Quelques réflexions sur l'éducation musicale en France

 

En France, l’éducation musicale est une discipline d’enseignement obligatoire durant le temps du collège. La tâche des professeurs est loin d’être évidente même si depuis quelques années elle se trouve allégée par un plus large accès aux nouvelles technologies et par les programmes officiels qui font intervenir la notion de " plaisir musical partagé ". Avec ce nouveau dogme régissant la pratique pédagogique de la matière, le risque est grand de voir les professeurs des collèges et lycées " perdre leur âme " en tombant dans la démagogie la plus absurde. Interrogeons-nous. Il est communément admis que le cours d’éducation musicale n’est pas un cours comme les autres. C’est à la fois un avantage et un handicap...

 

Cours Chanez, Paris, ca 1950.
Cours Chanez, rue de Picpus, Paris, dans les années 1950, où l'on étudiait avec intensité français, calcul, et musique. Si vous vous reconnaissez, prière de contacter le webmestre@musimem.com, qui est aussi sur ce cliché! Plus de détails.
( photo X..., coll. Michel Baron )

Jadis

De nombreux parents d’élèves se souviennent de leur heure hebdomadaire de musique au collège. Il faut en convenir, cette discipline souffre d’un passif peu glorieux. Si, à partir des années 1950-60, une petite partie des professeurs avait pu bénéficier d’une formation approfondie dans les centres de préparation au CAEM, beaucoup d’heures étaient assurées par des enseignants d’autres disciplines, heureux de trouver là un complément de service qui leur évitait de travailler sur plusieurs établissements. Ne nous attardons pas sur les dégâts d’un tel fonctionnement. Ils expliquent sans doute en partie la suspicion dont notre matière fait l’objet. L’équipement pédagogique à la disposition des enseignants ne permettait guère à cette époque une diversification des pratiques. Les progrès dans ce domaine sont considérables et de nombreux professeurs ont recours à l’informatique et aux diverses techniques modernes au service d’une approche plus adaptée au caractère velléitaire des élèves d’aujourd’hui.

 

Tentations

Face au manque de motivation pour le contenu d’enseignement, les professeurs ont à l’extrême, deux manières d’agir : user de l’autoritarisme le plus violent pour imposer leur démarche didactique ou céder totalement aux sirènes des musiques diffusées par les médias et largement écoutées par les adolescents. Il nous faut dénoncer l’une et l’autre.

A moins de disposer d’un important arsenal dissuasif, l’autoritarisme qui peut, dans une certaine mesure, fonctionner pour d’autres matières, est vain pour ce qui concerne le cours d’éducation musicale. En effet, pour un résultat moindre, le professeur devrait faire preuve d’une énergie à toute épreuve et d’une vigilance inflexible. Il n’est pas certain, du reste, que les élèves tirent un quelconque bénéfice de cette pratique pédagogique en contradiction avec le caractère sensible de la musique.

A l’inverse, il ne serait pas sain de voir l’attrait prononcé des élèves pour tel genre musical orienter les choix du professeur en matière de répertoire. On sait qu’à l’adolescence, la tendance est à la rébellion. Il est facile de faire comme les autres de sa génération et d’écouter de la musique violente ou de s’habiller de façon outrancière afin de choquer les adultes ; il est plus difficile de former son goût et son jugement. De toutes les façons, à l’heure actuelle, les groupes et chanteurs sont si nombreux et si éphémères qu’aucun ne fait véritablement l’unanimité chez les jeunes.

 

Nancy : Cours Notre-Dame, années 1980 (cl. Nelly Boyard)
Nancy, Cours Notre-Dame, années 1980
( photo Nelly Boyard, coll. Olivier Geoffroy )

Travail et effort

En dépit de l’image que véhicule la télévision, asseoir ses compétences musicales demande de l’abnégation et un travail sérieux et régulier sur de nombreuses années. Devenez un chanteur ou une chanteuse à la mode sans effort en trois mois : mensonge ! Sur le chemin du progrès, il y a la peine, au bout la joie et les fruits d’un travail bien mené. Mais pourquoi travailler une matière artistique au collège ? Parce que la musique demande connaissances et savoir-faire. Pourquoi les élèves apprendraient-ils ? Après tout, ils savent déjà, tout et mieux que le professeur. Du moins connaissent-ils ce que les stations de radio en mal de bénéfices leur assènent à longueur de journée. Comment, on écrivait donc de la musique avant ces trois dernières années ? Oui, mais c’est compliqué : c’est de l’histoire et puis ces musiques font appel à des formes complexes, on n’a pas l’habitude, c’est fatiguant... Si c’est amusant, on veut bien. S’il faut travailler, on ne veut plus. Pour s’amuser, il n’est pas utile de vouloir. Alors, passés les premiers moments de satisfaction par une pratique vocale ou instrumentale simple, il n’y a plus de volonté du tout. Non ! La musique n’est pas un divertissement qui vient après tout le reste, quand tout le reste vous indiffère. Rappelons aux jeunes ce qui fait nos grands génies :

- Les instrumentistes qui font des exercices et des gammes quotidiennement.

- Jean-Sébastien Bach qui, sa vie durant, a recopié les partitions des compositeurs de son temps et du passé pour parfaire sa science.

- Et bien d’autres exemples à travers l’histoire de la musique et des musiciens.

 

Une musique " rythmée " et puissante

Habitués à écouter des " oeuvres " dans lesquelles le rythme n’est plus présent mais martelé à grand renfort de percussions acoustiques ou électroniques, les élèves ne sont plus à même de ressentir la pulsation induite par l’enchaînement régulier des harmonies sur les temps forts dans la musique baroque ou classique. Cette traduction intellectuelle ne leur est possible qu’après un entraînement régulier alors qu’elle était pour ainsi dire innée avec les générations précédentes. D’autre part, à l’écoute des chansons de variété, on se rend compte de l’absence des nuances, ou plus exactement d’inflexions de la voix. Toutes les paroles, quel que soit leur caractère sont chantées d’un bout à l’autre de la chanson avec la même puissance, les apparentant avec le discours des marchands à la criée. Que faut-il en penser ? Il semblerait que le message véhiculé par le parolier soit relégué à la seconde place. Il n’est presque pas utile qu’il soit compréhensible du moment que les battements de rythme sont répercutés et amplifiés de manière à créer chez l’auditeur un quasi état de transe. Lorsqu’on observe les élèves, en classe ou sur la cour de récréation, on constate au fil des ans que, dans les discussions, le volume sonore est de plus en plus grand. Société individualiste dans laquelle seules comptent ses propres opinions, me dira-t-on. Oui mais surtout crainte du silence considéré comme oppresseur, alors qu’il est libérateur de la pensée. Vide de sens, leur existence est remplie par l’activité permanente en classe ou dans le domaine extra-scolaire. Le professeur d’éducation musicale " animateur activiste " peut tomber dans ce piège s’il considère que la présence de ses élèves est illusoire lorsque leur participation ne correspond pas à l’idée qu’il se fait de la dynamique du cours. Alors que son rôle consiste autant à les ouvrir à la musique qu’au silence, source d’enrichissement parce qu’il nous fait accéder non seulement à la pensée mais aussi au cœur du compositeur.

Olivier Geoffroy
Professeur agrégé d’éducation musicale
(2003)

 


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