ROBERT BRÉARD
(1894 - 1973)

Robert Bréard en 1958
Robert Bréard en 1958
( coll. famille Leconte )

Ardent défenseur de la tradition française orphéonique et entièrement dévoué à sa cause, au point de n’avoir jamais voulu accepter la direction d’un conservatoire pour garder toute son indépendance en sillonnant les villes de France, Robert Bréard fut en son temps un artiste des plus populaire. Parlant de la rue qu’il adorait, il déclara un jour : " C’est là que se reflète l’âme d’un peuple, scrutez la rue et allez ensuite dans les Musées, mais jamais le contraire. " C’est lui qui organisa en 1934, à Bastia, le premier concours international des sociétés musicales. Indépendant et libre, c’était cependant un homme " charmant et loquace, doué d’une intelligence vive et d’un esprit pétillant de malice, improvisateur habile dans les banquets comme il l’était à son orgue. " 1 Se désolant de l'inculture des gens, il racontait avec son humour habituel que, voulant un jour se débarrasser d'une interlocutrice peu au fait des choses de la musique qui l'interrogeait sur son Prix de Rome : " Ah, vous êtes Prix de Rome ? Prix de Rome de quoi ? ", il lui répondit sans vergogne " de trompette " !! 2 Son franc-parler, dont il aimait parfois à abuser, ne l’empêcha pas de se faire beaucoup d’amis au cours de sa longue carrière de musicien, de voyageur et d’orphéoniste, car c’était un homme juste, certes exigeant envers les autres, mais également et surtout envers lui-même.

Robert Bréard en 1910
Robert Bréard en 1910
( coll. famille Leconte  )

Né le 18 janvier 1894 à Bois-Guillaume, au domicile de ses parents 17 rue du Guet, dans la périphérie de Rouen, Robert-Emile Bréard perdit jeune son père Louis, puis sa sœur Pauline. Il fut élevé, en compagnie de son frère aîné Albert, par sa mère Marie-Eugénie qui le mit au piano dès l’âge de six ans et lui fit faire ses études au pensionnat Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle de Rouen.. Enfant turbulent, il racontait plus tard à l’une de ses élèves de piano, Gabrielle Viguié-Boyer 3, que pour " carotter " une leçon de piano il versa un jour un broc d’eau dans son piano droit, le transformant ainsi en piano " aqueux ", lui évitant ainsi une leçon non désirée! En 1910, la famille Bréard vint à Paris et s’installa rue Lamandé, dans le quartier des Batignolles (XVIIe arrondissement). C’est à cette époque que Robert Bréard entra au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, notamment dans la classe d’harmonie de Xavier Leroux (1er Prix 1917), dont il deviendra plus tard le répétiteur et l’ami. Pour gagner sa vie, il jouait du piano le soir dans quelques cabarets de Montmartre. Après la guerre, il fréquenta les classes de Georges Caussade (contrepoint), Maurice Emmanuel (histoire de la musique) et Charles-Marie Widor (composition). A partir de 1919, il se présentait au Concours de composition musicale de l’Institut et décrochait en 1923 un premier Second Grand Prix de Rome, avec la cantate Béatrix. L’année suivante il tentait vainement une ultime fois d’obtenir le Grand Prix, ce qui ne l’empêcha pas d’être récompensé par de nombreux autres prix, notamment le Prix Clamageran-Hérold (composition musicale, Institut de France) et le Prix Yvonne de Gouy d’Arsy.

Elève d’orgue de Widor et de Marcel Dupré, Robert Bréard conserva tout sa vie une certaine prédilection pour cet instrument. On lui doit quelques pièces destinées à l’orgue, parmi lesquelles une belle Prière. Il tint régulièrement des tribunes parisiennes, notamment St-Joseph-des-Nations, de la rue St-Maur (XIIe) de 1920 à 1922 et surtout St-Louis de Vincennes, où il resta durant une quarantaine d’années. On a dit de lui qu’il était " un talentueux organiste et un improvisateur remarquable ". Ami de Cochereau, il le remplaçait parfois sur sa demande à Notre-Dame de Paris. Durant chaque été, il suppléait également un autre grand ami, Louis Bousquet, à l’orgue de Port-la-Nouvelle (Aude) où il passait ses vacances.

Très tôt, dès la fin de la première guerre mondiale, Robert Bréard donna des cours particuliers de piano, tout d’abord dans son appartement de la rue Lamandé, puis à partir de 1927 dans celui de la rue Lamblardie qu’il occupera jusqu’à son décès. Parmi ses très nombreux élèves, on remarque notamment en 1941-42 une certaine Yvette Horner, qui, on l’ignore souvent, commença des études classiques de piano avant de devenir la reine de l’accordéon.4

Parallèlement, il enseigna un temps le piano, du 1er octobre 1961 au 31 décembre 1970, au Conservatoire municipal Paul Dukas du 12e arrondissement, à l'époque où Marcel Énot, de l'Opéra-Comique, le dirigeait.

