L'interprétation des chants liturgiques


 

 

 

Dans d'autres articles mis en ligne sur ce site, nous avons évoqué les qualités musicales qui confèrent dignité, beauté (à distinguer de l'émotion ressentie à l'écoute ou pendant l'exécution d'un chant). La question du répertoire étant réglée ailleurs, on lira ici quelques réflexions à propos de l'interprétation des chants liturgiques en langue française (il ne sera pas question de l'exécution du grégorien qui a ses règles propres).

 

Le sujet n'est pas nouveau et nous résistons pas au plaisir de livrer au lecteur cet avis bien tranché qui remonte à une époque bien antérieure au Concile Vatican II :

 

« Mgr Parisis écrit en 1846 : « Par l'effet inévitable de cette horrible exécution des chants sacrés, ils deviennent d'abord tout à fait inutiles puisqu'ils n'atteignent nullement leur but qui est d'attirer à l'église et de favoriser la prière, et de plus, ils finissent par être positivement et directement nuisibles à la Religion, d'abord par le dégoût qu'ils inspirent plus ou moins pour les Saints Offices à ceux qui ne s'en rendent pas bien compte ; ensuite par les censures amères et les dérisions cruelles qu'ils provoquent, et justifient dans un sens, de la part des ennemis de Dieu ».

(Instruction pastorale sur le chant de l'Eglise, Paris, Lecoffre, 2e éd. 1854, p. 10)

 

Il va de soi qu'un chant liturgique interprété par un choeur constitué de voix exercées, en polyphonie, donne un résultat musical convaincant. Mais lorsque la chorale se compose d'amateurs et que les possibilités de répétition sont réduites, mieux vaut assurer le soutien de la prière avec des chants de bonne qualité mais peu difficiles que de se lancer dans l'apprentissage de pièces complexes et sans rapport avec les moyens du choeur qui conduira à une impasse et la déception de tous :

 

« Ces maîtrises, animées de plus de bonne volonté que de talent, qui s'efforcent, sans y réussir souvent, d'exécuter des morceaux savants, difficiles, qui, malgré leur incontestable valeur artistique, ne sont qu'un ornement plaqué sur la simple beauté du chant liturgique ! Autant cette musique me ravirait (bien exécutée) dans un concert, autant elle me paraît glacer la vie des offices, en détournant le cours de la prière par une recherche de satisfaction humaine, ennuyer les auditeurs qui ne participent pas à ce chant et ne peuvent toujours y trouver un plaisir de dilettante (d'ailleurs hors de propos) et allonger terriblement les offices les jours où il faudrait précisément les rendre plus vivants et plus populaires, à cause du grand nombre de fidèles qui ne vient à l'église que les jours de grande fête. »

(La Maison-Dieu, n° 8, Paris, 1946, p. 162)

 

De même, le chantre ou « l'animateur » de chants (rappelons que le Concile Vatican II ne fait aucune référence à un « animateur » mais parle simplement de la schola) doit maîtriser la justesse vocale et son timbre, qui doit ressortir notamment dans une partie soliste (couplets) ne doit pas couvrir le chant des fidèles lorsque ceux-ci interviennent pour leur partie ni indisposer ceux qui l'écoutent. Les effets lyriques, propres à l'opéra, n'ont pas leur place dans le cadre de la liturgie et détournent de l'action sacrée.

 

Certaines grandes paroisses recrutent des chanteurs professionnels habitués au répertoire profane et qui parfois, forcent le trait et rivalisent de trémolos et de vibratos, en croyant ainsi accentuer le figuralisme de certaines paroles (« La crouaaaaa a vaincu l'Enfeeeer ! »). Cela est sans doute émouvant mais cela n'est pas beau dans le contexte d'une célébration eucharistique où l'on rend justice à la vérité de ce qui est célébré (pour les catholiques, mémoire de la Cène et actualisation non sanglante du sacrifice du Christ au Golgotha). Les effets vocaux de certains chantes parasitent la prière des fidèles et les entraînent loin de la « noble simplicité » demandée par l'Eglise. On peut apprécier cela au concert mais pas dans la liturgie où l'expression de la foi supporte difficilement ce mélange de genres :

 

« Trop de praticiens de la musique liturgique ne sont pas assez conscients du caractère spécifique de celle-ci, par rapport à une musique dont le seul but est de provoquer une réaction purement esthétique. »

(La Maison-Dieu, n° 216, Paris, octobre 1998, p. 37)

 

Bien sûr, une voix travaillée est toujours plus agréable à écouter qu'une voix éraillée ou à la justesse aléatoire mais lorsqu'on chante en soliste pour la liturgie, la sobriété est de mise car on n'est pas en représentation et la beauté se pare aussi des atours de la simplicité. En conséquence, il convient de s'effacer devant le mystère célébré et de se mettre au service du chant de l'assemblée sans chercher à attirer l'attention sur son talent propre et à en tirer orgueil. Qu'on se rappelle que dans les monastères, certains chants ou lectures sont faits recto-tono afin de ne pas attirer l'attention sur les caractéristiques ou le style de la voix mais sur le contenu du texte qui a toujours la primauté :

 

