Eugène PREVOST
(1809 – 1872)


 

Curieux destin que celui du chef d'orchestre et compositeur Eugène Prévost, sur lequel Berlioz écrivait en 1837 dans la Chronique de Paris, parlant de son opéra Cosimo joué à l’Opéra-Comique, que " les choses gracieuses et originales que contenait [cette partition], début plein de bonheur de ce jeune compositeur, font bien augurer pour l’accomplissement de sa nouvelle tâche… " Après avoir fait ses débuts de chef d’orchestre au Havre, il s'installa en Louisiane, dirigea à New-York et à Philadelphie, ainsi qu' aux Pays-Bas et revint Paris durant la guerre de Sécession. Il eut le malheur de perdre à La Nouvelle-Orléans l'un de ses fils, Eugène, jeune musicien plein d'avenir, âgé de 16 ans, mort tragiquement dans un accident de chasse. On raconte aussi qu'un autre de ses fils, Toussaint, élève de Berlioz et de Liszt, qui fit une brillante carrière internationale de pianiste sous le nom de Théodore Ritter, était en fait le fils de l’armateur Toussaint Bennet!... L’œuvre musicale d’Eugène Prévost n’a pas résisté à l’épreuve du temps, mais ses ouvrages lyriques, sa musique pour orchestre, ses messes et oratorios, bien que tombés dans l’oubli de nos jours, jouirent d'un certain succès en Louisiane au cours de la seconde moitié du dix-neuvième siècle.

Zoé Prévost
Zoé Prévost
( photo X... )

Né à Paris le 23 avril 1809, le jour même où Napoléon était blessé au cours du siège de Ratisbonne -scène immortalisée par le peintre Gautherot-, Eugène-Prosper Prévost est très tôt initié à la musique par sa sœur aînée. Celle-ci, Geneviève-Aimée-Zoé Prévost (1802-1861) est en effet une cantatrice renommée. Formée au Conservatoire de musique et de déclamation de Paris où elle avait été l'élève de Ponchard et obtenu un 2ème prix d’opéra en 1820, cette soprano débutait l’année suivante au Théâtre Feydeau puis à l’Opéra-Comique, avant de se produire à Bordeaux en 1847 et plus tard à La Haye. Sous Louis-Philippe on pouvait l’applaudir à l’Opéra-Comique dans Fra Diavolo d’Auber (Zerline), La Langue musicale d’Halévy (Eveline), Les Deux familles de Labarre (Rosine), Le Diable à Séville de Gomis (Angélique), Le Morceau d’ensemble d’Adam (Mme de Coulange), La Marquise de Brinvilliers de Scribe et Castil-Blaze (rôle titre), ou encore dans Guise ou les Etats de Blois d'Onslow (rôle de la Marquise de Sauve créé le 8 septembre 1837), Le Panier fleuri d’Ambroise Thomas et Carline du même compositeur (rôle de la baronne de Montbreux qu’elle crée le 24 février 1840). Lors de ses obsèques célébrées le 6 avril 1861 à Saint-Etienne-du-Mont, on rappela que cette artiste excellait surtout dans le répertoire d'Adolphe Adam, admirable Madeleine dans Le Postillon de Longjumeau. Zoé Prévost d'une union avec le ténor Jean-Baptiste Chollet1 eut une fille, Caroline Prévost. Née à Paris le 13 décembre 1828, elle fréquenta également le Conservatoire de Paris (2e prix de solfège en 1847). Chanteuse non dénuée de succès, elle débuta à l'Opéra-Comique dans le rôle de Catarina des Diamants de la couronne d'Auber, puis épousa le 4 novembre 1850 à La Haye le ténor Félix Montaubry2... En mars 1827 Eugène entre à son tour au Conservatoire de Paris et travaille le contrepoint et la fugue avec Daniel Jelensberger et Louis Seuriot, et la composition avec Lesueur, aux côtés de Berlioz. En juillet 1829 il se présente pour la première fois au concours de composition de l’Académie des Beaux-Arts et sa cantate La Mort de Cléopâtre, écrite sur un texte de Pierre Vieillard, lui vaut le Second Prix ; aucun Grand Prix n’ayant été décerné cette année-là. L’œuvre de Berlioz, qui concourait pour la troisième fois, ne fut pas même récompensée ! Celui-ci, dépité, prétend dans ses Mémoires que " le jury aima mieux ne point décerner de premier prix cette année-là, que d’encourager par son suffrage un jeune compositeur chez qui se décelaient des tendances pareilles " et apporte des précisions sur l'œuvre imposée :

Le sujet qu’on nous donna à traiter, était celui de Cléopâtre après la bataille d’Actrium. La reine d’Egypte se faisait mordre par l’aspic, et mourait dans les convulsions. Avant de consommer son suicide, elle adressait aux ombres des Pharaons une invocation pleine d’une religieuse terreur ; leur demandant si, elle, reine dissolue et criminelle, pourrait être admise dans un des tombeaux géants élevés aux mânes des souverains illustres par la gloire et par la vertu. "

L’année suivante, Berlioz, qui se présente pour la cinquième fois, remporte enfin le Grand Prix de Rome, puis le concours de 1831, qui avait mis en compétition 11 candidats, est cette fois gagné par Eugène Prévost avec la scène à deux voix La Fuite de Bianca Capello, écrite sur des paroles du marquis Amédée de Pastoret. Fétis rapporte dans sa Revue musicale qu’ "après avoir entendu un ouvrage tel que celui de M. Prévost, on est forcé d’avouer que c’est celui d’un artiste habile…" Lors de la distribution des prix qui se déroule le 1er octobre 1831 à l’Académie des Beaux-Arts, la partition de Prévost est interprétée par sa sœur Zoé et le ténor Jean-Baptiste Chollet, tous deux de l’Opéra-Comique, avec l’orchestre placé sous la direction de Jean-Jacques Grasset. La même année, il fait jouer au Théâtre de l’Ambigu-Comique du boulevard Saint-Martin deux de ses opéras-comiques en un acte : le 23 avril, L’Hôtel des princes sur des paroles d'Alexandre de Ferrière et H. Leblanc de Marconnay, et le 14 mai, Le Grenadier de Wagram sur un livret d'Hippolyte Lefebvre et Amand Lacoste [pseudonyme de L. Saint-Amand], bien accueilli par la critique. A la même époque, il compose La Charte est une vérité, "chant national dédié à la reine des Français" [Marie-Amélie de Bourbon], écrit sur des paroles de F. Boute (1830, Schonenberger).

Le 26 février 1831 à Paris, il épouse la chanteuse Augustine Dejean-Leroy, dite Eléonore Colon, née en 1807 dans le Nord de la France. Celle-ci est engagée à la même époque par Dharmeville, directeur du Théâtre du Havre (Seine-Maritime), comme "chanteuse à roulades" sous le nom de scène de "Mme Prevost Colon"; son époux la suit dans cette ville où il est quelque temps chef d’orchestre. A cette époque la ville du Havre, surnommée La Marseille du Nord ou La Carthage normande est très en vogue et les parisiens s'y précipitent pour y rencontrer les célébrités de la littérature et des beaux-arts, les chanteurs et acteurs à la mode : Victor Hugo, Dumas père, Alphonse Karr, Boïeldieu, Delavigne entre autres... Eléonore Colon, fit ses débuts au Théâtre-Feydeau le 1er avril 1822 dans Les Deux petits Savoyards de Dalayrac, en compagnie de sa sœur cadette Marguerite, dite Jenny Colon. Celle-ci, née le 5 novembre 1808 à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais)3, décédée le 5 juin 1842 à Paris, effectua une brève carrière à l'Opéra-Comique et épousa en 1838 Gabriel Leplus, flûtiste à l'Orchestre de l'Opéra-Comique (Lille, 1807 – Argenteuil, 1874). En 1834 Gérard de Nerval s'éprit de Jenny Colon qui deviendra dans son oeuvre Aurélie ou Aurélia! Cette passion malheureuse sera à l'origine des troubles mentaux qui conduiront l'écrivain au suicide par pendaison en janvier 1855! Elles étaient toutes deux filles de Jean Colon, né vers 1775 à Bordeaux, paroisse Sainte-Eulalie (Gironde) et de Sophie Dejean-Leroy, née à Bourges paroisse Saint-Pierre (Cher). Artistes lyriques itinérants, on les rencontre à Dunkerque (Nord)4 en 1804 et à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) en 1808.

Signature Prévost
Signature d'Eugène Prévost apposée le 5 décembre 1831 sur le registre des naissances de la ville du Havre
( Etat-civil, le Havre )

A la fin de l'année 1831, le 3 décembre, un fils prénommé Léon Eugène vient au monde au Havre, au domicile de ses père et mère situé rue Bernardin de Saint-Pierre. Marié et père de famille la même année de l'obtention de son Prix de Rome, Eugène Prévost retarde alors son départ pour l’Italie où il doit effectuer le traditionnel séjour à la Villa Médicis réservé aux vainqueurs de ce prix. Finalement il renonce aux 3 années de pensionnaire offertes par l'Institut et ne séjourne à Rome que durant quelques mois au cours de l'année 1833. De retour à Paris au début de l’année 1834, il donne successivement à l’Opéra-Comique: le 13 octobre 1835, l’opéra-bouffe en deux actes Cosimo ou le peintre badigeonneur, sur un livret de Saint-Hilaire et Paul Duport (Schlesinger), qui obtient du succès auprès du public ; en novembre 1836, l’opéra-comique en un acte Les Pontons de Cadix, sur un livret de Paul Duport et Ancelot ; le  14 novembre, La Esméralda en 4 actes et 7 tableaux, d'après Notre-Dame de Paris de Victor Hugo ; le 22 septembre 1837, l’opéra-comique en un acte Le Bon garçon, sur des paroles d'Annicet-Bourgeois et de Lockroy (Lemoine), œuvre qui, d’après Fétis, "manquait de distinction et n’eut pas de succès", et le 27 décembre 1839, l'opéra-comique La chaste Suzanne en 4 actes, sur un texte de M. Carmouche.

