Bref survol sur quelques compositeurs organistes parisiens au début du XXe siècle

 

 

 

Voici de courts portraits de compositeurs aujourd'hui un peu oubliés mais qui nous ont laissé des pièces pour orgue ou harmonium qui peuvent encore rendre service aux organistes par leur brièveté et leur caractère liturgique.

 

 

Titulaire du grand orgue de Saint-Germain-l'Auxerrois à Paris, membre, durant plusieurs années du jury des concours du conservatoire, Marcel Rouher (1857-1940) avait obtenu le premier prix d'harmonie du conservatoire de Paris où il était l'élève de Théodore Dubois (lequel inséra d'ailleurs dans ses 87 Leçons d'harmonie une réalisation de Rouher). Il composa de nombreuses pièces dans des genres divers et pour différentes formations (musique vocale religieuse, pièces pour orchestre, mélodies, pièces pour violon et piano ainsi que des arrangements et ses célèbres 450 Noëls). Pour l'orgue ou l'harmonium, on peut retenir de lui notamment Trois Offertoires sur des Noëls, 10 Pièces pour orgue ou harmonium, Quatre Sorties, Marche triomphale, Rentrée de procession et Carillon, Postlude sur deux Noëls, Offertoire avec pédale, Sept Variantes sur un air breton, Service de Messe, Service de vêpres et une Toccata publiée par l'abbé Joubert dans le deuxième volume de sa collection Les maîtres contemporains de l'orgue.

 

Alfred Marichelle (1866-1919), ancien élève de l'Ecole Niedermeyer, puis du Conservatoire de Paris dans les classes de Léo Delibes, Théodore Dubois et Widor, était, quant à lui, organiste et maître de chapelle de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle et professeur d'écriture dans l'établissement où il avait été élève en premier lieu. On lui doit de nombreuses pièces pour piano, violon accompagné et orchestre mais aussi un Offertoire pour orgue et une Elévation doublée d'une Communion, ainsi qu’une Marche funèbre.

 

Achille Philip
(coll. Lassour) DR.

 

Nanti d'une excellente réputation de compositeur (certains critiques quelque peu téméraires n'hésitaient pas le comparer avec Debussy !), Achille Philip (1878-1959), élève de Guilmant, Lenepveu et d’Indy, était professeur d'harmonie à la Schola Cantorum, organiste de chœur à La Madeleine et surtout longtemps titulaire du Val de Grâce. En plus de belles harmonisations de Noëls populaires et de mélodies pour voix et piano, il écrivit pour l'orgue une Pièce en si mineur, un Lied, un Prélude et fugue, une Toccata et fugue et un Offertoire de la Toussaint.

 

Ancien maître de chapelle à Saint-Germain-l'Auxerrois, professeur d'harmonie à l'Ecole Niedermeyer, Georges Renard (1881-1950) composa surtout de la musique vocale mais aussi quelques petites pièces pour harmonium parues notamment dans la revue La Petite Maîtrise.

(davantage d’informations sur ce musicien ici : www.musimem.com/Renard-Georges.htm)

 

Albert Renaud (1851-1924), ancien élève de Léo Delibes, César Franck, Charles Gounod et Jules Massenet, fut organiste de chœur à Saint-Sulpice (où son père était maître de chapelle) puis titulaire du grand orgue de Saint-François-Xavier et plus tard de celui de Saint-Germain à Saint-Germain-en-Laye. Il composa beaucoup et le répertoire pour orgue lui doit de nombreuses œuvres dont Deux Toccatas, deux séries de Quatre Pièces, Marche solennelle, Fantaisie pastorale, Communion en fa, Paraphrase, Scherzo symphonique et des recueils de pièces pour harmonium.

 

Suppléant de Louis Vierne à Notre-Dame de Paris, André Renoux (1889-1967), ancien élève du Conservatoire de Paris où il remporta le deuxième prix d'orgue, s'est tourné vers la composition de mélodies. Deux pièces pour orgue ou harmonium ont été publiées en 1912 dans la collection Les Maîtres contemporains de l'orgue de l'abbé Joubert : Sortie fuguée, Improvisation.

 

Rare photographie d'Alphonse Schmitt, mort à l'âge de 36 ans (les bras croisé)
(coll. DHM) DR.

 

Alphonse Schmitt (1875-1912), 1er prix d’orgue du Conservatoire de Paris, au cours de sa brève carrière interrompue par une mort brutale, fut suppléant de Widor à Saint-Sulpice et maître de chapelle à Saint-Philippe du Roule. Il composa peu mais ses œuvres témoignent à la fois de sa maîtrise de l'écriture et de son talent d'improvisateur (Prélude lent et Toccatina pour harmonium, Pièce en forme de canon en si mineur pour orgue…)

 

Après ses études à la Schola Cantorum où il fut l'un des derniers élèves d'Alexandre Guilmant, Jean Vadon (1887-1973) fut organiste de Saint-Marcel puis de Saint-Ferdinand des Ternes et surtout de Saint-Jean-de-Montmartre durant plus d’un demi-siècle. Il composa surtout de la musique religieuse et pour l'orgue ou l'harmonium : Trois pièces graves, Trois Offertoires, Suite en mi bémol majeur, Six Pièces pour la messe, Sept préludes, Toccata sur l'O Filii et l'Haec dies etc.

