Le Panthéon des musiciens

De janvier 2003 à juin 2003

Marie DESMOULIN - Goffredo PETRASSI - Fedora BARBIERI - Serge ZAPOLSKY - Jacques MARS - Sesto BRUSCANTINI - Arthur OLDHAM - Jacques HERBILLON - Luciano BERIO - Manuel ROSENTHAL

 

Marie Desmoulin
Marie Desmoulin
(1965–2003)
( photo François Raybaud )
Disparue prématurément le 28 février 2003 à l’âge de 37 ans des suites d’une longue maladie, la pianiste Marie DESMOULIN n’a pas eu le temps de nous montrer pleinement toutes les facettes de son talent qui pourtant se révélait déjà plein de promesses. Le duo de pianos qu’elle formait avec sa sœur Hélène, son aînée de 4 ans, avait déjà attiré à maintes reprises les éloges des critiques musicaux et ravissait le public, notamment grâce à la qualité du jeu des deux artistes et de l’étendue de leur répertoire : de Mozart à Bartok, en passant par Schumann, Brahms, Duparc, Debussy, Rachmaninov et Gershwin. Egalement pédagogue, elle professait au C.N.R. de Saint-Maur (Val-de-Marne), ainsi qu’au C.N.S.M. de Paris, où elle assistait Bruno Rigutto successeur d’Aldo Ciccolini.

Née le 19 novembre 1966 à Charleroi (Belgique), où son père avait des activités dans le négoce du bois, Marie Desmoulin fut élevée en France et plus particulièrement en Basse-Normandie d’ou était originaire la famille de sa mère. C’est sa grand-mère habitant Vire, patrie du poète Olivier Basselin, inventeur au XVe siècle des " vaudevires ", qui lui fit découvrir et aimer le piano dès l’âge de 6 ans. Elle rejoignit ensuite, au CNR de Rueil-Malmaison, la classe de Lucette Descaves ancienne élève de Marguerite Long, qui la fit entrer en 1983 au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris dans les classes de piano d’Aldo Ciccolini et de musique de chambre de Geneviève Joy-Dutilleux. Trois années plus tard elle en ressortait avec deux 1er prix en poche puis entreprenait un cycle de perfectionnement auprès de Marie-Françoise Bucquet (pédagogie), dont on connaît la passion pour la musique d’aujourd’hui. Son Mémoire (1991) porta sur " Nadia Boulanger maître de musique ", femme et pédagogue exceptionnelles exigeant de la part de ses élèves une formation technique formelle. C’est son professeur de musique de chambre, qui avait été auparavant celui d’Hélène (1er prix de piano en 1979), qui poussa les sœurs Desmoulin à jouer ensemble au début des années 1980. Elles purent ainsi ajouter un réel prolongement musical à leur entente de toujours qu’elles développèrent encore davantage auprès d’Alain Planès, pour atteindre une rare complicité. Lauréates des Fondations Yehudi Menuhin et Natexis, Hélène et Marie Desmoulin s’étaient révélées au public au cours des émissions de télévision " Le Grand Echiquier " de Jacques Chancel et " Etoiles et Toiles " de Frédéric Mitterand. La sortie de deux premiers disques en 1995 chez Lyrinx, enregistrés l’année précédente et consacrés à Duparc (Léonore), Ravel (Ma Mère l’Oye, Rapsodie espagnole), Debussy (Six Epigraphes antiques) -LYR 140- et à Schumann (Six Etudes en forme de canon, Andante et Variations op. 16, Scènes d’Orient) -LYR 144-, fut saluée par la critique qui souligna l’homogénéité du Duo Desmoulin que ce soit à 2 pianos ou à 4 mains. Un autre CD enregistré au début de 1996 avec la Suite Yiddish pour 2 pianos de Norbert Glanzberg, la Rhapsodie russe pour 2 pianos et les Six Pièces op. 11 pour piano à 4 mains de Rachmaninov (Salabert SCD 9602) fut également accueilli avec enthousiasme. Invitées à se produire à l’occasion de diverses manifestations, notamment à l’Exposition universelle de Séville, au Festival de Cannes, au Festival international de Jersey, à La Nuit des Musiciens où elles jouèrent des pièces de jazz de Martial Solal, par les Jeunesses Musicales du Canada, ainsi que comme accompagnatrices du chanteur Jean Guidoni dans son spectacle à 2 pianos, les sœurs Desmoulin emportaient à chaque fois l’unanimité du public. Dans un registre plus traditionnel on les voyait interpréter la Sonate en ré majeur K 448 de Mozart, l’Andante et Variations de Schumann, la Fantaisie en fa mineur de Schubert au Musée des Augustins de Toulouse, les Variations sur un thème de Haydn op. 56 de Brahms et l’Habanera de Ravel au Festival Ouest-Brabant, la Sonate pour 2 pianos et percussion de Bartok à l’Opéra d’Avignon, la Suite n° 2 de Rachmaninov et la Rhapsodie in blues de Gershwin au Théâtre de Cherbourg, les Préludes de Liszt dans les salons de Boffrand du Palais du Luxembourg à Paris, les Variations sur un thème de Paganini de Lutoslawski et la Dixième Danse slave de Dvorak à Laval… et bien d’autres œuvres encore au Concertgebouw d’Amsterdam, à travers toute la France, ainsi qu’à Paris (Salle Gaveau, Musée d’Orsay, Théâtre de la Ville). Leur répertoire comme on le voit était vaste, recouvrant les grands classiques, mais également les contemporains tels que Thierry Machuel, Patrick Burgan, Nicolas Bacri, et défendant des pièces peu jouées ou inédites (Duparc, Smetana, Busoni, Copland), ce qu’il leur permettait de jouer avec l’Orchestre National d’Ile de France, l’Orchestre Régional de Basse-Normandie ou encore l’Orchestre de la Garde Républicaine. L’un des derniers concerts des sœurs Desmoulin, avant que la maladie ne se fasse trop ressentir, fut donné aux " Amis de la musique " de Bourg-en-Bresse le 24 avril 2002. On put entendre le Concerto pour 2 claviers en ut majeur BWV 1061 de Bach, le Rondo pour 2 pianos de Chopin et les Variations de Lutoslawski et de Rachmanivov. La presse soulignait à cette occasion la " rare qualité d’entente " des deux interprètes. Le 19 juillet 2003 Marie Desmoulin se produisait en public pour la dernière fois au Centre d’Arts de Jersey : c’était à l’occasion du dernier concert d’une série de 4 donnée dans les 4 îles anglo-normandes. Ce jour-là elle interpréta, en duo avec sa sœur et beaucoup de talent, les Six Duos pour piano à 4 mains op. 11 de Rachmaninov, une version peu connue pour piano à 4 mains des Variations sur un thème de Haydn de Brahms, Les Préludes de Liszt (poème symphonique transcrit pour piano par le compositeur lui-même), la Rapsodie espagnole de Ravel (réduction de l’auteur pour piano à 4 mains) et le 4ème Impromptu des Images d’Orient pour piano à 4 mains op 66 de Schumann. Le " Jersey evening post " du 22 juillet titrait " Fascinating flurry of hands at the piano " [ Fascinant jeux de main sur le clavier ], tout en soulignant l’effet hypnotique produit par les touches de couleur de Marie Desmoulin dans le registre aïgu, notamment dans Ravel. Le 23 août aux " Heures musicales de l’abbaye de Lessay ", avec Hélène Desmoulin et l’Orchestre Léonard de Vinci de l’Opéra de Rouen (direction : Oswald Sallaberger), Marie aurait dû créer le Concerto pour deux pianos et orchestre à cordes de Nicolas Bacri, dont elle était dédicataire, mais trop souffrante elle fut obligée de céder son piano à Joëlle Lemée. Quelques mois plus tard, malgré " une énergie, une puissance telle qu’elle assumait tout, au plus haut niveau ", comme l’écrit Hélène Desmoulin, elle s’éteignait en pleine force de l’âge le 28 févier 2003 dans une maison médicalisée à Cugand (Vendée), emportée par un cancer. Elle laissait deux petites filles et sa sœur Hélène pour qui le piano ne pourra plus jamais avoir la même résonance… Elle a été inhumée dans le cimetière de Périers (Manche), non loin de la propriété familiale.

