères retrouvent leur indépendance, ou presque, car leurs épouses veillent au grain ! Tantôt, Koënig s’échappe dans les Vosges pour servir de ses harmonies son ami Didier ; tantôt développe son atelier à Caen, ses environs ou aide son beau-frère, notamment en août 1892 pour l’harmonisation de l’Opus n°1 de Charles, en l’église paroissiale de Livarot.

Aux ateliers de la rue de Caumont, Charles Mutin passe pour un patron sévère comme l’atteste le règlement intérieur. A l’image de ces chefs d’entreprises de la fin du 19ème siècle, l’homme se veut social et fonde une Société de Secours Mutuel pour ses 40 employés qui y travaillent : « Des renseignements que j’ai recueillis, il résulte que la conduite de M. Mutin laisse à désirer; de plus, il serait d’un caractère violent et un peu vaniteux; il se mettrait quelquefois en état d’ébriété ». Les choses s’arrangent avec la version officielle du courrier du 18 janvier 1895 qui le destine à la Légion d’Honneur : « Son commerce paraît avoir une certaine importance, il emploie à la fabrication de ses orgues une quarantaine d’ouvriers. M. Mutin a doté la ville de Caen d’une intéressante industrie qu’il dirige avec un mérite évidemment attesté par ses récompenses. Il est laborieux et semble éviter avec soin la réclame et la publicité. Il ne m’a pas été possible de connaître ses opinions politiques, il ne manifeste pas ses préférences; mais son attitude n’a donné lieu à aucune remarque qui ne lui soit favorable. Plusieurs personnalités appartenant au Parti Républicain lui portent un sérieux intérêt. »

Dans la capitale, le vieux Cavaillé-Coll s’affaiblit jour après jour ; la cécité le gagne ! A Caen, Charles Mutin s’organise et rassemble un capital de 200.000 francs constitué par la vente de terres appartenant à son épouse. Il fait apport de l’outillage provenant du rachat qu’il a fait de la Maison Stoltz, pour acter la « Cession de Commerce » avec Cavaillé-Coll qui est signée à Caen le 18 juin 1898. Désormais, Joseph Koënig peut librement rouler pour lui ! Et de temps à autre, c’est à l’abbaye aux Hommes que les deux familles se réunissent comme ici, le jour du baptême de Cécile Mutin, sa fille, le 23 mars 1898, tout juste trois mois avant le rachat de la manufacture parisienne. Louis Vierne, l’organiste de Notre-Dame en est le parrain. Nous l’avons lu, il n’est pas question cependant d’abandonner l’exploitation des orgues en Calvados.

D’où naît « l’affaire de Caen » autour de la naissance des grandes orgues Cavaillé-Coll de l’abbaye aux Hommes ? Il faut remonter au jour de l’inauguration, le 3 mars 1885, devant 5000 personnes. On a fait appel à Alexandre Guilmant. Tout au long de sa création d’orgue, le célèbre facteur Cavaillé-Coll ne pouvait imaginer ce courant puissant qui, dans le milieu, tendait à déboucher vers l’esthétique post-symphonique. Jusqu’alors, souvent contre son gré, il avait accepté de se soumettre, mais pour cet orgue une autre circonstance était venue altérer l’équilibre de ses décisions ; le désarroi consécutif à la mort accidentelle de son fils, Joseph qui devait plonger tous ses Ateliers dans la mélancolie. Mais les projets vaniteux des hommes (« l’abbaye des Hommes ») n’a cure de tout cela. Des perspectives se font jour à Caen, dont nous avons démontré les ingérences prometteuses.

Félix Reinburg
Félix Reinburg (1837-1897),
facteur d'orgues,
harmoniste chez Cavaillé-Coll
( coll. Loïc Métrope ) DR

Dans les jours qui précèdent l’inauguration une « affaire de Caen » bouscule toute la ville, le clergé et les notables. Son instigateur est Jules Marie, organiste de l’abbaye aux Hommes qui pourtant avait choisi et fait approuver par son ami Alexandre Guilmant un projet de composition musicale du futur instrument pour être soumis au maître-organier. De fait, il espérait en secret que Monsieur Cavaillé ferait appel à un « harmonisateur » autre que celui pressenti habituellement dans la hiérarchie des valeurs, un certain Félix Reinburg qui méritait toute la confiance du « Patron » en raison de sa sensibilité et de sa manière de traiter certains jeux, notamment des jeux de fonds qui apportent moelleux et poésie à l’orgue.

