Dame JOAN SUTHERLAND
Ordre du Mérite britannique (Commandeur, 1961) - Ordre d’Australie (Companion of the Order of Australia)
Dame Commander of the Order of the British Empire
Sydney (Australie), le 7 novembre 1926 – Les Avants (Suisse) 10 octobre 2010


Joan Sutherland et son mari, le chef d'orchestre Richard Bonynge, vers 1980
Joan Sutherland et son mari, le chef d'orchestre Richard Bonynge, vers 1980
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles ) DR

 

Maria Callas : la Divine (1923-1977). Renata Tebaldi : la Voix d’ange (1922-2004). Leyla Gencer (1928-2008) : la Reine des enregistrements pirates et Joan Sutherland : La Stupenda, autrement dit La Stupéfiante. Ce légendaire quatuor lyrique peut désormais s’inscrire en lettres d’or au panthéon des musiciens ayant marqué la seconde moitié du XXème siècle. Avec la disparition de Dame Joan Sutherland, survenue le 10 octobre 2010, c’est une figure emblématique de la scène lyrique internationale qui a tiré sa toute dernière révérence.

 

UNE ENFANCE BERCEE PAR LA MUSIQUE

Née à Sydney le 7 novembre 1926, Joan Sutherland présente dès sa plus tendre enfance des prédispositions naturelles pour le chant. Sa mère, Muriel Alston, mezzo-soprano de bon niveau (héritière de l’école de chant de Mathilde Marchesi) renonce à embrasser une carrière lyrique pour se consacrer à la vie familiale. Elle joue ainsi un rôle capital dans sa formation musicale, en lui enseignant le solfège, puis les bases du piano et les préceptes du chant. Tout au long de son enfance, la vaste maison des Sutherland sur les hauteurs de Port Piper, est animée par des réunions musicales avec des membres de la famille passionnés de music hall et d’opéra. Ces rencontres permettent d’évoquer la mémoire de chanteurs lyriques de la période du Golden Age : Dame Nellie Melba, Luisa Tetrazzini, Amelita Galli-Curci, Frida Hempel, Enrico Caruso, tout en écoutant leurs enregistrements. Le rôle que joue Muriel Alston (le père de Joan Sutherland décède inopinément en 1932) est prépondérant : mère attentive, sévère et quelque peu autoritaire, c’est elle qui instille chez la jeune femme son goût prononcé pour le chant et soutient ses efforts en vue d’une carrière lyrique. En fait, sa mère voit en elle les espoirs brisés d’une carrière à laquelle elle renoncera, non sans regrets. Joan Sutherland a donc la chance de pouvoir grandir et évoluer dans un foyer musical. Toutefois, convaincue que sa fille est mezzo, comme elle le fut elle-même, Muriel Alston ne mesure pas le véritable potentiel vocal de Joan Sutherland, puisqu’elle s’obstine à vouloir la cantonner dans un registre de mezzo. Surtout, le travail à accomplir pour passer du registre de mezzo à celui de soprano sera ardu : malgré les inévitables remises en question et surtout, les doutes quant à son avenir artistique, Joan Sutherland fera preuve de la plus grande humilité dans ce nouvel apprentissage. En effet, si son potentiel vocal est manifeste, son physique un peu gauche et un début d’embonpoint offrent une image aux antipodes de celle d’une prima donna. Enfin, un autre problème plus douloureux perturbera l’enfance, puis l’adolescence de Joan Sutherland : une délicate infection chronique aux synus et aux oreilles, aggravée par une mauvaise dentition. Plusieurs interventions chirurgicales seront nécessaires pour venir à bout de ces pathologies et ne manqueront pas de compromettre ses chances de carrière.

 