Le 6 juin 2003 un concert-hommage fut organisé à la Cité de la Musique (salle d’orgue du C.N.S.M. de Paris), au cours duquel Bruno Rigutto joua les Trois Préludes op. 46 (Moments musicaux pour piano) de Nicolas Bacri, en présence de la famille de Marie Desmoulin et de ses nombreux amis venus rendre un ultime hommage à cette artiste trop tôt disparue.

D.H.M.

Fichier MP3 Hélène et Marie Desmoulin jouent l'Étude n° 4 (Espressivo), extraite des 6 Études en forme de canon, op. 56, pour 2 pianos, de Schumann (1992, CD DSM 01, "Hélène et Marie Desmoulins, 4 mains, 2 pianos", avec l'aimable autorisation de Nicole Desmoulin) DR.


Figure marquante de la musique italienne du XXe siècle, au même titre que son compatriote et ami Luigi Dallapicolla, Goffredo PETRASSI s’est éteint le 2 mars 2003 à Rome, à l’âge de 98 ans. Il s’était acquis au fil des années une réputation de compositeur confirmé en se forgeant un style personnel dans lequel il cherchait sans cesse à renouveler son langage musical, après avoir quelque peu flirté avec le structuralisme de Darmstard, la sérialité et l’aléatoire. Passionné toute sa vie par la musique, il était convaincu que la musique se nourrissant d’elle-même, il devait se laisser guider par elle et donner libre cours à la fantaisie du moment, après avoir défini pour chaque œuvre créée l’atmosphère générale souhaitée.

CD de Goffredo Petrassi
( CD Dom Disques )

Né à Zagarolo, non loin de Rome, le 16 juillet 1904, Goffredo Petrassi débute ses études musicales à la Schola cantorum de San Salvatore de Lauro en 1913, puis après avoir été quelque temps vendeur dans un magasin de musique, entre en 1928 au Conservatoire de Rome pour y suivre les cours d’Alessandro Bustini (harmonie), Fernando Germani (orgue) et Bernardino Molinari (direction d’orchestre). Une fois ses études terminées, il enseigne l’écriture durant deux années à l’Académie Sainte Cécile de Rome (1934), est nommé en 1937 surintendant du Théâtre de la Fenice à Venise, enseigne la composition au conservatoire de Rome (1939 à 1959), dirige l’Accademia Filarmonica Romana (1947) et devient en 1959 titulaire de la chaire de composition à l’Académie Sainte Cécile où il reste jusque 1978. Membre de l’Akademie der Künste de Berlin-Ouest (1958), de l’Académie royale de Bruxelles (1963), doctor honoris causa de l’Université de Bologne (1976), membre honoraire de l’Académie des arts et des sciences de Boston (1978), Goffredo Petrassi se fait remarquer dès 1931 avec son Ouvertura da concerto et l’année suivante avec sa Partita pour orchestre. Il ne cessera ensuite de composer durant plus d’un demi-siècle. Si au début on observe dans son œuvre un attachement à la Renaissance et au baroque (Partita, 1926 ; Toccata, 1930), puis une certaine influence d’Alfredo Casella et de Stravinsky, sa quête constante de procédés nouveaux le conduira à explorer de multiples voies, notamment l’abandon du système tonal et le dodécaphonisme. Ses 8 Concertos pour orchestre, écrits entre 1934 et 1972, illustrent parfaitement cette évolution. L’œuvre multiforme de Goffredo Petrassi est abondante ; son catalogue comporte de nombreux opus dans pratiquement tous les genres : musique pour orchestre, de chambre, vocale, des opéras (Il Cordovano, Scala, 1949 ; Morte delle’aria, Rome, 1950), des ballets (La Follia di Orlando, Scala, 1947 ; Il Ritratto di Don Chischiotte, Paris, 1947) et des pièces religieuses (Magnificat pour soprano, chœur et orchestre, 1940 ; Quattro inni sacri pour ténor, baryton et orgue, 1942 ; Mottetti per la Passione pour chœur a cappella, 1964 ; Tre cori sacri pour chœur a cappella, 1983…) Certaines œuvres sont plus marquantes que d’autres car elles révèlent les diverses périodes esthétiques traversées par le compositeur au cours de la seconde moitié du XXe siècle, notamment le Psaume IX (1936) pour chœur, cordes et cuivres (influence de Stravinsky), les opéras et ballets cités supra (forme personnelle du néoclassicisme), la cantate Noce oscura sur des vers de saint Jean de la Croix (1951), créée à Strasbourg le 17 juin 1951 (approche de la musique sérielle), le 4ème Concerto pour orchestre à cordes (1954) dans lequel on perçoit une attirance pour Bartok, les Propos d’Alain pour baryton et 12 instruments (1960) et Estri, symphonie de chambre pour 15 instrumentistes (1967) qui s’inscrivent dans la période d’expérimentation de voies nouvelles, et Orationes Christi pour chœur, cuivres, 8 violons et 8 violoncelles (1975), ainsi que Poema pour cordes et 4 trompettes (1980) qui symbolisent une sorte d’aboutissement de ses longues années de composition, avec un certain retour à un langage harmonique de sa période d’après-guerre. L’intégrale des pièces pour piano de Petrassi a été enregistrée par Roberto Prosseda (2001, Dom disques),mais l’on peut également se procurer sur le marché plusieurs autres CD donnant un bon aperçu de l’œuvre imposante laissée par le compositeur : Sesto non-senso pour chœur a cappella, Sonata da camera pour clavecin et 10 instruments, Concerto n° 3 pour orchestre " Récréation concertante ", Quattro inni sacri pour ténor, baryton et orgue, et la cantate Noche oscura (1999, Aura Classics) ; intégrale des œuvres pour flûte (1996, Koch Schwann) ; les 8 Concertos pour orchestre, dirigés par Zoltan Pesko (1997, Fonit Cetra Records) et surtout " Petrassi conducts Petrassi ", sorti en 1995, dans lequel le compositeur dirige lui-même son madrigal dramatique Coro di morti pour chœur d’hommes, cuivres, contrebasses, 3 pianos et percussion, ses Quattro inni sacri et son Psaume IX (label Stradivarius).

D.H.M.

Fedora Barbieri
Fedora Barbieri
( avec l'aimable autorisation de Sandy Steiglitz, operaphotos.org )
Considérée comme l’une des plus grandes mezzo-sopranos de la seconde moitié du XXe siècle, Fedora BARBIERI s’est éteinte le 4 mars 2003 à Florence, où elle s’était retirée après avoir fait ses adieux à la scène. Le 3 novembre 2000, elle avait fêté ses 80 ans et le soixantième anniversaire de ses débuts en chantant au Théâtre del Maggio de Florence le rôle de Mamma Lucia dans Cavalleria Rusticana de Mascagni. C’est dans cette même salle d’ailleurs qu’elle avait débuté sur scène, le 4 novembre 1940, dans le Matrimonio secreto de Cimarosa (Fidalma). La France l’avait découverte en 1970, lorsqu’elle se produisit à l’Opéra de Paris dans Falstaff (Mrs Quickly) de Verdi. Ses plus grands rôles sont incontestablement Azucena (Le Trouvère, Verdi), Eboli (Don Carlos, Verdi), Orphée (Gluck) et Amnéris (Aïda, Verdi), mais elle a aussi chanté avec beaucoup de succès le rôle titre de Carmen (Bizet), Angélina (Cenerentola, Rossini), Orféo (Monteverdi), Ulrica (Un bal masqué, Verdi) et Cendrillon (Rossini.

