HENRI SAUGUET ( 1901-1989 )


Couverture des mémoires d'Henri Sauguet,
"La musique, ma vie"
(Librairie Séguier, 1990, 428 pages)

Le célèbre compositeur du ballet Les Forains écrit en 1945, Henri Sauguet, est décédé à Paris le 22 juin 1989. Une fois de plus la mort de cet éminent musicien, membre de l’Institut, un peu trop méconnu du grand public de nos jours, a été peu commentée dans la presse parlée et écrite : tout juste l'annonce de son décès sur certaines radios ou chaînes de télévision, quelques mots dans tel journal, mais rien de bien sérieux !

Henri Sauguet, de son vrai nom Henri Poupart, est né à Bordeaux le 18 mai 1901, dans la maison de famille du 6 rue de la Leyteire, près du Cours Victor-Hugo. Cette ancienne capitale de la Guyenne a vu naître également bien d’autres grands musiciens : Oscar Comettant, Dom Clément Jacob, Henry Expert, Edouard Colonne, Gustave Samazeuilh, Charles Tournemire, Louis Beydts, Joseph Ermend-Bonnal et Charles Lamoureux pour ne citer que les plus connus. Dès l'enfance, à l’âge de 5 ans il est initié à la musique par sa mère, Elisabeth Sauguet et Marie Bordier, professeur de piano, avant de devenir élève de piano de Melle Loureau de la Pagesse alors organiste de chœur de l’église Sainte-Eulalie de Bordeaux, sa paroisse. Il était également à cette époque choriste au sein de la Maîtrise de cette église et c’est d’ailleurs là qu’il découvrit le plain-chant, le faux-bourdon et la polyphonie. Devenu un peu plus tard élève d’orgue de Paul Combes, organiste de Notre-Dame de Bordeaux et d’écriture musicale de Marcel Lambert-Mouchague, le futur organiste et maître de chapelle de l'église Saint-Séverin à Paris, il occupera durant quelques années (1916-1922) le poste d’organiste de l’église St-Vincent de Floirac, non loin de Bordeaux. " Le petit orgue de Floirac était un instrument bien modeste en vérité, un unique clavier, huit jeux, un pédalier qui ne fonctionnait qu’à l’aide d’une tirasse, une boîte expressive, mais il n’y avait pas de buffet : l’ensemble des tuyaux était enfermé dans deux grandes boîtes placards situées à droite et à gauche de la console. Mais j’avais un instrument à ma disposition, j’avais un emploi, musicien : j’appartenais à la corporation des musiciens d’église ! "1 La musique d’église et plus spécialement l’orgue ont sans aucun doute profondément marqué dans sa jeunesse Henri Sauguet. Même si ses compositions religieuses ne tiennent que peu de place dans son catalogue : une petite Messe pastorale pour 2 voix et orgue (1934) et une Messe jubilatoire pour ténor, basse et quatuor à cordes (1983), il gardera toute sa vie une certaine affectation pour ce genre de musique : " L’orgue ! Le rêve de ma jeune existence. Dès mon plus jeune âge, ses amples sonorités, venues des voûtes des sanctuaires qu’elles emplissaient, comme issues du ciel même, le mystère de cette musique qui sortait de ces tuyaux si parfaitement ordonnancés, sans que soit visible le musicien qui délivrait ces harmonies enchanteresses, me plongeaient dans une excitation extatique qui faisait frissonner tout mon corps et m’emplissait l’âme. L’orgue et les cloches me jetaient dans une sorte de délire... "2 C’est sans doute pour cela que sa musique de chambre contient plusieurs pièces pour cet instrument : Oraisons pour orgue et 4 saxophones (1976), Ne moriatur in aeternum " à la mémoire d’André Jolivet " pour trompette et orgue (1979), Sonate d’église pour orgue et quintette à cordes (1985)... Curieusement c’est également à l’église qu’il découvrit Debussy : un jour, passant devant l’église Saint-Louis-des-Chartrons, les portes étant ouvertes pour l’entrée des mariées, il entendit les brillantes sonorités de l’orgue qui jouait une marche nuptiale. Attiré par celles-ci il s’arrêta quelques instants afin de mieux savourer cette musique divine. Au moment de l’élévation " descendit de l’orgue une musique qui me fit frissonner et que je trouvai extraordinaire par ses sonorités toutes nouvelles pour moi, et qui, pourtant, me semblaient très exactement répondre à la musique que je pressentais et dont j’attendais la révélation... "3 C’était une page de Debussy : La Fille aux cheveux de lin, extraite de ses Douze préludes (1er livre) pour piano, écrits en 1910.4 " La suite de quarte et de quinte qui entourent la mélodie étrange et suave produisait en moi un ravissement toujours renouvelé. "5

