L’empereur peut attendre le jugement de la postérité. Son règne demeurera un des plus glorieux de notre histoire. Voilà comment s'exprimait Louis Pasteur parlant de Napoléon III. Après plus d'un siècle de mensonges et de dénigrement systématique, arrive enfin le temps de la reconnaissance, le temps des recherches historiques impartiales et objectives, le temps où les égarements de certains historiens, tel Ernest Lavisse, dans leurs manuels d'histoire, sont battus en brèche. L'Empereur des ouvriers et des paysans, l'Empereur des pauvres apparaît enfin à nos yeux tel qu'il était. Sa personnalité se résume à travers ce mot de Georges Goyau : Ce fut l'âme la plus sensible qui ait jamais conduit un peuple.
Après les ouvrages relativement récents de William H.C. Smith ou de Philippe Séguin, notre amie Renée CASIN vient de publier un remarquable " Napoléon III ou le catholicisme social en action " aux Editions d'Aquitaine-Bordeaux
[ 240 pages, 140F, en vente chez l'auteur : 30 rue Pierre-Sémard, 93130 Noisy-le-Sec ]. Lauréate de l'Académie française et des Arts et des Lettres de France, Mme Casin est une habituée des causes difficiles. N'est elle pas l'auteur de La Doctrine sociale de l'Eglise, d'un Saint Thomas d'Aquin ou l'intelligence de la Foi, des Mensonges et silences sur Pie XII, et encore Du rôle des évêques dans la restauration du tissu chrétien ainsi que Les catholiques et la révolution française?Avec beaucoup d'intelligence, elle ne cherche pas ici à faire oeuvre de réhabilitation, mais seulement à dresser un constat le plus objectif possible : oui, l'Empereur Napoléon III, comme tous les grands de ce monde, a commis des erreurs et avait des faiblesses, mais elles ne sauraient occulter l'importance de son oeuvre qui fut extrêmement conséquente, tant dans le domaine social et économique que culturel, religieux ou encore artistique.
La construction de la première cité ouvrière, c'est lui; la création de l'assistance médicale gratuite, c'est lui; l'assistance judiciaire gratuite, c'est lui; la suppression du travail les dimanches et jours de fêtes, c'est lui; la naissance d'une véritable politique des chemins de fer, le droit à pension des fonctionnaires et agents de l'Etat, la fondation de maisons de convalescence, l'humanisation de la justice, l'autorisation de fonder des "sociétés anonymes", le droit de grève ou encore la bourse du travail, c'est encore lui. Mais également on doit à Napoléon III, entre autres grandes oeuvres, l'achèvement du Louvre, l'aménagement de grands espaces verts à Paris, le premier tramway, l'adduction des eaux parisiennes, l'aménagement des avenues et rues de Paris, la construction de nombreux édifices religieux (églises St-Eugène, St-Augustin, Ste-Clotilde, St-Honoré-d'Eylau, St-François-Xavier...) ou de bâtiments civils (Les Halles centrales, les gares du Nord, de l'Est, de Montparnasse, la salle des imprimés de la B.N., l'hospice des Incurables à Ivry, le Tribunal de commerce, l'Opéra....)
Egalement à son compte, l'Empereur a permis l'essor de l'Industrie : la production de charbon et de fonte est multipliée par trois, le nombre des hauts-fourneaux est doublé et passe du bois au coke, l'installation des machines à vapeur est multipliée par six, l'accroissement du domaine productif agricole (1.500 000 hectares) par l'assainissement de plusieurs régions (Sologne, Brie, Champagne...) ou encore la transformation des Landes (plantation d'un million d'arbres); le développement des chemins de fer dans toute la France, du télégraphe électrique, des routes, canaux et même des ports ainsi que de la Marine!
Quiconque a lu avec attention son " Extinction du paupérisme " écrit en 1844, qui lui fit d'ailleurs une réputation de théoricien social, ne peut que reconnaître que la profession de foi de Napoléon III, très proche des idées généreuses des catholiques sociaux, a précédé de près de 40 ans l'encyclique " Rerum novarum ", relative à la condition ouvrière, promulguée le 15 mai 1891 par Léon XIII.