UNE VOLONTE ET UN COURAGE EXEMPLAIRES

Fermement déterminée à poursuivre sa formation musicale, Joan Sutherland reçoit les premiers rudiments techniques de sa mère. Elle obtient ensuite un diplôme de secrétariat, maîtrisant habilement la sténographie et la dactylographie, puis décroche un emploi de secrétaire auprès du Conseil pour la Recherche Scientifique et Industrielle sur le campus de l’Université de Sydney (en 1944), après avoir suivi une formation parallèle de couturière : on ne sait jamais ! Son travail lui consent peu de temps pour l’étude de la musique et pourtant, le chant devient son seul objectif. Elle suit parallèlement des cours d’histoire de la musique tout en se perfectionnant en solfège (elle maîtrisera une époustouflante lecture à vue, ce qui lui permettra de mémoriser avec une prodigieuse rapidité les partitions les plus virtuoses.) Malgré son emploi du temps bien rempli, elle suit des cours d’italien, puis d’allemand, tout en poursuivant l’étude d’oratorios, et du répertoire lyrique, mais en faisant fausse route vers le registre de mezzo-soprano. Ce ne sera qu’à force de détermination et de patience, que l’évolution vers la tessiture de soprano pourra s’opérer. Puis, en 1945, sa première chance lui sourit : elle repère une annonce dans le Sydney Morning Herald annonçant un concours de chant organisé par deux éminents pédagogues, John Dickens et Aida Summers. Elle travaille d’arrache-pied à la préparation des épreuves et réussit haut la main son passage au concours (en guise de premier prix : deux années de cours gratuits dans leur studio.) Elle y interprète entre autre « Mon cœur s’ouvre à ta voix », l’air de Dalila, extrait de Samson et Dalila. A ce tournant de sa jeune carrière, la voix est certes puissante, mais limitée dans l’étendue et relativement lourde, compacte et peu malléable. Joan Sutherland apprécie particulièrement les voix puissantes, à tempérament dramatique : elle a du reste pour modèle le soprano norvégien Kirsten Flagstad, une éminente wagnérienne, ce qui en dit long sur ses aspirations en matière de choix de répertoire. Jamais elle n’aurait imaginé pouvoir aborder Amina, Lucia di Lammermoor, La Fille du régiment ou Lakmé. C’est à cette époque que le réputé compositeur et chef d’orchestre britannique Sir Eugene Goossens, après avoir entendu Joan Sutherland au concert, puis en audition, la désigne digne héritière de Florence Austral, le soprano dramatique australien, une spécialiste du répertoire wagnérien! Nous sommes alors aux antipodes du type de vocalité et de répertoire que Joan Sutherland fera siens à compter du début des années 1960. Eugene Goossens ne mesure manifestement pas le potentiel du soprano dans une partie du répertoire que seule Maria Callas s’attachait à l’époque à faire renaître de ses cendres, suivie de près par le soprano turc Leyla Gencer. «La Donizetti renaissance » : c’est ainsi que la redécouverte de certains opéras d’essence belcantiste et rarement représentés sera surnommée dès 1950. Elle se réfèrera en particulier à des chefs-d’œuvre au rang desquels figurent Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux - la trilogie des reines Tudor -, Fausta, Poliuto, Parisina d’Este, Gemma di Vergy, Belisario, Caterina Cornaro, etc.) Une certaine Montserrat Caballé, puis Renata Scotto suivront cette voix toute tracée.

De son côté, Joan Sutherland poursuit son cursus académique auprès des Dickens : dès les premières séances de travail, il est évident que la voix est bien celle d’un large soprano ne demandant qu’à s’épanouir dans l’aigu. A cette même époque, elle fait la connaissance de Richard Bonynge, un passionné d’opéra, un brillant musicien et un fin connaisseur du répertoire belcantiste. Ils se rencontrent par l’intermédiaire d’un ami lors d’un récital organisé par le Sydney Symphony Orchestra. A cette même époque, le jeune musicien est étudiant auprès du New South Wales Conservatorium of Music. Ainsi, une exemplaire association artistique et personnelle pourra éclore. Contrairement à Muriel Alston, Richard Bonynge partage le verdict des Dickens et c’est lui qui encouragera la jeune femme à explorer le répertoire de soprano. Naturellement, il devient un complice artistique privilégié et un sherpa musical de premier plan, assumant un rôle capital dans ces premières étapes essentielles. Progressivement, tout en développant sa technique vocale, Joan Sutherland se familiarise avec le récital et occasionnellement, avec le concert (notamment avec la Bach Choral Society, le Ladies Choir, l’association Singers of Australia, puis avec le Riverina Music Club, qui comprend de multiples tournées en Australie. Considérée à cette époque comme un « excellent élément, plein de promesses, une belle chanteuse en devenir », elle retient l’attention grâce à sa voix ample, aux belles notes graves sonores et puissantes, aux aigus « magnifiques mais instables. »

 

DES DEBUTS ENCOURAGEANTS

La jeune Australienne débute en 1947 au Town Hall (Sydney) dans le rôle de soprano de Galatée (Acis et Galatée), puis aborde le contralto de Didon (Didon et Enée), des débuts prometteurs certes, mais dans le mauvais registre. Ceci dit, ces premiers contrats professionnels lui offrent la possibilité de se familiariser avec le travail d’ensemble et surtout, avec le public auprès duquel elle commence à se forger une excellente réputation. Cette intense activité musicale la conduit vers son premier grand rôle : celui de Judith dans l’opéra en un acte d’Eugene Goossens (créé au Covent Garden de Londres en 1929), qu’elle interprète au Conservatoire de Sydney. Débuts difficiles sur le plan scénique : enrobée et passablement gauche, la jeune femme ne sait que faire de ses mains, ses mouvements sont stéréotypés et maladroits, sa gêne est évidente. Toutefois, sur le strict plan vocal, son interprétation frappe par sa « musicalité sans faille, la puissance de sa voix, la qualité de l’émission et la brillance du haut medium ». Joan Sutherland continue de se produire dans de nombreux concerts (les concerts jalonneront fidèlement les étapes de sa carrière), notamment avec la Affiliated Music Clubs of New South Wales (Sydney.) Son répertoire inclut des airs extraits de Tannhäuser, du Freischütz, Hérodiade, La Gioconda, Aida et les rôles de Dalila et de la Femme israélite (dans Samson de Georg Friedrich Haendel.) L’amitié avec Richard Bonynge se développe et surtout, une première association musicale s’établit sereinement entre les deux artistes et dès novembre 1949, Richard Bonynge devient officiellement son pianiste-accompagnateur.

