Quelques réponses aux objections des néophytes
sur la qualité des chants liturgiques


 

 

 

Dans les paroisses, l'organiste est souvent la personne la plus qualifiée pour évaluer la qualité (musicale) d'un chant liturgique, mais on lui attribue souvent un caractère grognon ou un manque de complaisance par rapport à la musique religieuse actuelle. Au sein des équipes liturgiques (qui n'ont, rappelons-le une fois encore, strictement aucun fondement canonique et n'ont jamais été ne serait-ce qu'envisagées par un quelconque texte du Concile Vatican II), le choix des chants entraîne parfois des discussions animées entre partisans et opposants, notamment pour ce qui concerne les chants issus de communautés charismatiques ou de « pop louange », en règle générale extrêmement médiocres. Voici des pistes de réponses à apporter dans un débat où les sensibilités s'exacerbent très vite car les adultes adoptent ou conservent de plus en plus les traits de caractère des adolescents qui s'identifient à un style musical et se sentent blessés dès qu'on émet la moindre critique objective à propos de celui-ci.

 

 

« La qualité musicale des chants, les fidèles ne s'en rendent pas compte »

 

Il serait peut-être pertinent de ne pas commencer par insulter l'intelligence et le sens musical des fidèles qui, pour certains d'entre eux, ont peut-être assez de charité chrétienne pour ne pas faire de remarques sur la qualité des chants mais n'en pensent pas moins. Ensuite, il peut paraître opportun de ne pas contribuer à abaisser le niveau général de culture musicale aux formes basiques (refrain-couplets) et au degré minimal de la qualité (type musique de variété) mais, au contraire, de demander un petit effort d'apprentissage de chants mieux construits et plus en rapport avec l'exigence que requiert une célébration liturgique, a fortiori eucharistique. La récompense suppose l'effort.

 

 

« Il faut des chants simples pour que tout le monde puisse chanter »

 

D'abord, tout le monde n'a pas à tout chanter dans la célébration. Certains chants ou dialogues sont du ressort du célébrant, d'autres sont dévolus à la chorale, d'autres (refrains notamment) sont des chants pour l'assemblée. Dans ce cas, en fonction de « l’acteur » du chant, la difficulté peut être plus ou moins importante. Ensuite, un chant peut être à la fois simple ET bien écrit (cf article sur les critères de qualité musicale d'un chant liturgique sur ce site). Le rythme d'une célébration dans laquelle tous chantent tout le temps finit par être essoufflant et donne l'impression que toute la célébration n'est constituée que de musique.

 

Aucun membre d'une équipe liturgique n'accepterait, au nom de la simplicité, de publier sur la feuille paroissiale un texte de méditation ou les paroles d'un chant écrits avec une syntaxe défaillante, une mauvaise concordance des temps et une orthographe aléatoire. Pourquoi ne pas faire preuve de la même rigueur lorsqu'il s'agit de musique, un langage qui a, lui aussi, ses règles d'écriture ?

 

 

« Pourtant, c'est le frère Bidule-Chouette, de la communauté charismatX, qui a composé ce chant, il est donc valable »

 

Sur la page Wikipedia consacrée aux chants de l'Emmanuel (2020) on affirme, avec une certaine mauvaise foi, que les chants de cette communauté ont « été très vivement critiqués, au début, par les musiciens du Centre National de Pastorale Liturgique et par la plupart des délégués diocésains de pastorale liturgique et sacramentelle, parce qu'il s'agissait de chants composés par de simples laïcs et non par des clercs ». Cette assertion qui permet de faire l'impasse sur une réalité qui dérange relève en fait de la contrevérité. Depuis longtemps, la musique de nombreux chants employés dans la liturgie, de Jo Akepsimas, J.-C. Gianadda, R. Fau (ou, avant le Concile, pensons aux cantiques de Charles Bordes, Guy Ropartz etc.) sortait de la plume de compositeurs laïcs.

 

Quant aux paroles, il paraît normal d'en valider le contenu par une sorte d'imprimatur avant une utilisation en paroisse dans le cadre d'une célébration liturgique.