Recruté en 1838 par A. Elie, pour le compte de la direction du Théâtre Français de La Nouvelle-Orléans (Louisiane), en octobre Eugène Prévost s'embarque au Havre à bord du bateau "La Garonne" à destination des Amériques où il débarque à La Nouvelle-Orléans le 30 de ce mois. C'était également la patrie du célèbre pianiste Louis Moreau Gottschalk (1829-1869). Là d'ailleurs, l'avait précédé de quelques années un autre lauréat du Prix de Rome (1827), Jean-Baptiste Guiraud, qui s'y était installé comme professeur de musique.

Le journal L'Abeille de la Nouvelle-Orléans du 31 octobre annonce l'arrivée de la nouvelle troupe de théâtre recrutée en France et nous livre les noms parmi lesquels ne figure pas d'ailleurs celui de l'épouse d'Eugène Prévost :

" La réouverture du Théâtre Français est pour notre population un évènement de haute importance. Aussi la ville est en émoi depuis hier matin, et l'arrivée des artistes qui sont venus par "la Garonne" est maintenant le sujet de toutes les conversations.

" Voici la liste des nouveaux arrivés :
Mmes Bamberger et Ellerman, chanteuses
Mlle Chavigny, choriste
Mme Ulysse, choriste
Mme Persoin, choriste
M. Bernard, régisseur M. Prévost, 1er chef d'orchestre
M. Setato
[?], 3ème chef d'orchestre
MM. Misalon et Perot, violons
M. Bamberger, violoncelle
M. Sy, basson
M. Levasseur, contre-basse
M. Fey, 1er role
M. Coeuriot, ténor
M. V. Hauteman, trial, vaud. et coméd.
MM. Leroux, Ulysse et Matheron, choristes

" L'on dit beaucoup de bien des nouveaux artistes de notre théâtre, quant à nous, nous attendons pour émettre notre jugement, l'épreuve décisive de la représentation. Cependant nous pouvons dès à présent féliciter l'administration du choix de son régisseur, M. Bernard, ancien directeur de l'Odéon, et dont l'habilité et la science scénique sont bien connus dans le monde dramatique ; le choix de M. Prévost, comme chef d'orchestre, n'est pas moins précieux. M. Prévost est l'auteur de "Cosimo", opéra-comique qui a obtenu à Paris un légitime succès. Ceci soit dit sans porter préjudice au talent de leurs camarades, qui vont bientôt nous mettre à même de les classer.

" L'administration n'a point encore fixé définitivement le jour de la réouverture."

Théâtre français d'Orléans, ouvert en 1819
Théâtre français d'Orléans, ouvert en 1819, détruit par le feu en 1866
( © The Historic New Orleans Collection  )

Commence alors pour lui une longue période de plus de 20 années comme premier chef d'orchestre du Théâtre d'Orléans dés le 6 novembre 1838, jour de ses débuts dans le Barbier de Séville. En 1859, il poursuit ses fonctions dans le nouveau French Opera House, construit pour remplacer le Théâtre d'Orléans devenu trop petit, inauguré le 1er décembre de cette année avec la représentation de Guillaume Tell. Dans ces salles de spectacles, il donne le répertoire classique parisien alors en vogue, crée plusieurs de ses oeuvres, notamment le 21 avril 1846 l'opéra en trois actes Alice et Clari et le 19 avril 1856 la Cantate de Henry Clay écrite sur des paroles d'Adrien Rouquette. Il dirige également plusieurs de ses propres productions, parmi lesquelles les opéras Cosimo (4 janvier 1839), Le Bon garçon (30 avril 1840), La Esmeralda (2 mars 1842), La Chaste Suzanne (15 avril 1845)... Dans cette ville, au début de son séjour il fréquente le violoniste et compositeur français Alphonse Varney, qui, avant de retourner à Paris pour conduire en 1848 le Théâtre-Historique de Dumas père, résida plusieurs années à La Nouvelle-Orléans où il dirigeait et enseignait la musique. C'est là d'ailleurs, le 29 mars 1844 qu'est né son fils Louis Varney, futur grand représentant de l'opérette française, avec, entre autres oeuvres Les Mousquetaires au couvent.

Le 6 janvier 1841 au Théâtre d'Orléans, Eugène Prévost dirige la reprise de l'opéra Anne de Bouleyn (Anna Bolena) de Donzietti, avec Mlle Calvé dans le rôle-titre, M. Nourrit dans celui de Percy, M. Bernadet et Mmes Bamberger et Darmand. La presse écrit que "les chœurs n'ont manqué ni de fermeté, ni de justesse d'intonations, l'orchestre était assez sûre de son affaire et la plupart des acteurs étaient en bonne disposition..." [L'Abeille de La Nouvelle-Orléans, 8 janvier 1841]. Deux jours plus tard, le 8 janvier, il conduit dans ce même théâtre l'opéra en 3 actes L'Ambassadrice d'Auber avec en première partie un hommage pour le 26ème anniversaire commémoratif de la journée du 8 janvier 1815 au cours de laquelle le général et futur président Andrew Jackson, à la tête des troupes américaines, repousse l'armée anglaise commandée par le major général Sir Parkeham lancée à l'assaut de La Nouvelle-Orléans. 2000 soldats anglais sont tués contre seulement 7 américains! On peut ainsi entendre, ce 8 janvier 1841 au Théâtre d'Orléans, pour commémorer cette brillante bataille : L'Histoire et la Victoire du 8 janvier 1815 (tableau en vers d'Auguste Lussan), La Grande ouverture patriotique d'Eugène Prévost et Le Chant de guerre du 8 janvier 1815 du même, écrit sur des paroles d'Auguste Lussan.

French Opera House par Adrien Persac, construit en 1859 par l'architecte Gallier, détruit accidentellement par le feu en 1919
( © The Historic New Orleans Collection )

Trois mois plus tard, le 6 avril 1841, à 7 heures du soir, Eugène Prevost "Ex-Pensionnaire de l'Académie Royale de France à Rome, chef d'orchestre du Théâtre d'Orléans donne "un grand concert spirituel" en trois parties avec des oeuvres de Rossini (le grand trio extrait de Guillaume Tell et la Prière de Moïse), Kreutzer (Symphonie concertante pour deux violons), Delsartre (Stances à l'Eternité, mélodie religieuse), Donizetti (le grand trio extrait d'El Esule di Roma), Marliani (Air Degli Capuichti),Vogt (Variations de hautbois), Moint, 1er basson du Théâtre d'Orléans (Fantaisie pour basson sur des motifs de Guido et Ginevra d'Halévy), Kroll, 1ère clarinette du Théâtre d'Orléans (Fantaisie sur la clarinette) et six de ses compositions : Ouverture de la mort d'Ajax, un fragment d'un oratorio, le grand duo pour basse et soprano extrait d'Eveline, le Dies Irae extrait du Requiem à grand orchestre, sa grande scène lyrique du Prix de Rome Bianca Capello et l'Ouverture de Quentin Durward. Se produit encore à ce concert le jeune Gottschalk, alors âgé de 12 ans, qui joue une Fantaisie sur le piano de sa composition. A la même époque, Prevost conduit également l'orchestre dans une série de représentations de ballets donnée par la danseuse Fanny Elssler en tournée à La Nouvelle-Orléans, notamment La Syphilde de Philippe Taglioni, créé quelques années auparavant à l'Opéra de Paris (1832).

En 1843 et 1845, durant les mois chauds d'été, ainsi que l'avait conçu dans les années 1830 John Davis, alors directeur du Théâtre d'Orléans, la troupe part en tournée dans le nord-est des Etats-Unis avec Eugène Prevost à la tête de l'orchestre. Le 15 mai 1843 elle arrive à New-York et le 22 juillet Prévost dirige au Niblo's Garden's son opéra Cosimo, avant de partir pour Montréal (Canada) où elle se produit le 23 août. La tournée se poursuit ensuite par New-York à nouveau, Philadelphie, puis le 9 novembre 1843 c'est le retour à La Nouvelle-Orléans afin d'assurer la saison d'hiver. En 1845, la troupe quitte le Théâtre d'Orléans à la fin de la saison dont la dernière représentation a lieu le 7 mai. A New-York, où elle se produit à nouveau, la presse fait l'éloge de son chef d'orchestre et le New York Herald écrit de Prevost que c'est "un chef qui doit être suivi comme modèle. Sa direction est énergique et précise, sans aucune affectation." ["He is a leader who ought to be followed as a model. His beating was full of energy and precision, without any affectation."] Dans cette ville, le 4 juillet il dirige une Patriotic Cantata et une National March qu'il a composées spécialement pour l'occasion, puis la troupe se rend à Philadelphie à la fin du mois de septembre, à Baltimore le 10 octobre et à Mayland avant de regagner La Nouvelle-Orléans au début du mois suivant.