Tout en participant régulièrement à de nombreux concerts, Joan Sutherland se présente à d’autres concours. En 1951, elle remporte le premier prix du très convoité Sun aria contest (et la même année, celui du concours Mobil Quest). Une décision est alors prise : elle poursuivra son perfectionnement musical à Londres, l’Australie n’offrant pas le potentiel de carrière qu’est en droit d’espérer la jeune femme. Elle réalise à ce tournant de sa vie que la capitale britannique pourra lui ouvrir les portes d’une carrière internationale. Patiente mais déterminée, elle sait que son heure viendra.

 

LONDRES ET UN NOUVEAU TRAVAIL ACHARNE

Toujours en 1951, escortée de sa mère Muriel, Joan Sutherland s’établit à Londres, où elle y retrouve Richard Bonynge, lui-même jeune boursier de la Royal College of Music. L’amitié sincère unissant les deux artistes évolue, passant d’une intense complicité artistique vers une profonde tendresse, puis vers un amour cimenté par leur amour de la musique : ils se marient en 1954. Nul doute que la présence tutélaire de Richard Bonynge à ses côtés, tour à tour pianiste, pianiste-accompagnateur, répétiteur puis chef d’orchestre, sera un habile et réconfortant catalyseur tout au long de sa carrière. Le premier professeur de Joan Sutherland à Londres sera Clive Carey (ancien élève du ténor et pédagogue polonais Jean de Reszké), rattaché à l’Opera School (Royal College of Music), une étape préparatoire indispensable pour l’accès à la troupe du prestigieux Covent Garden. Joan Sutherland affiche une grande humilité dans l’apprentissage des rudiments de l’art scénique : un travail acharné, pour lequel elle ne se sent guère taillée, se tenant constamment en retrait du personnage et focalisant sa seule attention sur le chant. Richard Bonynge assume avec patience mais fermeté son rôle de sherpa, aidant la jeune artiste à escalader les cimes du répertoire de soprano coloratura, en lui faisant découvrir un répertoire qu’elle ne pense toujours pas être en mesure d’affronter. Il lui démontre que sa voix peut évoluer vers l’aigu et le suraigu, tout en déployant une prodigieuse agilité (le trille de Joan Sutherland demeure à ce jour inégalé et il faut remonter à l’époque du soprano autrichien Selma Kurz pour retrouver un trille digne de ce nom !) La connaissance encyclopédique du répertoire italien et l’excellent discernement de Richard Bonynge (que d’aucuns surnommeront vite « Mr Sutherland ») complètent les préceptes de Clive Carey qui, loin de s’en offusquer, voit évoluer cette voix au timbre légèrement voilé mais à la formidable agilité et extension vers l’aigu. Pourtant, en dépit des assurances de son époux et de Clive Carey, Joan Sutherland doute encore de sa capacité à affronter la tessiture de soprano. Ce sera à un point tel que lors d’exercices au piano, Richard Bonynge transposera d’un demi ton, puis d’un ton, les arpèges ascendantes que son épouse abordera sans aucune difficulté, dépassant allégrement le contre-Ut, puis le contre-Ré bémol, le contre-Ré et jusqu’au contre-Fa dièse (que le soprano n’osera que très rarement.) Ce sera un Clive Carey médusé qui découvre pour la première fois la « nouvelle » voix de son élève, lui interprétant un fabuleux Qui la voce, extrait de I Puritani de Vincenzo Bellini. C’est désormais une voix ample, d’essence dramatique, aux graves sonores et aux aigus lumineux que le maître de chant découvre médusé dans ce morceau de bravoure, reconnaissant ainsi le travail de développement accompli par la jeune artiste. Un nouveau répertoire, avec de réelles perspectives de carrière sont à portée de main. Joan Sutherland comprend alors que son potentiel artistique est immense, et que sa vocalité ne demande qu’à s’épanouir dans un registre que Richard Bonynge l’incitera d’explorer et de faire sien. Peu à peu, elle fera siens une partie des rôles créés par les héroïnes légendaires qu’elle admirait tant, à l’instar de Jenny Lind (le « Rossignol suédois »), Giuditta Pasta, Fanny Tacchinardi-Persiani, Giulia Grisi ou encore, Maria Malibran.

