Autour de Jehan Alain (1911-1940) et des Litanies


 

Jehan Alain
Jehan Alain
( photo X...  )

 

Esquisse biographique

Né le 3 février 1911 à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), Jehan-Ariste-Paul Alain a tout d’abord été formé par son père, Albert Alain (1880-1971), organiste et compositeur de bonne réputation. Jehan entra au Conservatoire de Paris où il eut comme professeurs André Bloch, Georges Caussade, Paul Dukas, Roger-Ducasse et Marcel Dupré (classe d’orgue). Il remporta les premiers prix d’harmonie, de contrepoint, de fugue, d’orgue et improvisation à l’orgue et composa des pièces pour différentes formations. Il trouva la mort près de Saumur à l’âge de 29 ans, le 20 juin 1940, au cours d’une mission héroïque. Jehan Alain est reconnu comme un compositeur novateur de grand talent et ses Litanies figurent aujourd’hui parmi les pièces pour orgue les plus célèbres. Son catalogue comporte plus de 130 œuvres. Frère d'Olivier, Odile et Marie-Claire Alain, il suppléa son père à l'orgue de l'église Saint-Louis de Saint-Germain-en-Laye dès l'âge de 13 ans, avant de devenir titulaire de Saint-Nicolas à Maisons-Laffitte (1929-1939) et de la synagogue de la rue Notre-Dame de Nazareth à Paris (1935-1939).

 

Les Litanies dans l’histoire

Litanie : (du grec litê, = prière, surtout prière d’intercession), prière morcelée en demandes brèves, présentées par un ministre du culte, à laquelle l’assemblée s’unit par la répétition d’une brève formule en réponse à chaque intention ou invocation formulée. "1

Les litanies sont des prières anciennes que l’on trouvait déjà dans le judaïsme anté-messianique. Les premiers chrétiens s’approprièrent ces formules pour leur culte, mettant en pratique la demande de Saint Paul (1 Tim. 2, 1) :

" Je recommande donc, avant tout, qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous puissions mener une vie calme et paisible en toute piété et dignité. "

Les Actes des Apôtres rendent témoignage de ces première liturgies chrétiennes (2,42) :

" Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. "

On rencontrait les litanies après la Liturgie de la Parole. On peut trouver une analogie avec la Prière des fidèles, la " Prière universelle " de la liturgie mise en place à la suite du Concile Vatican II.

" La liturgie elle-même nous laisse trois prières de forme litanique : toutes trois sont émouvantes dans leur expression réservée. On trouve d’abord dans la Didachè [Doctrine des Douze Apôtres] deux prières eucharistiques (avant et après la communion). [...] La troisième pièce, beaucoup plus longue, est livrée par l’Epître aux Corinthiens de saint Clément (pape de 91 à 101). [...] Elle se termine par une invocation relative aux princes, dont la teneur est remarquable en ce qu’elle nous indique la pensée des fidèles vis-à-vis des gouvernants. Pour tout l’ensemble, on pense qu’il s’agit là encore d’une forme litanique ; toutefois, on n’a pas le refrain de l’assistance. " 2X

Les litanies se sont développées peu à peu jusqu’à connaître la forme régulière débutant par la formule Kyrie eleison et comportant un certain nombre d’invocations.

Ainsi durant le haut Moyen-Age :

" L’histoire de la litanie ne s’arrête pas là. Dans le monde du IVè au VIè siècle, elle introduit la messe ; et paraît indispensable à ce point que le pape saint Gélase (492-496) en a composé une. [...] Mais un siècle plus tard, saint Grégoire intervient. Il semble bien qu’il soit responsable de la suppression d’une partie de la litanie : il supprime la demande. Dans une lettre célèbre, il déclare qu’on ne chante plus " les autres choses qu’on a coutume de dire avec le Kyrie ". [...]

