LUCIENNE DELVAUX
contralto, mezzo-soprano et pédagogue belge
Liège, 10 octobre 1916 – Embourg (Liège), 9 juin 2015
Officier de l’Ordre de la Couronne (Belgique)

« Doux est le muguet parfumé;
Mes baisers le sont plus encore;
Et le suc de la mandragore
Est moins suave ô mon bien-aimé!
Ouvre tes bras à ton amante
Et dépose-la sur ton cœur
Comme un sachet de douce odeur,
Dont la senteur est enivrante!
Ah! viens! »

Dalila (Samson et Dalila), Acte I.

Lucienne Delvaux dans Dalila (Samson et Dalila)
( Photographie: Verhassel, Bruxelles - Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

« Chantez toujours avec votre propre voix, ne cherchez jamais à inventer une autre couleur pour vous plier aux exigences dramatiques du rôle. Seule l'interprétation vous donnera la clé de voûte pour restituer toutes ses facettes sans altérer votre instrument. »

« J’ai toujours dit et inlassablement répété que Wagner est belcantiste et que Satie est classique! » 

Lucienne DELVAUX


* * *



TEMOIGNAGES D’ARTISTES ET DE PERSONNALITES MUSICALES :


« Lucienne Delvaux était déjà célèbre quand je n’étais que pensionnaire de la Monnaie, de 1953 à 1956. Cette belle artiste apparaissait dans son grand répertoire en tant que tête d’affiche invitée et j’ai eu le privilège d’être son Albert dans ‘Werther’. C’était encore l’époque à laquelle j’apprenais mon métier. J’admirais ce timbre dramatique et cette musicalité, ainsi que son sens de la scène, de Carmen à Werther, en passant par les opéras de Richard Wagner que je découvrais à l’époque. J’aurais aimé avoir l’occasion de partager l’affiche avec elle dans Hamlet, par exemple. Nous n’avons que peu de témoignages sonores de cette grande artiste, mais le souvenir demeure le plus fort et, peut-être, est-il plus fidèle? »

Gabriel BACQUIER
Baryton de l’Opéra


« Madame, votre jeu scénique est aussi saisissant que l’ampleur de votre voix. Vous êtes une superbe tragédienne, parfaite en tous points. »

José BECKMANS
Baryton de l’Opéra et Directeur de la scène à l’Opéra de Paris (1897-1987) à L.D. après la première représentation d’Aida au Palais Garnier, 1er octobre 1955. 


« Voix rare de contralto et de mezzo, Lucienne Delvaux a été pour moi une interprète formidable, de grande classe et à la musicalité impeccable. Sa voix, sombre et caractéristique était puissante et facile. J’ai régulièrement chanté à ses côtés, que ce soit en Belgique et à l’étranger, notamment en France, en Algérie et au Maroc: Hamlet, La Favorite, Adrienne Lecouvreur, Maria Golovine ou encore, Dialogues des carmélites. Notre collaboration fut parfaite en tous points. Comment ne pas me souvenir de sa bouleversante première Prieure, Madame de Croissy, dans la création en Belgique des Dialogues en 1959? J’étais le Chevalier de La Force. Son jeu scénique et son instinct dramatique ont fait de la scène du trépas l’un des instants les plus magiques et inoubliables de notre association artistique. Je conserve également un vif souvenir de sa création de Maria Golovine à Gand en 1960, vibrant et intense de réalisme dans la Mère, quelques semaines après avoir incarné Marie dans La Passion, Margared dans Le Roi d’Ys et Carmen! Une amie fidèle, attentionnée et généreuse: merci pour tout ce que vous nous avez donné. »

Stany BERT
Ténor de l’Opéra


« J’ai énormément apprécié Lucienne Delvaux, autant à la scène que comme amie. Voix ample et chaude avec un réel tempérament dramatique et une excellente comédienne. Je l’ai écoutée à maintes reprises: chaque rôle était une recréation: je me souviens en particulier de Brangäne et de Madame de Croissy. Dans Verdi et Wagner sa voix pouvait libérer toute sa puissance et son impact dramatique. Nous nous sommes connus un an après ses débuts à l’Opéra Royal de Gand, saison 1948-1949, tous deux recrutés par Vina Bovy. Une époque bénie, où nous apprenions progressivement notre répertoire sur la scène, avec patience et persévérance! Je chantai avec elle dans Mignon et Carmen. Et puis, il y eut cette inoubliable représentation de Tristan et Yseult en 1949 où je chantai le rôle du Pilote. Brangäne fut magistralement incarnée par Lucienne Delvaux aux côtés de Max Lorenz et de Paul Schoeffler: un retentissant succès! Je la retrouvai à l’étranger, notamment à Alger et à Oran, puis en France. Une grande dame et une amie fidèle, toujours prévenante et d’humeur égale. »

Richard DEMOULIN
Baryton de l’Opéra


"Madame, j’'ignorais qu'en art lyrique, on pouvait aussi bien jouer que vous l’avez fait ce soir dans Charlotte »

Maurice ESCANDE
Comédien français, sociétaire puis directeur de la Comédie Française (1892-1973) à L.D. après une représentation de Werther, rôle de Charlotte
(Opéra Municipal d’Oran, 1959)


« Je me souviens bien de Lucienne Delvaux. Tout d’abord, la femme: très belle, vraiment magnifique, avec une classe infinie. Puis, l’artiste et quelle chanteuse: grande voix facile à la coloration subtile, chaude, chatoyante et homogène. Sa voix imposante était pourtant capable d’une grande flexibilité. Vous mentionnez un aigu raté dans ‘Hérodiade’, dans l’intégrale de 1963 avec Suzanne Sarroca et Robert Massard. On ne trichait pas à cette époque, les micros étaient là, captant la moindre faille et c’était du direct. C’est peut-être dommage certes, mais si vous aviez été dans la salle … Sa prestation était incroyable: dramatique et intense, elle était une Hérodiade idéale! Elle était dotée d’un indéniable talent de tragédienne et la couleur de sa voix s’y prêtait naturellement. Cette ‘Hérodiade‘ était un véritable quatuor de choc! Robert et moi étions entourés de deux femmes splendides! Je regrette que nous ne l’ayons pas montée à l’Opéra de Paris. Je suis heureux de pouvoir contribuer à votre hommage et je rejoins de tout cœur mes amis Suzanne et Gaby pour saluer la mémoire de l’artiste.»

Paul FINEL
Ténor de l’Opéra


«Que ce soit dans Orphée, dans Tristan et Yseult, Tannhaüser ou La Walkyrie, elle aura été mon mezzo préféré, pour la qualité de sa voix. Son port royal, son élégance, son jeu percutant: tout en elle en faisait une actrice-chantante de premier ordre. J’entends encore les terribles imprécations d’Ortrude ou les avertissements de Brangäne, perchée au sommet d’un haut promontoire, sa voix remplissant le théâtre sans difficulté, notamment à l’Opéra d’Anvers. Sa voix était très solide, c’était un véritable mezzo dramatique. Une femme exquise, toujours à l’écoute de ses collègues, mais retenue et discrète. Avec Mina Bolotine, elle est l’une des plus éminentes artistes qu’il m’ait été donné de connaître dans ma carrière.»