Née le 4 juin 1920 à Trieste, elle étudie le chant au Conservatoire de sa ville natale, puis se perfectionne à Milan et enfin à Florence auprès de la soprano Giulia Tess, qui autrefois avait chanté la partie de mezzo. Elle débute en 1940 dans cette même ville et deux années plus tard se produit à la Scala de Milan dans la Neuvième Symphonie de Beethoven, dirigée par Victor de Sabata puis épouse en 1943 le chef d’orchestre Luigi Barzoletti, directeur du Mai musical florentin, qui lui donnera deux fils. Commence alors à partir de 1945 une carrière triomphale à l’Opéra de Rome, au San Carlo de Naples, à la Scala de Milan, aux Opéras de Vienne, Buenos-Aires, San Francisco, Chicago… et au Metropolitan Opera de New York où elle ouvre la saison 1950-51 avec Eboli dans Don Carlos, au moment même où Rudold Bing débute aussi comme administrateur du Met, inaugurant ainsi une période qui s’avérera fort riche. A cette même époque elle se produit également dans Falstaff au Covent Garden de Londres, où on se souvient encore de son éblouissante interprétation en 1957 d’Eboli dans Don Carlos, sous la direction de Carlo Maria Giulini, dans une mise en scène Luchino Visconti. Sa voix puissante, chaude et homogène, ses dons de comédienne et son tempérament ardent ont fait d’elle une grande interprète des rôles verdiens : Azucena, Eboli et Amnéris l’ont conduite sur toutes les plus grandes scènes mondiales. Les chefs d’orchestre, qui ont eu l’occasion de la diriger, ont tous apprécié ses qualités et lui ont souvent témoigner leur admiration : d’Arturo Toscanini à Wilhelm Furtwängler, de Leonard Bernstein à Lorin Maazel et de Georges Prêtre à Myung-Whun Chung. Plusieurs compositeurs lui ont même dédié certaines de leurs oeuvres : Igor Stravinsky, Sergueï Prokofiev, Ennio Porrino, Gian Francesco Malipiero, Luciano Chailly. Le catalogue discographique de Fedora Barbieri est abondant et plusieurs de ses enregistrements sont historiques, ne serait-ce que ceux effectués en compagnie de Renata Tebaldi, Maria Callas ou encore Mario del Monaco, Giuseppe di Stefano ou Rolando Paneraï . On lui doit bien évidemment la gravure d’oeuvres de Verdi : Aïda avec Maria Callas, Richard Tucker et l’Orchestre de la Scala sous la direction Tullio Serafin (Voix de son Maître, 1981), Un bal masqué, avec Maria Callas, Giuseppe di Stefano et l’Orchestre de la Scala dirigé par Antonino Votto (Voix de son Maître), Falstaff, avec Tito Gobbi, Elisabeth Schwarzkopf, l’Orchestre Philharmonia et Karajan (Voix de son Maître, 1976), La Force du destin, avec Renata Tebaldi, Mario Del Monaco et l’Ochestra del Teatro Comunale di Firenze conduit par Dimitri Mitropoulos (enregistré à Florence en 1953, Cetra), Le Trouvère, avec Giuseppe di Stefano, Maria Callas et l’Orchestre de la Scala sous la baguette de Karajan (Voix de son Maître, 1966), Messa da Requiem, avec l’Orchestre symphonique de la NBC et Toscanini (RCA, 1972), mais également d’Amilcare Ponchielli : La Gioconda, avec Maria Callas et l’Orchestre symphonique de la RAI de Turin placé sous la conduite d’Antonino Votto (enregistrré en 1952, Fonit Cetra), Cherubini : Médée, avec Maria Callas, Gino Penno, l’Orchestre de la Scala et Leonard Bernstein (Fonit Cetra), Puccini : Soeur Angelique, avec Victoria de Los Angeles, le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Rome sous la direction de Tullio Serafin (Voix de son Maître, 1977), Gluck : Orphée et Eurydice, avec Magda Gabory, le Chœur et l’Orchestre de la Scala dirigés par Furtwängler (enregistré en 1951, Cetra), Haendel : Jules César, avec Boris Christoff et Franco Corelli sous la direction de Ginandrea Gavazzeni (enregistré à Rome en 1955, HRE) et Hercules, avec Elisabeth Schwarzkopf, Jérôme Hines et Franco Corelli, le Choeur et l’Orchestre de la Scala sous la direction de Lovro Von Matcic (enregistré à Milan en 1958), Rossini : Le Barbier de Séville, avec Nicolai Gedda, Ruggero Raimondi et le London Symphony Orchestra dirigé par James Levine (enregistré en 1975)… Certains de ses enregistrements ont été réédités sous forme de CD, notamment Aïda (EMI Classics), Falstaff (EMI Classics), Un bal masqué (Naxos), Le Trouvère (EMI Classics), le Requiem de Verdi (RCA RED SEAL), Médée (EMI Classics), La Gioconda (Fonit Cetra), Orphée et Eurydice (Urania), Hercules (Golden Melodream), Le Barbier de Séville (Black Dog)… Retirée de la scène depuis plusieurs années, elle poursuivait cependant ses activités d’enseignement malgré son âge avancé. On la vit encore récemment en 2002 aux cours d'été de perfectionnement musical de l'Academia Vocalis, à Tirolensis (Autriche), en compagnie de Gustav Kuhn, Dietrich Fischer-Dieskau et Axel Bauni. Fedora Barbieri nous laisse également quelques films, dont Cavalleria Rusticana (1982) de Franco Zeffirelli, avec Placido Domingo, l’Orchestre de la Scala et Georges Prêtre, et Rigoletto (1990) de Jean-Pierre Ponelle, avec Luciano Pavarotti, le Wiener Philharmoniker et Ricardo Chailly...

D.H.M.

Charles CYROULNIK (page spécifique)


Serge Zapolsky
Serge Zapolsky, Royaumont, 2000
( photo Guy Vivien, avec son aimable autorisation. guyvivien@wanadoo.fr
01 43 55 04 74  )

Le jeudi 24 Avril 2003, en l’église de Mériel (Val d’Oise), ont eu lieu, précédées d’un émouvant hommage musical, les obsèques de Serge ZAPOLSKY, chef de chant, chef de chœur, professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, décédé accidentellement le 14 avril à Dun-sur-Auron (Cher) alors qu’il s’adonnait à l’une de ses passions, l’ULM. A cette occasion, de nombreux proches du Conservatoire et du milieu lyrique ont dit adieu à une figure marquante du monde de l’Opéra et du chant en France.

Né le 27 juillet 1939 à Paris de parents russes émigrés, son origine slave déterminera les grands traits de son caractère et explique son attachement pour la langue et le grand répertoire russe, qu’il défendra sa vie durant. Après avoir étudié le piano (avec notamment Lucette Descaves) il obtient au Conservatoire de Paris un Premier Prix d’harmonie en 1961 dans la classe de Pierre Revel, puis un Premier Prix d’accompagnement au piano en 1967 dans la classe de Henriette Puig-Roget (ses études ayant été interrompues par le service militaire). Il s’initie également à la direction d’orchestre auprès d’Igor Markevitch. Mais c’est désormais au métier de chef de chant lyrique qu’il consacrera l’essentiel de son énergie, exception notable dans un milieu qui est alors traditionnellement féminin. Un temps accompagnateur de la classe de chant d’Irène Joachim au Conservatoire, il est engagé comme chef de chant à l'Opéra-Studio de Louis Erlo, puis au Palais-Garnier, où il est un des piliers de l’équipe musicale durant l’ère Liebermann (il y sera aussi assistant du chef des chœurs Jean Laforge). Il est peu de chanteurs français de cette époque qui n’aient pas préparé auprès de lui leurs rôles d’opéra russes. Mais à côté de ses partitions fétiches (Boris Godounov, Onéguine, La Dame de Pique... sans oublier Stravinsky et Prokofiev) il se passionnait aussi pour le répertoire français, en particulier Pelléas, La Damnation de Faust et les ouvrages de Poulenc. Au concert, il sera le partenaire au piano d’artistes tels que Hélène Bouvier, Nicolaï Gedda, Ruggiero Raimondi, et surtout Boris Christoff. Sa collaboration avec la grande basse bulgare a laissé des traces discographiques : on peut ainsi entendre son art de l’accompagnement dans 19 mélodies (Rimsky-Korsakov, César Cui) du coffret EMI Classics "Boris Christoff: Mélodies russes", enregistrées entre 1963 et 1967. En 1979, Serge Zapolsky est nommé professeur-assistant de la classe d’accompagnement au piano de Jean Koerner au Conservatoire de Paris, chargé du répertoire lyrique. Ce qui n’est au départ qu’une discipline annexe deviendra au bout de quelques années une classe à part entière, dotée d’un concours d’entrée indépendant, où toute une génération de jeunes pianistes français vient se former au métier de chef de chant. Cette classe de Direction de Chant, à laquelle son nom sera toujours associé, demeure aujourd’hui au CNSM un foyer important de rencontre et de travail pour les jeunes chanteurs du département vocal, dont Serge assumera d’ailleurs un temps la supervision. Parallèlement, désireux de nouvelles responsabilités artistiques, il avait quitté le Palais Garnier en 1985 pour prendre la direction du Chœur de l’Armée Française, fondé deux ans auparavant. Pendant les 4 années qu’il passera à la tête de cette formation, il va l’ouvrir au répertoire d’opéra, l’amener à un haut niveau musical et la fera inviter dans de grands événements lyriques français: festivals, productions à grand spectacle à Bercy, etc... Hors Paris, il a été également responsable artistique au Festival de Saint-Céré et a mené de nombreuses interventions pédagogiques dans les Conservatoires, ainsi que, à plusieurs reprises, aux sessions d’été de la Fondation Royaumont.