Chef d’orchestre, Robert Bréard l’était également. Il dirigea au début des années vingt l’orchestre d’harmonie de Paris " La Sirène "5, puis entre 1922 et 1939 l’Orchestre de Monaco et celui de Saint-Raphaël, et après la guerre, jusqu’en 1960, l’Orchestre de la Garde républicaine. Mais c’est au service de l’Orphéon que Bréard s’épanouissait le mieux et auquel il se dévoua totalement. Cette pratique musicale, remontant aux années 1830, était pour lui l’occasion de rencontrer " le peuple qui chante sans fard, ni snobisme ". Le mouvement orphéonique lui doit beaucoup. Il fut même un jour traité de " tribun de l’Orphéon " par l’un de ses adversaires ! Parmi ses nombreuses actions dans ce domaine, rappelons : la fondation avec MM. Bonici et Reibaud des Fédérations de Corse et de Tunisie, la présidence de celle du Haut-Languedoc, la création de l’Inter-Fédération du Midi regroupant 7 des plus grandes Fédérations régionales et départementales, l’organisation ou la présidence de nombreux concours et autres manifestations orphéoniques à travers toute la France, mais également en Europe et aux Etat-Unis, et enfin la composition d’un répertoire de chœurs a cappella, à 3 ou 4 voix, qui figura longtemps aux programmes des sociétés chorales, dont voici quelques titres : La Neige, paroles d’Aimé Sirven (Buffet), Le Charlatan, paroles de Florian (Andrieu), Les Heures mauves, paroles de Fardoux-Raynaud (Evette), Le Vieux pont, paroles de Marcel Chambon, Le Sonneur, paroles de Francis Yard, Le Peuple, paroles d’Ivan Monetti (Buffet), Les Goélands, paroles d’Auguste Brizeux (Leblanc)…, ou encore de chœurs avec accompagnement, parmi lesquels : Avril, pour 4 voix d’hommes et piano, paroles de Rémi Belleau (Evette), Sur la falaise, pour 2 voix égales et piano, paroles de Paul Bourget (Buffet), Hymne au vent, pour chœur et orchestre de chambre, paroles de Pierre Jalabert ( Andrieu), Ode à la victoire, pour soli, chœur et orchestre, paroles de Jacques Toutain (Evette)...

En 1945 Robert Bréard créa avec Claude Delvincourt l’Ordre des Musiciens, dont il fut longtemps le " président-fondateur ", aidé par la très active Mme Viguié. Cette association (Loi de 1901), déclarée le 12 juin 1945 à la Préfecture de police de Paris, était destinée à fédérer les professeurs de musique et éditait un bulletin de liaison. Au début des années soixante-dix, son siège se situait 121 rue Lafayette à Paris Xe. Devenue plus tard l’Ordre National des Musiciens (ONM), cette association est ouverte de nos jours à toutes les professions musicales (compositeurs, chanteurs, instrumentistes...)6

Le 22 août 1927 à Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), Robert Bréard épousait Hélène Adnet, fille d’un militaire. C’est à cette époque que le couple s’installa dans ce trois pièces au deuxième étage du 10 rue de Lamblardie, où tant d’élèves défilèrent au fil des années. Madame Bréard, qui avait étudié le violon dans sa jeunesse, faisait office de répétiteur de solfège dans la préparation des élèves de son mari. Elle est décédée en 1958 dans son appartement de la rue Lamblardie.

Malgré ses nombreuses activités de pédagogue, organiste, chef d’orchestre, responsable d’associations, président de plusieurs jurys musicaux, Robert Bréard n’a jamais pour autant abandonné la composition. Son catalogue comprend près d’une centaine de numéro d’opus, avec une très nette prédilection pour les œuvres chorales. Principalement édité chez les éditeurs parisiens Buffet-Crampon, Evette et Schaeffer, et Andrieu Frères, en dehors des œuvres déjà citées, il a écrit bon nombre de mélodies (Ce n’est rien, La Chapelle, Prière à Marie pour la Fête des Mères...), de chœurs à 3 ou 4 voix (Au son des cloches, L’Eléphant blanc, Le Chant des marguerites, Le Rossignol et le Prince, Le Vieux pont, Mer calme...) et des pages de musique de chambre, parmi lesquelles une Rapsodie pyrénéenne pour cor et piano, une Suite pour saxophone et piano, Dix Etudes de style pour saxophone alto, Huit Etudes de style pour trompette… On lui doit également 4 Esquisses pour le piano, éditées chez Verhaeghen, 3 rue des Carmes à Rouen.