Marie-Louise HENDRICKX
Soprano de l’Opéra
(à l’auteur, novembre 2013)


« Vous avez raison: combien de chanteurs belges ne mériteraient-ils pas de bénéficier d’une plus grande notoriété à l’international! Lucienne Delvaux figure parmi ces artistes, bien que sa carrière fût très importante. J’ai partagé l’affiche avec elle dans La Favorite, Carmen, Hérodiade et Don Quichotte. Une magnifique interprète: belle, imposante, racée, à la voix chaude et large. J’ai été frappé par son jeu d’actrice: percutant et saisissant. Sur le plan personnel, je l’ai peu connue mais je conserve d’elle un souvenir radieux, la courtoisie, le sens de l’humeur et beaucoup de chic. Embrassez la Belle Dulcinée de la part de Sancho! »

Jean LAFFONT
Baryton, acteur et metteur en scène de l’Opéra (1918-2005)1
(à l’auteur, en 2001)


« Une très belle voix ronde, homogène, égale sur tous les registres, puissante: Lucienne Delvaux me laisse un souvenir encore très vif. Elle qui fut ma Carmen à la scène, notamment à l’Opéra Royal d’Anvers, savait être une cigarière enjôleuse et provocatrice: et quelle belle comédienne, jouant de toutes les facettes de son personnage! J’ai pourtant chanté Don José aux côtés de dizaines de Carmen: Lucienne avait quelque chose de spécial, de plus et de mieux. Elle suscitait la plus grande admiration et du respect. »

Pierre LANNI
Ténor de l’Opéra


J’ai eu la chance de commencer mes études avec Franz Dailly, un baryton exceptionnel, qui m’a transmis une certaine rigueur de la scène. Après le concours Pro Civitate, découverte par le ténor André d’Arkor, je me retrouvai à la Monnaie, travaillant aux côtés de Jo Dua, pour l’art de la scène et l’improvisation dans lesquels il excellait. Dès lors il était grand temps de retrouver des bases classiques solides. Je me tournai alors vers Lucienne Delvaux et devins son élève pour l’art lyrique. Grâce à elle, je me dirigeai vers une remise à niveau, plus de chassés croisés, de travail bâclé ou de perpétuel recommencement. Se libérer dans l’espace, au détriment des règles fondamentales … Un grand merci Madame. Plus tard, lorsque nous nous retrouvions en toute amitié, nous faisions le point sur mes étudiants du Conservatoire de Bruxelles ou sur mes spectacles et cela, toujours dans un souci de d’ aller plus loin, de faire mieux, car la perfection était votre ligne de vie. »

Cécile LELEUX
Mezzo-soprano de l’Opéra, concertiste et comédienne


" Après vous avoir entendue ce soir dans Brangäne, je vous garantis qu’avec ce rôle, vous ferez le tour du monde! Laissez-moi organiser une audition à Bayreuth, car je suis persuadé que vous serez engagée sur-le-champ. Vos moyens sont exceptionnels et c’est à Bayreuth que vous trouverez votre terrain d’élection. »

Max LORENZ
Ténor allemand (1901-1975), après une représentation de Tristan et Iseult, rôle de Brangäne
(Gand, Théâtre Royal, 1949)



« Je n’ai pas bien connu Lucienne Delvaux, mais je tiens à saluer sa mémoire. Nous n’avions pas tout à fait le même répertoire et nous n’aurons fait que nous croiser, notamment pour une inoubliable ‘Hérodiade’ avec Suzanne Sarroca et Paul Finel. Dans le rôle-titre, elle fut parfaite: une voix forte, ronde et chaude, une musicalité de premier ordre. Elle fut une remarquable artiste et j’aurais tant aimé aborder d’autres œuvres à ses côtés. ‘Vision fugitive’ certes, mais si intense! Merci à elle pour ce moment de beau chant. »

Robert MASSARD
Baryon de l’Opéra


« Je ne puis vous exprimer l’émotion que j’ai eue en recevant votre lettre. Il y a quelques semaines encore, je parlais de vous à M. [Michel] Trempont, à qui je racontais que vous aviez été la première artiste, dans ma jeunesse, qui m’ait fait comprendre ce dont il s’agissait, dans l’opéra, c'est-à-dire, la coordination extraordinaire entre la musique et le sens dramatique. […] que je vous avoue que vous avez été la première artiste qui m’ait fasciné, dans le sens que j’ai encore aujourd’hui de l’opéra. »

Gérard MORTIER
Directeur d’opéra belge et agitateur de la cause lyrique (1943-2014). Extraits d’une lettre du 31 janvier 1980 à L.D.


Lucienne Delvaux dans Amneris (Aida).
( Photographie: Verhassel, Bruxelles. Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

EVOCATION DE LUCIENNE DELVAUX


« Il y a plus d’un demi-siècle, les théâtres d’opéra disposaient d’une troupe engagée à l’année. Ténors légers ou wagnériens, barytons-Martin ou verdiens, basses nobles ou chantantes, soprani légers ou dramatiques, mezzos de toutes variétés … formaient un réservoir vocal dans lequel il suffisait de puiser pour distribuer une œuvre lyrique. C’est que l’on jouait plus de 365 soirées ou matinées par an! Les temps devenant difficiles, certains artistes sous la direction Rogatchewsky, n’étaient engagés qu’à la représentation (au cachet, disait-on). Ce fut le cas pour Lucienne Delvaux, qui se produisit à la Monnaie en cours des saisons 1953 et 1954. Sa voix rouge et or, si bien en harmonie avec le cadre XIXème siècle de la salle, se faisait demander sur les scènes les plus en vue. Son public, outre sa voix, admirait son port impérial, qui lui faisait porter le costume comme si jamais elle n’avait revêtu autre chose que la toge ou la crinoline. Les habitués du T.R.M., outre ses rôles traditionnels, vantaient son ‘Orphée’, comme une statue grecque, dont les drapés blancs semblaient répondre à sa voix. L’on citait Santuzza, éclatante de passion, ou même son interprétation de Madeleine dans ‘Rigoletto’, rôle de deuxième plan qu’elle colorait d’une sensualité féline. Quant à la Dulcinée de ‘Don Quichotte’, rarement entendit-on porter ainsi aux sommets un personnage qui d’habitude, pâtissait du voisinage de l’emploi titulaire, ici, en l’occurrence, l’inoubliable André Huc-Santana. Célèbre comme elle l’était dans l’univers lyrique, Lucienne Delvaux siégeait fréquemment dans des jurys d’Académies ou de Conservatoires. Ces concours (y en a-t-il encore?) avaient jadis un prestige qui attirait les foules. L’entrée solennelle du jury (tiré à quatre épingles), faisait chuchoter le public qui reconnaissait au passage les artistes qu’il ne voyait qu’à la scène. Plus d’une fois, nous avons admiré l’arrivée de Lucienne Delvaux, tout un spectacle d’élégance! Elle osait, bien avait la Reine Mathilde et d’autres têtes couronnées du Gotha international, des chapeaux d’une originalité mêlée à de la classe, en ces temps où les modistes ne travaillaient presque plus. Ajoutez-y un port de reine, et le public se levait! »