Durant les saisons 1850/1851 et 1851/1852 Eugène Prévost rejoint l'Europe pour diriger au Théâtre de La Haye aux Pays-Bas, mais dès la saison 1852/1853, il reprend son poste au Théâtre d'Orléans et en avril 1853 c'est lui qui conduit l'orchestre lors de la première de l'opéra Le Roi David d'Ernest Guiraud, alors âgé de 15 ans. Quelques années plus tard, ce jeune compositeur, fils de Jean-Baptiste, rejoindra la France, sera à son tour lauréat du Grand Prix de Rome de composition musicale (1859) et enseignera la composition à Debussy et Dukas au Conservatoire de Paris.

Au cours de son long séjour à La Nouvelle-Orléans Eugène Prévost n'a cessé de composer. On lui doit ainsi, en dehors des ouvrages lyriques et des oeuvres déjà cités, un oratorio en trois parties : Josué, une ouverture patriotique : L'Orléanaise, une Messe solennelle, un Te Deum dédié à la reine d'Espagne, qui lui vaut de recevoir la Grande Croix de Charles III, plusieurs cantates et des pièces légères qu’il édite sur place, parmi lesquelles : O Jeunesse ! parue chez J. Manouvrier et P. Snell (rue de Camp), La Marche du général Taylor pour piano et The Departure of the volunteer, a national song, pour voix et piano. Ces deux dernières oeuvres "composées et dédiées à l'Armée de Rio Grande", sont écrites en 1846 au moment où le général Taylor, futur président des Etats-Unis en 1848, se distingue à la tête de l'Armée de Rio Grande à la bataille de Palo Alto (8 mai 1846) pendant la guerre des Etats-Unis contre le Mexique. La Marche est jouée le 12 mai au Théâtre d'Orléans, entre les actes deux et trois de l'opéra Les Martyrs de Donizetti. Parallèlement, Eugène Prévost donne des leçons de musique et parmi ses nombreux élèves on se doit de citer le créole Edmond Dédé (1827-1903) auquel il enseigne le contrepoint et l’harmonie. Auteur de la plus ancienne mélodie, Mon pauvre cœur, écrite par un créole de couleur de la Nouvelle Orléans (1852), éminent violoniste, il étudie ensuite au Conservatoire de Paris avec Halévy et Alard, puis s’installe à Bordeaux en 1860 où il est durant près de trente ans chef d’orchestre du Théâtre de l’Alcazar. Basile Barès (1845-1902), autre élève de Prévost à La Nouvelle Orléans, devint un compositeur très populaire et ses pièces pour piano eurent beaucoup de succès bien au delà de la Louisiane.

La France musicale, 3 août 1845
La France musicale, 3 août 1845

La notoriété d'Eugène Prévost durant son séjour à La Nouvelle-Orléans est incontestable tant auprès du public que des critiques musicaux. Pour preuve ces deux articles écrits à New York dès les premières années de son arrivée par le correspondant de La France musicale, qui signe sous les initiales "G.C." [Granier de Cassagnac]

[8 juillet 1845] " Les succès bien légitimes de l'opéra français reviennent en grande partie au maestro et chef d'orchestre Eugène Prévost. Ce jeune compositeur, que Paris a eu grand tort de laisser partir, comprend l'art, et fait du bataillon qu'il commande l'amour et l'inspiration de sa vie. Il lui écrit des opéras, cantates. A la Nouvelle-Orléans on ne connaît pas la "Esmeralda" de Mlle Bertin, mais on chante celle de Prévost. Bien des amateurs préfèrent sa "Chaste Suzanne" à celle de Monpou. Pour moi, j'ai entendu l'autre soir un "septuor" et une "cantate" que nos meilleurs maîtres pourraient signer ; quand on écrit de pareils morceaux, on doit certainement sourire à la lecture des partitions de certains favoris de l'Opéra-Comique."

[16 mai 1846] " La Nouvelle-Orléans vient de clôturer sa saison musicale d'une façon éclatante. Il n'est question dans les journaux orléanais que du succès d'enthousiasme que vient de remporter l'habile chef d'orchestre du Théâtre-Français, de M. Eugène Prévost. A l'occasion de son bénéfice annuel, l'auteur de "Cosimo", de "la Chaste Suzanne" et de "la Esmeralda", a fait représenter un opéra en trois actes, intitulé : "Alice et Clari". Cette fois, renonçant à travailler sur un libretto déjà exploité par un compositeur parisien, E. Prévost a trouvé un poème encore vierge et écrit pour ainsi dire sous ses yeux. Malgré les mystérieuses étoiles de l'affiche et le respect des journaux louisianais pour l'auteur anonyme, je crois ne pas me tromper en attribuant à M. Mercier le libretto d'"Alice et Clari". Voici comment le Courrier de la Louisiane analyse cette pièce qui nous semble, qui nous semble avoir été inspirée par le gracieux roman d'A. de Lavergne, "La recherche de l'inconnu" :

" M. d'Harville, médecin a une fille nommée Alice qu'il adore, mais qu'il voit s'éteindre sous le poids d'une affection pulmonaire. Il a aussi une nièce, Clari, orpheline, compagne chérie de sa fille, sur laquelle il déverse le trop plein de son cœur paternel. Arthur, capitaine dans l'armée d'Algérie, a, deux ans avant son départ, demandé à M. d'Harville la main de sa fille. Elle lui a été refusée, par suite des sombres appréhensions qu'inspire la santé chancelante d'Alice. Alors Arthur a tourné ses vues sur Clari. A peine de retour d'Afrique, il va pour la demander en mariage ; mais M. d'Harville, trompé par les précédents, croit aller au devant des vœux d'Arthur en lui accordant la main d'Alice, qui aime le jeune capitaine. Naturellement tout finit par s'éclaircir et la malade, qui a déjà un pied dans la tombe, prie son père de renoncer à l'hymen projeté et d'unir Arthur à Clari. Si l'on ajoute à ce canevas un arabe dévoué au capitaine Arthur qui lui a sauvé la vie, et une pimpante soubrette qui répond au nom de Claudine, on verra qu'avec le talent de M. Prévost il y a là de quoi faire de bonne, savante et mélodieuse musique.

" Ce poème a inspiré à Eugène Prévost une musique dont la mélodie est tour à tour forte, sympathique, brillante et légère. L'instrumentation est admirablement traitée, et chacun s'accorde à comparer cette partition nouvelle aux meilleurs opéras de l'auteur [Auber] d'"Emma", de "Fra Diavolo" et du "Domino noir". Pour moi, je ne suis pas surpris du légitime succès obtenu par Eugène Prévost ; il y a longtemps déjà que je vous ai écrit tout le bien que je pense de cet excellent musicien dont la place est à Paris, tout à côté d'Ad. Adam et d'Ambroise Thomas. "

Et encore ces comptes-rendus d’un quotidien de La Nouvelle-Orléans, le premier concernant la représentation de La Chaste Suzanne le 15 avril 1845 et le second celle d’Alice et Clari le 19 avril 1846 :

Théâtre d’Orléans, La Chaste Suzanne – " La représentation de mardi s’est terminée si tard que nous avons eu le regret de n’en pouvoir même pas dire un mot hier matin ; nous voulons nous en dédommager aujourd’hui, bien que sans doute il ne nous reste rien de nouveau à apprendre sur ce sujet à nos lecteurs. Chacun d’eux sait déjà quel splendide public s’était réuni dans la salle d’Orléans ; quel ravissant aspect présentait les premières loges ; quel air de fête régnait partout ; enfin quelle ovation a été décernée à M. Prevost ; et quel accueil flatteur a été fait à son nouvel opéra. Cette soirée réunissait véritablement le double caractère d’une belle solennité musicale et d’une fête de famille. Dans toute cette foule si compacte et si brillante le bénéficiaire ne comptait que des admirateurs et des amis ; les applaudissements les plus vifs saluaient tour à tour l’œuvre et l’auteur ; et si dans ces manifestations la sympathie pour l’homme doit avoir sa part, il n’en faut pas faire une moins large à l’admiration pour le talent. Le plaisir que faisait éprouver une musique d’un mérite fort distingué provoquait et justifiait tout à la fois les témoignages les plus vifs de satisfaction.

" A pareille fête, les fidèles du Théâtre d’Orléans avaient mieux à faire encore que d’applaudir ; ils devaient donner à M. Prevost un souvenir durable de leur affectueuse estime ; ils n’y ont point manqué. Une médaille d’or portant sur l’une des faces : " A Eugène Prevost les habitués du Théâtre d’Orléans 15 avril 1845 " et sur l’autre les titres suivants : " Cosimo, Esmeralda, Chate Suzanne ", lui a été offerte à la suite du premier acte, et au nomment où le rideau tombait, on lui a jeté une couronne, symbole du beau succès qu’il venait d’obtenir.

" Et ce succès, tout aussi bien que les cordiales démonstrations qui l’accompagnaient, était dignement mérité. La " Chaste Suzanne " est pour beaucoup de connaisseurs l’œuvre capitale de M. Prevost, et pour le public celle qui a causé la plus vivre impression. Pour notre part, il nous semble qu’elle doit faire prendre à son auteur, parmi les compositeurs de nos jours, le rang honorable que lui promettaient déjà ses débuts. Toute la partition de " La Chaste Suzanne " porte l’empreinte d’une œuvre d’une science rare : elle doit plaire aux juges compétents à cause de ce mérite ; et elle plaît déjà fort au public parce que la science s’y dissimule sous un air de facilité naturelle et qu’elle ne sert qu’à faire ressortir d’authentiques inspirations.