Munie d’une recommandation d’Eugene Goossens qui décrit l’artiste comme étant «un magnifique soprano dramatique, dans la tradition de Florence Austral », elle est auditionnée par Sir David Webster, à la tête du Covent Garden. L’audition se déroule sur la scène du Wigmore Hall : bien que l’audition soit globalement concluante, on lui propose un deuxième passage, six mois plus tard, ce qu’elle fera, mais sur les planches du Covent Garden. La raison est simple : le théâtre, bien qu’intéressé par le talent de Joan Sutherland, ne peut lui garantir une place au sein de la troupe, cette dernière étant complète. Gagnant davantage de confiance, elle poursuit sa formation vocale et musicale avec acharnement, faisant preuve de la plus grande patience, bien que parfois minée par des découragements : Richard Bonynge assume son rôle tutélaire avec un parfait discernement, convaincu que le potentiel du soprano est immense, et il verra juste.

En effet, la persévérance paiera, car Joan Sutherland commence à se tailler une belle réputation : son interprétation de Giorgetta (Il Tabarro) à l’Opera School en 1952 remporte d’excellentes critiques et sera remarquée par des représentants de Sir Webster, présents dans la salle. Giorgietta est le rôle le plus dramatique de la trilogie puccinienne, ce qui prouve – si besoin était – que la voix de la jeune artiste n’est pas du tout celle d’un soprano léger, comme certains auront tort de le prétendre, ni même d’un soprano traditionnellement lyrique. Quelques semaines plus tard, Joan Sutherland reçoit son premier contrat avec la troupe du Covent Garden. Il est intéressant de noter que la convention passée avec la vénérable institution stipule que l’artiste est astreinte à l’étude de deuxièmes rôles, ainsi qu’à plusieurs doublures, dont le rôle de la Feldmarshallin (Der Rosenkavalier), ce qui en dit long sur la diversité du répertoire abordé par Joan Sutherland.

 

PREMIERS PAS SUR LA SCENE DU COVENT GARDEN

Covent Garden représente pour Joan Sutherland le début d’une prestigieuse carrière internationale : bien des années plus tard, elle se souviendra de ces premières années passées au sein de la troupe comme étant particulièrement précieuses et riches d’enseignements. Son premier rôle sera celui de la Erste Dame (Die Zauberflöte), suivi de la Sacerdotessa (Aida) et Clotilde (Norma, aux côtés de Maria Callas et de Ebe Stignani), saison 1952-1953. En décembre 1952, la direction du Covent Garden lui propose un premier rôle: Amelia (Un Ballo in maschera), en remplacement de dernière minute d’une collègue défaillante.

D’autres premiers rôles suivront, dont celui de la Contessa (Le Nozze di Figaro), Agathe (Der Freischütz) et une rarissime Aida (rôle-titre) à Manchester en 1953, en remplacement du soprano Joan Hammond, le rôle-titre de La Checchina (ou La Buona figliuola de Niccola Piccinini), Vitellia (La Clemenza di Tito), Frasquita puis Micaela (Carmen), die Aufseherin (Elektra), le rôle-titre d’Euryanthe et une autre rareté : Laodice dans Mitridate Eupatore (de Domenico Scarlatti pour la BBC) et le rôle-titre d’Emilia di Liverpool. C’est à cette époque que Joan Sutherland fera la connaissance du comédien et metteur en scène britannique Norman Ayrton, directeur-adjoint de la London Academy of Music and Dramatic Art. Il prendra Joan Sutherland sous son aile en lui enseignant la relaxation, la souplesse et le contrôle musculaire, en développant son habilité à exprimer des émotions au travers de la gestuelle expressive. Elle gagne progressivement en liberté de mouvement et atteint désormais un meilleur équilibre entre le chant et le jeu scénique. Elle déclarera être devenue « une véritable spécialiste des chutes scéniques », notamment dans Lucia di Lammermoor ou Lucrezia Borgia ! En 1954, elle célèbre son mariage avec Richard Bonyne, duquel naîtra un fils. Toujours rattachée à la troupe du Covent Garden, elle interprète une série de deuxièmes rôles wagnériens à l’instar de Helmwige (Der Ring der Niebelungen), une Walkyrie (Die Walküre), une Fille du Rhin (Das Rheingold), l’Oiseau (Siegfried), allant jusqu’à interpréter le premier rôle d’Eva (Die Meistersinger von Nürnberg, en 1957). L’artiste rend de bons et loyaux services à la direction du Covent Garden, qui pourtant, s’obstine à penser que ce répertoire est idéal pour Joan Sutherland et refuse toute autre alternative, dans un souci de ne pas empiéter sur le territoire des soprani déjà en troupe et dont la réputation est bien établie. Mais la chance souriant à qui sait attendre, elle chante finalement le rôle d’Antonia (Les Contes d’Hoffmann ) : un premier rôle de «grand lyrique » : elle y remporte un franc succès. Plus tard dans la saison, Joan Sutherland émerveille le public du Covent Garden dans la poupée Olympia (Les Contes d’Hoffmann.) C’est dans ce rôle de brillant et virtuose que l’artiste prouvera au public toute l’étendue de sa technique. Pour la première fois depuis des décennies, la virtuosité se fera puissante: une Olympia grandeur nature, et non plus un ravissant canari mécanique et désincarné. Du reste, elle n’éprouvera aucune difficulté à rendre justice aux tessitures plus centrales et au caractère plus corsé d’Antonia ou de Giulietta, rôles que Joan Sutherland abordera à la scène et enregistrera au studio, notamment pour la firme DECCA, devenu un incontournable de la discographique de Jacques Offenbach.

