Madame FARRENC
(1804 - 1875)

Louise Farrenc (ca.1854)
Mme Louise Farrenc, née Dumont, vers 1854
( D.R. )

 

Louise Dumont, dite Madame Farrenc, était célèbre de son vivant en France, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique et ailleurs en Europe entre 1821 et 1872, admirée de ses collègues et de son public, saluée par les critiques les plus sévères et les plus compétents.

Robert Schumann appréciait ses Variations sur un air russe en 1835 ; Hector Berlioz avait remarqué son "talent rare chez les femmes " dans ses orchestrations ; le redoutable et compétent critique belge du 19e siècle, Parisien d’adoption, François-Joseph Fétis (1784-1871)1 avait inclus le nom de Jeanne-Louise Dumont-Farrenc dans sa Biographie universelle des musiciens (1835-1844) et apostrophé son aptitude " d’une organisation musicale toute masculine " ; le grand pédagogue français Antoine-François Marmontel (1816-1898)2 cita Madame Farrenc dans son livre intitulé Les pianistes célèbres.

Madame Farrenc a légué à la postérité symphonies, ouvertures, trios, quintettes et autres compositions de musique de chambre, ainsi que les pièces de piano. Ses oeuvres révèlent sa profonde admiration pour Beethoven, Schubert et le maître slovaque Johann Nepomuk Hummel (1778-1837)3, mais son style raffiné, son écriture filigranée et la vigueur de son expression sont très personnels et persuasifs. Certaines couleurs orchestrales de ses symphonies sont visibles dans les oeuvres de Brahms, notamment dans sa Symphonie n° 1. N’oublions pas que Chopin ait été plus qu’inspiré dans son Étude op.25 n° 1, en la bémol majeur, par sa compatriote Maria Szimanowska (1790-1831), que Schumann ait utilisé un Fandango de son épouse Clara Wieck-Schumann (1819-1896) dans le premier mouvement de sa Sonate op.11 en fa dièse mineur, que Félix Mendelssohn ait intercalé dans ses deux cycles de Lieder, op.8 et op.9, les compositions pour voix et piano de sa sœur aînée Fanny Mendelssohn-Hensel (1805-1847).

Malgré la clarté et le raffinement de son style, l’élégance de son écriture et la remarquable architecture de ses formes, les oeuvres de Madame Farrenc ne dénotent pas cette indéfinissable étincelle qui fait la différence entre un grand talent et un génie.

Madame Farrenc, née Dumont, naquit à Paris le 31 mai 1804 dans une famille de sculpteurs et peintres. Elle commença ses études de piano très tôt avec une disciple du pianiste et compositeurs anglais d’origine italienne Muzio Clementi (1752-1832). Le compositeur tchèque naturalisé français, Antonin Reicha (1770-1836), professeur au Conservatoire de Paris, lui enseigna la théorie. Très jeune, elle épousa en 1821 le flûtiste, compositeur et éditeur de musique marseillais Aristide Farrenc (1794-1865) qui fut parfaitement conscient des dons exceptionnels de sa jeune épouse, abandonna ses activités musicales et devint son imprésario. Entre 1842 et 1872 Madame Farrenc enseigna au Conservatoire de Paris, lutta avec acharnement pour l'égalité des émoluments entre les professeurs-hommes et les professeurs-femmes et obtint le gain de cause! Aussi, obtint-elle que les académiciens inclussent le mot "compositrice" dans le dictionnaire! Le membre de l'Institut Ernest Rey, dit Reyer (1823-1909), auteur de Sigurd, de Maître Wolfram, d'Érostate et d'autres oeuvres de théâtre musical, fut son disciple. Elle mourut à Paris trois ans après sa retraite et, hélas, fut vite oubliée par son public et par ses éditeurs, comme toutes ses consœurs compositrices et pianistes de renom international : Mademoiselle Jeunhomme pour qui Mozart écrivit son Concerto n° 9 en mi-bémol majeur, K. 271, redécouvert en 1941 à l'occasion du cinquantenaire du Carnegie Hall à New York par la grande pianiste brésilienne Guiomar Novaes (1896-1979) qui l'interpréta avec l'Orchestre philharmonique de New York et l'enregistra en 1959 avec l'Orchestre symphonique de Bamberg ; Marie Bigot de Morouges (1786-1820) vénérée par Beethoven qui la considéra comme la meilleure interprète de ses Sonates op. 53 (Aurore) et op.57 (Appassionata), Anne-Caroline de Belleville (1808-1880) admirée par Chopin (1810-1849) qui l’avait entendue à Varsovie et à Paris avant de lui envoyer sa Valse op.70 n° 2, en la-bémol majeur (opus posthume), inédite, accompagnée d’une dédicace très flatteuse ; Marie-Félicité Moke-Pleyel (1811-1875) qui reçut des éloges de Berlioz, Chopin, Schumann, Liszt et que Fétis considéra comme la plus parfaite pianiste qu’il eût jamais entendue4 ; Léopoldine Blahetka (1811-1887) idolâtrée à Vienne, dont les fortissimi effrayèrent et éblouirent le jeune Chopin.