« Pour Augustin, la qualité du chant est sa capacité à ébranler, émouvoir, son aptitude à conduire, à travers une forme « convenable », non pas vers la beauté du chant en lui-même (rejet de l'esthétisme exclusif), mais vers ce qui est chanté, le texte de la Parole, l'objet du désir enfin : Dieu lui-même qui est silence. Tous les arts sacrés : architecture, sculpture, vitrail, orfèvrerie, chant, musique (au singulier et au pluriel), l'ont fait percevoir, ils peuvent encore aujourd'hui nous le faire « sentir ». »

(La Maison-Dieu, n° 176, Paris, octobre 1988, p. 148)

 

La direction du chant de l'assemblée doit se faire de façon à la fois efficace et discrète. La battue n'est pas forcément nécessaire et peut aussi être nuisible, surtout lorsque la célébration se déroule dans un lieu de culte aux dimensions réduites (les grands rassemblements autorisent un autre type de direction, plus visible et « autoritaire ») et lorsque le chant est connu et fait partie du répertoire fréquents de la paroisse :

 

« Un chant a besoin d'être devenu familier pour être bellement exécuté et facilement prié. L'idéal est d'arriver à un fonds stable, connu et aimé, auquel on ajoute lentement et régulièrement quelques chants nouveaux. Le remplacement global et subit d'un répertoire par un autre est une folie, qui laissera quelques baraquements inhabitables sur les ruines d'une ville dévastée. Il faut changer pièce par pièce, et monter la neuve avant de rejeter l'ancienne. »

(La Maison-Dieu, n° 60, Paris, octobre 1959, p. 147)

 

« Il est bien connu que le plus beau chant du monde, entonné un jour, au hasard, par une voix quelconque, dans une assemblée non préparée et indifférente, tombe à plat. On dira : c'est laid. Quelques voix s'y joindront par devoir, du bout des lèvres. Il est mort-né ! […] Avez-vous cherché pourquoi certains sont si attachés à des cantiques de leur enfance ? Est-ce à cause du chant lui-même, souvent fort pauvre, ou plutôt en raison de tout ce qu'il leur rappelle de leur passé religieux ? — Il ne faudrait proposer un chant nouveau dans une assemblée qu'avec la probabilité qu'il sera exécuté dans des conditions suffisantes pour être apprécié et aimé. Enfin, le chant, une fois lancé, doit être exécuté un nombre suffisant de fois pour qu'il s'incruste dans les mémoires et dans les cœurs. L'œuvre d'art ne se révèle entièrement que lorsqu'elle est bien connue et familièrement habitée. »

(La Maison-Dieu, n° 60, Paris, octobre 1959, p. 141)

 

Le chantre doit se placer de manière à être vu sans toutefois monopoliser l'attention et sans cacher l'autel et l'ambon. Dans la mesure du possible, le pupitre d'animation du chant doit être distinct de celui à partir duquel on proclame la Parole. On peut aussi, selon les cas et en particulier pour la messe dominicale qui rassemble des fidèles « habitués » placer l'animateur sur le côté, dans la nef, légèrement tourné vers l'assemblée, celui-ci entonnant les chants au micro, laissant l'assemblée prendre le refrain et intervenant à nouveau comme soliste pour les couplets, le tout sans battue. En dehors d'un geste de départ, les moulinets des deux mains sont le plus souvent inutiles, parfois déconcertants ou divertissants, par exemple lorsqu'ils imitent l'envol maladroit d'un pélican.

 

Mêmes imparfaites, les voix des membres de l'assemblée se fondent vers l'unité et ont leur beauté propre. Le chant du peuple constitue un exemple de la « participation active » (à distinguer de l'agitation et de l'occupation par des activités annexes et abusives dont certaines paroisses sont friandes, processions de panneaux réalisés par les enfants du « caté », gestique corporelle, témoignages divers au micro, notamment) :

 

« De soi, le chant du peuple appartient donc à la structure fondamentale de la célébration liturgique. C'est pourquoi il constitue, pour l'assemblée des fidèles, un droit et un devoir. […]

Il y aurait deux questions préjudicielles à poser avant de traiter des conditions de la beauté dans le chant du peuple. La première serait : Pourquoi ce chant doit-il être beau ? […]

La seconde, plus subtile, est : En quoi consiste la beauté d'un chant populaire ? […]

Un concert, un beau disque, ainsi qu'une pièce liturgique exécutée par une chorale, sont destinés à être « écoutés ». Dans le chant d'une assemblée, au contraire, où, par hypothèse, tous chantent, il n'y a pas, en principe, d'auditeurs. Tous sont supposés exécutants. Or le point de vue de l'auditeur et celui de l'exécutant diffèrent. Tel joue du piano pour son plaisir, chez lui, et peut atteindre à un niveau d'art respectable, qui serait pourtant ridicule à la salle Gaveau. […]

Le peuple a aussi besoin d'être soutenu dans son chant, non par une voix qui beugle dans un micro — et qui écrase au lieu de soutenir — mais par une chorale. Le chant du peuple appelle impérieusement le rôle de la chorale (dont on vous parlera tantôt), qui lui donne un modèle, crée une ambiance, le relance, alterne avec lui et enfin éduque son goût. Il a besoin aussi d'être soutenu par l'orgue. »

(La Maison-Dieu, n° 60, Paris, octobre 1959, p. 137-146)

 

Olivier Geoffroy

(novembre 2021)

Relancer la page d'accueil du site MUSICA ET MEMORIA

Droits de reproduction et de diffusion réservés
© MUSICA ET MEMORIA