Notes sur l’improvisation liturgique à l’orgue


Quelques réflexions et idées à propos d’une pratique qui connaît une certaine désaffection et qui, pourtant, est un art qui demande savoir-faire et humilité :

Court verset après l'homélie (O. Geoffroy)
Court verset après l'homélie (sur un chant de Noël) pour orgue, Olivier Geoffroy
  • Pourquoi l’organiste ne proposerait-il pas, quelques fois, de se charger d’improviser quelques interventions sur son instrument à la place du refrain de la Prière universelle ? La voix de l’orgue peut aussi rendre la prière plus intérieure en cette circonstance (varier la registration et le caractère à chaque intercession).

  • Pour l’Offertoire (Présentation des dons), moment de transition qui intervient après la liturgie de la Parole, l’organiste a toute liberté pour improviser une fresque sonore plus développée (surtout s’il y a encensement). Un beau thème eucharistique convient très bien (grégorien ou non).

  • Pendant le temps de la Communion, une improvisation douce permet d’introduire discrètement le chant qui va commencer lorsque tout le monde sera assis.

  • Enfin, la sortie est l’occasion de faire chanter l’orgue sur le grand-choeur. L’objectif est d’accompagner l’envoi des fidèles, pas de les faire fuir... Charles Tournemire jouait parfois ses sorties à Sainte-Clotilde sur les fonds doux !

  • Pour improviser sur un thème liturgique, il vaut mieux commencer par une introduction dans la tonalité, puis introduire le thème harmonisé par bribes et enfin dans son intégralité. Il ne faut pas tout donner d’un seul coup ! Compte tenu de la durée forcément imprécise des interventions, il semble difficile (sauf à la sortie) d’improviser selon un schéma formel bien établi. Il convient toutefois de s’efforcer de terminer dans le ton de départ...

    Chacun pourra compléter, selon sa pratique, sa formation et sa personnalité chacune des rubriques figurant ci-dessus. Si la tâche des organistes est rendue plus complexe par les règles liturgiques en vigueur, l’improvisation peut, et doit, retrouver sa place au sein de la célébration dominicale.

    L’accompagnement liturgique et la registration

    Pour soutenir et animer efficacement le chant du soliste et de l’assemblée, l’organiste doit avoir recours à des registrations différentes en fonction de divers paramètres (réverbération, temps liturgique, fonction rituelle du chant, état, possibilités et esthétique de l’instrument).

    Naturellement, le nombre de participants détermine le volume sonore.

    Quelques principes :

    - On n’accompagne jamais sur les ondulants (unda-maris, voix céleste) si l’on veut garantir la justesse du chant, ces jeux étant " désaccordés " afin de produire leurs battements caractéristiques. Du point de vue du résultat sonore, c’est de plus assez désastreux et sans beaucoup de dynamisme.

    - Avec une petite assemblée (communauté de 15 personnes par exemple), le bourdon de 8’ seul peut suffire pour accompagner le soliste, mais il vaut mieux ajouter un 4’ doux pour l’assemblée (sans toutefois la couvrir). Un groupe chantant à l’unisson a besoin de plus d’harmonique pour trouver la note de départ et se maintenir dans le ton. On rend ainsi plus efficace et tangible l’alternance couplet-soliste / refrain-assemblée.

    - Dans un petit édifice, le 16’ au pédalier n’est pas indispensable même s’il assure naturellement une plus grande assise au chant de l’assemblée.

    - Toujours garder une registration claire : on utilise des jeux flûtés (de préférence ouverts) pour accompagner le soliste et une base de principaux (8’, 4’, 2’) pour l’assemblée. Le bourdon ajouté aux principaux rend le timbre plus rond, mais dans une acoustique réverbérante, peut gâter la précision de l’attaque du son.

    - On peut avoir un toucher assez détaché sur un orgue de tribune, mais avec un instrument placé dans le chœur ou dans la nef, un accompagnement legato est de rigueur.

    - Ne pas confondre introduction et intonation : il ne s’agit pas de jouer les trois premières notes du chant à toute vitesse, mais d’introduire les deux ou trois premières incises (avec une harmonie sobre et toujours dans le tempo du chant), et terminer par une cadence avec, à la voix supérieure, la tonique ou une note en rapport direct avec la note de départ. Assez souvent, la première et la dernière phrases enchaînées constituent une très bonne introduction.

    - En cours de chant, il n’est pas toujours utile de doubler la ligne mélodique (assurer toutefois les passages délicats). Par principe, plus la participation est importante, moins l’orgue doit jouer fort. A contrario, ne pas hésiter à ajouter des jeux et " fournir l’harmonie " si l’assemblée ne répond pas suffisamment.

    - Face à un animateur qui accélère, ralentit ou détonne en cours de chant, deux solutions se présentent : maintenir le tempo et renforcer l’harmonie par des doublures ou détacher la ligne mélodique sur un jeu solo (cornet décomposé par exemple). Si cela n’est pas efficace, mieux vaut ne pas s’obstiner, rester discret et suivre le tempo de l’animateur (dans la limite du raisonnable), et cesser d’accompagner si cela confine à l’absurde sur le plan musical. L’idéal est bien sûr de rencontrer l’animateur avant la célébration afin de régler la question des tempi.

    Registration en fonction du chant :

    Chant d’ouverture : on peut aller jusqu’au 2 pieds, voire au plein-jeu, selon le caractère du chant et la participation des fidèles.