La fin des années 90 sera assombrie par la terrible maladie de sa seconde épouse, la soprano Marie-Christine Porta, décédée en juin 2000 après un long calvaire qui avait interrompu une carrière prometteuse. Mais ses ressources intérieures et sa jeunesse d’esprit l’aideront à surmonter l’épreuve et ces dernières années le verront redoubler d’activité, notamment comme chef de chœur au Grand Théâtre de Tours et auprès de l’Opéra National de Lyon. Personnalité forte et attachante qui ne laissait personne indifférent, fidèle et déterminé dans ses engagements, son exigence musicale, son enthousiasme et son dévouement pédagogique à l’égard des jeunes chanteurs et pianistes vont cruellement manquer dans le paysage musical français.

Christophe Larrieu

Jacques Mars
Jacques Mars avec son filleul, l'auteur de cette notice, janvier 1953 ( photo J.H.M. )
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De noble allure, doté d’une belle voix de basse-chantante profonde et expressive, Jacques MARS, le Méphisto du Faust de Gounod qu’il interpréta plus de 300 fois, est mort brutalement d’une crise cardiaque, dans la nuit du 28 au 29 avril 2003, à son domicile parisien de Rueil-Malmaison à l’âge de 77 ans. Longtemps première basse à l’Opéra de Paris dans les années soixante, où il était rentré en 1956, il y avait chanté, ainsi que sur les scènes du monde entier pratiquement tous les rôles de basse-chantante du répertoire. On se souvient notamment de son admirable Golaud de Pelléas et Mélisande, interprété en 1963 sous la direction d’Inghelbrecht et repris au Festival de Glyndebourne (1969), au Mai de Florence et à la Scala de Milan. Cet autodidacte du chant était parvenu, grâce à " l’observation des constantes qui régissent cette discipline ", à atteindre la perfection, alliant subtilement une voix au timbre très personnel à un jeu de scène brillant. C’était un chanteur et un acteur tout à la fois. Mario Facchinetti l’avait perçu dès les débuts de sa carrière, écrivant en commentaire d’un Concours de chant et de piano, organisé en juillet 1955 au Musée Guimet par l’Ecole Française de Musique (Marie Branèze-Janine Weill) : " Pour le chant, étaient inscrits 24 candidats. Je mets avant tous Jacques Mars, artiste de grande envergure par la voix, la musicalité, la diction et la présence. Le monologue de Boris Godounov de Moussorsky qu’il a chanté, mieux vécu, dans un russe bien prononcé serait déjà, avec orchestre, digne d’une grande scène. "

Né à Paris le 25 mars 1926, Jacques Hochard (Jacques Mars, de son nom d'artiste) passe toute son enfance dans un petit village de l'Yonne, à Saint-Aubin-Château-Neuf, et manifeste très tôt un goût certain pour la musique. Il commence par étudier l’harmonium et le violon, puis aborde le chant qu’il apprend principalement en autodidacte, tout en prenant des leçons particulières du ténor Gabriel Paulet, professeur au Conservatoire de Paris et auteur d’Exercices journaliers pour le chant (Jobert, 1926). Il reçoit également les conseils du chef de chœur Marcel Couraud, alors directeur de l’Ensemble vocal Marcel Couraud à la Radio, dont il fait partie dès 1949, puis est engagé en 1955 par la direction de la R.T.L.N. (Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux). Dès lors s’ouvre à lui une prestigieuse carrière à la Salle Favart, au Palais Garnier, puis à travers toute la France et sur les principales scènes mondiales. Dans ses débuts à l’Opéra-Comique on le voit à partir de janvier 1956 dans la Femme à barbe de Claude Delvincourt, Louise de Gustave Charpentier, Monsieur Beaucaire de Messager (le capitaine Badger), Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach (chante les quatre rôles), Les Pêcheurs de perles de Bizet (Nourabad), Le Roi malgré lui de Chabrier (Laski), Lakmé de Delibes (Nilakhanta), la Tosca de Puccini (Scarpia), Le Barbier de Séville de Rossini (Basile)…. A l’Opéra de Paris, il débute le 5 novembre 1956 dans le rôle du Duc dans Roméo et Juliette (Gounod), puis interprète tout le répertoire de basse noble : Lodovico dans Othello (Verdi), Tchelkalov dans Boris Goudonov (Moussorgski), l’Orateur dans la Flûte enchantée (Mozart), le Marquis de la Force dans le Dialogue des Carmélites (Poulenc), Raimondo dans Lucie de Lammermoor (Donizetti), Abimelech dans Samson et Dalila (Saint-Saëns), le Roi dans Aïda (Verdi), Timur dans Turandot (Puccini), Hunding dans La Walkyrie (Wagner), Balducci dans Benvenuto Cellini (Berlioz), Brander dans la Damnation de Faust (Berlioz), mais c’est en 1963 avec le rôle de Golaud de Pelléas et Mélisande (Debussy) et la création du Don Carlos de Verdi (Charles Quint), dans sa version originale en français, qu’il devient une gloire de l’Opéra. Il renouvelle son succès l’année suivante avec le Mephistophélès de la Damnation de Faust (Berlioz), puis en 1966 avec celui de Faust (Gounod) qui deviendra son rôle phare, et au cours de ces années soixante les deux autres rôles de basse (Philippe II et le Grand Inquisiteur) du Don Carlos de Verdi. Plus tard, au cours des années 1970-1980 ce sera Klingsor dans Parsifal (Wagner), l’Ephraïmite dans Moïse et Aaron de Schoenberg, Barbe-Bleue dans Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, la création d’Andrea del Sarto de Daniel-Lesur (Marseille, 24 janvier 1969), de l’opéra-ballet de science-fiction i 330 de Jacques Bondon (Nantes, 20 mai 1975), de Sire Allewynn de Vyatcheslav Semenov, du drame lyrique Montségur (Bertrand Martin) de Marcel Landowski (Toulouse, Halle aux Grains, 1er février 1985) et des invitations à se produire sur les plus grandes scènes internationales : Opéras de Rome, Saragosse, Milan, Florence, Venise, Londres, Seattle, Hartford, Portland, Monte-Carlo, ainsi qu’en Hollande, Belgique, Luxembourg, Grèce et en Asie (Japon, Corée : Séoul, 1988). Ses succès parisiens et mondiaux ne l’empêchent pas de se produire à travers toute la France et c’est ainsi que de nombreux amateurs d’opéras peuvent l’applaudir dans la plupart des villes de province, notamment : Marseille, Lyon, Dijon, Strasbourg, Nancy, Caen, Lille, Toulouse, Nantes, Rouen, Bordeaux, Toulon, Montpellier… Il y chante Salomé de Richard Strauss, Le rire de Nils Halerius de Marcel Landowsky, L’Heure espagnole de Maurice Ravel, Les contes d’Hoffmann d’Offenbach, Don Quichotte, Hérodiade, Manon de Massenet, Carmen de Bizet, Don Juan de Mozart… Possédant un vaste répertoire, il donne également de nombreux concerts de musique sacrée et profane. Au hasard de ces manifestations citons la Passion selon Saint Jean de Bach et Le Messie de Haendel, avec Horace Hornung et les Chœurs et orchestre de l’Oratoire (1956, 1959), l’oratorio Saint Germain d’Auxerre de Georges Migot, avec René Alix et les Chœurs de la R.T.F. (1956), la Messe de Jeanne d’Arc de Paul Paray, avec l’auteur et l’Orchestre Radio-symphonique de Paris (1959), le Magnificat BWV 243 de Bach, avec Joachim Havard de la Montagne et Les Chœurs et Ensemble instrumental de la Madeleine (1980)... Retiré de la scène à la fin des années quatre-vingt, bien qu’il se soit encore produit en mai 1991 à Berlin au Staatsoper dans Pelléas et Mélisande (Arkel) de Debussy, et pour la dernière fois sur scène en novembre 1993 à Marseille dans Lady Macbeth de Chostakovitch (rôles de Pope et du Vieux Bagnard), Jacques Mars s’est ensuite consacré à l’enseignement du chant en cours particuliers.