La direction du Covent Garden décide alors de confier une nouvelle création contemporaine au soprano : celle de Jennifer (The Midsummer marriage, opéra de Sir Michael Tippett). Hélas, comme ce fut le cas avec le rôle de Lady Penelope Rich (Gloriana, de Benjamin Britten), Joan Sutherland ne se sentira guère à l’aise sur le terrain de la musique contemporaine : elle veillera du reste à ne pas renouveler l’expérience. En 1958, elle participe pourtant à la première en langue anglaise de Madame Lidoine (Le Dialogue des carmélites).

Puis, suivront d’autres rôles lyriques : Micaela (Carmen), Pamina (Die Zauberflöte), ainsi qu’une importante série de prestations radiophoniques comprenant Vittelia (La Clemenza di Tito), la partie de soprano dans la Messa da requiem de Giuseppe Verdi, puis dans La Quatrième symphonie de Gustav Mahler, la Première dame (Die Zauberflöte), Konstanze (Die Entführung aus dem Serail), Madame Herz (Der Schauspieldirektor au Festival de Glyndebourne), etc.

 

LUCIA DI LAMMERMOOR : LA CONSECRATION POUR JOAN SUTHERLAND

Le 17 février 1959 est une véritable consécration pour Joan Sutherland : elle aborde le rôle-titre de Lucia di Lammermoor au Covent Garden, sous la direction du vétéran chef d’orchestre italien Tullio Serafin (1878-1968). Cet opéra avait été repris pour la dernière fois à Londres par le soprano italien Toti Dal Monte (1893-1975). Cette prise de rôle marque un tournant décisif dans sa carrière: elle établit de fait - et de manière éclatante - sa véritable vocalité, restituant, à l’instar de Maria Callas, inoubliable interprète du rôle, les lettres de noblesse et toutes les facettes du rôle de Lucia.

Le succès sera phénoménal: le public, habitué aux voix légères et aériennes de soprani coloratura épris de vocalises mécaniques, découvre stupéfait une voix puissante, richement timbrée et brillante, particulièrement dans les notes les plus stratosphériques, mais de couleur intrinsèquement dramatique. Une Lucia faite de chair et de sang, au chant parfaitement contrôlé, maîtrisant un jeu scénique captivant. L’effet d’écho entre Lucia et le solo de flûte (comprenant des cadences révisées par Richard Bonynge) dans la première partie de la scène de la folie Il dolce suono, est une éclatante démonstration de virtuosité vocale, dans la plus pure tradition belcantiste. Cette soirée catapulte le soprano au premier rang des interprètes du rôle : en effet, en 1959, Maria Callas venait d’enregistrer sa dernière Lucia au studio. Un modèle certes, mais présentant d’évidents signes de déclin vocal. La Divine n’avait du reste plus jamais abordé le rôle à la scène depuis 1956. La Divine ne manquera d’ailleurs pas de rendre visite à Joan Sutherland dans sa loge, au terme de la répétition générale et la complimentera chaleureusement pour sa prise de rôle.

 

VENISE INTRONISE LA STUPENDA : LE DEBUT D’UNE PRESTIGIEUSE CARRIERE INTERNATIONALE

A compter de ce moment-là, la carrière de Joan Sutherland s’affirme à l’international. Après une série de Donna Anna à l’Opéra de Vienne, elle reprend le rôle-titre d’Alcina de Haendel en 1960 (qu’elle avait interprété pour la première fois en anglais au St. Pancras Town Hall de Londres en 1957 puis pour la radio en 1959), au Teatro la Fenice de Venise. Il s’agit d’une étincelante production de Franco Zeffirelli, magnifiquement baroque, sous la direction du chef italo-américain Nicola Rescigno (1916-2008.) Le public italien ébloui par son chant virtuose la surnommera La Stupenda (littéralement : La Stupéfiante.) Et stupéfiante elle l’est : elle aborde le rôle exigeant de la magicienne et enchanteresse avec un aplomb, une assurance et une virtuosité extraordinaires. Les théâtres de la péninsule italienne, fortement ancrés dans les œuvres belcantistes, puis véristes, boudaient alors quelque peu les opéras de l’époque baroque, et les chefs-d’œuvre de Haendel étaient relativement peu représentés. Si les critiques sont unanimes, certaines s’élèvent déjà – et à juste titre – pour souligner la diction approximative de Joan Sutherland en italien (une faiblesse tout aussi déplorée dans la langue française : il faudra patienter jusque vers la fin des années 1970 pour constater une légère amélioration.)