Jean-Louis MUSCHS
Mélomane et chanteur, abonné des théâtres belges et ami de l’auteur


« Une voix rare, ses graves étaient magnifiques, tels un long tapis que l’on déroule. Lucienne Delvaux fut selon moi l’un des plus imposants mezzo-soprani de sa génération. Brillante musicienne, elle parvenait à restituer la parfaite symbiose entre le chant et l’action dramatique. La voix était splendide et d’une grande amplitude, la maîtrise aboutie. Sur scène, elle vivait son rôle en tragédienne accomplie qu’elle était. Nous avons peu chanté ensemble à l’opéra, tout au plus dans Cavalleria rusticana, Werther et Don Quichotte, car nos répertoires étaient différents. Mais nous nous sommes retrouvés au concert et Lucienne fut toujours une merveilleuse collègue: dotée d’un sens de l’humour décapant, elle était aussi attentive, chaleureuse et respectueuse. Une partenaire idéale. Nous avons siégé à des jurys de concours et mon admiration pour elle n’a jamais pâli, bien au contraire. Peu d’artistes ont égalé son excellence, autant artistique, qu’humaine. »

Michel TREMPONT
Baryton de l’Opéra


« J’ai connu Lucienne Delvaux alors qu’elle siégeait à mon jury de concours au Conservatoire de Bruxelles. Elle avait le sens de l’humour et elle était très communicative. Il y eut un déclic immédiat car le courant passait facilement entre nous. J’éprouvais le plus grand respect pour elle, tout comme j’appréciais son jugement et sa critique juste et pertinente, alors que nous nous retrouvions ensemble pour juger de jeunes chanteurs auprès de différents Conservatoires. Une grande dame, distinguée et exquise. Sa disparition m’attriste énormément car en fait, elle a toujours fait partie de mon univers lyrique: c’est une page d’or qui se ferme. »

Marcel VANAUD
Baryon de l’Opéra


« Lucienne Delvaux: son nom est indissociable de la scène lyrique et musicale. Son intérêt pour des compositeurs contemporains l’a amenée à collaborer avec ma mère, la compositrice Berthe Di Vito-Delvaux (1915-2015), dont on fête le centenaire de la naissance cette année. Mme Delvaux a créé et interprété des mélodies et des airs de sa composition. Leur collaboration fut amicale, chaleureuse et constructive: deux Liégeoises à fort tempérament! J’ai revu Mme Delvaux lors d’un concert de gala commémorant la carrière de ma mère, toujours aussi élégante et imposante: une classe innée. Je conserve d’elle un souvenir empreint de chaleur et de respect. »

Lola DI VITO-DELVAUX
Mezzo-soprano, concertiste et peintre belge


« Je suis peinée d’apprendre la disparition de Lucienne Delvaux, que j’ai bien connue. Toute jeune, j’allais à l’Opéra où j’ai pu l’apprécier dans plusieurs rôles, dont celui de Carmen. Elle était alors au faîte de sa gloire et j’étais impressionnée par sa large voix de mezzo et par son jeu d’actrice si saisissant. Cette combinaison était impressionnante. On ne voyait qu’elle sur la scène où elle occupait si intelligemment l’espace! Une tragédienne de tout premier plan. Je l’ai connue grâce à Vina Bovy, chez qui j’allais préparer mon répertoire. Raymond Platel était notre répétiteur en titre: j’y travaillai la plupart de mes rôles et Lucienne Delvaux nous rejoignait très souvent. Vina Bovy insistait toujours: nous devions répéter quotidiennement, sinon gare à nous! Ces sessions de travail étaient intenses. C’est ainsi que Ray et Lucienne se sont rencontrés: grâce à ‘Madame Bovy’ (nous l’appelions toujours ainsi). Je me souviens également de joyeuses agapes chez moi. Vina Bovy et son compagnon du moment avaient décidé de nous faire apprécier la cuisine gastronomique française. Qu’à cela ne tienne: ils s’invitèrent chez moi et ma cuisine fut littéralement assiégée! Quelle épopée: Vina Bovy, Lucienne Delvaux et leurs partenaires: tous aux fourneaux! Quel beau souvenir. Avec sa disparition, c’est une page d’or de l’histoire de notre scène lyrique qui se tourne. Merci pour tous ces beaux instants et comme chanterait la Contessa des Nozze di Figaro: ‘Dove sono i bei momenti di dolcezza e di piacer?’»…

Erika PAULWELS
Mezzo-soprano, puis soprano de l’Opéra


« Quel honneur de rencontrer Lucienne Delvaux, un monstre sacré de l'opéra. Une des grandes voix féminines de sa génération, qui a chanté avec la plupart des ténors de cette belle époque qui m'inspire encore aujourd'hui. Le trac et l'exaltation de la rencontre m'envahissent au fur et à mesure que nous nous approchons de son domicile à l’été 2006 en compagnie de Claude-Pascal Perna. La porte s'ouvre et nous sommes accueillis par une dame élégante et souriante qui n'a qu'une seule préoccupation: bien recevoir ses invités. J'ai l'impression de l'avoir toujours connue. Nous avons passé un délicieux moment à l'écouter raconter les grandes étapes de son parcours artistique et aussi, quelques souvenirs plus cocasses de sa carrière. En toute simplicité et avec bienveillance, Lucienne m'a interrogé sur mes expériences artistiques et les rôles que je travaillais alors. Elle m'a prodigué des conseils précieux et m'a vivement demandé de la tenir régulièrement informée sur l'actualité de ma carrière naissante. C'est spontanément qu'elle a accepté de devenir ma marraine au sein de l'Union des Artistes du Spectacle (Belgique) et en quelque sorte ma marraine de chant également ... Vous allez me manquer Madame! »

Sébastien ROMIGNON-ERCOLINI
Ténor de l’Opéra


« Tant de beaux mezzo-soprani ont jalonné ma carrière. Pourtant, Lucienne Delvaux détient une place à part dans mon cœur. Artiste admirable, à la musicalité innée, elle était animée d’un talent dramatique très sûr. Voix large, percutante et sombre, sa caractérisation était fouillée; la maîtrise de l’instrument était parfaite. Nous avons partagé l’affiche pour des concerts radiodiffusés, notamment ‘Hérodiade’ aux côtés de Paul Finel et de Robert Massard et aussi ‘Aida’ à l’Opéra de Paris. Si José Luccioni (Radames) avec sa voix de stentor, en imposait, Amneris n’avait pas à en pâlir et elle fut en tous points une superbe Amneris. Je suis attristée par sa disparition, car je nourrissais de l’affection pour elle et surtout, un grand respect. »