Si le répertoire de Jacques Mars est vaste, sa discographie l’est toute autant. Hélas, bon nombre de ces enregistrements 33 tours sont épuisés de nos jours, mais certains ont été réédités en CD. Parmi son impressionnant catalogue de disques citons : Le Roi d’Ys de Lalo, avec l’Orchestre national de la RTF dirigé par André Cluytens (Columbia FCX683 à 685), Hérodiade de Massenet, avec l’Orchestre du Théâtre national de l’Opéra de Paris, sous la direction de Georges Prêtre (Angel 36145), Le Dialogue des Carmélites de Poulenc, avec les Chœurs et l’Orchestre du Théâtre national de l’Opéra de Paris conduits par Pierre Dervaux ( VSM FALP 523 à 525), Les Pêcheurs de perles de Bizet, avec les Chœurs et Orchestre du Théâtre national de l’Opéra-Comique sous la direction de Pierre Dervaux (1961, VSM C 167-12.082/83, réédité en 1988 par EMI, CMS 7697042), De Profundis de Michel-Richard Delalande, avec l’Ensemble vocal Philippe Caillard et l’Orchestre Jean-François Paillard dirigés par Stéphane Caillat (1962, Erato LDE 3238), Magnificat et psaume Nisi Dominus d’Henry Dumont, avec l’Ensemble vocal Philippe Caillard et l’Orchestre Jean-François Paillard conduits par Louis Frémaux (1963, Erato ERA 9505), Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, avec la Chorale des Jeunesses musicales de France et l’Orchestre Jean-François Paillard sous la direction de Louis Martini (1963, Erato STU 70164, réédité en CD en 1996 par Vanguard Classics), Carmen (Zuniga) de Bizet avec Maria Callas, l’Orchestre du Théâtre national de l’Opéra de Paris et les Chœurs René Duclos (1964, EMI 7 24355628121, réédité en CD en 1997), Le Barbier de Séville (en français) de Rossini, avec les Chœurs et Orchestre de l’Opéra dirigés par Jésus Etcheverry (1975, VSM 167-12.884/86, réédité), Persée et Andromède ou le plus heureux des trois de Jacques Ibert, avec l’Orchestre philharmonique de l’O.R.T.F., sous la conduite d’Eugène Bigot (1982, Bourg Music, BG 3002)… Egalement réédités récemment en CD et disponibles sur le marché : Boris Goudonov (Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, André Cluytens), sorti en 2002 chez EMI Classics, La Norma (récitatif d'Oroveso), avec Maria Callas et Georges Sebastian (" Live in Paris 1958 ", EMI Classics, paru en novembre 2002), Werther, avec Rita Gorr, Mady Mesplé et Pierre Doukan (Addes records, paru en 1996).

Personnage distingué solidement charpenté, plein d’humour, d’un tempérament assez original, Jacques Mars laissera le souvenir d’un artiste complet dont le nom est irrémédiablement associé aux personnages de Golaud et de Méphistophélès qu’il a si souvent chantés. Ses obsèques ont été célébrées dans la plus stricte intimité le 6 mai 2003 au crématorium du Mont-Valérien. Conformément à ses souhaits, il repose désormais dans le petit cimetière du village de Saint-Aubin-Château-Neuf (Yonne), où il avait vécu une grande partie de sa jeunesse.

D.H.M.

Le baryton-basse italien Sesto BRUSCANTINI, qui a connu un grand succès dans son pays dans les opéras de Mozart et dans le bel canto, s’est éteint le 4 mai 2003 à Civitanova Marche, sur les bords de l’Adriatique, à la suite d’une longue maladie. Passé maître dans les rôles bouffes dès les années cinquante, il s’était retiré de la scène en 1986 pour se consacrer à l’enseignement du chant à Civitanova. Claudio Orazi, directeur général des Arènes de Vérone a déclaré que Bruscantini était " l’un des plus grands interprètes de la scène du XXe siècle, doté d’une grande maîtrise artistique et d’une humanité profonde. " C’est en 1949 qu’il avait débuté sur scène à la Scala de Milan, dans le rôle de Don Geronimo du Mariage secret de Cimarosa.

Sesto Bruscantini
Sesto Bruscantini dans Le Maître de chapelle de Cimarosa
( coll. Alfonso Antoniozzi, avec son aimable autorisation )

Né le 10 décembre 1919 à Porto Civitanova, il avait commencé des études de droit avant de se lancer dans la musique et d’étudier le chant à Rome auprès de Luigi Ricci. Lauréat d’un concours de chant à la radio italienne en 1947, il obtient son premier succès en 1949 à la Scala, puis est ovationné en 1951 au Festival de Glyndenbourne avec Don Alfonso de Cosi fan tutte (Mozart) et en 1952 au Festival de Salzbourg. Il se produira plusieurs années de suite à ces festivals dans Mozart, Rossini (La Cenerentola, Le Barbier de Séville) et Donizetti (Don Pasquale). Invité à chanter ensuite dans les Opéras de Bruxelles, Monaco, Zürich et Bruxelles, la consécration de sa carrière se fait jour en 1961 lorsqu’il se produit au Chicago Lyric Opéra. Admirable interprète des personnages mozartiens et rossinniens, Sesto Bruscantini était apprécié non seulement pour sa technique de basse parfaitement maîtrisée, mais également pour ses capacités d’acteur. Il savait jouer avec la même passion les personnages comiques du théâtre bouffe et les rôles dramatiques verdiens de Rigoletto et Rodrigo (Don Carlos). On lui doit ainsi plusieurs enregistrements remarquables effectués au cours des années 1960-1970 : les opéras Le Astuzie Femminili, Le Mariage secret et Le Maître de chapelle de Domenico Cimarosa, avec l’Orchestre de Radio-Rome, dirigé par Alberto Zedda (disques 33 tours Tudor), La Traviata de Verdi, avec les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra de Berlin dirigés par Lamberto Gardelli (Harmonia Mundi), Orlando Furioso de Vivaldi avec les Chœurs Amici della Polifonia et le Solesti Veneti, sous la direction de Claudio Scimone (Erato), Le Barbier de Séville (Chœurs et Orchestre du Festival de Glyndebourne dirigés par Vittorio Gui, Trianon),
Sesto Bruscantini avec le chef d'orchestre Vittorio Gui
Sesto Bruscantini avec le chef d'orchestre Vittorio Gui, dans La Locandiera de Pietro Auletta, Opéra de Naples, 1955
( coll. Alfonso Antoniozzi, avec son aimable autorisation )
L’Italienne à Alger (Chœurs et Orchestre Staatskapelle de Dresde, dirigés par Gary Bertini, Acanta) de Rossini, deux opéras de Mozart : Cosi fan tutte (Chœurs et Orchestre Philharmonia et Herbert von Karajan, VSM) et Les Noces de Figaro (Chœurs et Orchestre du Festival de Glyndebourne, sous la direction de Vittorio Gui, Music For Pleasure), l’opéra La Serva Padrona de Pergolèse, avec Renato Fasano à la tête de l’ensemble I Virtuosi di Roma (Ricordi) et l’opéra Griselda d’Alessandro Scarlatti, avec les Chœurs et orchestre Allesandro Scarlatti de la RAI de Naples dirigés par Nino Sanzogno (Memories). La discographie de Sesto Bruscantini est impressionnante et bon nombre de ses enregistrements anciens ont fait l’objet de rééditions en CD. Parmi la trentaine de disques actuellement disponible sur le marché mondial, permettant ainsi de conserver à tout jamais cette voix unique au timbre si chaleureux, citons les opéras I Puritani de Bellini (Opera d’Oro, 1997), L’Elisir d’Amore (Gala, 2001), Don Pasquale (Preiser Records, 2000), Emilia di Liverpool (Opera rara, 1998) et La Figlia del Reggimento (Fonit Cetra Records, 1996) de Donizetti, Cosi fan tutte (Emi, 1999), Le nozze di Figaro (Angel, 2000) et Don Giovanni (Opera d’Oro, 1997) de Mozart, La Bohème (Opera d’Oro, 1997) de Puccini, Il Turco in Italia (Pantheon, 1995), Il Barbieri di Siviglia (Opera d’Oro, 1997), La Cenerentola (Opera d’Oro, 1997) et L’Italiana in Algeri (Opera d’Oro, 1998) de Rossini, Simon Boccanegra (Ponto records, 2002), Falstaff (Serenissima, 1995), Il Finto Stanislao (Fonit Cetra Records, 1997), La Forza del destino (Myto Records, 1998) et La Traviata (Opera d’Oro, 2001) de Verdi, Orlando Furioso de Vivaldi (Erato, 1994). Si Sesto Bruscantini s’est peu produit en France, il goûtait néanmoins la musique française ; il a notamment chanté dans Werther de Massenet avec l’Orchestre et les Chœurs de la Scala (CD Bongiovanni, paru en 1994). Il fut un temps marié à la soprano yougoslave Sena Jurinac avec laquelle il avait chanté Don Pasquale au Festival de Salzbourg en 1953 et qu’il épousa la même année. Remarquable interprète mozartienne devenue plus tard spécialiste du répertoire italien, elle a également mené une brillante carrière de concertiste. Son récital Schumann (Frauenliebe und Leben op. 42, Liederkreis op. 39) enregistré en 1954 et réédité en 2002 (Westminster) est considéré comme un événement musical.