[…] " A notre sens, le premier mérite de la partition de M. Prevost, c’est de former une trame mélodique, continue, sans interruption : tout s’y tient ; tout s’y enchaîne ; et jamais on n’y sent ni longueur ni décousu. Ce mérite n’appartient qu’aux maîtres ; la science, réunie à l’inspiration, peut seule le donner. Le premier acte dans son genre nous paraît un petit chef d’œuvre, malgré quelques lointaines réminiscences du " Cheval de bronze " [d’Auber], qui se peuvent saisir vers la fin ; l’air de Suzanne et celui de Daniel ont de l’élégance dans la mélodie ; le duo des deux vieillards a une teinte sonore charmante ; mais le trio surtout est d’une facture achevée : le chant y dispute la palme aux combinaisons de l’orchestre ; il y a surtout une phrase dite par Sédocias, accompagnée par quelques broderies qu’exécute Suzanne, et soutenue par les notes graves d’Achab, dont l’effet est délicieux . Le second acte s’ouvre par un chœur de femmes sur un gracieux mouvement de valse et se ferme par un final plein de vivacité et tramé fort habilement. Un duo bouffe des deux vieillards s’y distingue et deviendra, si nous ne nous abusons, un morceau favori. Au troisième acte, nous signalerons l’air de l’Ange ; mais avant tout l’air de Sédocias qui précède le duo avec Daniel. Le quatrième acte est peut être le moins favorable au compositeur, et cependant M. Prevost a su encore y mettre de belles choses : certaines portions de jugement sont pleines de caractère et la marche finale possède une verve toute italienne. " […]

[L'Abeille de La Nouvelle-Orléans, 17 avril 1845]

 

Théâtre d’Orléans, Première représentation d’Alice et Clari – " Savez-vous que voilà une délicieuse ouverture ! comme c’est plein ! comme c’est harmonieux ! Elle a été bien exécutée, il faut en convenir ; mais elle est aussi bien spirituellement écrite… Oh ! le joli trio ! comme il ouvre agréablement la scène ! mais écoutez donc, comme cela se suit, comme cela se déroule avec aisance, avec naturel ! Quelle douceur ! quel velouté de son ! Voyons l’air de l’Arabe… C’est très bien l’air de l’Arabe ; de l’élan, de la chaleur, de l’originalité dans une donnée qui n’en a pas !… Voilà un duo entre Arthur et Clari, tout tendre et tout sensible ! cela est bien en situation ; allons ! décidément le répertoire compte une charmante partition de plus. M. Eugène Prevost vient d’offrir au public de la Nouvelle-Orléans un élégant et précieux bijoux. Alice et Clari sont les dignes successeurs de Cosimo !

" Si nous voulions continuer à nous faire les historiens de la soirée de mardi, en répéter, comme nous venons de l’essayer, les éloges qui ont accueilli le nouvel opéra depuis le commencement jusqu’à la fin, nous abuserions du temps de nos lecteurs ; il vaut mieux qu’ils le réservent pour aller en juger, en jouir eux-mêmes. […] Pour parler de l’exécution, nous parlerons de l’orchestre qui nous a semblé témoigner de sa sympathie pour son chef par une exactitude et une vigueur encore plus remarquable qu’à l’ordinaire ; et certes il en avait une excellente occasion ; car l’instrumentation nous a paru d’un bout à l’autre, avoir été, sans préjudice du chant, l’objet de soins particuliers de la part de l’auteur. Plus d’une fois les broderies fines et délicates des accompagnements ont rappelé les grands maîtres ; et si l’anonyme s’était trouvé transporté des paroles à la musique, on aurait pu souvent croire à quelques inspirations posthumes d’Hérold ou de Boïeldieu, sans paraître trop loin de la vérité. " […]

[L'Abeille de La Nouvelle-Orléans, 23 avril 1846]

 

 

En juillet 1861, au début de la guerre de Sécession qui déchire les Etats-Unis et durant laquelle les portes des théâtres sont fermées, Eugène Prévost revient à Paris. A son arrivée en France, les principaux compositeurs en vogue "dont il a monté les chefs-d'œuvre avec autant de soin que de talent dans le nouveau monde" lui témoignent leur reconnaissance et lui adressent la lettre suivante:

" Monsieur et honorable confrère,

" Ayant appris que vous étiez de retour d'Amérique, nous saisissons cette occasion pour vous offrir collectivement l'expression de notre vive gratitude. Grâce à votre talent de chef d'orchestre et à votre zèle de compatriote, le répertoire lyrique des trois grandes scènes parisiennes est devenu, depuis vingt-trois ans, celui de la Hollande et de la Louisiane

" Recevez donc, monsieur et cher confrère, nos remerciements sincères et unanimes, et croyez bien que l'ancien pensionnaire de Rome, l'auteur de "Cosimo", n'a pas été oublié par nous, et que lorsque les papiers publics nous apportent d'Amérique de flatteuses nouvelles de nos ouvrages représentées à La Nouvelle-Orléans, nous aimons à vous reporter une grande partie de leur succès.

" Puisse, monsieur et cher confrère, cette preuve écrite de notre gratitude être relue quelquefois par vous, lorsque vous serez loin de notre chère patrie.

" Agréez de nouveau, monsieur et cher confrère, l'assurance de l'estime et de la gratitude avec laquelle nous nous disons

" Vos dévoués amis et confrères,

" G. Rossini, Auber, F. Halévy, Carafa, A. Grisar, Amb. Thomas, L. Clapisson, H. Reber, V. Massé, Félicien David, G. Meyerbeer, H. Berlioz, G. Kastner, A. Elwart, secrétaire."

 

Malgré les dangers de la guerre civile qui se déroule en Amérique, Eugène Prévost retourne à La Nouvelle-Orléans, où il séjourne quelque temps au cours de l'année 1862. Le samedi 26 juillet "un grand concert vocal et instrumental au bénéfice de M. Eugène Prevost" est donné au Théâtre de la ville "par les musiciens et artistes de la Nouvelle-Orléans, qui ont gracieusement offert leur concours pour cette occasion." Dans l'édition du 28 juillet de L'Abeille de la Nouvelle-Orléans on peut lire un compte-rendu détaillé de ce concert :

" CONCERT A L'OPERA – En nous retrouvant, samedi soir, dans cette salle de l'Opéra, au milieu d'un public familier à nos regards, en revoyant les loges garnies des plus fidèles habitués de notre scène lyrique, et en nous laissant bercer au charme d'une excellente musique, nous avons éprouvé un moment d'heureux oubli. Le spectre hideux de la guerre, le tableau désolant des campagnes ravagées par le passage des armées et par l'inondation, les sombres figures de la misère et de la faim, la Louisiane en deuil, le triste cortège des calamités publiques, tout cela s'était évanoui pour faire place à de gracieuses apparitions et à de ravissantes mélodies, qui reportaient notre pensée aux beaux jours d'autrefois. Et, cependant, bien des loges vides témoignaient de nombreux deuils dans les familles et, parmi les jeunes hommes que nous étions habitués à voir au foyer ou au parquet, beaucoup étaient absents... et nous n'avons pas besoin de dire pour quelle cause.

" Le bénéficiaire, M. Eugène Prevost, a été salué, à son entrée, par une triple salves d'applaudissements qui ont dû lui prouver que les sympathies du public lui sont restées fidèles. Le concert a commencé par l'ouverture du "Domino noir" et la manière dont l'orchestre a joué cette ouverture et celle de "la Muette" a fait honneur à ses musiciens non moins qu'à son habile chef. Un ténor amateur, dont nos dilettantes ont eu plus d'une occasion d'apprécier sa voix pure et sympathique, a chanté la romance de "Jerusalem" avec une rare perfection dans le chant et un grand sentiment dans l'expression. Le duo du "Chalet", indiqué sur le programme, a été, par suite de l'indisposition de la basse, remplacé par la romance "Si j'étais roi", que le même ténor a chantée avec beaucoup de goût.

" Après la romance de "Jérusalem" par le ténor, est venue, dans l'ordre de programme, la romance "Juive", chantée par mademoiselle ***, qui s'est déjà faite entendre dans plusieurs concerts, avec une voix de mezzo-soprano fraîche, bien timbrée et d'une justesse naturelle développée par d'excellentes leçons, mademoiselle *** ne peut manquer d'obtenir partout de brillants succès. Elle a chanté cette romance de la "Juive" et la cavatine du "Trouvère" en véritable artiste et son triomphe a été complet.

" Mademoiselle Octavie Romey a exécuté avec un talent remarquable et beaucoup de sentiment musical deux grandes fantaisies pour le piano, la fantaisie de "Jerusalem" par Gottschalk et la fantaisie sur des motifs de "Lucie" par Strakosch. Mademoiselle Romey est une de nos pianistes les plus distinguées, et l'exécution de ces deux morceaux n'a fait qu'ajouter à la réputation qu'elle s'est acquise comme professeur.