 

La véritable raison de la « critique » de ces chants était - et demeure - la qualité musicale médiocre de ceux-ci, en raison du fait que les compositeurs de l'Emmanuel n'ont ou n'avaient jamais étudié l'écriture musicale (harmonie, contrepoint) ni les règles de la prosodie, ce qui est pourtant le minimum requis lorsqu'on met des paroles en musique.

 

Redisons-le, le fait d'être prêtre ou frère d'une communauté religieuse assure sans doute une certaine garantie quant aux connaissances théologiques, mais n'attribue en soi ni autorité ni qualification en matière de composition musicale. Si les clercs en question prennent (ou ont pris, par le passé) le temps d'étudier sérieusement l'écriture musicale (et pas simplement le solfège et la pratique d'un instrument), discipline à part entière que l'on apprend notamment dans les conservatoires, on peut considérer qu'ils possèdent les prérequis indispensables pour composer des chants liturgiques. Dans le cas contraire, leur production les tourne en ridicule vis-à-vis des musiciens confirmés (cf. articles sur les « chants de l'Emmanuel » et sur les chants du « Chemin neuf »). Mieux vaut ne pas s'étendre sur les « illuminés » qui prétendent avoir été musicalement inspirés par l'Esprit-Saint (lequel préfère curieusement inspirer, pour les paroles, des personnes qui maîtrisent le français et ont appris à lire et à écrire plutôt que des analphabètes tandis qu'il serait moins regardant pour la musique... ?).

 

Il convient de faire preuve de discernement avant de copier arbitrairement ce que fait la paroisse voisine ou d'intégrer au répertoire tel chant entendu dans une église pendant les vacances estivales et de prendre le temps d'analyser un chant au regard de sa fonction liturgique et de ses qualités réelles.

 

 

« En quoi la qualité d'un chant participe-t-elle à la dignité de la célébration ? C'est secondaire »

 

Rappelons que certains chants ont une fonction rituelle dans la célébration eucharistique. Que penser du contraste offert par l'emploi de chants (d'ouverture, de l'Ordinaire, d'offertoire, de communion) « communautaires » qui singent la plus mauvaise musique de variété au cours d'une messe qui se déroule dans une église gothique, avec l'organiste qui joue de belles pièces du répertoire adaptées au temps liturgique, un prêtre qui fait une homélie nourrissante pour la foi, un missel respecté sans ajouts inutiles et non prévus, où les sens de la vue, de l'odorat sont été comblés par l'encensement, les beaux ornements, la grâce des gestes, de la procession, des évolutions dans le choeur ? Sans verser dans l'esthétisme, il faut convenir que ce mélange de genres n'est pas véritablement de bon ton et que tout le travail, l'énergie et le temps consacrés à l'établissement de la dignité sont anéantis par l'atmosphère « profane » et inadaptée engendrée par l'exécution de chants au rythme syncopé, éventuellement accompagnés de frappements de mains et d'instruments à percussion.

 

 

« Ce sont VOS goûts, chacun a les siens et ce chant nous plaît »

 

Traduction : « J'entends que mes goûts, pour irrationnels qu'ils soient, fassent la loi dans la liturgie ». Mais, habituellement, lorsque l'organiste émet des réserves au sujet de la qualité d'un chant, ce ne sont pas ses goûts qu'il met en avant, mais des raisons objectives (mauvaise prosodie, fautes dans les enchaînements d'accords, syncopes inutiles, changements fréquents de chiffrages de mesures signes d'un manque de savoir-faire de la part du « compositeur » etc.). Dans le choix de chants pour la liturgie, les aspects subjectifs n'ont pas à prendre la première place. Bien souvent, les personnes qui avouent « aimer » les chants de communautés charismatiques sont incapables d'en donner des raisons musicales et se contentent d'évoquer l'aspect émotionnel ou leur « sensibilité » et trahissent leur souhait plus ou moins conscient de retrouver à l'église ce qu'elles ressentent en écoutant la radio ou lors d'un spectacle donné par un chanteur ou une chanteuse à la mode. La liturgie n'est pas affaire de sensibilité, ou plus exactement, la seule « sensibilité » qui vaille en ce domaine est celle de l'Eglise qui a bien précisé ce que recouvrait à ses yeux l'expression « musique liturgique » (cf supra, textes du Magistère sur la musique)