L’excellent Orchestre Philharmonique de Norddeutscherrundfunk à Hambourg, dirigé avec zèle et verve par Johannes Goritzki, commémora le bicentenaire de Madame Farrenc avec un remarquable CD contenant ses Ouvertures n° 1et 2 et sa deuxième Symphonie. En Allemagne aussi, une édition commentée de l'œuvre intégrale de la grande et féconde compositrice française fut entreprise en 1996. Son pays natal, qui oublia son bicentenaire en 2004, marqua le cent trentième anniversaire de sa mort en 2005 par une série de concerts.

Louise Dumont Farrenc, décédée le 31 janvier 1865 à Paris, est certainement la plus grande et la plus féconde compositrice dans l'histoire de la musique. Malheureusement, la plupart des historiens de la musique et des auteurs de dictionnaires français semblent ignorer son nom.5

V o y a    T o n c i t c h

Fichier MP3 Louise Farrenc : 2e mouvement (andante) de son Trio pour piano, flûte et violoncelle. (fichier audio Max Méreaux) DR.

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1) Fétis, né à Mons, mort à Bruxelles, fut élève du Conservatoire de Paris de 1800 à 1803 et devint professeur en 1821. Il fonda la Revue musicale de Paris en 1827. En 1833 il fut nommé directeur du Conservatoire de Bruxelles. Il écrivit un Traité du contrepoint et de la fugue, ainsi que des oeuvres pour orchestre, des opéras, des compositions de musique de chambre et d'inspiration religieuse, toutes complètement oubliées aujourd'hui. [ Retour ]

2) Louis Diémer (1843-1919), professeur d'Alfred Cortot (1877-1962) au Conservatoire de Paris, fut élève de Marmontel ainsi que la grande dame du piano français Marguerite Long (1874-1966). [ Retour ]

3) Johann Nepomuk Hummel, né à Pressbourg, aujourd'hui Bratislava, mort à Weimar, compositeur et un des premiers pianistes-concertistes internationaux, compétiteur de Beethoven, influença surtout l'opus pianistique de Madame Farrenc. Le Concerto en la mineur pour piano et orchestre de Hummel représente la première source d'inspiration de Chopin dans son Concerto op.11 en mi mineur. La ressemblance thématique est vraiment frappante. D'aucuns parlent du plagiat. Mais, en mettant en scène les influences subies par son génie créateur et en les animant d'un sentiment personnel et d'une conception individuelle, Chopin fait preuve d'une originalité inimitable. [ Retour ]

4) Marmontel écrivit que Marie-Félicité Moke-Pleyel avait la clarté de Kalkbrenner (1785-1849), la sensibilité de Chopin, l'élégance spirituelle de Herz (1803-1888) et la brillance de Liszt (1811-1886).
Berlioz ne fut pas moins élogieux: "En exécutant elle crée comme l'auteur fit en composant, car elle n'a pas du talent mais du génie, elle anime ce froid instrument et en fait un sublime orchestre... Je l'ai suppliée de ne plus jouer d'adagio de Weber (1780-1826) ni de Beethoven (1770-1827) cette musique dévorante la tue".
Elle joua un Concerto de Weber avec l'Orchestre symphonique de Londres dirigé par Berlioz. Le public et les critiques furent fascinés par son jeu malgré les gaucheries invraisemblables du chef d'orchestre. [ Retour ]

5) Louise Dumont eut une fille, prénommée Victorine, de son mariage avec Aristide Farrenc. Née à Versailles le 23 février 1826, elle fut formée pas sa mère avant d'entrée au Conservatoire de Paris où elle décrocha un 1er prix de piano en 1844. Se produisant souvent en compagnie de sa mère, auteur de quelques compositions, elle n'eut guère le temps de se faire mieux connaître, car le 3 janvier 1859 à Versailles elle était emportée par la maladie à l'âge de 32 ans! [NDLR] [ Retour ]

 


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