Il y a une raison dogmatique : Grégoire combat les textes de composition ecclésiastique, il désire que la liturgie utilise seulement des textes testamentaires ou patristiques. Or l’Introït s’est récemment introduit : c’est encore un psaume entier. Il y a donc deux très longues pièces introductives : la litanie et l’Introït qui, étant un psaume, sera naturellement préféré, alors qu’on supprime la litanie. Les invocations Kyrie-Christe, conservées, représentent une concession au goût du public. "3

Ainsi, la formule litanique Kyrie eleison trouvait désormais sa place au sein de la célébration eucharistique.

"  Mais la litanie, hors de la messe, ne meurt pas pour autant. Grégoire lui-même la recommande : lorsqu’il est acclamé pape par les Romains, son prédécesseur Pélage II vient de mourir de la peste, et le fléau menace. Pour en implorer la disparition, il ordonne que sept processions partent de sept points de la ville et se rejoignent en chantant toutes, sur leur parcours, la litanie Kyrie eleison. [...]

Ce n’est donc pas un hasard si la litanie, ou l’invocation Kyrie, répétée, se conserve même au rituel grégorien après la suppression de la demande litanique. "4

L’évolution se poursuivait :

" Répandue ainsi, la litanie n’arrête pas là sa carrière. Il est probable qu’il en restait mieux qu’un souvenir au XIè siècle : quand les chantres carolingiens ont commencé à composer des tropes pour le Kyrie, n’ont-ils pas songéà l’ancienne demande depuis un temps supprimée ? [...] Le Kyrie, remarquons-le, est la première pièce qu’on ait ornée de tropes ; le fait est au moins troublant. [...]

La carrière de la litanie est brillante aussi au rituel hispanique : là, elle a pris la forme des preces : ce sont des suites d’invocations analogues à la litanie, mais en vers rythmiques. [...]

De son côté, la litanie simple que nous connaissons n’a pas disparu du rituel. [...] Elle remplit les livres d’heures, destinés à la prière personnelle, du bas Moyen-Age ; elle se retrouve aussi dans les livres de liturgie officielle. "5

L’Eglise reconnaît cinq principales litanies (litanies de la Sainte Vierge, du Saint Nom de Jésus, de Saint Joseph, litanies des Saints et litanies du Sacré-Coeur avec 33 invocations, rappelant les 33 années de la vie du Christ).

On a longtemps chanté dans les paroisses françaises les très belles Litanies (1909) de Charles Bordes (1863-1909), fondateur en 1894 de la Schola Cantorum :

O Vierge Marie, Mère du Très-Haut,
Mère du Messie, le divin Agneau,
Vierge incomparable, Espoir d’Israël,
Vierge tout aimable, clair parvis du Ciel.
Vierge Marie, priez pour nous.

O Mère très pure du Christ Rédempteur,
Mère sans souillure, Mère du Sauveur,
Vierge vénérée, Mystique attribut,
Mère très aimée, Porte du Salut.
Vierge Marie, priez pour nous.

Vierge très prudente, guidez nos combats ;
Fidèle et clémente, ouvrez-nous vos bras.
O divine flamme, Astre du matin,
Nard, baume et cinname, Céleste jardin !
Vierge Marie, priez pour nous.

Miroir de justice, Palais du Grand Roi,
Mystique édifice, Arche de la Loi,
O céleste tige, Branche de Jessé,
Illustre prodige au monde annoncé.
Vierge Marie, priez pour nous.

Reine immaculée, Fille d’Aaron,
Fleur de Galilée, Rose de Saron,
Tendre et chaste Mère, pleine de bonté,
Voyez ma misère, Lis de pureté.
Vierge Marie, priez pour nous.

Reine des saints anges, secours des chrétiens,
A vous nos louanges, Trésor de tous biens.
Reine du Rosaire, O Temple immortel,
A vous ma prière, Ornement du Ciel.
Vierge Marie, priez pour nous.

Trône de Sagesse, de grâce et d’honneur,
Source d’allégresse, notre vrai bonheur.
Reine d’espérance, guérissez nos cœurs ;
Notre délivrance, sauvez les pécheurs.
Vierge Marie, priez pour nous.