" L'air du "Barbier de Séville" est un morceau de début habituel pour les chanteuses légères, mais que de fois est-ce un écueil pour celles qui l'abordent! Il a été, samedi, l'occasion d'un véritable triomphe artistique pour la modeste et gracieuse jeune fille qui, pour la première fois, produisait en public un talent jusque-là ignoré. Aussi est-ce avec une surprise mêlée d'admiration qu'on écoutait cette voix si pure et fraîche, d'un timbre si harmonieux, et à laquelle les mélodies de Rossini semblaient emprunter un nouveau charme. Nous ne savions qu'admirer le plus de la justesse et de la sûreté du chant, de la facilité des vocalises, ou de la distinction extrême qui caractérise le talent plein d'avenir de cette jeune personne. Aux dons précieux dont la nature a été si richement prodigue envers elle, mademoiselle *** joint les avantages que peut donner une éducation musicale perfectionnée à une excellente école. Son triomphe n'a pas été moins grand dans l'air du "Pré aux clercs".

" Dans les deux jeunes cantatrices dont nous venons de parler, la Nouvelle Orléans possède deux véritables perles musicales, et nous devons rendre hommage aux professeurs qui ont su tirer un si habile parti de ces deux riches organisations.

" Une dame amateur, dont le talent est déjà bien connu dans notre monde musical, a chanté avec une perfection qui dénote une excellente musicienne et une chanteuse de goût, la polonaise de "Jerusalem" et l'air de grâce du "Trouvère".

" Nul n'eut pu dire, en entendant ces morceaux des grands maîtres rendus avec une correction et une expression tout artistiques, qu'il s'agissait d'un concert d'amateurs ; et le public, avec une ardeur qui témoignait de sa satisfaction a rappelé à chaque morceau chanteur et chanteuses.

" Il nous reste à parler de M. Jacques Oliveira dont l'archet si merveilleux a contribué à faire du concert de samedi une véritable solennité musicale. Tous ceux qui l'on entendu ont pu juger que nous n'avions rien exagéré. Dans le septième concerto de Beriot, où il a été parfaitement secondé par les musiciens de l'orchestre, dans le solo de violon de l'air du "Pré aux clercs" et dans la fantaisie de Sainton sur des motifs de "Lucretia Borgia", M. Oliveira a déployé toutes les qualités d'un talent de premier ordre. De l'âme, de la distinction, une merveilleuse faculté à se jouer des difficultés, une justesse surprenante, tout est réuni chez cet artiste, que nous n'hésitons pas à placer parmi les plus grands violonistes de notre époque.

" Comme on le voit, la soirée a été un succès, non seulement pour le bénéficiaire, mais aussi pour tous les artistes, et le public doit savoir gré à M. Prevost de lui avoir procuré, avant son départ, une aussi charmante fête musicale. Espérons que le maestro ne nous quitte que temporairement. Qu'il emporte, avec nos souhaits pour sa prospérité, nos vœux pour son prompt retour, car, alors, son retour nous assurerait avec la réouverture de l'opéra, la pacification du pays et le rétablissement de notre chère Louisiane dans des conditions propres à assurer sa liberté et sa prospérité! "

Le journal "The Daily Picayune" dans son édition du 3 août 1862 mentionne une autre oeuvre d'Eugène Prevost jouée après les deux ouvertures d'Auber : l'ouverture Sera Derige, et nous livre les noms des chanteuses non précisés dans l'article de "L'Abeille de La Nouvelle-Orléans" : Melle Fleury dans la romance de La Juive et dans la cavatine du Trouvère, Mlle Bournos dans l'air Una voce du Barbier de Séville et dans l'aria du Pré aux clercs, et Mme Magner dans la polonaise de Jerusalem et dans l'air de grâce du Trouvère.

En août 1863, Eugène Prévost est pressenti pour succéder à Georges Haini, parti diriger l'orchestre de l'Opéra de Paris, comme chef d'orchestre du Grand-Théâtre de Lyon, mais finalement c'est Joseph Luigini, directeur de la fanfare lyonnaise, qui est nommé. Au mois d'octobre de la même année, la direction du Théâtre des Bouffes-Parisiens lui est confiée. C'est Offenbach qui avait fondé en 1855 cette salle de spectacles pour y jouer ses opérettes, tout en accueillant de jeunes compositeurs : Bizet, Lecoq, Léo Delibes, Duprato. Mais des difficultés financières ne tardant pas à surgir, au bout de 6 ans il doit abandonner la gestion du Théâtre à son chef d'orchestre Alphonse Varney, tout en conservant la direction de la scène. Varney le fait reconstruire à neuf sur le même emplacement de la rue de Monsigny puis cède sa place à Prévost qui, on l'a vu, l'avait connu à La Nouvelle-Orléans. La réouverture a lieu le mardi 5 janvier 1864 :

" Imaginez-vous une salle élégante, coquette, bien aérée, disposée on ne peut mieux pour la voix et pouvant contenir près de 1 200 places ; huit rangs d'orchestre, bordés de baignoires ; trois étages de loges et de galeries ; un cintre et pas de foyer. Un large péristyle d'où commencent deux vastes escaliers conduisant dans la salle, le tout rehaussé de peintures vives, gaies, et d'un plafond resplendissant, qui projette, pour ainsi dire, la joie sur tout le monde."

Le journal hebdomadaire La France musicale du 8 novembre 1863 nous livre les noms du nouveau personnel : Mmes Saint-Urbain (début), Irma Marié (début), Zulma Bouffar (début) – MM. Pradeau, Léonce, Désiré, Ed. Georges, Duvernoy, Desmonts, Jean Paul, Pelva (début), F. Simon (début), Guyard (début), Legros (début) – Mmes Tostée, G. Bodin, H. Loyé, Taffanel, Simon, L. Pelva (début), D'Alonde (début), Désirée (début), J. Aaron (début), E. Leclère (début) – Mmes Débar, Ida, Gabrielle, Nathalie, Marie, Louise, Amélia, Decamps, Julia – Chef d'orchestre : M. Eugène Prévost. Ce 5 janvier 1864, pour la réouverture des Bouffes-Parisiens ce dernier dirige La Tradition de Léon Délibes (sur un poème de Henri Derville) et en premières auditions deux oeuvres d'Offenbach : Lieschen et Fritschen, "conversation alsacienne" écrite par P. Boisselot, et l'Amour chanteur, une opérette en un acte sur un livret de Nuitter et L'Epine.

Mais un différent oppose bientôt Eugène Prévost à Offenbach qui aboutit en 1865 au départ de l’auteur de La Vie parisienne et au retrait des programmes de toutes ses œuvres, piliers des Bouffes. Vient alors une période d’insuccès, accompagnée d'une augmentation du déficit financier et Prévost se retire à son tour en 1867, laissant sa place à Jules Noriac. Durant son passage dans ce théâtre, Prévost dirige plusieurs autres créations, parmi lesquelles : les opérettes d'Offenbach Il Signor Fagatto (18 janvier 1864), Les Géorgiennes (16 mars 1864), Jean qui pleure et Jean qui rit (3 novembre 1865), Les Bergers (11 décembre 1865) et celle de Léo Delibes : Le Serpent à plumes (16 décembre 1864).

Tout en assurant la direction des Bouffes, théâtre d'hiver, Eugène Prévost succède en 1864 à Joseph Arban comme chef d’orchestre des Concerts des Champs-Élysées. Ce théâtre d'été avait été repris en 1859 par Charles de Besselièvre. Ouvert seulement durant la saison des beaux jours (mai à septembre), ce lieu d'amusements, que l’on disait être un Eden musical charmant " sous les frais kiosques de verdure , où une brise odorante se mêle aux doux parfums des fleurs ", était très fréquenté par les parisiens. A la sortie de l’hiver, durant lequel ceux-ci avaient pour habitude de se rendre au Théâtre Italien, les premiers soleils du printemps les amenaient à venir chercher un peu d’air respirable aux Champs-Élysées et au Bois de Boulogne. La France musicale du 10 mai 1868, sous la plume de Pierre d’Arche, nous donne quelques détails sur les œuvres jouées et les musiciens de l’orchestre :

" Aux Champs-Élysées, on entend tour à tour des ouvertures célèbres de Rossini, d’Auber ou d’Ambroise Thomas, tantôt l’admirable "Marche aux flambeaux" de Meyerbeer, des fantaisies fort bien faites par MM. Eugène Prévost, Cressonnois et Th. De Lajarte, sur "le Comte Ory", "Moïse", "Lucie de Lammermoor", "le Premier jour de bonheur" et "Martha", qui reproduisent les différentes phases de ces opéras et de tant d’autres, connus et aimés de tous, puis des solos de virtuoses habiles, des airs de danses charmants. Toute cette musique agréable à entendre, s’écoute sans fatigue aux feux de mille guirlandes enflammées, à l’ombre des marronniers en fleur. C’est délicieux ! Foin des théâtres et de leur atmosphère ardente ! [...] Cet orchestre, du reste, est très brillamment composé, toutes les parties en sont tenues par des instrumentistes solides, il y a de l’aplomb, de la sonorité, de l’acquit. Les noms des solistes sont avantageusement connus : M. Fabre, l’ancien clarinettiste du Guide ; M. Lalliet, hautboïste-solo, récemment nommé à l’Orchestre de l’Opéra, et dont nous avons maintes fois vanté le beau talent ; M. Triebert, hautboïste aussi, neveu du regretté professeur au Conservatoire ; MM. Dupuis, violon-solo, Chertier, cornettiste, Duverger, flûtiste, Bardey, corniste. Avec tous ces éléments de succès, les concerts des Champs-Élysées ne peuvent que réussir. Il ne faut leur souhaiter pour cela qu’une chaleur sénégalienne pour tout l’été, et que jamais la pluie ne tombe, le soir, de huit heures et demi à onze heures. Il ne sera pas inutile de rappeler à nos lecteurs que le prix d’entrée est maintenu à un franc. C’est un succès de plus."

