Quelques notes sur des serviteurs de la Musique sacrée

 

Ces notices biographiques sont tirées d’un petit journal manuscrit rédigé dans les années 1920-1930 par Mgr Maurice Kaltnecker (1884-1959). Dispersées au gré des pages, nous les avons toutes ici rassemblées dans le but de mieux faire connaître quelques figures un peu oubliées. Pour en garder mémoire, il se plaisait en effet à évoquer des personnalités reconnues de la musique sacrée et livrait ses impressions sur leurs compositions. Ce travail lui servait pour ses cours magistraux de culture musicale au Petit Séminaire de Nancy où il enseignait. Peut-être destinait-il ces notices à la publication. Il est en tout cas probable qu’il était en relations plus ou moins suivies avec un certain nombre de ces musiciens.

Olivier Geoffroy

 

 

[Dans ce domaine], l’ordre de Saint-Benoit compte quelques sujets d’élite :

Dom Jeannin, tout d’abord, un marseillais de l’abbaye d’Hautecombe (1866-1933). Le savant religieux avait attiré l’attention sur ses travaux par la publication d’une Introduction musicale aux mélodies syriennes. Cette étude consciencieuse avait amené son auteur à prendre position dans l’épineuse question du rythme grégorien., et il s’était proclamé mensuraliste. Dom Mocquereau ne manqua pas de défendre la thèse solesmienne et une polémique courtoise mit aux prises les deux moines. Dom Jeannin recueillit peu d’adeptes ; le système solesmien a fait ses preuves et les hypothèses mensuralistes les plus ingénieuses ont trop souvent déçu ceux qui leur avait réservé le meilleur accueil.

L’ouvrage sur les mélodies syriennes avait été favorisé, par le Saint-Siège, de secours pécuniaires ; on ne tarda pas à insinuer que le Saint-Siège appuyait implicitement les idées mensuralistes de Dom Jeannin. Une note de l’Osservatore Romano, du 22 février 1933, remit les choses au point : la subvention pontificale, lisait-on, regardait exclusivement une publication de science orientale, et non la divulgation de théories particulières sur le rythme traditionnel du chant grégorien. Ajoutons que Dom Jeannin n’était pas seulement un musicologue : il était musicien de tempérament et d’éducation ; bon organiste, il accompagnait le choeur avec une discrétion et une douceur remarquées des artistes que la saison estivale attirait sur les rives du lac du Bourget.

Le R. P. Dom Charles Megret, de l’abbaye de Clervaux, disparaissait en même temps que Dom Jeannin (1853-1933). Originaire du diocèse du Mans, il fut, après quelques années de ministère paroissial, conquis par la paix bénédictine. De Solesmes, il passa à Ligugé, à Silos, à Saint-Maur, enfin à Saint-Maurice de Clervaux. Laissant à d’autres les recherches paléographiques, il servit l’art grégorien sur le terrain de la pratique ; ses confrères l’appelaient en souriant le " commis voyageur " en plain chant. Quand son compatriote, le cardinal Dubois voulut révéler le chant grégorien au clergé des diocèses de Verdun, de Bourges et de Rouen, il fit appel au zélé Dom Megret. Quelques communautés religieuses et quelques groupements nancéiens reçurent aussi ses doctes leçons. La Semaine religieuse [du diocèse de Nancy et de Toul] a raconté comment le R. P. termina sa mission artistique à Nancy en inspectant la schola du Petit Séminaire et en assurant aux maîtres que leurs élèves étaient dans la bonne voie rythmique.