 

Armand Vivet, vers 1898
(Annuaire des artistes, 1899) DR.

 

Maître de chapelle durant près de 60 ans à Saint-Augustin, et un temps organiste de chœur, Armand Vivet (1869-1937), ancien élève de la Maîtrise de la cathédrale de Rouen et d’Eugène Gigout, écrivit de nombreuses œuvres vocales pour chœur accompagné. Pour l'orgue et l'harmonium, on peut retenir de lui Marche religieuse, Toccata, Marche triomphale, Marche élégiaque, Absoute et Centre trente pièces brèves (2 volumes).

 

Organiste de Saint-Louis-en-L'Île, Arthur Dodement (1872-1912), lauréat du conservatoire de Paris, laisse des pages orchestrales, une Messe avec orchestre, des oratorios et motets, et quelques pièces pour harmonium (Trois fuguettes à trois voix) ainsi que des transcriptions pour orgue d'œuvres vocales de César Franck.

 

Eugène Lacroix
(photo Ch. Jacotin) DR.

 

Terminons notre parcours avec Eugène Lacroix (1858-1950), un ancien élève de Gigout, qui était titulaire de l'orgue de Saint-Merry, avant de prendre celui de Notre-Dame-de-Lourdes. Pour l'harmonium, il écrivit quelques pièces (dont Fugue, Recueillement, Fantaisie médiévale) et pour l'orgue un recueil de 20 morceaux.

[NDLR. : En 1941, après 60 années de travail dans plusieurs églises parisiennes, dont 20 ans à Notre-Dame-de-Lourdes (Paris), Eugène Lacroix fut renvoyé à l'âge de 82 ans par le curé de cette paroisse, sans aucun préavis et sans possibilité d’obtenir la moindre retraite, au simple motif qu'il était trop âgé. Il terminera sa vie dans la misère !...]

 

Olivier Geoffroy

(septembre 2018)



À travers la Presse

 

 

 

Alfred Marichelle (1866-1919) [organiste à Paris de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle]

 

« Nous apprenons que M. Périlhou vient de s'adjoindre M. Alfred Marichelle comme co-directeur des études musicales de l'Ecole Niedermeyer. Ancien élève de l'Ecole, premier prix de fugue du Conservatoire et actuellement organiste de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. M. Marichelle professe depuis de nombreuses années le contre-point et la composition à l'Ecole Niedermeyer. Nul choix ne pouvait être plus heureux pour la prospérité artistique de cet établissement que celui de ce musicien dont le mérite et la modestie ont su s'attirer toutes les sympathies. »

(Revue musicale SIM, 1er janvier 1914, p. 23)

 

 

Marcel Rouher (1857-1940) [organiste à Paris de Saint-Germain-l’Auxerrois]

 

« Marcel Rouher. 490 Noëls classés par tons, harmonisés pour orgue ou harmonium, 2 vol., net, 10 fr, chacun. Biton, Saint- Laurent- sur- Sevré, Vendée.

 

Il est vraisemblablement conforme au tempérament français de goûter, au temps de Noël, les accents de chansons plus ou moins « goliardes », déguisés du nom de « noëls », résonner sous les voûtes des temples. Encore que divers conciles aient formellement, et à diverses reprises, interdit cet usage de jouer à l'orgue ces « chansons de Noël », la défense s'est toujours heurtée à la force d'inertie. Les noëls même les plus remplis de trivialités ont ainsi forcé la porte des églises, et, certes, personnellement, cela nous est pénible d'entendre parfois entre les antiennes des vêpres résonner tels ou tels accents, dont la plupart sont destinés A des réjouissances très profanes.

 

Mais, cette réserve faite, et en prenant l'usage tel qu'il est, nous ne pourrons que féliciter M. Rouher d'avoir si bien traité, et avec tant de variété, ces noëls, dont il a fait un choix si étendu. II est telle ou telle de ces petites pièces qui est un bijou de goût harmonique. M. Rouher a respecté le plus possible les lois des anciennes tonalités nous dirons même qu'il les a trop respectées, car, en des pièces bien authentiques des XVIIème et XVIIIème siècles il a supprimé les « sensibles » de la gamme mineure, même lorsqu'elles sont écrites dans les originaux.