Nous avons vu, sur un plan artistique, que l'Empereur encouragea vivement les artistes qu'il n'hésita pas d'ailleurs à aider de ses propres deniers. Mais, avant de clore ce bref compte-rendu, précisons encore un point qui nous intéresse plus particulièrement puisqu'il concerne la musique. En effet, là encore Napoléon III a oeuvré largement : c'est sous le Second Empire principalement que la musique française, après s'être quelque peu égarée dans le lyrisme italien (Spontini, Rossini, Donizetti...), puis avec les Italianisants (Meyerbeer, Halévy, Auber...) revint à un style plus digne et moins frivole, en effectuant un retour à la musique de chambre, à la musique symphonique, à la mélodie française, bref à la tradition française. Gounod, Bizet, Lalo, Saint-Saëns, Chabrier ou encore César Franck ont ainsi largement contribué à sauver la musique française et à ouvrir la route aux Fauré, d'Indy, Debussy, Ravel, Dukas... C'est également à cette même époque que se développa un nouveau genre de musique religieuse française, avec les oratorios, qu'ils soient d'esprit théâtrale ou purement religieux : Berlioz compose son admirable trilogie sacrée L'Enfance du Christ en 1854, Gounod écrit Tobie en 1866, Saint-Saëns Moïse sauvé des eaux (1851) et l'Oratorio de Noël (1858), Franck "Les Béatitudes" (1869) et Dubois ses magnifiques Sept paroles du Christ (1867).
On doit aussi à Napoléon III la création de l'Ecole de musique classique et religieuse de Louis Niedermeyer, en 1853, à Paris . L'Empereur répondit en effet avec empressement à la demande d'aide et de subvention présentée par son aide de camp, le Prince de la Moskowa, qui, lui-même, alors lié d'amitié avec Niedermeyer et auteur notamment d'une belle Messe à grand orchestre, avait fondé en 1843 une Société de musique vocale, religieuse et classique, chargée d'exécuter les oeuvres vocales des XVI° et XVIII° siècles. Un décret impérial du 28 novembre 1852 permettait ainsi à Niedermeyer d'ouvrir les portes de son école le 1er décembre de l'année suivante. Par l'intermédiaire de son Ministre de l'Instruction publique et des Cultes (Hippolyte Fortoul), l'Empereur avait adressé aux Archevêques et Evêques de France une lettre annonçant l'ouverture de cette école et précisant ses buts. On relève dans ce document quelques passages admirables :
" La musique religieuse, qui rajoute un si grand éclat aux solennités du culte, a perdu le caractère sacré que lui assignaient ses antiques traditions. Il faut surtout attribuer cette décadence à l'absence d'écoles spéciales et à l'obligation où l'Eglise est aujourd'hui réduite de demander au théâtre ses chanteurs, ses maîtres de chapelle et ses compositeurs.... Le plain-chant, base de la musique religieuse, sera, dans cette Ecole, l'objet d'un soin particulier.... "
Rapidement furent instaurés par décrets impériaux des Prix de composition, d'orgue, d'accompagnement, de plain-chant et même un diplôme de maître de chapelle. L'Empereur ajouta en outre personnellement, sous forme de médaille d'or, un grand prix d'honneur en faveur de l'élève ayant obtenu le premier rang dans chacune des subdivisions de l'enseignement technique. Nous savons tous ce que cette Ecole a apporté par la suite à la musique française, grâce à ses nombreux prestigieux élèves parmi lesquels nous citerons Gigout, Büsser, Fauré, A.Georges, Messager, Périlhou, Vasseur, Terrasse, Boëllmann, Audran...
Un ouvrage à découvrir absolument car en dehors de l'intérêt historique évident, il se laisse en outre facilement lire étant écrit d'une plume alerte. Non seulement on y apprend beaucoup de choses, mais de plus on ne s'ennuie pas un seul instant de la première à la dernière page!
Denis Havard de la Montagne (1996)