Suzanne SARROCA
Mezzo-soprano et soprano de l’Opéra


Vous me demandez quels furent mes mezzos préférés: parmi les francophones, sans hésitation Lucienne Delvaux, pour la beauté naturelle de la voix et l’élégance de la présence scénique. Peu de gestes, une économie de mouvements mais tout était dans le regard, la posture et le naturel. Dans Lohengrin, Tannhaüser, La Walkyrie, Hérodiade, Aida, Louise ou encore, Les Contes d’Hoffmann, elle fut une partenaire parfaite, de grande classe. Même dans le petit rôle de la Mère d’Antonia elle parvenait à stupéfier l’auditoire!”

Jan VERBEECK
Ténor de l’Opéra (1913-2005)2
(à l’auteur, en 2002)


« En janvier 1968, un mezzo-soprano belge qui devait chanter Dalila à Gand ayant déclaré forfait, c’est Lucienne Delvaux qui la remplaça au pied levé. Jeune passionné d’opéra, je n’avais encore jamais vu cette artiste à la scène, mais en avais entendu parler très positivement. Je n’oublierai jamais le choc que me produisit l’apparition de l’artiste: drapée dans une robe de couleur bleu ciel, ses longs cheveux de jais retombant en cascades le long du dos. Dès qu’elle entonna son entrée en scène, s’avançant majestueusement vers Samson, ‘Je viens célébrer la victoire de celui qui règne en mon cœur’, je compris que je me trouvais en face d’une artiste de tout premier plan, à la voix imposante et au jeu dramatique abouti. La représentation fut inoubliable et je ne regrettai pas l’artiste prévue ce soir-là. »

Un abonné du Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles et du Théâtre Royal de Gand, 1946-1990.


UNE VOCATION ARTISTIQUE PRECOCE


Née à Liège, Lucienne Delvaux y passe toute son enfance, une période plutôt heureuse, malgré les vicissitudes de la première guerre mondiale dans la Belgique occupée. Enfant, elle est attirée par la danse, puis une représentation de Carmen à l’Opéra Royal de Liège, alors qu’elle n’a que six ans, lui fait découvrir l’univers lyrique.


Le foyer est heureux, le père, Georges Delvaux (1892-1954), possède une jolie voix de baryton et la mère, Joséphine Servais (1888-1933), est une habile pianiste amateur, une occasion rêvée pour prédestiner un talent artistique. Enfant, la fillette chante et surtout, elle chante juste. A l’église, puis aux réunions de famille, on remarque une belle assurance et une voix étonnamment bien placée pour son âge. A la messe dominicale, la jeune fille chante depuis l'âge de huit ans, n’affichant aucune timidité face à un auditoire, alors que plus tard dans sa longue existence, elle sera de nature plutôt réservée. Elle se joint parfois au chœur des enfants dans le chant liturgique, où sa voix sombre et corsée se distingue des voix blanches et naturellement aigues des fillettes. Bien vite, elle préfère les petits soli ou des extraits d’oratorio, qu’elle mémorise aisément, bien que ne maîtrisant pas encore le solfège. Elle apprend ainsi un petit répertoire de mélodies d’oreille, en recopiant les paroles dans un cahier. En 1925 (elle n’a donc que neuf ans), elle chante le « Largo » de Haendel (l’air de Serse « Ombra mai fu ») dans une église de quartier. Appréciée par les fidèles, on demande à ses parents s’ils consentiraient à ce qu’elle puisse chanter à nouveau: c’est ainsi qu’elle commence à apprécier ses premiers contacts avec le public. Dès qu’elle en a l’occasion, elle chante lors de fêtes scolaires et au bénéfice de manifestations culturelles des environs (notamment à Soumagne, Flémalle, Esneux et Seraing). Son petit répertoire: airs à la mode, succès populaires, mélodies en wallon et déjà, des airs d’opéra). Vers l’âge de 13-14 ans, elle assiste au mariage d’une cousine et chante en se joignant aux festivités. Sa voix est remarquée par un ami de la famille et après moult compliments, il lui recommande de s’orienter vers le chant classique et de suivre une formation musicale complète. Il lui présente celle qui devient son unique professeur: Berthe Serwir, un soprano coloratura à la discrète carrière au concert, devenue une brillante pédagogue (le soprano belge Marian Balhant étudie également avec Berthe Serwir).3 Lucienne Delvaux résume ainsi ses qualités pédagogiques: « Un maître incontestable du chant! ».



Un contexte familial favorable à l’épanouissement artistique


Le père de Lucienne Delvaux, employé de banque, est plutôt accommodant: la musique accompagne le foyer et la famille se rend aussi souvent que possible au concert, à l’opéra et au théâtre. Hélas, sa mère meurt inopinément le 7 janvier 1933 et comme le déclarera plus tard l’artiste, sa mission principale était alors de « bien tenir le ménage »: elle s’y attachera de manière efficace. Tout en veillant à la poursuite harmonieuse des études classiques de sa fille, le père consent à ce qu’elle se rende hebdomadairement chez un ancien professeur du Conservatoire de Liège pour perfectionner le piano et le solfège. Il ne voit aucune objection à une carrière artistique, même si un parcours de secrétaire de direction ou de maîtresse d’école avait été envisagé dans un premier temps par les parents. Excellente sportive, grande marcheuse et nageuse émérite, elle n’est pas une élève particulièrement assidue et sans pour autant être dissipée, elle se concentre sur la musique, la littérature et l’Histoire. Elle ne redouble aucune année académique, mais l’idée d’un baccalauréat de type commercial ne l’enchante pas. Elle emprunte régulièrement à la Bibliothèque du Conservatoire de Liège des ouvrages de musicologie, souvent des biographiques de compositeurs, ainsi que des livrets d’opéra et perfectionne son solfège. A Liège et dans la région, elle assiste à des concerts dès qu’elle le peut, notamment à la Philarmonique (la Salle Philarmonique), puis au Conservatoire et enfin au Théâtre Royal où elle bénéficiera plus tard d’un abonnement d’étudiante. Elle ne manque pas non plus d’aller applaudir des comédiens et acteurs, notamment au Théâtre Royal du Gymnase: « Au croisement de mes études classiques et d’une orientation artistique, je réalisai que finalement, l’opéra me permettrait de combiner mon goût pour le chant et l’action dramatique, tout en insufflant vie à des personnages qui me faisaient tant rêver » (L.D. à l’auteur en 2003).