En parallèle, on pourra citer, pour le XXème siècle, les fameuses Litanies à la Vierge Noire (1936) du compositeur Francis Poulenc (1899-1963), écrites à l’occasion d’un séjour au sanctuaire de Rocamadour :

" [...] Sainte Vierge, priez pour nous,
Vierge, Reine et Patronne, priez pour nous,
Vierge que Zachée le publicain nous a fait connaître et aimer,
Vierge à qui Zachée ou Saint Amadour
Eleva ce sanctuaire, priez pour nous... "

Dédiées " à Mme Virginie Schildge-Bianchini ", les Litanies de Jehan Alain datent d’août 1937 et furent créées par leur auteur à l’église de la Trinité à Paris le 17 février 1938.

Par ses jeux puissants ou d’une douceur et d’une poésie inégalable, l’orgue est le plus capable d’exprimer la prière chrétienne tout en gardant la réserve qui sied à un instrument au service du culte, ainsi que le présentait Gaston Litaize, camarade d’étude de Jehan Alain au Conservatoire de Paris :

" L’orgue est d’abord, ce que tout organiste ne devrait pas oublier, un instrument de musique de caractère sacré, le seul à admettre à l’église. Il aura toujours tendance à encombrer une liturgie et, lors d’une grand’messe chantée, ne devra jamais faire autre chose que prolonger le plain-chant par des improvisations ; Tournemire avait parfaitement envisagé ce problème dans son Orgue mystique et je m’efforce de procéder à son exemple aux messes radiophoniques, en prenant souvent comme thèmes ceux des textes précédemment chantés et en respectant leur tonalité, leur modalité et leur caractère expressif. "6

De par leur fonction liturgique, les organistes de cette époque étaient habitués à l’accompagnement des formules litaniques. Les règles d’accompagnement avaient changé par rapport à l’habitude du XIXème siècle :

" Il est bien évident que l’ancien accompagnement, qui donnait un accord à chaque note, ne saurait convenir au chant grégorien, même pour les chants syllabiques. Outre qu’il alourdit et gêne la marche de la mélodie, c’est l’accompagnement le plus barbare qui puisse exister, ignorant tout de la souplesse et du rythme grégoriens. Il ne viendrait à personne l’idée d’harmoniser ainsi une mélodie moderne ; le chant sacré, depuis surtout qu’on nous l’a révélé dans toute sa beauté et sa délicatesse, ne mérite-t-il pas mieux que ce vêtement harmonique antimusical au premier chef  ? "  7

De sorte que la souplesse du rythme grégorien était davantage respectée, sans trop de densité de l’accompagnement et avec une couleur harmonique sobre :

" Si l’on entend par richesse la complication, l’appoint à tout prix des combinaisons contrapuntiques, il ne faut pas hésiter à dire que l’accompagnement ne doit pas être riche... ; la simplicité, en effet, lui convient mieux, de beaucoup. Un accompagnement " fleuri ", trop " en mouvement ", attirerait trop l’attention sur lui, et ce n’est pas son rôle. Il ne doit être que le fond, très calme, très pur, sur lequel se détachera la mélodie grégorienne. Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse l’agrémenter de quelques artifices de contrepoint ou d’harmonie ; mais il en faut user avec discrétion pour ne pas noyer la mélodie dans un flot d’ornements. "8

En composant ses Litanies, Jehan Alain exprimait la foi ardente qui l’animait, comme en témoigne l’épigraphe de l’œuvre :

" Quand l’âme chrétienne ne trouve plus de mots nouveaux dans la détresse pour implorer la miséricorde de Dieu, elle répète sans cesse la même invocation avec une foi véhémente. La raison atteint sa limite. Seule la foi poursuit son ascension. "9

Olivier Geoffroy

 
 

Pour en savoir plus :

Jehan Alain, biographie, correspondance, dessins, essais
par Aurélie Decourt (nièce du compositeur)
Chambéry, éditions Comp'act, 1 volume (343 pages)
ISBN 2-87661-362-X (br.)