Cette consécration italienne s’avère être capitale pour Joan Sutherland : elle confirme l’étendue de son répertoire et surtout, elle rend justice à des rôles qui trop longtemps, avaient été confiés à des voix inadéquates sur le plan stylistique, voire dramatique. A l’instar de Callas, et sans comparaison aucune, Joan Sutherland apporte à ses ornementations et à sa coloratura, une intensité et une véracité musicale confondante. Elle ne recherche en aucun cas l’effet facile : les cadences qu’elle revisite avec Richard Bonynge de destinent à valoriser sa voix certes, mais en aucun cas, elles visent à garantir des effets trop faciles. Du reste, les cadences « à la Sutherland » jalonneront, inchangées, la longue carrière du soprano, subissant tout au long de la dernière décennie d’activité des occasionnelles transpositions vers le bas (d’un demi-ton, parfois d’un ton.)

Après le retentissant succès remporté à Venise, La Stupenda poursuit une carrière internationale qui la conduira aux quatre coins du monde, dans des villes telles que (dans l’ordre chronologique) Palerme, Paris, Gênes, Glyndebourne, Dallas, Barcelone, Chicago, New York, Milan, San Francisco, Washington, San Diego, Philadelphie, Rome, Anvers, Amsterdam, Naples, Hollywood, Bristol, Los Angeles, Vancouver, Toronto, Cleveland, Boston, Hartford, Minneapolis, Detroit, Berne, Montreal, Houston, Cincinnati, New Orleans, Bloomington, Miami, Fort Lauderdale, Melbourne, Adelaide, Sydney, Adelaide, Copenhague, Hambourg, Monte Carlo, Sacramento, Atlanta, Newark, Seattle, Florence, Buenos Aires, La Haye, Memphis, Genève, Madrid, Brighton, Salt Lake City, Memphis, Edmonton, Alberta, New Rochelle, Long Island, Rotterdam, Amsterdam, Cupertino, Fresno, Claremont, Lisbon, Sacramento, Phoenix, Pasadena, Rochester, Stratford-upon-Avon, Las Palmas, Christchurch, Wellington, Auckland, Winnipeg, Sarasota, Puerto Rico, Utrecht, Scheveningen, Eindhoven, Oklahoma, Tokyo, Nagoya, Seoul, Munich, Asolo, Glasgow, Ann Arbor, Cincinatti, Brisbane, Stockholm, Stuttgart, Pittsburg, Rock Hill, Atlantic City, Perth, Syracuse, Baltimore, Catane, Costa Mesa, Newcastle, Hong Kong, Pennant Hills, etc.

 

UN FABULEUX INSTRUMENT AU SERVICE D’UN VASTE REPERTOIRE

Depuis ses débuts londoniens dans Lucia, la voix de Joan Sutherland ne cesse d’évoluer, ce qui lui permet d’aborder un répertoire de plus en plus vaste et comprenant les rôles suivants : Elvira (I Puritani), Donna Anna, Amina (La Sonnambula), Beatrice (Beatrice di Tenda), Die Königin der Nacht, Violetta (La Traviata), Marguerite de Valois (Les Huguenots), le rôle-titre de Semiramide, Cleopatra (Giulio Cesare), le rôle-titre de Norma, Marguerite (Faust), Marie (La Fille du régiment), le rôle-titre de Lakmé, Eurydice (Orphée et Eurydice de Joseph Haydn), le rôle-titre de Norma, Marguerite de Valois (Les Huguenots), les quatre rôles de soprano (Les Contes d’Hoffmann), le rôle-titre de Rodelinda, Gilda (Rigoletto), les rôles-titres de Maria Stuarda et de Lucrezia Borgia, Rosalinda (Die Fledermaus), le rôle-titre d’Esclarmonde, Leonora (Il Trovatore), Anna Glawari (The Merry widow), le rôle-titre de Suor Angelica (Il Trittico), Sita (Le Roi de Lahore), Amalia (I Masnadieri), Desdemona (Otello), le rôle-titre d’Adriana Lecouvreur, Leonora (Il Trovatore), Adina (L’Elisir d’amore), le rôle-titre d’Anna Bolena, Madame Lidoine (Le Dialogue des carmélites), Ophélie (Hamlet). Cette liste de rôles, non exhaustive, pourrait être complétée par le répertoire abordé lors des premières années de la carrière ou interprétés pour la radio : Mrs Empson (All at Sea : un opéra de Geoffrey Shaw – le deuxième acte uniquement -), le rôle-titre de Griselda, celui d’Emilia di Liverpool, etc. Ce panorama pourrait s’enrichir de nombreux extraits d’opéras non abordés dans leur intégralité et chantés au concert ou au récital.