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Programme du premier concert du "Groupe des Trois", le 12 décembre 1920 à Bordeaux.
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Mais lorsque la déclaration de guerre arriva en 1914, la mobilisation de son père l’obligea à gagner sa vie. C’est ainsi qu’il devint, notamment, employé de préfecture à Montauban en 1919 et 1920. Là, il connut Joseph Canteloube, un ancien élève de d’Indy et de Charles Bordes, alors réfugié dans cette ville, qui lui enseigna la composition. Revenu à Bordeaux, il fondait le Groupe des Trois avec Louis Emié et Jean-Marcel Lizotte. Henri Sauguet voulait en effet faire entendre la musique la plus récente libre de toute influence et de toute attache. Leur premier concert eut lieu le 12 décembre 1920 et on put alors entendre des pages du Groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Germaine Tailleferre, Darius Milhaud, Francis Poulenc) d’Erik Satie et bien entendu de nos trois musiciens, avec, entre autres œuvres, sa Danse nègre et sa Pastorale pour piano.

Sur les instances de ses amis Darius Milhaud et Francis Poulenc, Henri Sauguet s’installait à Paris dès octobre 1922. Il se perfectionnait alors dans l’écriture et les formes auprès de Charles Koechlin. " Très vite, je compris qu’en lui, j’avais trouvé le guide que je cherchais et qui m’apporterait, non point seulement les nécessaires connaissances de mon métier d’écrivain en musique, mais bien davantage encore : la connaissance d’un art dans ses profondeurs, dans ses prolongements, dans son historicité, dans ses pouvoirs, et qu’il me mettait enfin en face de moi-même. "6

Peu de temps après, une rencontre avec Satie, organisée par Darius Milhaud chez lui, rue Gaillard, fixa définitivement l’avenir musical de Sauguet. C’est ce jour là que l’auteur des Gymnopédies acceptait en effet de parrainer le groupe, appelé facétieusement l'Ecole d'Arcueil 7, formé par Henri Sauguet, Roger Désormière, Maxime Jacob et Henri Cliquet-Pleyel. Bien que reconnaissant Satie comme maître et chef de file, Henri Sauguet ne se laissera guère influencer par ses amis musiciens, n'acceptant comme précepte prôné par ce mouvement que le retour à la clarté française. Le genre particulier et personnel d'Henri Sauguet, qui le distinguera toute sa vie durant, va vite émerger de ses œuvres originales qui obtiendront un certain succès. Une atmosphère romantique, pour ne pas dire une certaine nostalgie, est un des traits caractéristiques que l’on retrouve souvent dans sa musique et plus particulièrement dans des partitions telles que Les Caprices de Marianne, 1954 ou La Dame aux camélias 1959... C'est le ballet Les Forains qui le rendit célèbre auprès du grand public. Né d’une collaboration avec Boris Kochno, Christian Bérard et Roland Petit, il est dédié à la mémoire d'Erik Satie. Ecrit avec un goût le plus sûr et une grande sensibilité, il obtient un succès populaire immédiat ! Déjà en 1924, puis en 1927, avec l’opéra bouffe Le Plumet du colonel et le ballet La Chatte, sa musique qui ne manque pas de fraîcheur, avait été remarquée, mais c'est surtout après la Seconde Guerre mondiale que son art fut reconnu de tous: quelles œuvres notables que son Quatuor à cordes (1948), sa symphonie allégorique Les Saisons (1949), puis plus tard l'opéra Les Caprices de Marianne (1954), la ballade pour basse et orchestre Le Cornette (1951), sur des poèmes de Rilke, les opéras La Dame aux Camélias (d’après Alexandre Dumas), la cantate pour baryton et orchestre à cordes L'oiseau a vu tout cela (sur un poème de Jean Cayrol), 1960, le ballet Les Mirages (1943) ou encore cette Mélodie concertante pour violoncelle et orchestre (1963) et ce Reflets sur feuilles pour harpe, piano, percussion et orchestre (1979).