Le 14 mai le Théâtre des Champs-Elysées (Paris) a rendu un ultime hommage à Sesto Bruscantini en lui dédiant la première de sa nouvelle production de l’opéra Cendrillon (La Cenerentola) de Rossini (mise en scène Irina Brook, direction Evelino Pido) qui avait maintes fois interprété le rôle de Dandini, tenu ce jour là par Pietro Spagnoli.. L’un de ses élèves, la basse Alfonso Antoniozzi, devenu à son tour grand spécialiste du répertoire bouffe, a notamment effectué en 1999 au Festival de Radio-France et Montpellier le premier enregistrement mondial de l’opéra Gli Esiliati in Siberia (Les Exilés de Sibérie) de Donizetti, avec l’Orchestre national de Montpellier sous la direction d’Enrique Diemecke (CD Actes Sud).

D.H.M.

Le chef de chœur anglais Arthur OLDHAM est mort le 4 mai 2003 à Villejuif (Val-de-Marne) à l’âge de 76 ans, des suites d’un cancer foudroyant. Il avait été appelé en 1975 par le Ministre de la Culture Michel Guy et le chef d’orchestre Daniel Barenboim pour fonder le Chœur de l’Orchestre de Paris qu’il dirigea jusqu’en octobre 2002. Né à Londres le 6 septembre 1926, après avoir fréquenté le Royal College of Music de Londres et pris des cours particuliers auprès de Benjamin Britten, il débute sa carrière en 1956 comme maître de chapelle de la cathédrale d’Edimbourg et dix années plus tard (1965) fonde le célèbre Chœur du Festival d’Edimbourg, qu’il dirigera jusqu’en 1975, avant d’en reprendre la direction de 1986 à 1994. L’année suivante il est nommé chef de chœur du Scottish Opera de Glasgow et en 1969 directeur du London Symphony Orchestra Chorus. Il abandonne ce poste en 1976 pour venir créer en France le Chœur de l’Orchestre de Paris. Composé de 200 amateurs, ce grand chœur mixte va rapidement atteindre un haut niveau artistique et donne une quinzaine de concerts annuels souvent sous la baguette des plus prestigieux chefs d’orchestres : Sir Colin Davis, Pierre Boulez, Seiji Ozawa, Sir Georg Solti, James Colon, Ragel Kubelik, Claudio Abbado… Leur premier concert en septembre 1976 à Saint-Eustache plaçait la barre très haute dés le départ avec l’interprétation du Te Deum de Berlioz sous la conduite de Daniel Barenboim. On lui doit également la création de plusieurs œuvres de compositeurs contemporains, notamment la Messe de l’aurore de Marcel Landowski (1980). En 1979, tout en continuant d’assurer la direction de cette formation, Arthur Oldham part créer aux Pays-Bas, à la demande du chef Bernard Haitink, le Chœur de l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam.

Arthur Oldham
Arthur Oldham
( photo Raymond Vennier, coll. Orchestre de Paris, avec son aimable autorisation )

Egalement compositeur, Arthur Oldham a écrit, entre autres œuvres des ballets : Mr. Punch (1946), The Sailor’s return (1947), Circus Canteen (1951), un poème symphonique The Apotheosis of Lucius (1952), une comédie musicale pour enfants The Land of Green Ginger (1964), de la musique de chambre et des pièces chorales profanes ou sacrées, parmi lesquelles les Psalms in the Time of War (Festival d’Edimbourg, 1977) et plus récemment Le Testament de Villon pour 3 solistes, chœur de chambre, grand chœur et orchestre, spécialement écrit pour les 20 ans du Chœur de l’Orchestre de Paris et créé en avril 1997 à la Salle Pleyel, et Cinq Noëls sur des thèmes populaires pour soprano ou chœur d’enfants, et flûte ou flûte à bec (Salabert, 1998). Avec le London Symphony Orchestra il a participé à plusieurs enregistrements, notamment la musique religieuse de Mozart (Messe du credo, Messe du couronnement, Vêpres d’un confesseur, Kyrie, Ave verum, Requiem…) avec David Colin (4 disques 33 tours, Philips 6707016), le Stabat Mater de Rossini avec Istvan Kertesz (1 disque 33 tours, London OS26250) et Le Chant de la Plainte (Das klagende Lied) de Gustav Mahler avec Pierre Boulez (2 disques 33 tours, CBS S77233). On lui doit également une quinzaine d’autres enregistrements avec le Chœur de l’Orchestre de Paris, dont le plus récent (en 2000) est le Te Deum op. 22 de Berlioz, avec Roberto Alagna (ténor) et Marie-Claire Alain (orgue), sous la direction de John Nelson (CD Emi Music France, 462067), qu’il avait d’ailleurs déjà enregistré en 1977 avec Jean Dupouy, Jean Guillou et Daniel Barenboim (1 disque 33 tours, CBS 76578). Citons également un disque très remarqué lors de sa sortie en 1993 : le Requiem op. 48 de Fauré, avec Sheila Amstrong, Dietrich Fischer-Diskau, l’Orchestre de Paris et l’Edinburgh Festival Chorus sous sa direction (CD Emi). Au cours de ses obsèques, célébrées le 12 mai à l’église Saint-Ferdinand-des-Ternes (Paris XVII°), Serge Baudo a dirigé ce même Requiem, à la tête de l’Orchestre de Paris et de ses chœurs, avec Annick Massis et José Van Dam. Officier de l’Ordre de l’Empire britannique (1991), commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres (2002), Arthur Oldham, digne successeur des Orphéons du XIXe siècle, était bien connu des amateurs de l’art choral.

D.H.M.

La mélodie française vient de perdre l’un de ses éminents représentants avec la disparition du baryton Jacques HERBILLON survenue à Reims le 20 mai 2003. Digne successeur des Charles Panzéra et Camille Mauranne, qui portèrent haut en leur temps cet art vocal tout en finesse, simple et dépouillé, il s’était spécialisé dans les mélodies de Fauré et de Ravel, bien que son répertoire couvrit la musique française du XVIIe siècle à nos jours. Sa voix de baryton, claire et élevée, dépourvue de tout artifice, et sa diction parfaite lui ont permis d’effectuer une brillante carrière de récitaliste et de chanteur d’oratorio. Il se " contentait ", si l’on puit dire !, de jouer de sa " voix poétique, habitée s’il en fut " pour chanter ce qu’il aimait, sans jamais avoir cherché à briller dans l’opéra ou le concert. C’est pour cette raison qu’il avait préféré débuter aux Jeunesses Musicales de France, fréquentées par de véritables amoureux de la musique, loin des paillettes des grands théâtres nationaux.