Plusieurs études comparatives des grands instruments de Cavaillé-Coll, pour ne citer que celles de Saint-Denis (1841), de Saint-Sulpice à Paris (1862), de l’Abbaye aux Hommes à Caen (1885), de Saint-Ouen à Rouen (1890) attestent d’une évolution constante de cet art singulier, de remises en question pour toujours aboutir à une œuvre unique justement pensée et adaptée au vaisseau d’accueil. Disposition de la partie phonique avec ou sans buffet de Positif, recherche d’équilibre entre les plans sonores dans le volume des menuiseries, des sommiers diatoniques ou chromatiques, disposés dans le sens des façades ou perpendiculaires, en étages à l’intérieur, etc. Etude précise d’une bonne alimentation en vent, pressions uniques ou multiples, unifiées ou divisées, tracés des mécanismes de transmissions, traitement des tuyauteries et de leur embouchage, de leurs tailles étudiées jeu par jeu … sont autant d’exigences qui se retrouvent à l’Abbaye aux Hommes pour aboutir à une palette sonore de 50 jeux dont la puissance de sonorité et la variété des ressources constituent ce que l’expert Jean-Pierre Decavèle baptisera : « la recherche du son plein » !

Dans sa monographie consacrée à cet orgue, Robert Davy raconte : « pourtant, après la brillante inauguration, et bien que M. Marie, le titulaire, qui avait fait partie de la commission de réception, ait d’abord reconnu le parfait comportement de l’orgue, un vent de mécontentement souffla sur la ville, reprochant au nouvel instrument d’être moins puissant que son prédécesseur. Ce différent motiva plusieurs correspondances entre Caen et Paris, le constructeur étant très surpris par cette réaction à retardement et faisant même intervenir son ami Philbert, éminent au jugement sûr pour tenter d’apaiser l’opinion. La présence des 5000 auditeurs dans l’abbatiale perturbant l’acoustique habituelle de l’édifice peut expliquer, au moins partiellement, cette réaction ».

Le maître Facteur d’orgues dispose dans ses ateliers de plusieurs harmonistes compétents pour ne citer que les Reinburg, Koënig, Glock, etc. et s’enhardit de rechercher une solution convenable pour sortir de la crise et remédier aux défauts éventuels. Charles Philbert - qui est aussi consul général de France à Amsterdam - discute le contexte caenais … Jules Marie entend cet orgue à travers l’harmonie de Joseph Koënig et rien d’autre ! Si celui-ci réussit à s’imposer pour cet orgue, l’avenir sera prometteur ! L’orgue de l’abbaye aux Hommes constitue donc une belle opportunité.

Le caissier Dubois témoigne des échos polémistes qui sont entretenus par l’organiste Jules Marie et s’autorise à renseigner Joseph Koënig dans un courrier du 19 mars 1885 : « dans sa réponse à M. Marie, Monsieur Cavaillé ne parle pas de vous au-sujet de l’orgue de Saint-Etienne. Il a dit à M. Marie qu’il pourrait vous demander de faire à son orgue toutes les rectifications jugées par lui nécessaires, soit dans l’accord, soit dans l’égalisation des jeux. Il n’y a que pour les jeux de Montre, Salicional, Bourdon 16 du grand orgue, harmonisés par Félix Reinburg, qu’il manifeste le désir qu’aucune autre main que la sienne en change l’harmonie. A part cette réserve, M. Cavaillé vous engage à donner toute la satisfaction possible et qu’il mérite à tant de titres ». L’expert Charles Philbert est choisi pour rechercher une solution qui apaisera les parties. Concordat.