Le R. P. de Sainte-Beuve, à l’atelier de paléographie [de Solesmes], fut pendant un quart de siècle, le bras droit de Dom Mocquereau (1858-1933). Les hôtes de l’abbaye Saint-Pierre, qui ont tous visité le souriant religieux dans son chantier de manuscrits, ont pu lire l’affectueuse notice que Dom Gajard lui a consacrée, dans la Revue grégorienne. On sait que Dom de Sainte-Beuve s’était spécialisé dans la composition des propres diocésains. Notre propre nancéien, oeuvre intéressante de Dom J. Parisot, n’est pas ponctué de signes rythmiques, Dom de Sainte-Beuve accepta de rythmer un exemplaire de ce propre pour notre usage personnel. En chantant l’office du Christ-Roi, dont nous apprécions " l’élan et la fermeté tout antiques ", nous nous souvenons de celui qui l’a cantonisé, le chartrain Dom René de Sainte-Beuve.

Le R. P. abbé de Florence, Dom Amelli (1848-1933), joua un rôle important dans la restauration grégorienne, en Italie. Fondateur de l’Association de Sainte-Cécile, alors qu’il appartenait au clergé de Milan, Dom Amelli nous donna une édition populaire du Micrologue, de Gui d’Arezzo. Dans cet ouvrage, il n’est pas tendre pour les ingénieuses théories métriques de Mgr Foucault. Contemporain et ami de Dom Pothier, il fut consulteur dans la Commission pontificale, pour l’Edition Vaticane.

Le R. P. Déprez, organiste de Maredsous, [était] l’auteur de pieux cantiques édités à la Schola et dans le Bulletin liturgique de l’Abbaye Saint-André.

[...]

M. l’abbé Méfray, un angevin qui dirigea pendant la maîtrise paroissiale des Sables d’Olonne, suscita un des premiers congrès de chant grégorien et donna, il y a quelques années, les fruits de sa précieuse expérience, dans un livre de pédagogie vocale justement renommé.

[...]

Ce mois d’août [1928], c’est le baron F. de la Tombelle, qui dans son magnifique château de Fayrac, en Dordogne, a été brusquement ravi à l’affection de sa famille et de ses nombreux amis. Il serait téméraire de songer à établir l’index des oeuvres du compositeur le plus fécond du siècle ! M. de la Tombelle a écrit pour toutes les voix et pour tous les instruments ; il a abordé tous les genres, symphonies, sonates, trios, quatuors, oratorios, cantates, messes, motets, cantiques, pièces d’orgue et d’harmonium. Cet artiste raffiné était la charité même ; collaborateur de toutes les revues et de toutes les anthologies musicales, il était la providence des chorales les plus modestes, et la facilité, chez lui, n’excluait jamais la noblesse de l’inspiration et la distinction de la forme. C’est avec empressement que ce parfait gentilhomme a acepté d’écrire, pour notre petite schola de Bosserville [où le chanoine Kaltnecker était professeur de lettres et maître de chapelle], une grande Cantate à la Vierge, un cantique à saint Louis de Gonzague, une cantilène en l’honneur de saint Grégoire, sur des poèmes de M. l’abbé [Charles] Gégout. Quelle maîtrise ne possède , dans son répertoire, des oeuvres de la Tombelle ? La plus humble de nos confréries connaît son suave : " Mon Sauveur, je ne suis pas digne que vous veniez dans ma maison ". Il avait participé récemment, toujours avec la même bonne grâce à la rédaction d’un recueil de pièces pour harmonium [référence probable à Cantanttibus organis, Nancy, SAEM, 1928, avec des oeuvres de Kaltnecker, la Tombelle, Magin, Pierre Bretagne, Guy de Lioncourt...].

[Suit un paragraphe sans rapport mais intéressant, aussi n’avons-nous pas résisté à le transcrire] :

L’Eglise accorde une place au chant populaire. Mais cette question du chant populaire ou du cantique est encore bien controversée ; quand on l’aborde, on oublie généralement de distinguer le texte et la musique. Que de gracieux poèmes sont affublés de mélodies indignes d’eux ! Que de monstres poétiques doivent de vivre à la musique qui voile leurs difformités ! Et puis, sur ce terrain, les docteurs abondent, qui se prononcent d’un ton péremptoire et définitif. Ont-ils tous une technique suffisante ? Ne sont-ils pas trop souvent esclaves de leurs éducation et de leur sentimentalité ? Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas à craindre le chômage, car les recueils de bons ou mauvais cantiques se multiplient...