L'orgue de la famille Alain

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1) HONEGGER (sous la direction de Marc), Science de la musique, Dictionnaire de la musique, Paris, Bordas, 1976, p. 556. [ Retour ]

2) CORBIN (Solange), L'Eglise à la conquête de sa musique, Paris, Gallimard, 1960, p. 88. [ Retour ]

3) CORBIN (Solange), Op. Cit., p. 108. [ Retour ]

4) Ibid., p. 109. [ Retour ]

5) Ibid., p. 110. [ Retour ]

6) Propos cités dans DURAND (Sébastien), Gaston Litaize, 1909-1991, Un Vosgien aux doigts de lumière, Metz, serpenoise, 1996, p. 116. [ Retour ]

7) BRUN (Abbé F.), Op. Cit., p. 19. [ Retour ]

8) BRUN (Abbé F.), Traité de l'Accompagnement du Chant Grégorien, Paris, Schola, 1920, p. 32. [ Retour ]

9) Editions Alphonse Leduc, 1939. [ Retour ]



Jehan Alain : hommages de la presse et de ses confrères musiciens 

 

 

Voici quelques articles de presse et de périodiques qui évoquent les concerts en mémoire du jeune compositeur mort au champ d'honneur au cours des années qui ont suivi son décès.  

 

EN MÉMOIRE DE JEHAN ALAIN

« En l'église Saint-Germain-des-Prés, dimanche, à 14 h. 30, a lieu une audition consacrée aux œuvres de Jehan Alain. Ce jeune compositeur, qui était né à Saint-Germain-en-Laye, en 1911, et qui obtint les premiers prix d'harmonie, de fugue et d'orgue au conservatoire de Paris, fut tué au cours de combats près de Saumur, le 20 juin 1940. »

(Paris-Midi, 22 mars 1941, p. 2)

 

JEHAN ALAIN

« Hier, a eu lieu à Saint-Germain-des-Prés une touchante manifestation. Les vieilles orgues de la vieille église parisienne ont fait entendre les œuvres de Jehan Alain, mort pour la France, le 20 juin 1940, à Petit-Ruy, près de Saumur, au poste qu'il devait défendre. Il avait vingt-neuf ans...  

Pendant qu'une messe solennelle était dite pour le repos de cette âme, celle-ci nous parlait toujours : Un postlude pour l'office de complies, un Ave Maria, un O quam suavis est, d'autres morceaux encore étaient exécutés par l'émouvante et prestigieuse Noëlie Pierront, virtuose de l'orgue, et par quelques artistes, non moins fervents. Et les larmes montaient aux yeux de ceux qui écoutaient ces élans de foi et d'amour. Il leur semblait que Jehan Alain était là parmi eux, confidentiel... 

L'horrible guerre l'a tué, l'horrible guerre qui ne choisit pas ses cibles. Mais Norbert Dufourcq ; qui a consacré à Jehan Alain une notice pieusement documentée, nous apprend que ce jeune et grand musicien aspirait à une autre Vie que celle d'ici-bas. N'écrivait-il pas dans ses carnets intimes : « N'attends rien d'aujourd'hui, ni de demain. Attends la fin ! Que tes yeux soient pour le dernier achèvement, pour le terme où tu dois vivre ou disparaître dans le rebut. » 

La véritable justice serait celle qui permettrait à chacun de nous de vivre éternellement l'idéal qu'il a rêvé pendant le terrestre exil. Espérons qu'elle récompensera cette âme frémissante, aux résonances inouïes et qui, en retournant au divin, n'a fait que regagner son port d'attache... »

(L'Oeuvre, 24 mars 1941, p. 2) 

 

LA MUSIQUE : JEHAN ALAIN 

« Comme Maurice Jaubert, Jehan Alain a été brutalement arraché à la musique en accomplissant son devoir de soldat. Les, ombres de l'au-delà se sont répandues sur ses yeux, alors que des rêves illuminaient une riche vie intérieure, et qu'un jeune passé laissait pressentir la moisson d'œuvres mûries dans la méditation. 