Brillant cursus académique et premières apparitions publiques


Munie de la recommandation de l’ami de ses parents, elle auditionne auprès de Berthe Serwir qui lui donne le verdict suivant: « Vous possédez une imposante voix naturelle d’alto, chaude et puissante. Vous serez un beau mezzo dramatique. Travaillez cette mélodie, puis revenez la semaine prochaine: nous prendrons alors une décision après une audition plus formelle au Conservatoire. » Epreuve réussie, car Lucienne Delvaux est admise dans sa classe. Elle y accomplit ses études musicales complètes de chant et d'art lyrique. Elle décroche un Premier Prix de solfège en 1939 et la même année, elle remporte un Prix d’honneur au VIème Concours L'Echo des Travailleurs de Verviers, prestigieux concours international consacrant des talents lyriques. En 1940, au palmarès de ses distinctions, figure un Premier Prix d’art lyrique. Enfin, en 1942, elle se voit décerner le Diplôme supérieur de chant, avec une Médaille de vermeil du Gouvernement belge.


L’avènement de la seconde guerre mondiale et les circonstances familiales difficiles l’empêchent de débuter à l’opéra dès l’obtention de ses premiers prix, mais elle déploie néanmoins une grande activité musicale. Elle poursuit l’étude de rôles de mezzo, commence à élargir son répertoire, s’intéressant aux compositeurs contemporains. Surtout, elle donne des récitals et participe à des concerts de bienfaisance au profit d’œuvres de charité. L'époque s'y prête aisément car certains théâtres tournent au ralenti et seules les salles de concert ou de spectacle maintiennent une activité artistique plus ou moins normale.


A cette époque, elle chante pour la Fédération Wallonne (22 janvier 1938), pour une société de charbonnages (3 mars 1938), pour le Secours Catholique (4 septembre 1939), au Conservatoire de Liège (Stabat mater de Pergolesi en novembre 1939), puis pour la Société Royale La Légia (24 janvier 1940 dans un programme consacré à Bach et à Brahms), au Secours Catholique et d’Entraide (Seraing, janvier 1940), au Centre de Loisirs d’Arts et d’Agréments (7 mars 1940), etc. Elle commence à se tailler une excellente réputation de concertiste …



La seconde guerre mondiale et son contexte socio-culturel difficile …


Quelques mois après le début des hostilités, Lucienne Delvaux passe une audition au Foyer du Théâtre Royal de Liège (début septembre 1940), passage qui s’avère favorable. Elle y chante des extraits de Mignon, Carmen et de La Favorite; hélas, on ne peut lui confier de rôle dans l’immédiat. On lui demande alors de tenter à nouveau sa chance « quand on y verra un peu plus clair et que tout danger sera écarté » … En octobre, elle participe à un concert consacré à des compositeurs belges à la Salle des Fêtes de Spa. Puis, elle donne un premier récital solo au Conservatoire de Liège (airs et mélodies de Bach, Purcell, Duparc et R. Strauss), le 7 novembre 1940. En août 1941, elle chante des extraits de Mireille (Taven) au Théâtre de Verdure de Many, puis interprète une large sélection de Carmen au Théâtre Communal de Huy (28 août). En 1942, elle chante pour l’Ambassade de Belgique à Paris (programme de compositeurs belges et français) et elle interprète Les Béatitudes de César Franck à l’Eglise Notre-Dame.


La guerre, avec son lot de privations et de drames humains, n’entrave finalement que peu la vie culturelle et musicale en Belgique. La population veut se divertir, et si les créations sont certes rares, les classiques du répertoire sont conservés, parfois en version concertante. Certains artistes doivent cependant se produire parfois face à l’occupant allemand, venu en auditeur – souvent éclairé et démonstratif -, mais au-moins, la plupart des contrats sont maintenus.


C’est une époque où l’opérette, avec son orchestration plus légère, sa musique enjouée, ses airs faciles et ses dénouements heureux draine un nouveau public. Maints théâtres et salles de concert jouent désormais à guichets fermés avec des compositions viennoises et françaises. Le public préfère le « happy ending » musical aux sombres trames lyriques et autres conspirations coutumières du grand opéra. Qu’importe alors que le livret soit peu crédible, que le texte soit faiblard ou que la cohérence dramaturgique fasse défaut? Mais ce registre n’offre aucun rôle de premier plan à Lucienne Delvaux: la verve plus gaie, voire comique du genre, n’est pas faite pour elle. D’ailleurs, se souvenant de son rôle de Bellone dans Les Indes galantes chanté à l’Opéra de Paris, elle déclare: « Rameau a composé une musique solaire, rythmiquement captivante, sans doute parce qu’il s’agit d’un opéra-ballet. Bellone est pourtant la déesse de la guerre, mais en dépit des admirables costumes et d’une mise en scène intéressante, je me suis terriblement ennuyée! Concernant Liège, j'étais certes patiente, mais chanter sur une scène nue, à côté d'un piano ne me convenait pas! Surtout, je ne voulais pas me cantonner. Je voulais recréer un rôle, le faire vibrer, en costume, avec des décors et avec une véritable mise en scène." (L.D. à l’auteur en 2002).


A défaut d’un engagement à l’opéra, elle prête main-forte à des associations de secours catholique de Liège et de la région, où elle se dépense sans compter. Ses qualités d'écoute, son caractère affable et sa générosité, soutenues par une foi inébranlable s'avéreront précieux. Elle passe son permis automobile, sillonne les environs, distribuant des vivres, réconfortant les familles minées par la guerre et chantant volontiers, parfois dans des conditions déplorables. Avec un ami pianiste-répétiteur namurois, elle établit des programmes de tours de chant qu’elle réserve aux soldats, aux veuves et orphelins, ainsi qu’aux mineurs des régions sinistrées.


Pendant ce temps, les théâtres maintiennent peu ou prou les troupes avec des moyens financiers réduits à peau de chagrin. Dans certains théâtres, il n’est pas rare de voir un premier choriste aborder un rôle d’opéra … Tout comme il arrive que des solistes renommés de la Monnaie chantent bénévolement dans les endroits les plus reculés du pays pour remonter le moral de la population. Le soprano belge Clara Clairbert (1899-1970) se produit ainsi dans des lieux improbables et reculés. Tant d’autres artistes suivent son exemple, parfois engagés par les Tournées Lucien Noël ou les Tournées Welfare, la liste serait longue. Décors de papier mâché réutilisé, meubles empruntés aux villageois, costumes recyclés et si curieusement anachroniques. La mise en scène est rudimentaire et le temps n’est guère aux répétitions : le ridicule ne tuant pas, tout est bon pour s’amuser et offrir son cachet pour la bonne cause, lorsque cachet il y a.



UNE PREMIERE CARMEN AU THEATRE ROYAL DE LIEGE


Après avoir passé une audition au Théâtre Royal de sa ville natale en 1944, Lucienne Delvaux décroche le rôle-titre de Carmen pour y débuter le 1er mai 1945, période marquant les ultimes étapes de la Libération en Belgique.


