Un instrument original : l'orgue « Récital » d'Henri Didier


 

Orgue "Récital" d'Henri Didier
(in La vie lorraine illustrée, juin 1905, p. 23) DR.

 

Instrument apparenté aux orgues à cylindre et autres « orgues automatiques », l'orgue « Récital » dont la paternité revient au facteur spinalien Henri Didier permet de faire entendre des pièces de grands compositeurs sans connaître la musique. L'orgue était quand même doté d'un clavier manuel et de tirants de jeux afin que les organistes qualifiés puissent aussi le jouer. Il n'existe plus (à notre connaissance) d'orgue Récital en état de jeu. Un exemplaire se trouvait sur la tribune de l'église Saint Martin de Pargny-sous-Mureau (Vosges, vers 1910) mais la tribune sur laquelle il se trouvait menaçait ruine et l'instrument a été démonté et cédé par le diocèse de Saint-Dié à la Manufacture vosgienne de grandes orgues. En voici toutefois la composition :

 

Clavier manuel (58 notes) : Bourdon 8' (B) / cor de nuit 8' (D), violoncelle 8' (B) / gambe 8' (D), flûte douce 4' (B) / flûte octaviante 4' (D), basson 8' (B) / hautbois 8' (D).

 

Mis au point après la Séparation de l'Eglise et de l'Etat, à une époque où Henri Didier se tournait de plus en plus vers la traction pneumatique et où sa facture connaissait un déclin sur le plan de la qualité, l'orgue « Récital » n'a pas connu un grand succès. Voici une présentation de l'instrument, extraite du journal La Vie lorraine illustrée (3ème année, n° 2, Nancy, juin 1905, p. 22-24) :

 

« L’orgue de salon et la parfaite exécution des chefs-d'oeuvre. Surprenante découverte !

 

[…] On commence à avoir en France et à l'Etranger, un peu partout, dans les salons particuliers et dans les halls de concerts, des orgues de formats divers qui répondent aux goûts artistiques les plus délicats.

Aussi quelles fêtes de l'oreille lorsqu'un Maître — Guilmant, Saint-Saëns, Gigout, Mahaut, Henri Hess — s'assied aux claviers, interprétant les beautés sévères de Haëndel, les pensées romantiques de Schumann, les mélodies suaves de Mendelssohn, les sublimes fugues de Bach, les toccatas et les splendeurs musicales de César Franck et de Widor ? […]

 

Malheureusement, si l'orgue se vulgarise comme instrument sélect de concert dans les salons, il faut bien avouer que les Maîtres sont rares pouvant improviser comme Franck, avec la sûreté et la logique qui se retrouvent dans ses admirables compositions. […]

 

Et alors, d'un côté, nous avons les plus charmantes orgues de nos salons qui restent comme des corps sans âme, puisqu'elles ne s'émeuvent qu'à de fades romances ou à des rigodons indignes d'elles, et, de l'autre, les pages sublimes des classiques et des modernes, qui demeurent plongées dans l'oubli.

 

En pareil état de choses, le seul remède serait que la partition pût être mise directement en contact avec l'instrument et que Bach, que Schumann, que Mendelssohn fussent joués, en quelque sorte par eux-mêmes !

Souhait qui semble insensé, problème de prime abord insoluble.

 

Et cependant, problème que MM. Henri Didier et Cie, facteurs d'orgues à Epinal, viennent de réaliser après de longues et nombreuses recherches, et en se basant sur la parfaite connaissance de la facture de l'orgue qui leur est particulière. Tous les jours, de nombreux (et souvent incrédules) amateurs d'art musical pénètrent à Epinal dans le hall d'expériences et d'auditions du « Récital ». Ils en sortent ravis, confondus, et se font soudain les apôtres zélés de cette invention surprenante, car, c'est réellement la musique elle-même qui se joue, sans le secours d'un virtuose, et avec toute l'élégance, toute la finesse et la célérité du jeu, la noblesse du style que peut communiquer à l'orgue un virtuose. Que l'on ne se trompe point toutefois. Il ne s'agit pas d'un de ces instruments, aux timbres criards autant que la dorure de leur fronton, sortes d'orgues de Barbarie, qui n'ont de l'orgue que le nom et de la barbarie tous les effets. De tels instruments ne sont pas, en somme, des orgues pas plus qu'une boîte à musique à lames métalliques n'est un piano.