M. Bernard Gavoty l'a rappelé, au cours d'un festival consacré à l'œuvre de Jehan Alain dont il fut l'ami et le condisciple. De ce compagnon, il a parlé simplement, sans apparat, avec une chaleur contenue qui rendait l'hommage infiniment touchant. 

L'œuvre de Jehan Alain, mort à 29 ans, est nombreuse et diverse. Il ne semble pas, au premier abord, que ce compositeur ait été attiré par les grandes formes de la musique de chambre. Si averti qu'il fût d'un métier dont témoigne son art, les spéculations sonores qui, chez certains rejoignent l'abstraction ou tournent à la formule, ne sont pas son fait. Il n'aime pas s'isoler dans des domaines où la dévotion de « l'écriture » passe pour le souverain bien du musicien.

Une fantaisie naturelle, un humour facilement en éveil, une familiarité sans laisser aller préservent Jehan Alain de ce fétichisme. Il nous séduit alors par l'aisance de sa pensée et l'élégance qu'il apporte à l’exprimer. Chantante, vive, elle échappe aux complexités savantes et obéit seulement à son impulsion intime.

Ce qui, sans doute, en explique le tour sensible, d'une sensibilité rebelle à la tirade, se connaissant assez pour ne pas chercher ailleurs son bien. Parmi les œuvres présentées, les « Trois Danses », transcrites pour deux pianos, annoncent chez Jehan Alain une orientation nouvelle, avec quelque chose de plus hautain : Et à travers les joies, les deuils, les luttes évoqués, ne croyons-nous pas démêler l'appel d'une autre existence jalouse ou l'avertissement de l'implacable nécessité qui s'attachait, chez les anciens, à briser d'un seul coup un élan trop bien pris ?

A cet hommage s'était associée la piété d'artistes comme Mlles Joy, Raphaële, MM. Crunelie, Allard, Cathelat, Mondé, dont le talent mit en lumière les œuvres inscrites au programme.

Paul Le Flem. »

(Paris-Midi, 30 avril 1944, p. 2) 

 

« JEHAN ALAIN est mort pour son Pays le 20 juin 1940, quelques jours avant l’armistice. Il avait 29 ans.

Fils du compositeur et organiste Albert Alain, il est né à Saint-Germain-en-Laye en 1911, et, dès l’âge de 11 ans, déjà il s’exerçait au Grand-Orgue. Entré au Conservatoire, il obtenait entre 1933 et 1939 un 1er Prix d’Harmonie, le 1er Prix d'orgue et d’improvisation, et le Prix de Composition des Amis de l’Orgue.   

On ne pouvait douter, avec un tel palmarès, de ses droits à une carrière exceptionnelle : la destinée en a décidé autrement. D'anciens camarades, des amis, des admirateurs déjà initiés à sa musique, se sont groupés pour former l'Association des Amis de J. Alain, et ont organisé un Festival d'œuvres de ce musicien, Dommage que, dans ce programme inaugural, fussent négligées les compositions pour orgue (exception faite de quelques transcriptions) ; nous supposons qu'elles se sont trouvées à la base de la formation musicale de J. Alain, et que, traitées pour son instrument de prédilection, elles devraient résumer sous l'aspect le plus heureux et le plus favorable, les aspiration artistiques de l'auteur.

Les œuvres exécutées à ce concert concernaient le piano, le chant et les instruments à vent. 

En général, la partie de piano surclassait l’autre, tant pour l’importance musicale que pour le développement des ressources techniques dans l’Intermezzo pour deux pianos et basson qui est charmant et qui fut bissé, l’intervention du basson (dont Maurice Allard joue avec une si belle sonorité) semblait presque arbitraire. Des « Trois mouvements pour flûte », c'est le dernier qui se détache nettement par son écriture spirituelle et rapide ; Jehanne Raphaële accompagnait l’éminent flûtiste Gaston Crunelie. Les mélodies furent chantées par Georges Cathelat et André Monde, tandis que Geneviève Joy et Jehanne Raphaële se partagèrent avec succès les pièces pour un ou deux pianos.  