Né dans la capitale champenoise le 20 mai 1936, il débute ses études musicales au Conservatoire de Reims, avant de suivre les cours de Gabrielle Gills à l’Ecole Normale de Musique de Paris, puis de Pierre Mollet au Conservatoire de Genève. Lauréat du Prix Gabriel Fauré, deuxième prix à l’unanimité au Concours international de Genève en 1961, il est engagé la même année par René Nicoly, fondateur de la Chorale des Jeunesses Musicales de France, alors dirigée par Louis Martinet avec laquelle il va parcourir la France. A cette même époque, accompagné au clavecin par son ami Jean-Louis Petit, autre musicien rémois qu’il avait connu au Conservatoire, il enregistre en 1965 un récital d’Airs à boire de compositeurs français du XVIIe siècle (disque 33 tours Decca, SXL 20.125) : Marc-Antoine Charpentier (Auprès du feu), Louis-Claude Daquin (Amis dans ce festin), André Cardinal Destouches (Bacchus laisse-moy souspirer), Henry Dumont (Amis, jusqu’à la fin il faut aymer la table), Elisabeth Jacquet de La Guerre (Tant que je verrons ce pot), Michel de La Barre (Deux amants, deux Chimène), Louis Marchand (Un calme heureux), Michel Pignolet de Montéclair (Au doux bruit d’une fontaine), Jean-Joseph Mouret (Ne quittons point ces aimables lieux). Toujours avec Jean-Louis Petit, cette fois à la tête de son ensemble instrumental, il enregistre l’année suivante 3 cantates d’André Campra (disque 33 tours, Decca, SXL 20.147) : La dispute de l’Amour et de l’Hymen, Les Femmes, Silène, ainsi que l’opéra-bouffe Les Troqueurs d’Antoine Dauvergne (disque 33 tours, Decca, SXL 20.154), et en compagnie de l’Ensemble vocal du Conservatoire de Strasbourg et du Collegium Musicum de Strasbourg, dirigés par Roger Delange, le Psaume 75 (In convertendo Dominus) et l’oratorio de Noël (Nativitas Domine Nostri Jesu Christi) de Campra (disque 33 tours, Charlin, AMS 82). En 1972, Jacques Herbillon signe avec la maison de disques Calliope, toute nouvellement fondée par Jacques Le Calvé, avec laquelle il enregistre, accompagné du pianiste Théodore Paraskivesko, des Mélodies de Fauré (l’intégrale), de Ravel (Chansons madécasses, Don Quichotte à Dulcinée, Epigrammes, Histoires naturelles, Mélodies hébraïques, Rêves, Ronsard à son âme, Sur l’herbe) et de Gounod (Sérénade, Ô ma belle rebelle, Au rossignol, Le Premier jour de mai, Le Soir, Aubade, Biondina …) ainsi que la cantate L’Oiseau a vu tout cela pour baryton et orchestres à cordes d’Henri Sauguet, avec l’Orchestre de chambre Paul Kuentz, le Livre d’heures pour baryron et orchestre, sur un poème de Rilke, de Jacques Murgier, avec le même orchestre, et des Mélodies de Duparc (Chanson triste, Elégie, Extase, Invitation au voyage, Lamento, Phidylé…) Digne Ambassadeur de la mélodie française, il se produira dans la plupart des capitales européennes, ainsi qu’au Canada. On lui est redevable également de la création de plusieurs œuvres contemporaines, entre autres Le Chant du dépossédé de Serge Nigg (Strasbourg, 1964), Le Bonheur dans le crime d’André Casanova (Toulouse, 1975), Mariana Pineda de Louis Saguer (Marseille, 1979), Le Pont de l’espérance de Marcel Landowsky (Vaison-la-Romaine, 1980) et La Fontaine parmi nous d’Isabelle Aboulker (opéra pour enfants, J.M.F., 1981). Jacques Herbillon a également longtemps professé le chant au Conservatoire de Lille, à compter de 1970. Alain Surrans, musicologue et directeur artistique des Editions Salabert, les ténors Michel Fockenoy et Bernard Delettré, le baryton Francis Dudziak, tous excellents musiciens, sont sortis de sa classe.

D.H.M.

Luciano BERIO, l’un des plus importants compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle, est mort à Rome à la clinique Gemelli le 27 mai, à l’âge de 77 ans. En matière de création il fit preuve toute sa vie d’un éclectisme total, utilisant ainsi toutes les possibilités des multiples sources sonores qui jonchent l’histoire musicale. Il a aimé, il a assimilé puis a réalisé une synthèse parfaite du baroque, du romantisme et de pratiquement tous les genres et courants de son siècle, notamment la musique sérielle, électroacoustique, le jazz, le rock, le folk, parvenant ainsi à servir au public, qu’il aimait avant tout, une musique moderne certes, mais toujours humaine, capable encore de susciter des émotions. L’une de ses grandes préoccupations était de toujours faire en sorte que l’art resta accessible et surtout compréhensible à l’homme. Cela ne l’empêchait pas d’utiliser des matériaux sonores nouveaux, parfois inattendus, souvent inédits, mais en se gardant bien de toute agressivité ou de dissonance. Il a ainsi littéralement libéré la voix, qui devient avec lui un outil expressif, spontané et descriptif des ressentiments du corps : cris, pleurs, onomatopées et autres bruits gutturaux ornent parfois ses partitions vocales. L’auditeur ne reste jamais insensible à la musique de Luciano Berio : il aime ou il est exaspéré, mais au moins il réagit!

Luciano Berio
Luciano Berio
( coll. Ernst von Siemens Musikstiftung, Munich )

Né le 24 octobre 1925 à Oneglia, petit port de la Riviera, Luciana Berio reçoit ses premières leçons de musique de son père Ernesto, organiste, avant de rejoindre le Conservatoire Verdi de Milan où il se perfectionne auprès de Giulio Paribeni et Giorgio Ghedini pour la composition, et de Antonino Votto et Carlo-Maria Giulini pour la direction d’orchestre. Il assiste en 1951, au Berkshire Music Center de Tanglewood (Etats-Unis), à un séminaire de Luigi Dallapicolla qui, rappelons-le, avait adopté la méthode dodécaphonique de Schoenberg. C’est de cette rencontre que vient l’intérêt de Berio pour la musique sérielle à ses débuts. Peu avant (1950), il avait épousé la mezzo-soprano américaine Cathy Berberian (1925-1983), extraordinaire chanteuse dont la tessiture vocale couvrant trois octaves lui permettait d’interpréter un vaste répertoire classique et contemporain, mais également de produire des sons aussi divers qu’inattendus. Elle fut d’ailleurs l’interprète favorite des compositeurs d’avant-garde et longtemps celle de Luciano Berio, même après leur séparation arrivée en 1965. Il a écrit pour elle Circles, Epifanie, Visage, Sequenza 3 et surtout Folk Songs dans lesquelles sont mêlées habilement les langues, les styles et les folklores. En 1955 à l’époque des recherches électroacoustiques, il fonde avec son ami Bruno Maderna le Studio de phonologie de la R.A.I. à Milan, au moment où en France Pierre Schaeffer et Pierre Henry effectuent leur expériences au sein du Groupe de recherches de musique concrète de la R.T.F. Luigi Nono, André Boucourechliev se joindront à eux. Après avoir enseigné la composition notamment à Darmstadt, où il fait partie du groupe de musiciens avant-gardistes avec Stockhausen et Boulez, et entre 1965 et 1972 à la Juilliard School of Music de New-York, il est appelé à Paris quelque temps plus tard (1974) par Pierre Boulez pour collaborer à l’Institut de recherche et de coordination acoustique musicale (IRCAM) au sein duquel se côtoient scientifiques et compositeurs, puis au début des années 1980 fonde, à Florence, le studio de recherches " Tempo reale ". En tant que chef d’orchestre, il est directeur musical de l’Orchestre de chambre d’Israël (1975) puis de l’Accademia Filarmonica Romana… Si l’on doit à Luciano Berio un nombre très conséquent d’œuvres qu’elles soient électroacoustiques ou instrumentales, c’est principalement dans les pièces vocales qu’il a brillé, ou du moins qu’il a essayé car c’était un lyrique avant tout. Coro pour voix et instruments (1976) est certainement l’une des pages les plus représentatives de ce compositeur, sorte d’échantillon musical dans lequel il laisse libre court à son imagination et à son énergie créatrice. Sa Sinfonia (1968) figure également parmi ses ouvrages les plus connus : on trouve ici, parmi de nombreux autres matériaux sonores, des réminiscences de Mahler, Ravel et Strauss, tout comme il emploiera dans d’autres compositions des citations plus ou moins longues de Monteverdi et de Schubert arrangées suivant une technique nouvelle. Parmi son œuvre immense citons encore les opéras La Veria storia (1982), Un re in ascolto (1984) et Outis (1999, créé au Châtelet). Luciano Berio tout en s’intéressant à toutes les formes de la musique du XXe siècle a toujours fait preuve de beaucoup d’originalité. Son œuvre est l’exemple même de ce que peut être la musique contemporaine lorsqu’elle reste humaine, écrite avec générosité et poésie. On peut s’en faire une idée en écoutant attentivement quelques-uns de ses principaux enregistrements, notamment Formazioni, Folk Songs et Sinfonia par Riccardo Chailly à la tête du Royal Concertgebouw Orchestra (Decca), Sequenza I à XIII pour instruments ou voix seule, par les solistes de l’Ensemble InterContemporain (Deutsche Grammophon), Les Quatuors à cordes par le Quatuor Arditti (Montaigne), Corale, Chemins II & IV, Ritorno degli, Snovidenia, Points on the Curve to Find par Pierre Boulez et l’Ensemble InterContemporain (Columbia), Un Re in ascolto par Lorin Maazel et le Salzburg Vienna Philharmoniker (Col Legno), Coro pour 40 voix et 40 instruments par l’auteur dirigeant le Cologne Radio Symphony Orchestra (Deutsche Grammophon) et surtout Folks Songs et Recital for Cathy interprétés par Cathy Berberian (RCA Victor Gold seal)…Concernant son catalogue, principalement édité chez Universal Edition, on peut se reporter utilement au site Internet de l’IRCAM. Les obsèques de Luciano Bério ont été célébrées le 30 mai à Radicondoli, non loin de Sienne en Toscane.