C'est dans un courrier daté du 22 mars 1885 qu’il adresse à Monsieur Cavaillé-Coll que nous comprenons mieux les démêlés d’une bien vilaine tentative de déstabilisation. Il s’agit de prendre nettement cause en faveur de la compétence et de la sensibilité artistique de Félix Reinburg : « cette histoire avec M. Marie me contriste et me contrarie beaucoup à tous les points de vue. C’est dans sa partie, un artiste véritable, et je puis dire, de conviction, un artiste hors ligne. J’ai vu bien des harmonisateurs, et dans différents pays. J’en ai suivi et étudié avec avidité, avec passion presque, la manière et les procédés, mais dans aucun d’eux je n’ai rencontré au même point ce que j’ai trouvé chez Félix. Il y a chez lui la poésie innée du son de l’orgue, jointe à un coup d’œil d’une justesse remarquable touchant l’effet relatif à rechercher suivant les circonstances, et à un goût d’un développement et d’une pureté véritablement rares. Il s’enthousiasme pour son ouvrage et ni ses soins, ni peines, ni fatigues ne le découragent ni le dégoûtent pour le parfaire. Il a de plus, au service de ce sens esthétique, une habileté de main exceptionnelle, et une connaissance si parfaite du terrain sur lequel il opère, que je l’ai vu, à la simple audition d’une note, et sans se déranger du clavier, faire, en un instant corriger jusqu’à la perfection, par le premier manœuvre venu, des défauts qui avaient résisté aux soins de bons harmonisateurs tels que Glock et Veerkamp. – Le seul point sur lequel je l’ai trouvé raide comme un acier trempé, c’est le nom de la Maison Cavaillé-Coll. Il entrait dans des fureurs alsaciennes à l’idée qu’on touchait à cette Maison, et je crois que s’il avait tenu le délinquant sous sa patte, il lui aurait fait passer quelques mauvais instants ».

Parlant du Jury qui avait reçu l’instrument et qui comprenait parmi ses membres l’organiste Jules Marie, l’expert conclut : « comment se fait-il donc que des défauts aussi graves, aussi capitaux que la faiblesse et le manque de portée de l’instrument aient échappé à ses juges ? – Je donnerais beaucoup, dans l’intérêt de M. Marie lui-même, pour qu’on trouvât moyen de s’entendre sans froissement ».

C’est alors que la sentence tombe le 15 avril 1885 quand Cavaillé-Coll prévient l’Abbé Bréard, curé de Saint-Etienne à Caen de sa décision : « Je vous avoue que je n’ai pas compris le revirement d’opinion de M. Marie qui, jusqu’alors, semblait émerveillé de son orgue. Je regrette bien sincèrement cette discordance survenue entre nous à propos d’harmonie, et je ne puis l'attribuer, de sa part, qu’au désir de réaliser une perfection irréalisable. Un autre point sur lequel je n’ai pu céder à M. Marie, c’est celui de vouloir faire rectifier les travaux de l’harmoniste principal par l’harmoniste secondaire » - « en attendant, j’ai prié M. Koënig, dans lequel M. Marie paraît avoir confiance, de corriger d’abord les petites négligences provenant de son fait, et signalées par M. Marie, pour le jeu de Prestant du Positif, et de faire les rectifications qui lui seront commandées de manière à satisfaire M. Marie dans la mesure du possible ». Aristide Cavaillé-Coll avait trouvé la mesure appropriée.

Une forme d’explication nous amène à justifier pourquoi le « Patron » ne souhaite pas délimiter cette création unique sortie de ses Ateliers entre juillet 1882 et l’inauguration de 1885. Son chef d’œuvre sera dédié sous la forme d’un testament sonore à son fils Joseph, disparu dans l’intervalle. Il sera comme une sorte d’expression de son profond chagrin : « l’orgue de la mélancolie ».

En pleine élaboration de ce chef d’œuvre, la Manufacture Cavaillé-Coll vibrait toute entière à l’heure du drame et Aristide n’avait pu s’empêcher de faire imprimer le récit de la disparition accidentelle de l’un de ses fils. Joseph Cavaillé (1862-1884) aura semé tout au long la tristesse de son message, jusqu’à influer sur le caractère particulièrement poétique de l’œuvre qui s’élaborait entre Paris et à Caen.