L'œuvre de Jehan Alain nous est apparue pleine de belles promesses et s'acheminant avec autorité vers des réalisations mûres et définitives, elle allait vers ce but tout proche par des chemins droits, guidée par une sensibilité, une culture de rare qualité. Le tragique a brusquement arrêté une si belle carrière.  Avant le concert, Bernard Gavoty a parlé avec ferveur destinée de son ancien camarade et ami, exaltant ses dons multiples et sa vie ardente à travers des souvenirs précis et émouvants. »

(L'Italie nouvelle, 10 mai 1944, np) 

 

UN CONCERT IN MEMORIAM 

« L'occasion s'est offerte, hier 2 novembre, de célébrer la mémoire de ceux des nôtres qui sont tombés sur le front de bataille : Maurice Jaubert, Jehan Alain, Jean Vuillermoz, d'autres encore, auxquels il n'aura pas été donné d'écrire leur rêve et dont nous ne saurons jamais rien.

L'Orchestre national de radiodiffusion a consacré à leur souvenir un grave concert, où l'hommage des vivants voisinait avec les reliques des morts. Jehan Alain, qu'une prescience de son propre destin a conduit à mettre son histoire en musique, était représenté sur le programme par une très belle Prière sur le texte fameux de Péguy. Ceux qui ont connu Jehan Alain s'accordent à louer en lui une pureté d'âme et de coeur dont on retrouve ici les émouvants échos. »

(Combat, 4 novembre 1944, np)

 

JEHAN ALAIN (1911-1940) LITANIES

« Jehan Alain, qui mourut en héros à la bataille de Saumur, le 20 juin 1940, aurait-il renouvelé totalement le climat et les rites de la littérature organistique ? C’est possible. Ce qui est certain, c’est la personnalité puissante que reflète le moindre de ses ouvrages. Conçues au cours d’une excursion de montagne, écrites en quelques trajets de chemin de fer, de Saint-Germain à Paris, ces Litanies prennent prétexte d’une suggestive épigraphe : « Quand l’âme chrétienne ne trouve plus de mots dans la détresse pour implorer la miséricorde de Dieu, elle répète sans cesse la même invocation avec une foi véhémente. La raison atteint sa limite. Seule la foi poursuit son ascension. » 

Les Litanies, qui sont aujourd’hui universellement connues et admirées, répètent infatigablement un verset haletant, semblable à une invocation liturgique, coupé de brefs répons également répétés (ora pro nobis, ora pro nobis). Ces deux motifs alternent, variés par le vêtement harmonique qui les pare. Ils aboutissent, par le chemin d’un puissant crescendo, à une péroraison étincelante, ponctuée d’accords écrasants. Donnant à l’un de ses interprètes un conseil pratique pour exécuter l’ouvrage selon son vœu, Jehan Alain usait d’un vocabulaire imagé : « Il faut donner l’impression d’une conjuration ardente. La prière, ce n’est pas une plainte, c’est une bourrasque irrésistible qui renverse tout sur son passage. C’est aussi une obsession..., il faut en mettre plein les oreilles des hommes... et du Bon Dieu ! Si, à la fin, l’exécutant ne se sent pas fourbu, c’est qu’il n’aura ni compris ni joué comme je veux. Se tenir à la limite de la vitesse et de la clarté. » Puis, saisissant un crayon, il inscrivit sur la première page de la partition : éclatant et bref. Ainsi se trouve suggéré à l’auditeur comme à l’interprète le caractère de ce chef-d’œuvre.

Bernard Gavoty »

(Société des Amis de la musique, Festival de musique française, Strasbourg, Strasbourg, 1948, p. 81-82) 

 

Collecte : Olivier Geoffroy

(septembre 2021)


 


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