Parmi ses partenaires, le soprano Aline Bellin (1911-2004) et le ténor Eugène Régnier (1916-1974). Lucienne Delvaux avait pu applaudir la Micaela du soprano dans Salomé (Hérodiade) à Liège peu avant le second conflit mondial: « Grande, distinguée, elle m’a impressionnée dans Salomé. Arborant un costume brocardé et rutilant, parée de bijoux, elle était imposante. La voix était chaude, ronde et facile. Je l’appréciai également dans Marguerite (Faust) et Micaela, mais pour ce rôle, je ne la trouvai pas assez ingénue. Je chantai avec elle justement dans Carmen, ici à Liège.» (L.D. à l’auteur en 2010). Lucienne Delvaux incarne encore Carmen à trois reprises (de grandes sélections) à Liège jusqu’à la fin de la saison 1944-1945, entre autre sous la direction du chef d’orchestre et directeur de théâtre François Gaillard (1900-1973) qui la dirige avec une certaine régularité tout au long de sa carrière. Il dirigera du reste Lucienne Delvaux à Lille et à Colmar. Si l’artiste aime travailler à ses côtés (il la retrouve pour une série de concerts à Liège et dans la région), elle déclare: « Un très bon chef, scrupuleux et attentif, il aimait le répertoire français mais nous jouions avec les moyens du bord. Peu de musiciens, parfois mal préparés, des choristes vieillissants et des décors ne correspondant parfois pas du tout à l’œuvre chantée. Les stigmates de la guerre. Pourtant, nous chantions et nous étions heureux » (L.D. à l’auteur en 2010).


Bien plus tard, l’émotion se mêlera aux souvenirs des débuts, dans une salle où crépitent les applaudissements des Liégeois, mêlés à ceux d’officiers allemands, puis de soldats américains démobilisés venus en libérateurs, applaudissant à tout rompre. Premières victoires artistiques et un nouveau tournant pour Lucienne Delvaux.



Une intense activité au concert


En attendant de pouvoir débuter à l’opéra, l’artiste donne de nombreux concerts. Elle affirme favorablement sa réputation et recueille des critiques élogieuses. On l’applaudit au Jardin d’acclimatation (Liège), aux Concerts Permanents, à l’AILG (Association des Ingénieurs), au Vestiaire Privé, à L’Emulation, à la Maison des Médecins, etc., déployant déjà un large répertoire, évoluant de la musique ancienne, à la musique de chambre, au baroque et l’oratorio, osant la musique contemporaine. Elle crée des mélodies de compositeurs belges et français tels que Jean Absil, René Barbier, Jan Blockx, Francis de Bourguignon, Gaston Brenta, Henri Büsser, Raymond Chevreuille, René Defossez, César Franck, Pierre Froidebise, Léon Jongen, Guillaume Lekeu, Fernand Quinet, François Rasse, Berthe Di Vito-Delvaux, etc.)


Jusqu’en 1947, année de ses débuts à Gand, l’artiste chante au Concerts du Conservatoire (Liège) dans des extraits de La Walkyrie, lors d’un concert de musique contemporaine belge sous la direction de Fernand Quinet dirigeant des mélodies de sa composition. Elle est ensuite à l’I.N.R. (Bruxelles) pour un récital (Schubert, Berlioz et R. Strauss), à nouveau au Jardin d’acclimatation pour un concert lyrique, au Théâtre Palace (Flémalle) dans Taven (Mireille), à l’Association des Ingénieurs, à L’Emulation, au Vestiaire Privé, au Vestiaire des Nécessiteux, à La Légia, au Cercle Saint-Louis (Liège), au Palais des Beaux-Arts (Bruxelles) pour Les Béatitudes de César Franck, à la grande salle de la Société Lyrique (La Bouverie), à la Maison des Médecins (Liège) pour la Vie et l’amour d’une femme. A cette époque, elle retourne régulièrement à Bruxelles pour des prestations radiodiffusées (beaucoup de mélodies, puis des airs lyriques, entre autre pour Radio Bruxelles qui lui offre la possibilité d’explorer un vaste répertoire de mélodies classiques, mais aussi contemporaines). En 1946, elle chante au Grand-Duché de Luxembourg dans un récital d’airs de Bach, Purcell, Lekeu, Duparc et Debussy. Toujours en 1946, elle est au Théâtre des Champs-Elysées (Paris) pour un concert placé sous l’égide de l’U.N.E.S.C.O. (reprise des Béatitudes). Elle donne également des récitals aux Conservatoires de Mons (1943) et de Namur (1945).



Edgard Doneux et le Théâtre Royal de la Monnaie


Lucienne Delvaux rencontre le chef d’orchestre belge Edgard Doneux (1920-1984) au Théâtre Royal de Liège où il la découvre lors d’un concert. Ils se marient, mais ce n’est pas un couple heureux et du reste, l’artiste n’aime pas évoquer cette union. Bon gré mal gré, ils forment un couple artistique, travaillant souvent à deux une partie du répertoire. Il la dirige dans quelques concerts, notamment à Bruxelles, Liège et Ostende, pour des prestations radiodiffusées et pour deux récitals au Musée Charlier (1946-1947). Résidant désormais dans le centre de Bruxelles, dans un vaste appartement de la Place du Grand-Sablon, Lucienne Delvaux est à deux pas du Théâtre Royal de la Monnaie, où elle applaudit régulièrement la troupe et les solistes invités. En 1947, au cours d’une représentation de Salomé avec Lily Djanel (1900-1982), Mina Bolotine (1904-1978), José Lens (1897-1964) et Louis Richard (1889-1977), elle réalise que son choix d’une carrière lyrique est le bon: « Le spectacle fut magnifique, tous les chanteurs à leur place, vocalement et stylistiquement. La mise en scène était intelligente et soignée (sans doute attribuée à Georges Dalman et Roger Lefèvre, NDA). Quant à Lily Djanel, je lui fus présentée dans sa loge par mon mari qui la connaissait. Elle n’était pas particulièrement belle, mais elle avait de la classe, un certain chic qui dégageait du charme. Je compris alors pour quelles raisons elle pouvait si bien exécuter elle-même la danse des sept voiles et avec quel talent! Elle savait chanter et jouer son rôle. Je le retrouvai avec plaisir quelques années plus tard dans La Walkyrie où elle fut ma Sieglinde.» (L.D. à l’auteur en 2002).