    Kyrie : sur les 8 pieds, legato.

    Gloria : principaux 8’, 4’, 2’ et plein-jeu (que l’on peut faire entrer graduellement). Accompagnement plus marqué, accords détachés.

    Psaume : sur les flûtes. Mélodie de l’antienne introduite sur un jeu de solo. Accompagnement de type lyrique sur un rythme souple pour la psalmodie.

    Alleluia : sur le plein-jeu. Il convient de prolonger le chant jusqu’à l’arrivée du prêtre à l’ambon.

    Sanctus : sur le plein-jeu. Introduction brève pour ne pas contrevenir à l’enchaînement direct avec la fin de la préface (" Nous chantons d’une seule voix... ")

    Anamnèse : introduite discrètement. Accompagnement sur les fonds.

    Doxologie : si l’on prend la formule dialoguée en trois sections, renforcer la registration à chaque acclamation, jusqu’au plein-jeu.

    Notre Père : sur les fonds 8’ et 4’ (ad. lib.)

    Agnus : sur les flûtes 8’ et 4’ (2’ ?). L’introduction improvisée peut durer le temps du geste de paix. Commencer à la Fraction du Pain.

    Chant de communion : introduction discrète et accompagnement sur les fonds (à ajouter graduellement puis decrescendo pour un postlude méditatif improvisé).

    L’organiste liturgique : fonction à redécouvrir

    Il faut reconnaître que depuis le Concile Vatican II et ses applications aléatoires, l’orgue se fait plus discret au sein de la célébration dominicale. Souvent réduit à un rôle d’accompagnateur de cantiques dont le texte et la musique appellent de nombreuses critiques de la part des compositeurs confirmés, ses interventions en soliste à l’Offertoire et à la Communion, reliquats de ses heures de gloire, sont bien souvent écourtées par un rituel qui laisse peu de place à la musique écrite jadis pour des liturgies plus développées qu’aujourd’hui.

    Son rôle privilégié dans le culte fut maintenu jusqu’aux années 1960. Peu après, l’Eglise, traditionnel mécène, ne sut plus retenir ses dévoués serviteurs. Face au mépris d’une partie du clergé dont l’interprétation des textes du Concile était subjective, les compositeurs se détournèrent de la musique liturgique. D’autres n’en eurent cure et continuèrent d’écrire sur des thèmes grégoriens. Du point de vue de la musique vocale, à de rares exceptions près, l’amateurisme se substitua à la compétence et les églises furent transformées en véritables laboratoires d’expériences musicales.

    De nos jours, dans un certain nombre de paroisses, l’orgue est toléré comme élément du patrimoine. Ses vertus en matière d’accompagnement sont encore relativement appréciées... faute de mieux. Les moyens financiers nécessaires à son entretien sont généralement concédés par les communes, propriétaires des instruments, mais, à l’exception de quelques tribunes prestigieuses, l’organiste reste un bénévole soumis aux élucubrations des " équipes liturgiques ". Souvent seule personne de la paroisse véritablement compétente en musique, il est relégué dans une fonction subalterne qui contraste fortement avec l’époque pas si lointaine où il collaborait avec le maître de chapelle pour réhausser de manière digne et solennelle la célébration de la messe.

    Bien évidemment, les autres instruments ont leur place dans l’église. L’organiste ne souhaite pas un règne sans partage. Mais par sa formation irremplaçable en improvisation, en transposition, en habillage sonore, il demeure une référence qu’il conviendrait de ne pas oublier.

    Exilé sur une tribune ou installé à proximité du choeur de l’église, il accomplit pourtant sa tâche avec compétence et humilité.

    En effet, accompagner un chant et choisir le répertoire de morceaux le plus adapté au temps liturgique célébré ne s’improvise pas. En plus d’une indispensable formation technique (études de pièces, accompagnement, improvisation etc.), une réflexion sur la pratique en liturgie est nécessaire. L’organiste liturgique n’est pas un musicien comme les autres ! Il se sert de la musique en se rappelant que son premier maître c’est le Christ présent au milieu de son peuple. Son but n’est pas l’émotion gratuite mais il trouve son honneur en accomplissant le plus discrètement et le plus naturellement possible sa fonction qui consiste à relier les différents éléments qui constituent la célébration. Par son jeu, il souligne selon le cas la solennité ou le recueillement de la fête, comble les temps de méditation et, par son accompagnement, porte le chant de l’assemblée unie dans un acte de louange au Père et au Fils. Il sait aussi ménager des espaces de silence et n’intervient pas à tout propos dès qu’un " blanc " se présente.

    C’est dans la confiance réciproque qu’il devrait entretenir des liens avec les chanteurs et instrumentistes mais également avec les prêtres de la paroisse, les membres des équipes liturgiques et tout ceux qui interviennent en faveur de la bonne marche des célébrations dominicales. Reconnu comme un interlocuteur de premier plan dans le domaine musical, par la culture et les exigences que sa formation lui autorise, avec le souci de sa " formation continue ", un bon organiste encourage lorsqu’elles se présentent les vocations de jeunes musiciens d’église.

    Aujourd’hui, de nombreux jeunes sont attirés par l’orgue. Ses possibilités d’expression et son riche répertoire suscitent un intérêt croissant de la part des mélomanes. Il serait dommage que cet instrument soit déconnecté de sa fonction séculaire. Redonnons des couleurs à l’orgue dans nos liturgies !

    Olivier Geoffroy

     


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