Eugène Prévost, durant ces années passées aux concerts des Champs-Elysées, tout en conduisant l'orchestre, compose également bon nombre de musiques destinées à divertir le public nombreux qui s’y précipite, principalement les fins de semaines. Lors de l’ouverture de la saison 1864-1865, le dimanche 1er mai " trois mille personnes au moins assistent à cette belle soirée, dans laquelle M. Eugène Prévost, le nouveau chef d’orchestre, s’est surpassé. Pour qui connaît le passé de cet éminent maestro, cela n’a rien de surprenant. " C’est ainsi qu’on lui doit, entre autres, une " très belle ouverture […] qui plutôt est une symphonie exprimant toutes les péripéties d’un combat, plein de mouvement et d’éclat ; il y a beaucoup de beaux effets rythmiques et l’orchestration en est aussi savante que variée. "

Au cours de son séjour parisien, Eugène Prévost fait jouer aussi à l’Opéra-Comique, le 11 février 1863, un nouvel opéra en un acte L’Illustre Gaspard, écrit sur un livret de Félix Duvert et Lausanne. " Ce vaudeville charmant, cet opéra comique gai, pimpant et preste […] au cours duquel on rit d’un bout à l’autre d’un bon et franc rire […], avec une musique légère et sémillante ", est salué par le public et l'on ajoute que " tout cela est fin, léger, sans prétention aucune, mais écrit de main de maître. " Peu avant son départ pour les Amériques, il compose encore une valse brillante pour piano : La Sensitive (Paris, E. Bertin, 1866) et une cantate : Chant de fête de la Garde, sur des paroles de Gustave Chouquet (Paris, impr. de E. Vert, 1867), qui est chantée le 17 mars 1867 au concert du Théâtre du Prince impérial de la rue de Malte.

Après avoir terminé la saison aux concerts des Champs-Élysées et laissé sa place de chef d'orchestre à Jules Cressonnois, Eugène Prévost repart à La Nouvelle-Orléans au début du mois de septembre 1867. Là, il se livre encore quelques années à l’enseignement, notamment à l'Institution Locquet, un externat et pensionnat de jeunes filles situé 212 et 214 rue St-Charles (et 261 rue du Camp) alors dirigé par Mlle A. Burr, ou sont enseignés, entre autres matières, la musique et le chant.

Au début de l'année 1869, il est victime d'une rumeur publique qui lui cause préjudiceOn prétend qu'il est devenu sourd et ne peut plus enseigner correctement la musique!. Afin de démentir ces bruits infondés il se voit contraint, au cours du mois d'avril, de publier dans la presse un démenti catégorique :

[L'Abeille de la Nouvelle-Orléans, 30 avril 1869] - " M. Eugène Prévost, ancien chef d'orchestre du Théâtre de l'Opéra, nous prie de démentir un bruit que, dit-il, on a fait courir sur son compte et qui pourrait lui porter un préjudice sérieux, c'est qu'il serait devenu sourd. M. Prévost qui donne des leçons de musique depuis deux ans dans notre ville et qui peut à peine suffire aux nombreuses demandes qui lui sont adressées, prouve tous les jours qu'il est parfaitement en état de distinguer la différence qui existe d'un ton à un demi-ton, et nul ne mettra en doute sa protestation qui était à peine nécessaire."

 

Eugène Prévost compose encore quelque peu, notamment un opéra-comique Blanche et René, écrit sur un texte de Louis Placide Canonge, sans doute l'une de ses toutes dernières oeuvres, qui est donné à la fin du mois de juin 1871 au French Opera House (production privée). La mort le surprend l'année suivante, le 19 août 1872, à l'âge de 63 ans à son domicile de la rue du Rempart. Il venait tout juste de s'inscrire au "Comité Français de soutien des Alsaciens-Lorrains de La Nouvelle-Orléans" obligés de déclarer, comme l'ensemble de leurs compatriotes français, leur volonté de rester français, suivant le traité de Francfort. Il aurait dû participer le 25 août à une grande manifestation patriotique, le jour-même où les Alsaciens-Lorrains de La Nouvelle-Orléans signaient l'acte d'opposition de nationalité au Consulat de France. Son acte de décès, rédigé le 20 août, suivant la déclaration de Jean Bonnot, "natif de France", précise qu'il est mort d'une hépatite. Ses obsèques sont célébrées dès le lendemain matin de sa mort, à 9 heures précises, puis il est inhumé dans le cimetière de Saint-Louis de La Nouvelle-Orléans où sa tombe est encore visible de nos jours.

Le quotidien L'Abeille de La Nouvelle-Orléans, dans son édition du 20 août 1872 relate sa disparition et esquisse un portrait du musicien :

" MORT D'EUGENE PREVOST – C'est avec une pénible surprise que nous avons appris la mort de cet estimable artiste, dont le nom se trouve intimement lié aux souvenirs du Théâtre d'Orléans. Il a succombé, hier matin, à onze heures, aux suites d'une pleurésie.

" Eugène Prevost était venu, pour la première fois à la Nouvelle-Orléans, en 1837. C'est M. A. Elie qui l'avait engagé comme chef d'orchestre pour le compte de la direction du Théâtre d'Orléans. Depuis 1837 jusqu'en 1859, sauf deux saisons pendant lesquelles il est allé diriger le Théâtre de La Haye, M. Prevost a dirigé l'orchestre du Théâtre d'Orléans, et de 1859 à 1861 celui du Théâtre actuel de l'Opéra. Les portes de ce dernier théâtre ayant été fermées par la guerre, M. Prevost retourna à Paris où il devint chef d'orchestre des Bouffes parisiens, puis ensuite des Concerts des Champs-Elysées. Mais il avait bu de l'eau du Mississippi, comme on dit, pendant trop longtemps pour ne pas désirer revoir la Louisiane. En 1868, il revint se fixer à la Nouvelle-Orléans et, depuis cette époque, il s'était consacré à l'enseignement musical.

Avis de décès d'Eugène Prévost dans le Daily Picayune, 20 août 1872
Avis de décès d'Eugène Prévost dans le Daily Picayune, 20 août 1872

" M. Prevost n'était pas seulement un chef d'orchestre de talent, il s'était fait connaître aussi comme compositeur. Plusieurs de ses ouvrages ont été représentés à la Nouvelle-Orléans : "Cosimo", "Esmeralda" et la "Chaste Suzanne".

" Eugène Prevost était un enfant de Paris et il s'était fait de nombreux amis par les qualités de son caractère. Il était bon, affable, spirituel et causeur très agréable, car il voilait souvent sous ne naïveté apparente des traits pleins de finesse et d'observation. Il laissera des regrets très sincères chez tous ceux qui l'ont connu. Son enterrement doit avoir lieu ce matin à neuf heures précises."

 

Eugène Prévost eut au moins trois fils, tous musiciens : Léon, Eugène et Toussaint. Le premier, né le 3 décembre 1831 au Havre, issu du mariage de son père avec Augustine Dejean Leroy (Eléonore Colon), fit carrière à La Nouvelle-Orléans où il débuta fort jeune comme timbalier dans l'orchestre du Théâtre. Puis, après avoir été se perfectionner à Paris durant deux années, séjour au cours duquel il fut timbalier à l'Opéra, il revint dans son pays d'adoption comme second chef d'orchestre et 1er violon. Tout comme son père qu'il secondait au Théâtre d'Orléans, il enseigna la musique et se livra à la composition. On connaît de lui un opéra-comique en un acte, sur des paroles de Gustave Lemoine et Adrien Decourcelle, intitulé Diane de Liron qui fut créé le 7 mai 1857 au Théâtre d'Orléans. A l'origine, cette comédie-vaudeville, parue quelques années auparavant sous le titre de Mademoiselle de Liron ou Une querelle d'allemand, avait été représentée à Paris, au Théâtre du Gymnase, le 31 janvier 1850, et le texte imprimé par l'éditeur parisien Michel Lévy (in-12, 46 pages). On peut lire dans les colonnes de L'Abeille de La Nouvelle-Orléans, édition du 6 mai 1857, l' annonce de la création de cet opéra :

" On se rappellera que la représentation de demain, jeudi, est au bénéfice de M. Léon Prevost, second chef d'orchestre. Le jeune bénéficiaire porte un nom qui oblige, mais ses débuts dans la carrière artistique prouvent qu'il en sera digne et qu'il possédera au même degré que son père le talent sérieux et vrai qui distingue celui-ci. Les fortes études musicales qu'il a faites lui permettent d'aspirer à une position éminente dans la carrière ardue qu'il a embrassée, et nous ne doutons pas qu'il réussisse à la conquérir. Il s'est déjà mis à l'œuvre et a composé sur des paroles de MM. Lemoine et de Decourcelle un opéra-comique en un acte, qui sera représenté demain, et dont nous avons entendu dire le plus grand bien. Cet acte est, assure-ton, plein de fraîcheur, de grâce, de sentiment et d'heureuses inspirations : il sera interprété par Mmes Colson [Pauline Colson, du Théâtre Lyrique de Paris] et Richer et MM. Tournade, Colson, Dutasta et Chaffary."

Portrait présumé de Léon Prévost, monté en broche
( coll. Ed Larose, Bulverd, U.S.A. )

"Le reste du spectacle se composera : 1° du second acte et du premier tableau du cinquième acte de "la Reine de Chypre" [d'Halévy], avec Mlle Bourgeois et MM. Delagrave, Magne, Debrinay et Carrier, 2° d'un vaudeville, "le Piano de Berthe" [comédie en un acte de Théodore Barrière et Jules Lorin] , ou paraîtront Mme Lacroix, Mme Richer et M. Lacroix."