Vers 1945-1946, Lucienne Delvaux sollicite une audition auprès du directeur de la Monnaie, Corneil de Thoran (1881-1953)4. Après l’avoir complimentée sur son talent, il refuse tout net, prétextant que « Puisque Madame Doneux-Delvaux est la femme d’un musicien du théâtre, il ne faut pas laisser entrer le loup dans la bergerie ». Quant aux véritables rôles de contralto et de mezzo-soprano, ils sont si rares, que les pensionnaires titulaires de ceux-ci au sein de la troupe sont peu enclins à les céder; Mina Bolotine est son aînée et veille au grain. Les deux artistes se retrouveront sur d’autres scènes, notamment à l’Opéra Royal d’Anvers, là où Mina Bolotine sera aux commandes et l’entente sera parfaite. Lucienne Delvaux prendra sa revanche plus tard, soit l’année même de la disparition de l’éminent directeur, en débutant en novembre 1953 dans le rôle-titre de Carmen.



DEBUTS AU THEATRE ROYAL DE GAND LE 1ER OCTOBRE 1947


Dans l’intervalle, la Monnaie n’est donc plus une priorité et le Théâtre Royal de Gand lui offre sa chance. L’Opéra Royal devient son port d’attache, par contrat de sept mois, en qualité de contralto et mezzo, rattachée à la troupe et jusqu’au terme de la saison 1951-1952, pour y retourner en artiste invitée, saison 1969-1970.


C’est sa directrice, le soprano belge Vina Bovy (1900-1983), qui après avoir succédé à la co-direction de Karel Locufier et Constant Meillander (1897-1977), l’auditionne en prévision de sa première saison directoriale et la recrute sur-le-champ. Lors de l’audition, celui qui deviendra le second mari de Lucienne Delvaux, le mathématicien, compositeur, chef d’orchestre et répétiteur belge Raymond (Ray) Platel (1906-1999), est installé au parterre, aux côtés de Vina Bovy. Après avoir écouté l’artiste, il s’exclame, étonné: « Mais elle ne poitrine pas, c’est incroyable! » Et à Vina Bovy de répondre: « Mais pourquoi voulez-vous donc qu’elle poitrine? C’est enfin un véritable mezzo-soprano! ». Vina Bovy prie Lucienne Delvaux de passer au théâtre dès le lendemain pour signer son contrat, étant entendu qu’elle débuterait dans un rôle relativement modeste, pour ensuite aborder des premiers plans. L’artiste considérera les quatre premières saisons gantoises comme un excellent apprentissage et se montrera toujours reconnaissante envers Vina Bovy et l’équipe directoriale.


Le 1er octobre 1947, elle débute Guduul, dans le drame lyrique en trois actes de Jan Blockx, Der Bruid de Zee (La Fiancée de la Mer), une œuvre de belle facture créée en langue originale néerlandaise, puis en français à la Monnaie en octobre 1902 avec Jeanne Paquot d’Assy (Djovita), Georgette Bastien (Gudule), Harriet Strasy (Kerlin), Ernest Forgeur (Arry), Henri Dangès (Frée), Claude Bourgeois (Peter Wulff), Pierre d’Assy (Moorlick), etc. « Mon premier opéra chanté en flamand à Gand était Guduul, Vina Bovy s’efforçant de préserver un équilibre linguistique. Certains opéras célèbres tels que Samson et Dalila, Carmen ou Hérodiade étaient toujours chantés dans la langue originale. » (L.D. à l’auteur en 2002).5 Elle enchaîne avec Albine (Thaïs), Marceline (Le Barbier de Séville), la Reine Gertrude (Hamlet), Dame Marthe (Faust), Ludmila (La Fiancée vendue), Mamma Lucia (Cavalleria rusticana, laissant pour plus tard et pour quelques représentations seulement l’enflammée Santuzza), le rôle-titre d’Hérodiade et celui de Carmen.


Lucienne Delvaux (à gauche, de profil) dans le rôle-titre d’Hérodiade.
Au centre, le soprano Berthe Van Hyfte (Salomé).
Théâtre Royal de Gand. Photographie: D.R.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© )

Vina Bovy se trompe rarement dans ses choix artistiques et au moment d’inaugurer sa première saison directoriale à la tête du théâtre, elle ne veut courir aucun risque: Lucienne Delvaux est un précieux élément de sa troupe, elle peut aborder un répertoire étendu, tout en apprenant son métier. Pendant quatre années, l’artiste perfectionne son jeu de scène, en alternant quelques seconds rôles avec rapidement, des premiers plans. Elle les travaille avec Raymond Platel, qu’elle finit par épouser en 1969 après avoir divorcé d’Edgard Doneux: un nouveau mariage, mais heureux et solide. Elle souligne également combien l’apprentissage du métier sur scène est primordial: « En Belgique, on a pourtant bien créé l’Opéra Studio à la Monnaie, mais cela n’a rien donné de concret. Beaucoup d’espoirs pour de maigres résultats. J’ai eu la chance de pouvoir débuter tout de suite sur scène, où j’ai considérablement appris. Certes, j’ai été soutenue par le directeur, par le metteur en scène et par le chef d’orchestre: un travail d’équipe. Pas du tout comme aujourd’hui où les chanteurs sont instrumentalisés par des metteurs en scène ne connaissant strictement rien à l’opéra et encore moins, aux voix! ». (L.D. à l’auteur en 2006).


A Gand, l’artiste est comblée; l’ambiance de travail y est familiale, un brin bon enfant, aux antipodes des jalousies et mesquineries de bas étage que Lucienne Delvaux abhorrera pendant toute sa carrière et déplorera dans d’autres théâtres. Vina Bovy, grande dame un peu altière que la troupe appelle respectueusement « Madame Bovy », sait parfois se montrer affable et encourage sa jeune recrue. D’ailleurs, c’est elle qui donne également sa chance à une autre artiste liégeoise, le soprano lyrique Marian Balhant.6 Son répertoire est scrupuleusement choisi. Elle travaille quotidiennement avec Raymond Platel. Le couple s’établit tout d’abord à Gand où il se consacre entièrement à son double métier. Elle poursuit son activité radiophonique (elle prend part à la première de La Fiancée du timbalier, ballade orchestrale, op. 82 de Saint-Saëns, à l’I.N.R. le 16 novembre 1947, après avoir chanté des extraits de Thérèse, de Massenet, pour la radio flamande en octobre de la même année), tout ralentissant toutefois sensiblement le rythme des récitals et des concerts.


Au cours de sa deuxième saison gantoise, Lucienne Delvaux aborde Mallika (Lakmé), Suzuki (Madame Butterfly), Amneris (Aida), Azucena (Le Trouvère) – ses deux premiers rôles verdiens à la scène -, la Mère (Les Contes d’Hoffmann), la Mère (Louise), Emilie (Otello) et le rôle-titre d’Hérodiade. Si les critiques se rapportant aux premières prestations font état d’une certaine timidité dans son jeu scénique, elles soulignent déjà l’importance et l’ampleur de la voix, soutenue par une impeccable musicalité. Dès la deuxième saison et avec des premiers rôles, Lucienne Delvaux ne recueille que des triomphes particulièrement encourageants.