Cet homme cultivé, aimable mais parfois mordant, avec beaucoup d'esprit, sachant être spirituel à souhait a su également se faire apprécier comme critique de théâtre et de musique. Il se livrait à son art en parfaite simplicité, ce qui peut-être explique son succès. Henri Sauguet disait lui-même " Etre simple en usant d'un langage complexe n'est pas facile. Il faut écouter le conseil de Rameau qui prescrivait de cacher l'art par l'art même et croire avec Stendhal que seules les âmes vaniteuses et froides confondent le compliqué, le difficile avec le beau. "8 Amoureux des poètes, il a aussi écrit des recueils de mélodies sur des poèmes de Max Jacob, Visions infernales, où se manifeste son goût pour le plus pur style français.

Elu à l'Académie des Beaux-Arts en 1976, au fauteuil de son ami Darius Milhaud, reçu officier de la Légion d'Honneur (1956), officier de l'ordre Nationale du Mérite, et commandeur des Arts et des Lettres, il a été également durant de nombreuses années président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques et de l'Association Una Voce.

Son œuvre variée, qui comporte aussi bien de la musique de scène ou pour orchestre, ainsi que de chambre ou vocale, révèle également de la musique de film dans laquelle il composait agréablement. Citons L'Epervier (Marcel L'Herbier, 1933), L'Honorable Catherine (id., 1942), Premier de cordée (Daquin, 1943), Les amoureux sont seuls au monde (Decoin, 1947), Clochemerle (Chenal, 1947), Don Juan (J. Berry, 1955).... Henri Sauguet s'est intéressé à toutes formes d'art, mêmes nouvelles et " sa nature le porte plus volontiers vers un lyrisme, un romantisme même, empreint de réserve, de grâce, d'une étrange poésie, où le cœur partage avec l'esprit la première place. "9

Henri Sauguet a laissé un livre de souvenirs merveilleux, dont le titre est déjà un programme à lui tout seul : La musique, ma vie. On y découvre là, au fil des pages écrites dans un style agréable et vivant, son enfance bordelaise, sa montée à Paris, ses professeurs qui devinrent de réels amis et plus de quarante années de vie artistique et mondaine parisienne.

Signature d'Henri Sauguet
Signature d'Henri Sauguet, 1954.
C'était un artiste, c'était un musicien de talent, mais avant tout c'était un homme de cœur apprécié de tous, et auquel nous rendons ici un fervent hommage. Pour terminer, il me revient à l'esprit ce mot qu'Emmanuel Chabrier dit un beau jour de 1887 au jeune Gustave Samazeuilh, alors âgé d'une dizaine d'années : Tu as l'air, mon petit, d'aimer la musique! Si tu dois en faire plus tard, n'oublie jamais qu'elle s'écrit avec des notes, mais qu'elle se pense avec le cœur. Nul doute qu’Henri Sauguet le prit ensuite pour lui et en fit sa devise !

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE

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1) Henri Sauguet, La musique, ma vie, Librairie Séguier, 1990, p. 51. [ Retour ]

2) Id., p. 48. [ Retour ]

3) Id., p. 63. [ Retour ]

4) 1re audition par la Société Nationale le 14 février 1911. [ Retour ]

5) Henri Sauguet, op. cit., p. 64. [ Retour ]

6) Ibid. p. 170. [ Retour ]

7) Erik Satie s'était en effet installé à Arcueil en 1898. [ Retour ]

8) Bernard Gavoty et Daniel Lesur, Pour ou contre la musique moderne ?, Paris, Flammarion, 1957, p. 294. [ Retour ]

9) Ibid., p. 292. [ Retour ]

 


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