 

Au lieu que l'orgue automatique créé par MM. Henri Didier et Cie sous le nom de « Récital » est un véritable grand orgue, pareil à ceux des grandes salles de concert. Il a ses jeux de Récit, de Positif, de Grand'orgue, sa boite expressive, etc.. Il a même ses claviers et son pédalier et si un exécutant veut improviser, il le peut, sans que le dispositif spécial à l'exécution automatique des œuvres écrites le gêne en aucune façon.

 

D'ailleurs, ce n'est pas la stupidité de la machine qui régit ici l'interprétation de la musique. Car si, d'une part, la plus grande difficulté technique, la question du doigté est résolue (puisque c'est l'orgue lui-même qui joue et non plus la main, ou le pied, parfois peu expérimenté d'un organiste) d'autre part, les mouvements divers indiqués sur la partition, la registration, les nuances, le maniement de la pédale expressive sont laissés sous la haute direction de l'intelligence humaine.

 

Et, à vrai dire, rien ne saurait en ceci la remplacer. Aussi, ce qui me semble le plus admirable dans la conception de MM. Henri Didier et Cie, c'est d'avoir si nettement compris et défini par un exemple probant, cette double nécessité de l'orgue concertant.

 

1° Exécution technique, attaque de la note, tenue, vélocité, égalité des sons entre eux — toutes qualités purement mécaniques dans l'orgue où la pression plus ou moins grande du doigt ou du pied sur la note n'a aucune influence sur le volume plus ou moins grand du son.

 

D'où, dans leur Récital : Reproduction parfaite et fidèle des chefs-d'oeuvre par la feuille de musique elle-même qui, grâce à sa forme et à la disposition spéciale qui la met en mouvement, — introduit dans les tuyaux l'air qui la fait parler.

 

Donc : Automatisme de l'exécution technique.

 

2° En second lieu et parallèlement avec elle : exécution artistique libre.

Le seul dispositif, très simple, spécial ici au Récital, consiste à retarder ou à précipiter le déroulement de la portion jouant l'air, en faisant avancer ou reculer, à la main, « une aiguille métronomique ». Le mouvement suit donc la volonté de l'homme.

 

Mais l'expression (volume amplifié ou diminué du son) la suit aussi, et cela comme dans tout orgue, soit en introduisant ou en supprimant les boutons de combinaisons de force, soit en faisant osciller avec le pied la pédale qui ouvre ou ferme les lames mobiles de la boite expressive.

 

Est-il besoin d'ajouter que la registration est également confiée au goût de l'artiste qui marie ou diversifie à son gré les timbres de l'instrument ? Donc, en même temps que l'exécution technique automatique, nous avons :

L'expression libre, réservée à l'exécution artistique.

 

Le résultat obtenu par cette alliance, aussi ingénieuse que rationnelle, est véritablement splendide, surprenant, « colossal » diraient les allemands.

 

C'est Bach, c'est Haendel, c'est Franck, qui sont mis ainsi à la portée de toute vive intelligence artistique qui n'a pu — faute de temps ou d'études — rompre ses membres à l'exercice ardu, quotidien et souvent ingrat, des claviers et du pédalier.

 

C'est donc la vulgarisation prochaine, et si longtemps attendue, des immortels chefs-d’œuvre, grâce à l'initiative de quelques gens de goût, qui dans tout milieu s'intéressant à l'art musical, voudront diffuser les bienfaits obtenus par l'invention si géniale de Messieurs Henri Didier et Cie.

 

Ajoutons que la renommée du Récital, par plusieurs brevets, commence à se répandre, et il ne se passe pas de jours où des musiciens, des amateurs, ne viennent entendre les nouveaux instruments qui font l'objet de leur étonnement aussi bien que de leur admiration.

 

Il est vraiment à souhaiter pour la cause de l'art tant de fois trahie en France, que l'exécution intégrale des belles oeuvres des Maîtres écrites pour l'orgue, soient dans les salons et les halls de concerts, confiées désormais au « Récital » où l'exécutant non virtuose deviendra non un simple manoeuvre, mais, par la seule direction expressive et intelligente de son instrument, un artiste d'une réelle valeur. »

René d’Avril

Olivier Geoffroy

(juin 2022)

 

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