[...]

A Paris, ce 22 mars [1931], mourait à l’âge de 71 ans, M. Henri Eymieu. Cet ancien juge au tribunal de Corbeil oubliait au service d’Euterpe les austérités du Droit civil. Elève de M. Gazier pour l’harmonie et le contrepoint, de M. Widor pour la composition, M. Eymieu écrivit, outre les partitions de musique de scène, des pièces pour harmonium et des motets d’un style religieux très pur ; la Revue musicale et liturgique de l’abbé Delporte, et la Musique sacrée de Toulouse, le comptaient parmi leurs collaborateurs les plus goûtés.

[...]

M. Louis Raffy a suivi de près M. Eymieu dans la tombe. Qui ne connaît et n’apprécie la célèbre Méthode d’orgue de l’organiste de Nérac ? Que de jeunes talents doivent à cet artiste délicat leur initiation à la musique d’église et à l’accompagnement du plain chant. Certains chapitres de la méthode Raffy, notamment l’harmonisation du chant grégorien, ont été développés et précisés dans des traités spéciaux : tel qu’il est, à mon avis, cet ouvrage d’une pédagogie parfaite, reste une grammaire musicale de première valeur.

[...]

Ce fut avec une véritable stupeur que j’ai appris la mort de mon confrère très aimé, M. l’abbé P. Portier. Organiste du choeur et ensuite directeur de la maîtrise épiscopale de Nantes pendant 25 ans, le cher défunt et son confrère du grand orgue, M. l’abbé Courtonne, donnaient aux offices pontificaux une somptuosité sans pareille. Par leurs soins, aux solennités de Noël, de l’Epiphanie, de la Résurrection, les fidèles trouvaient dans des livrets artistiquement présentés et rédigés d’une plume alerte, à côtés des textes sacrés, d’utiles commentaires liturgiques et la substantielle analyse des pièces musicales interprétées par la maîtrise. Je possède dans ma bibliothèque, une gracieuse anthologie de motets pour les bénédictions du Saint-Sacrement, glanés ça et là par M. l’abbé Portier et éditée au début de l’année. Quelques semaines plus tard, l’abbé Portier mourait, terrassé par un cancer à lente et sournoise évolution.

[...]

[évoquons aussi le décès en avril 1931] de M. Paul Vidal, ancien professeur au Conservatoire, inspecteur des Beaux-Arts. Bien que l’activité musicale de M. Vidal se soit orientée vers la musique profane, je n’oublie pas que cet ancien chef d’orchestre de l’Opéra est l’auteur d’une célèbre cantate à la Vierge : " Au son des harpes d’or et des luths triomphants ".

[...]

Les amis de Metz ont perdu, il y a quelques semaines [1931], un de leurs meilleurs compositeurs, M. Stollewerk, organiste à Queuleu-Metz. Ce musicien doué d’un grand savoir a écrit des motets liturgiques, où l’on retrouve avec la souplesse d’un homme de métier, la délicatesse et l’onction du chrétien. Ses oeuvres ne sont pas, hélas, assez connues.

[...]

[et saluons également la mémoire de] M. le chanoine A. Brune [décédé en 1934 ?], directeur de la maîtrise de Besançon, qui, avec la collaboration de son frère, M. le chanoine E. Brune, de Saint-Claude, publia d’estimables recueils de cantiques et de chants latins et une excellent méthode d’accompagnement. [Il pense aussi à] M. Dethier, organiste du séminaire de Liège, amis du grand Tinel et compositeur fécond, à qui l’on doit un recueil de motets à 1, 2, 3, 4 voix. [Et parle enfin de] M. le chanoine Le Dorz, curé de Saint-Patern, à Vannes, poète plutôt que musicien, dont les oeuvres inspirèrent Bordes, la Tombelle, Brun, Courtonne... et contribuèrent à la renaissance du chant religieux en langue populaire.

Chanoine Maurice Kaltnecker

 


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