Commandeur (1932), puis Grand Officier (1939) de l’Ordre du Nicham Iftikar de Tunisie, décoré des palmes Académiques (1932), de la Médaille d’or de la ville de Paris, au titre des arts, sciences et lettres (1956) et de la Médaille du mérite du Luxembourg (1962), Robert Bréard s’en est allé le 16 mai 1973, à l’hôpital Rotschild de la rue Picpus, faisant dire à ses amis que " c’est toute la musique populaire qui est en deuil ! " Ses obsèques célébrées à la cathédrale de Rouen rassemblèrent une foule de musiciens et d’anciens élèves, qui purent entendre la célèbre mélodie Crucifix de Jean-Baptiste Faure, interprétée avec beaucoup d’émotion par son ami l’organiste Louis Bousquet.

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE 7

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Yvonne Leroux et Hélène Bréard
Saint-Malo, 1935, Hélène Bréard (à droite) et Yvonne Chaumier-Le Roux, une élève de Robert Bréard
( coll. famille Leconte )
1) Journal de la Confédération musicale de France, n° 264. [ Retour ]

2) Souvenir rapporté par Michel Baron, professeur d'écriture au Conservatoire de Saguenay (Québec), webmestre du site Musica et Memoria, qui a connu Robert Bréard, dans les années soixante, au Conservatoire de Paris XIIe. [ Retour ]

3) Anecdote relatée dans le Bulletin de l'Ordre des Musiciens, n° 47, juillet 1973, consacrée à la mémoire de Robert Bréard, son président fondateur. [ Retour ]

4) Née en 1922 à Tarbes, Yvette Horner débuta ses études musicales au Conservatoire de sa ville natale, et les poursuivit à celui de Toulouse, où elle obtint en 1933, à l'âge de 11 ans, un 1er prix de piano. Venue plus tard à Paris, elle continua ses études de piano avant d'être dirigée, sur recommandation de sa mère, vers l'accordéon. [ Retour ]

5) Fondée en 1874 par Charles Levasseur, La Sirène, aujourd'hui quelque peu oubliée, fut jusque vers les années soixante une formation prestigieuse rassemblant une centaine de musiciens issus du monde des amateurs et des professionnels. Désirant mettre la musique à porté de tous et surtout des masses populaires, elle fut longtemps soutenue par des musiciens tels que Saint-Saëns, Fauré, Widor, Massenet, Büsser Dukas, Loucheur... Dirigée depuis 1996 par Fabrice Colas, son siège se situe de nos jours : 20, rue Dareau, 75014 Paris. [ Retour ]

6) Siège actuel de l'O.N.M. présidée par Bernard Dupaquier : 34, avenue des Champs-Elysées, 758008 Paris. [ Retour ]

7) Nos vifs remerciements vont à Mme Martine Maury-Bouet, née Leconte, qui a mis obligeamment à notre disposition ses souvenirs familiaux et sa précieuse collection de photographies. Ancienne élève de Robert Bréard à partir d'avril 1958, sa mère Denise Leconte, née Le Roux, le fut également dès 1932. Sa grand-mère, Yvonne Le Roux, née Chaumier, a compté elle aussi parmi les élèves de Robert Bréard, à partir de 1918 ! [ Retour ]


Albert Bréard
Yvonne Leroux, née Chaumier
Albert Bréard, frère de Robert, 1910
( coll. famille Leconte )
1918, Yvonne Chaumier-Le Roux,
l'une des premières élèves de Robert Bréard à Paris
( coll. famille Leconte )

Denise Leroux-Leconte, filleule et élève de Robert Bréard
1932, Robert Bréard et sa filleule et élève Denise Le Roux-Leconte
1932, Denise Le Roux-Leconte, filleule et élève de Robert Bréard,
avec son premier violon offert par son professeur
( coll. famille Leconte  )
1932, Robert Bréard et sa filleule et élève Denise Le Roux-Leconte
( coll. famille Leconte  )

Voyage à la frontière italienne
Gavotte
Voyage à la frontière italienne, début des années 1930,
de gauche à droite : Yvonne Chaumier-Le Roux (élève de Robert Bréard),
Hélène Bréard et Robert Bréard avec sur ses épaules sa filleule et élève,
Denise Le Roux-Leconte
( coll. famille Leconte )
1948, "Gavotte", la chatte de Robert Bréard, qui aimait se coucher sur son piano lorsque celui-ci en jouait!
( coll. famille Leconte )


 


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