"On voit que la soirée sera complète, et qu'indépendamment des titres réels du bénéficiaire aux sympathies des habitués, elle offrira assez d'attraits pour qu'aucun de ces derniers ne manque demain au rendez-vous."

Quant à l'autre grand quotidien en langue française de la Louisiane, Le Courrier de la Louisiane, dans sa publication du 8 mai également, il nous livre en outre des informations d'ordre biographique sur le compositeur :

" M. Léon Prévost, bénéficiaire de demain, et fils de notre excellent chef d'orchestre, est un de ces artistes, auxquels nous prenons un intérêt tout particulier, réel, pour la réussite entière desquels nous faisons les vœux des plus sincères.

"Du reste, il a droit, de la part de notre public, à ces sympathies qu'il a si vivement excitées en nous. En effet, s'il n'est pas né ici, il y est venu si jeune qu'il s'est identifié avec notre pays, et qu'on peut, sans crainte, lui octroyer ses grandes lettres de naturalisation.

"Nous l'avons vu grandir au sein de notre ville ; nous l'avons vu, dans ce centre très peu artistique cependant, se laisser gagner par le goût des arts, y céder, et, tout enfant, faire de vigoureux efforts, afin d'être digne du nom qu'il porte. A l'âge où l'épellation musicale commence à peine pour bien des personnes, nous l'avons vu se présenter d'aplomb à l'orchestre du théâtre d'Orléans, et y remplir une place, que l'on ne confie jamais à des mains inhabiles, celle de timbalier.

"On se rappelle, sans doute, comment il s'en est acquitté : il s'y est conquis une véritable réputation : nul n'a oublié la vigueur, la sûreté de ses attaques, son rôle important dans l'ensemble. Plus tard, entraîné vers Paris, afin d'y achever ses études, commencées sous l'œil expérimenté de son père, il nous a fait ses adieux par une Ouverture -dûe à sa composition- Ouverture, qui produisit une impression excellente sur son auditoire. En effet, M. Léon Prévost était, alors, un presque bambin -qu'il nous passe le mot- et il fallait reconnaître une organisation d'élite dans ce charmant enfant qui, sans aide, sans même avoir voulu faire part de sa pensée à son guide, son père, avait entrepris, achevé une oeuvre assez compliquée, et où la critique eut de très heureuses choses à constater. Nous nous souvenons toujours avec émotion, de la scène touchante qui eut lieu entre le père et le fils, lorsque, à cette occasion, celui-ci reparut, au milieu de l'orchestre conduit par celui-là, devant le public, dont les bravos le rappelaient. Il y eut alors une douce scène de famille -où le chef d'orchestre fit place au père, et qui se dénoua en longs embrassements.

"Depuis, M. Léon Prévost est devenu timbalier à l'Académie de Musique de Paris ; il a complété ses études de composition, est revenu parmi nous, comme second chef d'orchestre et premier violon, et, demain à l'occasion de son bénéfice, c'est, de nouveau, comme compositeur qu'il se produit devant nous.

"Seulement, cette fois, ce n'est pas seulement une simple Ouverture qu'il va nous faire entendre, mais bien un opéra-comique en un acte, "Diane de Liron".

"Nous ne lui rendrons pas me mauvais service de préjuger son oeuvre, d'en faire les éloges sans la connaître. Un esprit, sérieux comme le sien, ne peut que dédaigner la réclame -cette perte de tant d'artistes. Il veut être écouté, étudie, et jugé impartialement. C'est ce que nous lui promettons de faire ; et, pour cela, nous irons entendre, ce soir, la représentation générale, et demain, la première représentation de "Diane de Liron".

"Nous avons foi en l'avenir de ce jeune homme. Il reste seul sur cette tige, tant aimée d'un père, où se trouvait, il y a quelques mois encore, une autre fleur -brillante aussi- mais trop vite emportée par le vent du malheur!.... Unique objet de l'amour d'un père, il est destiné à en flatter le légitime orgueil, s'il persévère, s'il montre du courage dans cette voie où il est entré."

La même année, le 16 novembre 1857 à la cathédrale Saint-Louis de La Nouvelle-Orléans, un service funèbre organisé pour le 1er anniversaire de la mort de son jeune frère Eugène est célébré et c'est Léon Prevost qui dirige l'orchestre et les chœurs. L'année suivante, le 28 avril 1858, dans cette même église il épouse Marie Mathilde Mandevilla Wiltz, née en 1844 à Mandeville (Louisiane), fille d'Emile Wiltz, qui lui donne trois filles : Eugénie, née vers 1861, mariée vers 1885 à Horace D. Terrebonne, Marie, née vers 1862, mariée le 1er août 1881 à La Nouvelle-Orléans à Alphonse Farragut, et Regina, née le 28 mai 1864, décédée le 23 mars 1927 à La Nouvelle-Orléans, mariée à Emile Honoré Larose. Toutes les trois feront souche en Louisiane, laissant une descendance aux Etats-Unis encore représentée de nos jours dans les familles Terrebonne, Raby, Canty, Farragut, Gritter, Larose, Baudier et Cornay...[5 Léon Prévost est mort le 11 octobre 1877 à La Nouvelle-Orléans, à l'âge de 45 ans. Ses funérailles se déroulèrent le lendemain à 11 heures, suivies de son inhumation, tout comme son père, au cimetière Saint-Louis. Sa veuve lui survécut 28 ans et s'éteignit à La Nouvelle-Orléans le 23 novembre 1905.

Avis de décès de Léon Prévost, L'Abeille de la Nouvelle-Orléans, 12 octobre 1877
Avis de décès de Léon Prévost, L'Abeille de la Nouvelle-Orléans, 12 octobre 1877

Né en 1840 à La Nouvelle-Orléans, d'une union de son père, séparé de son épouse légitime, avec Marie Griffe, Eugène Prévost eut un destin tragique! Jeune musicien plein d'avenir, tout comme son frère aîné il avait débuté enfant comme timbalier à l'orchestre du Théâtre de La Nouvelle-Orléans, puis après avoir été se perfectionner à Paris, il revint en Louisiane pour y réintégrer le même orchestre comme violon. Mais le 19 octobre 1856, parti chasser et en traversant en barque le bayou, il se tirait accidentellement une décharge de fusil en pleine poitrine. Son enterrement eut lieu le lendemain à seize heures précises :

" MORT D'EUGENE PREVOST FILS- Une bien triste nouvelle s'est répandue hier en ville. Le jeune Eugène Prevost, fils du chef d'orchestre du théâtre d'Orléans, parti le matin pour la chasse, venait d'être rapporté sans vie chez son père, victime d'une imprudence. Il parait que ce pauvre jeune homme voulant atteindre un esquif qui se trouvait sur le bayou, à quelques pieds du rivage, se servit de la crosse de son fusil comme d'une gaffe, que le chien soulevé par la résistance de la barque s'abattit, et que le coup, faisant balle, vint le frapper en pleine poitrine : lorsqu'il fut retrouvé l'infortuné était mort.

" La fin prématurée de ce jeune homme est à la fois une grande douleur pour son père et une perte réelle pour l'art musical à la Nouvelle-Orléans. Enfant de l'orchestre de notre ville, nous l'avons tous vu grandir dans la profession qu'il avait choisie et nous nous intéressions tous au développement de cette jeune et belle intelligence. Tous nous aimions à retrouver jadis dans les profondeurs de l'orchestre, ce charmant enfant à la physionomie mutine, et depuis nul n'a oublié le jeune timbalier. Qui ne se rappelle, en effet, ce gracieux bambin roulant ses timbales avec un aplomb, une mesure et un entrain admirables ? Qui ne le revoit encore, dans son souvenir, armé de ses baguettes, penché sur sa partie, attendant sa rentrée avec une impatience fébrile, et, le moment venu, grandir avec le crescendo, palpiter sous les étreintes du rythme et lutter pour ainsi dire avec lui ?

" Depuis, d'autres soins le réclamèrent et les baguettes de timbalier perdirent pour nous toute éloquence. Il partit pour Paris, y compléta de bonnes études musicales, puis revint parmi nous, comme violon à l'orchestre, et déjà musicien de talent et d'avenir. Aujourd'hui, il ne reste qu'un cadavre et des larmes."

[L'Abeille de la Nouvelle-Orléans, 20 octobre 1856]

 

Un an plus tard, le 16 novembre 1857, un Requiem composé en sa mémoire par son père et son frère est donné en la cathédrale Saint-Louis de La Nouvelle-Orléans. Son frère Léon, auteur du Libera me conduit les choristes et instrumentistes pour cette première exécution :

" Le service funèbre du jeune fils de M. E. Prevost a été célébré hier à la Cathédrale St Louis. Les préparatifs de cette fête de la douleur d'un père étaient déjà depuis quelques jours l'objet de tous les entretiens et l'on devait s'attendre à voir l'église envahie par une foule compacte. C'est ce qui a eu lieu.

" Un sentiment de convenances nous défend d'écrire dès aujourd'hui un compte rendu de cette solennité, car nous ne voudrions pas donner au caractère sacré qui l'environne les proportions mesquines d'un spectacle. Nous croyons cependant pouvoir constater, pour mémoire, l'impression profonde que nous a faite l'œuvre de M. Prevost, nous réservant d'analyser plus tard quelques-unes de ses principales beautés musicales. L'exécution elle-même, confiée en grande partie à des amateurs, mériterait aussi une mention spéciale, mais nous nous bornerons pour les mêmes raisons, à dire qu'elle a été toujours satisfaisante et parfois remarquable.