Ainsi naissait plus qu’un orgue ; le témoignage d’une émotion partagée entre les membres d’une Famille des Artistes Vrais.

Loïc Métrope
2 mai 2009




Le cuirassé La Galissonnière (1882)
Cuirassé La Galissonnière en 1882 à Port-Saïd
( Coll. Loïc Métrope ) DR


Joseph Cavaillé-Coll
Joseph Cavaillé-Coll (1862-1884)
( Coll. Loïc Métrope ) DR

Copie de la lettre du mécanicien principal Aubriot à bord de La Galissonnière, adressée "en mer, le 25 octobre 1884, au large des Iles Pescadores" [situées au large de la côte ouest de Taïwan] à Aristide Cavaillé-Coll, lui relatant les circonstances du décès de son fils Joseph, arrivé au cours de la nuit du 24 au 25 octobre (coll. Loïc Métrope) DR.







Youri Boutsko,
Marina Tchebourkina, aux Grandes Orgues historiques de l'Abbaye-aux-Hommes de Caen
enregistrements réalisés les 21 et 22 mai 2007
CD Natives, CDNAT11, avec livret de 64 pages en français, anglais et russe (2010)
Site Internet : www.natives.fr - Courriel : info@natives.fr - Tél. (33) 01 42 72 01 36
Fichier MP3 Extraits (avec l'aimable autorisation de Natives) : Prélude, Passacaille, Dithyrambe


Marina Tchebourkina

Marina Tchebourkina à l'orgue de l'Abbaye-aux-Hommes de Caen
Marina Tchebourkina à l'orgue de l'Abbaye-aux-Hommes de Caen
( photo Franck Bénéï/Natives ) DR

Née en 1965 à Moscou, Marina Tchebourkina y effectue des études musicales complètes au Conservatoire National Supérieur Tchaïkovsky où elle obtient de nombreux premiers prix (orgue, harmonie classique et contemporaine, analyse des formes musicales, contrepoint et fugue, histoire de la musique ancienne et moderne, occidentale et russe, orchestration, pédagogie…). En 1989, elle obtient ses diplômes d’études (orgue et musicologie), avec excellence. En 1992, elle reçoit le prix d’excellence du cours de perfectionnement à l’orgue et est certifiée professeur des Conservatoires Nationaux Supérieurs. En 1994, c’est sur l’oeuvre d’orgue d’Olivier Messiaen qu’on lui décerne, à l’unanimité, un doctorat avec les félicitations du jury. Elle complète sa formation musicale en France auprès de Marie-Claire Alain, Michel Chapuis et Louis Robillard, et en Allemagne, Harald Vogel.

Depuis 1996, Marina Tchebourkina est organiste à la Chapelle royale du château de Versailles, aux côtés de Michel Chapuis, où elle donne des concerts et dirige des cycles consacrés aux organistes du Roi et à leurs contemporains. Concertiste internationale, elle se produit dans le monde entier, Europe, ex-URSS, Japon... Elle donne de nombreux récitals en Russie et est invitée régulièrement au CNSM Tchaïkovsky de Moscou pour donner des masterclasses sur la musique classique française.

En France, elle inaugure plusieurs orgues, donne régulièrement des récitals sur des orgues historiques et participe à de nombreux festivals.

Son travail discographique, salué et récompensé dès son premier disque, a donné lieu à de multiples diffusions et émissions de radio et télévision, tant en France qu’à l’étranger.

En 2005, en reconnaissance de son travail d’interprète et de musicologue, elle reçoit le grade de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres. Depuis 2006, elle est membre de la Commission Nationale des Monuments Historiques (personnalité qualifiée, section orgues).

En concert, Marina Tchebourkina propose des programmes musicaux conjuguant différentes époques et différents styles. Spécialiste des maîtres français des XVIIe et XVIIIe siècles, elle a également développé un programme original de musique russe des XIX-XXIe siècles, créant de nombreuses pièces contemporaines en concert et au disque.



 


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