DENISE CHIRAT-COMTET
organiste de la cathédrale de Versailles
(1927 - 1978)

Denise Chirat-Comtet à l'orgue de la cathédrale St-Louis de Versailles, 1970.
Denise Chirat-Comtet à l'orgue de la cathédrale St-Louis de Versailles, 1970.
( coll. Louis Comtet )

L'union1 mystique contractée par cette artiste avec l'admirable instrument marqué par l'heureuse et double paternité du grand Clicquot (1761) et de Cavaillé-Coll (1864), aura duré exactement vingt-cinq ans. Notre amie prit en effet officiellement ses fonctions le 5 mars 1953, à l'occasion de l'entrée solennelle de S.E. Mgr Renard dans sa ville épiscopale. Elle succédait à mon premier Maître, Augustin Pierson qui, au terme d'une carrière exemplaire, commencée à cette tribune en 1911, avait dû se retirer à la suite de très graves ennuis de santé. M. Pierson, lorrain d'origine, possédait toutes les qualités et vertus que l'on pouvait attendre... hier encore, d'un organiste de cathédrale : technique impeccable, connaissance approfondie de l'office liturgique, piété personnelle profonde, exemplaire et sans ostentation. Par tempérament aussi bien que par les exemples qui marquèrent sa formation première, Denise Chirat n'eut aucune peine à suivre cet exemple attachant. Ce ne fut pas sans mérite, car les excès de la réforme liturgique allaient exiger d'elle des sacrifices qu'elle sut accepter avec le sourire, mais dont elle souffrit beaucoup moralement.

La vocation de Denise2 naquit de la naissance d'un chœur. Nommé vicaire à Saint-Symphorien de Versailles le 16 août 1945, je réunis pour la première fois (en cette paroisse) 45 chanteurs volontaires. Denise Chirat, excellente pianiste, faisait partie de ce premier groupe. Elle avait dix-neuf ans, bien qu'elle en parût seize, et manifesta très vite le désir de travailler l'orgue. L'office liturgique fut-il le " révélateur " qui provoqua son engagement dans une vie aussi exaltante que difficile ? J'ai tout lieu de le croire : dès la Toussaint 1945, l'office solennel fut chanté dans une église comble, et Denise accompagna l'Ave verum de Mozart.

Une formation sérieuse s'imposait pour Denise : pour l'harmonie et la composition, c'était chose faite, puisque le Conservatoire National Supérieur lui était ouvert et qu'elle devait y glaner deux premiers prix d'écriture particulièrement recherchés. Restait la question de l'orgue et dans la mesure où la jeune artiste me faisait confiance, je ne pouvais la présenter qu'à celui qui depuis 1939 était mon professeur : Léonce de Saint-Martin.

Heureusement, Notre-Dame fit bien les choses : la présentation eut lieu et, sans avoir fait aucun geste pour fortifier ce premier contact, je constatai que les progrès allaient bon train sans que le travail de " l'élève " se départit du caractère précis et méticuleux qui le caractérisa toujours. Titulaire de l'orgue de Saint-Symphorien de Versailles dès 1947, elle dut exercer simultanément deux fonctions : celle de soliste et celle d'accompagnatrice.

La découverte de Marc-Antoine Charpentier par Guy Lambert et mes travaux personnels sur de Lalande aboutirent à une série de concerts spirituels... Plus de 100 entre 1945 et 1977, dont Denise Chirat fut l'organiste attitrée, en même temps que, jusqu'en 1963, elle tint sa place à tous les offices liturgiques solennels [de la cathédrale de Versailles] qui, depuis, ont été modifiés ou supprimés. En 1975, je lui demandai d'assurer, à la chapelle du château de Versailles, l'accompagnement du " Te Deum " grégorien. Après coup, elle m'avoua, toute rougissante, qu'elle avait été gênée : depuis plus de 8 ans, " on " lui en avait fait perdre l'habitude. Heureusement, et pour cruelle qu'elle fût, l'épreuve venait trop tard : Denise Chirat avait vécu avec nous à Saint-Symphorien ou à la cathédrale de Versailles, trop d'heures exaltantes pour ne pas avoir été marquée définitivement de leur empreinte. Il ne m'appartient pas d'apprécier sa vie intérieure : c'est le secret de Dieu. Du moins, suis-je sûr que sa spiritualité, comme celle de Léonce de Saint-Martin, procédait d'une véritable mystique de la divine louange, dont le sanctuaire fut le lieu privilégié. Oui, en ce lieu, cette louange s'épanouissait, inépuisable en ses richesses, infiniment souple en ses nuances et sans cesse auréolée d'une nouvelle jeunesse : " Quelle Jérusalem nouvelle sort du fond du désert, brillante de clarté... ! "

Le répertoire d'orgue de Denise Chirat était à la fois considérable et varié. Les concerts qu'elle donnait sur son instrument reflétaient parfaitement ses préoccupations religieuses, et sa virtuosité fut toujours au service de l'idéal qui l'animait.