D.H.M.

Dernier élève, disciple et ami de Ravel, le compositeur et doyen des chefs d’orchestre français Manuel ROSENTHAL s’est éteint le 5 juin 2003, à la veille de ses 99 ans, dans son domicile parisien du 13ème arrondissement. Grand interprète de la musique française qu’il a dirigée à travers le monde (Debussy, Ravel, Milhaud, Koechlin, Messian) il est cependant surtout connu du grand public pour son ballet Gaîté parisienne (1938), écrit sur des thèmes d’Offenbach, qui a obtenu un succès mondial. Véritable mémoire de la vie artistique du siècle dernier - ses premiers souvenirs remontent à la grande crue de la Seine en 1910 -, entré à l’Orchestre National dès sa fondation en 1934, professeur de direction d’orchestre au Conservatoire de Paris de 1962 à 1974, il laisse notamment un remarquable livre de mémoires écrit à l’occasion de ses 90 ans : Musique adorable (1994, Editions Hexacorde).

Manuel Rosenthal
Manuel Rosenthal
( photo X..., Le Courrier du disque, 17 avril 1959 )

Né à Paris le 18 juin 1904 et élevé dans le quartier du Marais, Emmanuel (Manuel) Rosenthal, doit très vite aider sa mère, une émigrée russe, à subvenir aux besoins de la famille et dès l’âge de14 ans joue du violon dans des cinémas de quartiers. A la même époque (1918) il entre au Conservatoire National Supérieur de Musique dans la classe de Jules Boucherit (violon), tout en apprenant sur le tas la direction d’orchestre convaincu que le métier de chef s’acquiert beaucoup plus par la pratique que par la théorie : pendant 4 ans, alors violoniste au Moulin-Rouge, il étudie et observe attentivement le chef de music-hall Fred Mêlé. En novembre 1923 salle Erard, lors du centième concert de la Société Musicale Indépendante, dont Ravel était vice-président, est donnée sa Sonatine pour deux violons et piano (Jobert). Ce n’est cependant que quelques années plus tard (1926) que Manuel Rosenthal devient l’élève de Maurice Ravel, après s’être perfectionné auprès de Jean Huré (contrepoint et fugue). En 1928, sa carrière de chef d’orchestre commence chez Pasdeloup, puis en 1934 il devient l’assistant d’Inghelbrecht à l’Orchestre National de la Radiodiffusion française. La guerre interrompt quelque temps ses activités musicales (mobilisation dans l’infanterie, puis entre en 1941 dans la Résistance) et à la Libération est nommé premier chef de l’Orchestre National. C’est à cette époque qu’il effectue une première tournée aux Etats-Unis (1946), est engagé comme chef permanent de l’Orchestre symphonique de Seattle (1949) et épouse (1952) la soprano Claudine Verneuil qui s’était notamment produite avec lui le 14 février 1946 aux Théâtre des Champs-Elysées dans Judith d’Honegger. En 1962 Manuel Rosenthal prend la classe de direction d’orchestre au CNSM avant de devenir chef permanent de l’Orchestre symphonique de Liège (1964). En 1981, le 20 février, il fait ses débuts au Metropolitan Opera de New-York dans un remarquable programme de musique française : Ravel (L’Enfant et les sortilèges), Poulenc (Les Mamelles de Tirésias) et Satie (Parade). Ardent défenseur de la musique contemporaine, il a créé ou dirigé pour la première fois en France bon nombre d’œuvres de Milhaud, Mihalovici, Rivier, Jolivet, Messiaen, Daniel-Lesur, Françaix, Bartok, Hindemith, Stravinski, Richard Strauss, Prokofiev et Britten. Son enregistrement (Véga) en 1958 de l’œuvre symphonique intégrale de Ravel, avec l’Orchestre de l’Opéra et les Chœurs de la R.T.F. lui vaudra le Grand Prix du disque et les louanges de la presse qui reconnut à l’époque qu’il avait " le mieux du monde percé à jour les intentions de Maurice Ravel ". Rosenthal considérait d’ailleurs son maître et ami comme " le musicien de la tendresse ", ainsi qu’il l’a écrit dans son livre de souvenirs qu’il lui a consacré (propos recueillis par Marcel Marnat, Editions Hazan, 1995). On doit à Manuel Rosenthal une discographie abondante ayant réalisé de nombreux enregistrements avec l’Orchestre du Théâtre National de l’Opéra de Paris de Debussy, Ravel, Manuel de Falla, Lalo… et surtout la première intégrale en français de La Tosca de Puccini (1961,Véga) avec Rhodes, Lance, Bacquier, Serkoya, et Doniat. La musique de Manuel Rosenthal, toujours savamment orchestrée, est peu connue du grand public. Curieusement c’est son ballet Gaîté parisienne, composé d’arrangements de plusieurs opérettes d’Offenbach qui a fait connaître son nom dans le monde entier, ainsi d’ailleurs que sa comédie musicale pittoresque La Poule noire, créée au Théâtre des Champs-Elysées en 1937 ! Et pourtant il est l’auteur d’un catalogue abondant de pièces pour orchestre, musique concertante, musique de chambre, mélodies, chœurs, oratorios, arrangements de partitions de Chabrier, Ravel, Franck, Fauré, Debussy, et de nombreuses œuvres pour le cinéma et la télévision. Parmi ses dernières citons la musique des films Raphaël le tatoué de Christian-Jaque avec Fernandel (1932), et Marius de Marcel Pagnol et Alexandre Korda (1933). Manuel Rosenthal tenait beaucoup à sa musique religieuse, tant juive que chrétienne, s’étant converti au catholicisme en 1952, notamment à son oratorio Saint François d’Assise créé en 1963. On lui doit sur ce sujet un livre plein d’espoir intitulé : Crescendo vers Dieu, avec des propos recueillis par son élève et assistant le chef d’orchestre Jean-Luc Tingaud (1999, Desclée de Brouwer). Commandeur de la Légion d’honneur, officier de l’ordre national du Mérite, récompensé par de nombreux prix tout au cours de sa longue carrière, Manuel Rosenthal a su toujours rester humble et profondément humain. Il avait déclaré un jour à son ami Roland-Manuel : " …je souhaiterais qu’on ne dît jamais qu’il faut aller entendre tel chef d’orchestre, mais tel ouvrage. Dans la musique, on ne doit jamais entendre que la musique. " [Roland-Manuel, Plaisir de la musique, tome 1, éditions du Seuil, 1947].

D.H.M.

 


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