" Ajoutons qu'une quête faite au profit des orphelins a été des plus fructueuses."

[L'abeille de la Nouvelle-Orléans, 17 novembre 1857]

 

Le troisième fils d'Eugène-Prosper, Toussaint Prevost6, est né le 5 avril 1840 à Nantes et mort le 6 avril 1886 à Paris. On prétend qu'il était en réalité le fils naturel de Toussaint Bennet, un riche armateur marseillais, amateur de musique, qui en 1852 avait soutenu financièrement les débuts de la " Société des derniers concerts de Beethoven " des violoniste Jean-Pierre Maurin et violoncelliste Alexandre Chevillard, et entretenait des relations amicales avec Berlioz. Il est fort probable qu'Eugène Prevost ne soit effectivement pas le géniteur de cet enfant, puisque l'on sait que lors de son installation à La Nouvelle-Orléans, en octobre 1838, son épouse légitime ne l'avait pas suivi et était restée en France. On doit souligner également qu' Eugène Prévost fils est né la même année que Toussaint Prévost, mais le premier à La Nouvelle-Orléans et le second à Nantes! Quoi qu'il en soit, Bennet éleva cet enfant, s'installant spécialement à Paris pour s'occuper de son éducation. Grâce à la Correspondance de Berlioz, dont Toussaint fut très jeune l'élève, on sait que Toussaint et Bennet se trouvaient à Vienne en février 1864. Berlioz, déclarait déjà en 1852 que son jeune élève, alors âgé de 12 ans, était "un prodige qui deviendra un jour une merveille". Il lui confiera plus tard la réduction de L'Enfance du Christ et de Roméo et Juliette. Toussaint se perfectionna également auprès de Liszt avant d'effectuer une brillante carrière internationale de pianiste sous le nom de Théodore Ritter7. Il enseigna quelque temps, à partir de 1857, à l'Ecole Beethoven créée par Bennet et au cours des années 1860 fut membre associé de la "Société des derniers concerts de Beethoven". Sa femme, la chanteuse Alice Desgranges fut immortalisée par Degas en 1878.

Denis Havard de la Montagne 8

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1) Né à Paris le 20 mai 1798 du légitime mariage de Jean-Baptiste François Chollet (choriste à l'Opéra de Paris) et de Marie Bazin, mort à Nemours (Seine-et-Marne) le 10 janvier 1892, alors veuf de Florentine de Dôle, Jean-Baptiste Marie Chollet fait ses études musicales au Conservatoire de Paris. Il débute en 1826 à l'Opéra-Comique dans Marie d'Hérold où il restera jusqu'en 1847. On lui doit plusieurs créations d'opéras d'Auber (Fra Diavolo), d'Adam (Le Postillon de Longjumeau, Le Fidèle Berger, Le Brasseur de Preston, Le Roi d'Yvetôt), d'Onslow (Guise ou les Etats de Blois) ou encore d'Halévy (Les Treize). Il fut également un temps directeur du Théâtre de Bordeaux, maître de chapelle du roi de Hollande et est l'auteur de romances et de nocturnes. [ Retour ]

2) Né à Niort (Deux-Sèvres) le 12 novembre 1826, décédé à Angers (Maine-et-Loire) le 2 octobre 1898, Achille Félix Montaubry est initié à la musique par son père, musicien érudit, et par son frère aîné, le ténor Jean-Baptiste Montaubry (1824-1883). On raconte qu'à l'âge de six ans et demi il gagne déjà quelques sous en jouant du flageolet dans les bals dont son père a la direction. A neuf ans, il débute l'étude du violon, puis il suit les classes de violoncelle (Vaslin), de chant (Panseron) et d'opéra-comique (Moreau-Sainti) au Conservatoire de Paris. Il fait ensuite carrière à l'Opéra-Comique, où il débute le 26 septembre 1846 dans Le Chalet d'Adam, au Théâtre-Historique, à la Gaîté, ainsi qu'en province (Strasbourg, Bordeaux, Marseille) et à l'étranger (La Haye, Bruxelles, La Nouvelle-Orléans). Dans cette dernière ville, où son oncle Eugène Prévost conduisait alors l'orchestre du Théâtre d'Orléans, il fut engagé durant les saisons 1847-1848 et 1848-1849, et chanta notamment les rôles de Vitellozzo dans Lucrezia Borgia de Donizetti, Rodrigo dans Otello de Rossini et Don Fernand dans Ne touchez pas à la Reine de Xavier Boisselot. [ Retour ]

3) Les témoins à la déclaration de naissance effectuée le même jour à la Mairie de Boulogne-sur-Mer, sont le "sieur Pierre Jean François Ramond, artiste audit Boulogne âgé de trente trois ans et [le] sieur Jean Pierre Pinçon aussi artiste audit Boulogne âgé de quarante deux ans, tous deux amis des père et mère de l'enfant." [ Retour ]

4) C'est à Dunkerque, le 17 vendémiaire an XIII (9 octobre 1804), que ce couple d'artistes donna également naissance à un garçon prénommé Louis Théophile, déclaré le lendemain à la mairie dudit lieu en présence de Louis Martin Schmitt, "maître de musique âgé de 34 ans", et de Louis Fardin, "directeur de spectacles âgé de 37 ans". [ Retour ]

5) Voir en annexe la descendance des trois filles de Léon Prévost. [ Retour ]

6) Sur son acte de naissance, enregistré le 6 avril 1840 à la Mairie de Nantes, Toussaint Prévost est déclaré fils d'Eugène-Prosper, âgé de 30 ans, compositeur de musique, et d'Augustine Dejean-Leroy, artiste, âgée de 32 ans, son épouse. Une remarque s'impose cependant : bien que soit formellement mentionnée sa présence dans le texte de cette déclaration et que "sa" signature soit apposée au bas de l'acte, il semble être très difficile, voire impossible?, qu'il ait pu être effectivement être présent à Nantes ce jour-là, puis diriger son opéra Le Bon garçon, quelques jours plus tard (le 30 avril) à La Nouvelle-Orléans. On sait en effet qu'à cette époque, un tel voyage en bateau durait environ 5 semaines ! [ Retour ]

7) Certains musicologues affirment que la soprano Cécile Ritter, de son vrai nom Stella Marie Lampe, née le 22 novembre 1859 à Paris, fille de Sophie Lampe, était une sœur de Théodore Ritter. Elève de Carlotta Patti et de Caroline Miolan-Carvalho, elle aborda le théâtre en créant le rôle de Virginie dans l'opéra Paul et Virginie de Victor Massé, le 15 novembre 1876 au Théâtre-Lyrique. Elle fit ensuite toute sa carrière à l'Opéra-Comique où le rôle de Manon fut l'une de ses meilleures productions. Morte le 18 août 1939 à Saint-Briac-sur-Mer (Ille-et-Vilaine), elle avait épousé le ténor Italien Ezio Ciampi, né le 23 février 1855 à Livourne (Italie), décédé le 27 février 1930 à Paris VIIIe, partenaire d'Adelina Patti. Leur fille, Gabrielle Ritter-Ciampi, mariée à André Fourquez puis à Gilbert Gidel, fut à son tour une cantatrice célèbre, brillante interprète de Mozart. Née à Paris VIIIe le 2 novembre 1886 et morte à Paimpol (Côtes-d'Armor) le 18 juillet 1974, élève du Conservatoire de Paris, elle fit ses débuts au Trianon-Lyrique en 1917 dans Paul et Virginie, créé quelques 40 ans plus tôt par sa mère, puis deux années plus tard fut engagée à l'Opéra-Comique où elle parut pour la première fois dans le trôle de la Comtesse dans les Noces de Figaro et en 1921 à l'Opéra (Gilda dans Rigoletto). Elle se retira de la scène à l'âge de 63 ans après avoir chanté la plupart des grands rôles de soprano. Leur fils, Marcel Ciampi, né le 29 mai 1891 à Paris, décédé dans cette même ville le 2 septembre 1980, fit quant à lui une prestigieuse carrière de pianiste. Elève de Dièmer au Conservatoire de Paris (1er prix en 1909), il effectua de nombreuses tournées dans le monde entier, accompagnant parfois Pablo Casals, George Enesco et Jacques Thibaud. Il avait épousé la violoniste Yvonne Astruc, élève préférée et disciple de Georges Enesco. [ Retour ]

8) Nous tenons à remercier ici Mmes Nadine Deleury, de Birmingham (Michigan) et Rashel Feldman, de Palos Park (Illinois) pour leur précieuse aide dans nos recherches aux Etats-Unis, ainsi que M. Jack Belsom, archiviste de l'Opéra de La Nouvelle-Orléans qui nous a utilement renseigné sur le séjour d'Eugène Prévost dans cette ville et M. Wayne Everard, archiviste à la Bibliothèque publique de La Nouvelle-Orléans pour sa documentation, sans omettre Mme Pascal Winkel, de Nantes, pour ce qui concerne la naissance de Toussaint Prévost-Ritter et M. Robert Baudier, de Hammond (Louisiane) et son fils Randall, ainsi que M. Emile Larose, de Bulverd (Texas) qui nous ont aimablement ouvert leurs archives familiales. [ Retour ]

 


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