Joan Sutherland dans La fille du Régiment
Joan Sutherland dans le rôle de Marie de La Fille du régiment de Donizetti,
1983, Metropolitan Opera, New York
( photo Winnie Klotz, Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles ) DR

Jusqu’à ses adieux à la scène en 1990, la carrière de Joan Sutherland se déroulera harmonieusement, sans scandales ni controverses, mais elle sera toujours consciente de la place prééminente qu’elle occupera sur les plus grandes scènes lyriques. Dès la fin des années 1980, la voix montre des signes de déclin et bien qu’interprétant encore quelques rôles « de jeunesse » (Lucia, La Fille du régiment, Leonora dans Il Trovatore, Adriana, Rosalinda, Anna Glawari et Valentine), l’effort vocal, mais également physique, devient de plus en plus perceptible. Une série de représentations d’adieux aura lieu et finalement, ce sera à l’Opéra de Sydney que Joan Sutherland quittera la scène dans le rôle de Marguerite de Valois et pour sa toute dernière apparition au concert, au Covent Garden lors d’une représentation de Die Fledermaus. Elle interprétera le duo Parigi o cara extrait de La Traviata¸ avec son ami de toujours, Luciano Pavarotti et une autre illustre collègue : Marilyn Horne (pour un duo de Semiramide.) Lors de ces deux émouvantes soirées, elle chantera avec une émotion retenue le fameux Home, sweet home qui à Sydney comme à Londres, rappelleront les débuts lointains de la jeune Joan Sutherland, alors un mezzo-soprano à la recherche de sa véritable vocalité.

 

UN LEGS ARTISTIQUE INEGALE

Si l’on excepte la période incertaine où la jeune artiste se cantonne, sous l’influence de sa mère, au répertoire de mezzo-soprano, la voix de Joan Sutherland est quelque peu difficile à classifier selon les critères habituels.. Il ne s’agit pas d’un soprano lyrique ni d’un soprano coloratura stricto sensu : l’imposant volume de la voix et la couleur légèrement voilée des graves et du medium l’excluent de ces deux catégories. Seule son étourdissante virtuosité pourrait en faire un lyrique-coloratura, mais avec une couleur centrale sombre. Ses registres grave et médian, charnus et particulièrement opulents lui confèrent une couleur dramatique qui, alliés à la brillance et à la virtuosité de l’aigu font de cette voix unique un soprano dramatique d’agilité, ce type de voix que les Italiens nomment très justement soprano sfogato. En bref : la voix idéale pouvant rendre justice aux héroïnes romantiques que sont Semiramide, Anna Bolena, Maria Stuarda, Anna Bolena, Lucrezia Borgia, Norma ou encore, Beatrice di Tenda. Depuis «La Donizetti renaissance », un nombre restreint de soprani sera en mesure de rendre justice à des partitions requérant une palette vocale et interprétative hors pair. Joan Sutherland, dans la plus pure tradition belcantiste, contribuera de manière éclatante à restituer leurs lettres de noblesse à ces rôles qu’aujourd’hui, trop d’artistes galvaudent pour les plier à leur vocalité, hélas sous la pression et l’incompétence de leurs agents artistiques ou des théâtres. Dans le cas de Joan Sutherland, si au début de la carrière et pendant près d’une vingtaine d’années, sa diction péchera par trop de nonchalance et si le bas medium sera fréquemment voilé (l’une des conséquences d’une récurrente affection des synus), la confondante agilité de la coloratura, le tri absolument magistral et inégalé, mais surtout, l’impressionnant volume de la voix, sont stupéfiants.

Soutenue avec beaucoup de discernement par Richard Bonynge dans l’exploration du répertoire convenant le mieux à ses moyens, ses choix seront fort judicieux, lui permettant de reprendre, à plusieurs années d’intervalle, des emplois avec la même assurance vocale et avec une palette interprétative en continue évolution, en dépit d’un occasionnel léger vibrato. Egalement, elle ajoutera à son palmarès des héroïnes telles que Amalia (I Masnadieri) ou encore, le rôle-titre d’Adriana Lecouvreur, tous deux abordés à la scène et enregistrés pour DECCA. Le soprano réalisera un frappant portrait de la célèbre actrice et tragédienne française dans un répertoire resté trop longtemps l’apanage de soprani d’essence purement vériste, à l’instar de Mafalda Favero, Magda Olivero ou plus proche de nous, Raina Kabaivanska. Elle grave ainsi une magistrale intégrale de l’œuvre de Francesco Cilea, aux côtés de Carlo Bergonzi, Leo Nucci, Michel Sénéchal et Cleopatra Ciurca, une interprétation qui aura gagné en assurance et avec une magistrale maîtrise vocale.