 

Les mélodies reproduites sont données (à part le détail précédent) dans l'état où la tradition populaire les a amenées jusqu'à notre temps. La mention d'origine placée au titre de chacune ne vise donc pas ces airs, mais les paroles avec lesquelles M. Rouher les a recueillis, et avec lesquelles ces noëls sont habituellement le plus connus dans telle ou telle province.

 

Ce travail, très fouillé, fait honneur à son auteur ; il est un bel exemple de ce qu'on peut faire sur les thèmes vulgaires. Ce genre côtoie, en effet, plusieurs écueils, parmi lesquels on peut citer : la maladresse de métier, l'ignorance, combien fréquente, du style adéquat, la lourdeur prétentieuse, ou la réalisation enfantine. Personne ne me contredira à cet égard.

 

Or, Marcel Rouher, par son savoir, son goût affiné et, par-dessus tout, son indépendance, a su mener à bien ce travail formidable, d'une plume toujours alerte, toujours nouvelle, sans croire faire de l'originalité en s'inféodant à tel ou tel système d'écriture ou de non-écriture. De plus, l'analyse des gammes de certaines mélodies très anciennes était parfois des plus délicates, et, là aussi, Marcel Rouher a fait preuve d'une connaissance peu commune de ces modalités.

 

L'ouvrage est superbement présenté par l'éditeur Biton. Il est, de plus, relié, non point avec une vague apparence de colle, mais par un solide brochage entoilé. Ce détail pratique aura son importance aux yeux de beaucoup. En tête, on y peut admirer une belle reproduction de la Nativité de Domenico Ghirlandajo, belle page de l'école florentine du XVème siècle. C'est donc une édition d'art au premier chef, où le contenu est à la hauteur de la parure. A. Gastoué et F. de LA Tombelle. »

(La Tribune de Saint-Gervais, 1910, p. 287)

 

 

Armand Vivet (1869-1956) [maître de chapelle à Paris de Saint-Augustin]

 

« Ainsi que nous l'avons annoncé dans notre dernier numéro, le second volume du Recueil d'Auteurs Modernes pour orgue, par M. l'abbé Hazé vient d'être livré à la publicité. [...]

 

Sous le titre de Versets pour le Magnificat, M. Armand Vivet a écrit cinq petites pièces absolument remarquables ; entre autres le n° 4 où il amène habilement et par deux fois le chant du psaume lui-même (6° mode transposé). »`

(Revue musicale Sainte-Cécile, année 5, n° 20, 2 septembre 1898, p. 158)

 

 

Raoul Vivet (1847-1905) [père du précédent, organiste à Rouen de Saint-Godard]

 

La paroisse Saint-Godard, en perdant M. Raoul Vivet, son maître de chapelle, se trouve privée d'un bon artiste et d'un serviteur dévoué. Il y dirigeait le chant depuis vingt-sept années. Son éducation musicale lui était venue de la Maîtrise métropolitaine, par laquelle il voulut qu'à leur tour fussent instruits ses fils. A l'orgue Lefébure, Batiste, Guilmant étaient ses auteurs préférés. Au chœur, très fidèle aux traditions, ennemi des raffinements ou de ce qu'il croyait tel, il avait, si l'on nous permet ce mot, un grand sens des possibilités. Dans la composition de son répertoire, comme dans ce qu'il exigeait de ses choristes, il savait que les prétentions trop hautes, déçues souvent, ne déçoivent guère moins : il adaptait donc son art d'abord aux moyens dont il disposait, puis aux désirs, aux habitudes, aux états d'âme des fidèles. C'est, en mainte rencontre, une sagesse - moins facile qu'on ne croit et qui ne va pas sans mérite. Il était, en outre, exact à son devoir, d'un commerce agréable, respectueux de toute autorité, pliable et serviable. Aussi sa disparition sera-t-elle regrettée dans une église où sa physionomie caractéristique était populaire.

 

M. Raoul Vivet a été enlevé quasi-subitement, au cours d'une maladie dont la guérison paraissait une affaire de temps et presque une certitude. Il n'avait que cinquante-huit ans.

 

Ses obsèques ont eu lieu mardi. Elles ont été célébrées en l'église Saint-Godard. La Messe a été dite par M. l'abbé Jouin, curé de Saint-Augustin de Paris, qui reportait sur M. Vivet père une estime affectueuse dont il entoure le fils, M. Armand Vivet, son distingué maître de chapelle. L'absoute a été donnée par M. le curé de la paroisse.

 

M. Raoul Vivet était chef des bureaux de l'état civil à la mairie. M. Leblond, maire de Rouen, assistait aux obsèques. Il a fait au cimetière un juste éloge du défunt. »

(Bulletin religieux de l'archidiocèse de Rouen, 2 décembre 1905, p. 1203)

 

documentation recueillie par O.Geoffroy

(octobre 2020)


 

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