J'ai noté la clarté et la précision de son jeu : ces qualités correspondaient à son tempérament. Avec le temps, elle acquit une puissance qui provoquait un étonnement admiratif chez ceux qui ne la connaissant pas, se trouvaient en présence d'une femme de petite taille qui conserva jusqu'aux derniers mois de son existence, l'allure gracieuse et fine d'une jeune fille. J’entends encore notre Maître de Saint-Martin me dire avec un bon sourire et de sa voix rocailleuse " Le Bon Dieu a bien fait les choses pour Denise : il a permis qu'elle fût juste assez grande pour ne pas être gênée à l'orgue ! Et c'est très bien ainsi, car cette petite a bien du talent ! ". ]e puis d'ailleurs révéler aujourd'hui que, grâce à son intervention auprès du chanoine Berthier, archiprêtre de la cathédrale de Versailles à cette époque, Denise Chirat accéda sans discussion, en 1953, à la Tribune de Saint-Louis. La première pièce qu'elle joua en public (et en présence de notre cher Maître) fut le grand " Credo " de Bach. Vingt-cinq années plus tard, le 19 février dernier, elle était encore à ses claviers et sa dernière œuvre interprétée fut celle que Nicolas de Grigny donna comme final à son livre d'orgue. Prémonition ? Choix délibéré ? Les deux raisons peuvent être invoquées : nous avions souvent parlé de ce quatrième mode grégorien que n'ont pas oublié nos classiques. Avec lui, il semble que l'ultime cadence elle-même ne veuille point prendre fin et qu'elle recèle des appels d'éternité. Ainsi se présente Point d'orgue sur les grands jeux avec ses deux longues pédales de basse qui supportent une polyphonie brillante, aux rythmes variés, testament spirituel d'un compositeur, qui à 32 ans, allait entrer dans la vie éternelle après avoir atteint les sommets d'une étonnante maturité musicale.

Deux cathédrales prestigieuses : Reims et Versailles ; deux artistes français que réunissent à 250 ans d'intervalle une même ferveur puisée et entretenue aux mêmes sources, une existence à la fois exaltante et brève selon nos vues humaines, et un même rayonnement posthume dans le monde des artistes catholiques. De la carrière de Denise Chirat, j'ai été l'instrument involontaire, et de cela seulement je tire quelque fierté. Car ma grande joie, et cette joie demeure, est née de ce commerce que j'ai fait naître entre l'organiste prestigieux de Notre-Dame de Paris et une jeune artiste dont, grâce à lui, les dons exceptionnels, spirituels et artistiques, se sont merveilleusement épanouis. Aujourd'hui, nous avons la consolation de les unir dans un commun souvenir grâce au dogme de la communion des saints.

Cette brève évocation laissera sans doute plusieurs de nos amis sur leur faim. Je les comprends. Un article, hélas, a ses limites ! II peut appeler des développements ultérieurs.

Aujourd'hui, j'ai voulu, de propos délibéré, parler un langage que notre monde ignore ou tient en mépris, le seul vrai : celui du Cœur.

Gaston ROUSSEL 3

Davantage de renseignements sur le chanoine Roussel.

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1) Cette notice est issue, pour l'essentiel, d'un article paru précédemment dans le bulletin n° 16-17 (juin 1978) de l'Association des Amis de Léonce de Saint-Martin (pp. 4-7). Elle édite notamment un bulletin à parution irrégulière. Nous remercions vivement Jean Guérard, vice-président, de nous avoir autorisé à le publier sur Internet (contact : jeanguerard@orange.fr). Cette Association, présidée par Pierre Baculard, possède son siège 39 avenue Mozart, 75016 Paris (tél. 01 45 20 42, fax : 01 45 20 72 54). [ Retour ]

2) Née le 26 juillet 1927 à Châtillon-sur-Chalaronne (Ain), décédée le 6 mars 1978 à Maurepas (Yvelines), Denise Chirat-Comtet fut élève de Jean Doyen (piano), de l'abbé Gaston Roussel puis de Léonce de Saint-Martin (orgue) avant de rejoindre le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (classes de Noël et Jean Galon), où elle obtint un 1er prix d'harmonie et un 1er prix de fugue. Chevalier des Arts et des Lettres (1977), elle fut organiste de l'église Saint-Symphorien de Versailles de 1947 à 1953, puis de la cathédrale Saint-Louis de 1953 jusqu'à son décès. On lui doit notamment une transcription de la 3e Symphonie des Noëls de Michel-Richard Delalande (La Procure, 1957). Mariée à Louis Comtet, elle est la mère de Denis Comtet, né à Versailles le 30 avril 1970, 1er prix d'orgue et 1er prix d'accompagnement du CNSM (1989, 1991) ancien cotitulaire au Sacré-Cœur, et aujourd'hui (2003) titulaire à Saint-François-Xavier de Paris. [ Retour ]

3) Le chanoine Gaston Roussel (1913-1985), ordonné prêtre en 1938, bien connu pour ses positions affirmées pour défendre la musique dans la liturgie, à laquelle il accordait une place essentielle, et sa prédilection pour les grands motets français des XVIIe et XVIIIe siècles (Charpentier, Dumont, Delalande, Lully…) avait étudié l'orgue avec Léonce de Saint-Martin et la composition avec Albert Bertelin. Vicaire à Saint-Symphorien de Versailles (1945-1947), maître de chapelle à la cathédrale de Versailles(1947-1965), curé de Saint-Louis de Port-Marly (1965-1985), directeur de la revue " Musique Sacrée, l'Organiste " (1945 à 1968), il laisse de nombreux cantiques harmonisés, des restitutions de motets du Grand Siècle, des écrits et un livre magnifique L'Etrange silence des cathédrales (l'auteur, Port-Marly, 1979). Il avait déclaré un jour : " Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive ; je vomis les tièdes. " [ Retour ]

 


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