 

 

« Il faut des chants qui correspondent aux possibilités des autres instrumentistes [lorsque l'orgue n'est pas seul à accompagner]

 

Point important : les chants de communautés ne sont pas écrits pour être accompagnés à l'orgue (et n'étaient pas à l'origine destinés à être chantés au cours de messes dans des cathédrales, mais étaient réservés à l'usage d'une communauté particulière) mais à la guitare. De là vient le fait que l'organiste n'a guère d'autre possibilité pour les accompagner que de plaquer au clavier quelques accords, plus ou moins régulièrement, en suivant la tablature indiquée sur la partition, ce qui est particulièrement frustrant, comparé à l'accompagnement d'un chant de type « choral protestant » (« Nous chanterons pour toi, Seigneur », « C'est toi, Seigneur, le pain rompu » etc.) qui recèle une plus grande variété d' harmonies possibles et de contre chants et dont l'architecture est conforme aux canons d'écriture.

 

Concernant l'introduction d'autres instruments accompagnateurs, il faut convenir qu'en règle générale, l'orgue qui s'ajoute (parfois avec l'éloignement : organiste à sa tribune et instrumentistes à l'entrée du choeur...) aux autres instruments ne fait que renforcer l'imprécision et le brouhaha sonore. Dans une configuration instrumentale multiple, à chacun sa partie d'accompagnement : il est préférable de laisser l'organiste accompagner seul les chants de l'Ordinaire, les dialogues prêtre-assemblée, certains chants rituels et tenir sa partie soliste pour les morceaux d'ouverture, d'offertoire, de communion et de sortie et de proposer aux guitaristes et autres instrumentistes d'accompagner de leur côté les chants d'entrée, de psaume, de communion, par exemple.

 

Cependant, si on limite le choix des chants à ceux que sont en mesure d'accompagner les guitaristes, flûtistes, violonistes amateurs, on risque fort de tomber sans arrêt sur les mêmes chants simplistes et de prendre en otage l'assemblée en raison de la compétence moindre de ces musiciens (un peu comme le petit cousin qui, pour l'anniversaire de grand-mère, joue chaque année au violon le seul « Au clair de la lune » qu'il maîtrise à peu près). La bonne volonté, c'est bien, mais ça peut devenir une excuse facile pour se contenter de peu et ça ne remplace pas la compétence et la reconnaissance de celle-ci.

 

 

« Moi, j'aime bien l'ambiance qui se dégage de ce chant, je le trouve priant et de nombreux fidèles prient avec »

 

Lorsqu'on n'a pas autre chose à offrir pour la prière personnelle ou collective que des chants qui singent la musique commerciale diffusée sur les ondes des stations de radio grand public, on tombe dans un misérabilisme qui ne fait pas honneur à l'Eglise, mère des arts et d'un riche patrimoine qu'elle doit continuer à chérir et à entretenir. Le répertoire de musique sacrée depuis des siècles - en partant du grégorien jusqu'aux compositions de qualité de certains organistes ou maîtres de chapelle parisiens et de province qui œuvrent aujourd'hui encore pour l'enrichir de chants ou psalmodies valables - est pourtant suffisamment vaste.

 

Enfin, le style musical d'un chant liturgique doit-il nécessairement être celui des musiques de divertissement ou d'ambiance issues de l'industrie culturelle dont l'objectif n'est assurément pas l'enrichissement intellectuel et spirituel par la qualité des « produits » jetables qui en sortent mais le profit engendré par l'absence d'effort à l'écoute, le nivellement et le relativisme durablement installés dans les sociétés occidentales ?

 

Olivier Geoffroy

(août 2020)

 

 

ANNEXE : liens vers les textes du Magistère relatifs à la musique sacrée :

- Instruction sur la musique sacrée et la sainte liturgie, 1958 : https://www.ceremoniaire.net/pastorale1950/docs/liturgie_musique_1958_1.html

- Note pastorale sur le chant et la musique dans la célébration de la messe, 1965 : https://www.ceremoniaire.net/pastorale1950/docs/chant_musique65.html

- Instruction « Musicam sacram », 1967 : https://www.ceremoniaire.net/pastorale1950/docs/musicam_sacram_1967.html

 

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