Joan Sutherland laisse un important legs discographique, majoritairement scellé avec la firme DECCA : au rang des intégrales figurent quelques trésors incomparables et surtout, irremplaçables. Son double album The Art of the Primadonna (en 1960) marquera le début d’une importante discographie qu’il serait trop long de commenter ici, avec plusieurs raretés, comme Beatrice di Tenda, ou une inoubliable Esclarmonde (rôle-titre) et une impérieuse Sita (Le Roi de Lahore), devenues des incontournables. Les enregistrements consacrés à des extraits d’opéras, ou récitals, nous réservent de bien agréables surprises, tout comme certains rôles jamais osés à la scène, à l’instar d’une improbable mais lumineuse Princesse Turandot aux côtés de son cher « Big P »¸ Luciano Pavarotti et Montserrat Caballé dans le rôle de Liù.

Travail, persévérance, patience et humilité : tels seront les préceptes que Joan Sutherland fera siens tout au long de sa glorieuse carrière. Discrète, dotée d’une amabilité naturelle et surtout, d’un sens de l’humour proprement décapant, elle excellera dans un constant exercice d’autodérision, tout en se délectant et en amusant ses proches et ses collègues de scène.

Malgré sa réputation, l’artiste saura rester simple et suprêmement humaine. Résidant principalement en Suisse, sur les rives du Lac Léman et en Australie, Joan Sutherland se ressourcera dans son havre de paix, au coeur même de cette nature paisible et préservée, s’adonnant au jardinage et à la floriculture (avec une connaissance encyclopédique des espèces). Elle excellera également dans l’art du crochet, qu’elle maîtrisera avec une extraordinaire habileté. A l’ombre des feux de la rampe et de la constante pression exercée par sa carrière, Joan Sutherland aimera à retrouver parmi les siens, dans une liberté momentanément retrouvée. Il ne sera pas rare de la croiser à Montreux, Vevey ou Lausanne: affable et charmante, simple et comme le diraient les Anglo-Saxons « unsophisticated ». De ses magnifiques yeux verts, perçants et malicieux pointe un esprit volontaire et tenace. Au détour d’une galerie d’art, d’une salle de ventes aux enchères ou plus prosaïquement, d’un supermarché de la région lémanique, panier de fruits et de légumes à la main, cette femme à la stature imposante, sur les planches héroïne tour à tour tragique, altière et vulnérable, n’est alors plus La Stupenda mais »Madame Bonynge » «Vous savez bien ? La cantatrice de la route de Sonloup ? » Malgré les retentissants succès recueillis pendant plus de 40 années de carrière, Joan Sutherland fera toujours preuve de la plus grande humilité et n’affichera jamais l’attitude d’une primadonna. Pour preuve, elle s’obstinera à ne jamais vouloir reconnaître l’importance de son apport artistique, déclarant qu’en fait, elle « ne faisait que réaliser ce qui lui plaisait le plus dans la vie : chanter. » Après ses adieux survenus à Sydney puis à Londres en 1990, elle choisit de jouer un rôle actif au sein de jurys de nombreux concours internationaux (Cardiff Singer of the World, Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique, Concurso Francisco Viñas, Concours Maria Callas, Concours Marcello Viotti, Concours International de Chant de Paris, etc.)

Ses rêves de jours paisibles passés aux Avants ne se réaliseront finalement qu’en partie : elle assurera de nombreux déplacements pour présider ou participer aux jurys de concours ou pour recevoir telle ou telle décoration ou insigne couronnant sa magnifique carrière. Elle ne cédera jamais à la tentation de l’enseignement du chant, mais déclarera, quelque peu amusée qu’elle « trouvait cocasse le fait de juger les autres, après avoir été jugés pendant plus de 40 années ».

Sa santé décline au tournant des années 2000 et une malheureuse chute dans son jardin, survenue à l’été 2008, aggravera un état général déjà affaibli. Elle s’éteint paisiblement le matin du 10 octobre 2010 : ses obsèques auront lieu dans l’intimité familiale. Personnalité artistique hors du commun, son legs artistique reste inégalé à ce jour. Si sa voix fut véritablement stupéfiante, sa modestie et son engagement le furent tout autant. Qu’elle soit rassurée : son nom ne sera jamais oublié.

 

Claude-Pascal PERNA ã
Tous droits réservés,
Mars 2011

 


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