Lucienne Delvaux dans Brangäne (Tristan et Yseult). Théâtre Royal de Gand.
Photographie: J.M. Mertens.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

Retentissant succès dans Tristan et Yseult, pourtant Lucienne Delvaux renonce de chanter à Bayreuth


Saison 1949-1950, elle incarne Ortrud (Lohengrin), Brangäne (Tristan et Yseult), Emilia, Carmen, Mallika, Amneris, Azucena, la Reine Gertrude, la Mère (Les Contes d’Hoffmann), ainsi que Mamma Lucia (Cavalleria rusticana). Deux prises de rôles: Brangäne, fin octobre 1949, aux côtés de Max Lorenz et du soprano belge Alberta De Reuck (1919-1999) et le rôle-titre de Mignon, mi-novembre 1949.


Elle se prépare méticuleusement pour Brangäne, la tâche est lourde et la tension est palpable, d’autant plus qu’elle doit apprendre le rôle en néerlandais: « Je travaillai le rôle d’arrache-pied car Vina Bovy me confia une lourde responsabilité en me donnant pour partenaires deux monstres sacrés! C’est d’abord le soprano allemand Martha Mödl (1912-2001), puis le soprano dramatique belge Irma De Keukeleire (1905-1977) qui furent approchées pour interpréter Yseult. Cela vous prouve à quel point Vina Bovy voulait une distribution de qualité! Aucune des deux n’étant libres, la directrice finit par convaincre la brave Alberta De Reuck d’apprendre le rôle. » (L.D. à l’auteur en 2005).


Avec Brangäne, l’artiste trouve là son terrain de prédilection: toute l’ampleur de ses moyens vocaux et scéniques insuffle le plus bel éclat au rôle et c’est un succès mérité: « Le chaleureux mezzo de Mme Delvaux produisit la plus vive impression et la jeune artiste aussi se montra l’égale de ses prestigieux partenaires, dessinant de Brangäne la silhouette la plus juste ». Gaston Hebbelynck (Flandre libérale, 28 octobre 1949). Sous la baguette experte du chef hongrois Georges Sébastian (1903-1989), Lucienne Delvaux, Max Lorenz et Paul Schöffler font de la soirée un retentissant triomphe, l’imposant mezzo n’éprouvant aucune difficulté à passer la rampe: le pari est gagné.


Au terme de la représentation, alors qu’elle quitte le théâtre pour rejoindre Raymond Platel qui l’attend au Café de l’Opéra, elle croise Max Lorenz qui lui aussi quitte le théâtre, un large chapeau vissé sur sa tête. Il la complimente sur son interprétation et impressionné par sa prestation, il veut la recommander et arranger une audition pour elle à Bayreuth, car « avec ce rôle, elle pourrait faire le tour du monde ». Elle n’a pourtant rien demandé et toujours prudente, elle se donne le temps de la réflexion jusqu’au lendemain. Tout en sirotant une flûte de champagne aux côtés du répétiteur, elle lui confie: « Après avoir chanté avec Max Lorenz et Paul Schöffler claironnant Tristan et Kurwenal en allemand, alors que je chantais Brangäne en néerlandais, je pense qu’à Bayreuth, je ne parviendrai pas à leur niveau linguistique et que je serais trop préoccupée par la prononciation. Je suis flattée par cette proposition, mais je dois renoncer. » (L.D. à l’auteur en 2005). En effet, elle estime que pour interpréter du Wagner en Allemagne, surtout dans le cadre du sacro-saint Festival de Bayreuth, il faut pouvoir parler allemand couramment, au-moins suffisamment pour s’imprégner aisément de la littérature germanique et de la culture allemande, la seule maîtrise de la langue du rôle ne suffisant pas. Souci de perfection et modestie caractérisant bien l’artiste. Aussi, l’idée de passer de trop longs séjours à l’étranger éloignée de Raymond Platel est un autre élément rédhibitoire et finalement, elle nourrit des scrupules à quitter son berceau artistique. Plus tard, elle apprendra pourtant ses rôles wagnériens en allemand, les théâtres imposant la langue originale des œuvres et chantera aisément en plusieurs langues.



APRES BRANGÄNE, LA MONNAIE ET L’INTERNATIONAL, EN PASSANT PAR L’OPERA DE PARIS


Au Théâtre Royal, quelques semaines après la représentation de Tristan du 28 octobre 1949, elle est à nouveau remarquée, mais cette fois dans un rôle aux antipodes de la stature dramatique de Brangäne: le rôle-titre de Mignon, un emploi d’opéra comique. Pour une fois, le personnage est chanté par une voix riche et solide, alors qu’il est traditionnellement confié à des mezzo-soprani plus légers de type Dugazon. Mais elle ne le rechante plus, car elle le juge trop statique et placide à son goût et « dénué de flamme dramatique » (comme elle le confiera à l’auteur). Pourtant, aux côtés de la mûre, mais encore brillante Philine de Vina Bovy, qui revient quant à elle à ses premières amours, elle en dessine une caractérisation parfaitement aboutie: « On n’est guère habitué à entendre dans le rôle titulaire, un mezzo aussi somptueux que celui de Mme Delvaux. L’excellente chanteuse n’a eu aucune peine à se plier aux exigences de sa partie, lui conférant ainsi un relief inaccoutumé, et bien que plus spécialisée dans les héroïnes d’opéra, elle traça de Mignon la plus sympathique figure » Gaston Hebbelynck (Flandre libérale, 12 novembre 1949). Robert Stény est Wilhelm et c’est un jeune Richard Demoulin qui incarne Laërte (cf. ci-dessus), dans une mise en scène d’Octave Dua.


Toujours à Gand, saison 1950-1951, Lucienne Delvaux interprète Charlotte (Werther), Erda (Siegfried), Margared (Le Roi d’Ys) et reprend une partie de son répertoire (Mallika, Carmen et à nouveau, Ortrud et Brangäne). Même saison, elle est invitée à l’étranger: Lille pour Hérodiade, Aida et un gala lyrique, Nantes pour Carmen et Faust, Saint-Etienne et Reims pour Carmen, Amsterdam, Rotterdam et Hilversum pour des concerts radiophoniques et pour Samson et Dalila. Au Grand-Théâtre de Bordeaux, elle chante La Walkyrie (en français); la réception du public est si favorable qu’elle est réinvitée pour la saison suivante où elle reprend La Walkyrie, puis Aida et Le Roi d’Ys : c’est dans cette ville qu’elle fait la connaissance du soprano dramatique français Suzanne Juyol (1920-1994) qu’elle admire (lui donnerait-on tort ?) et avec laquelle elle maintiendra un contact amical très longtemps.


Elle assure également d’autres engagements en Belgique avec des prestations au Théâtre Royal (Carmen, Aida) et au Conservatoire de Liège, au Grand-Théâtre de Verviers, au Théâtre Royal de Mons (Werther, Carmen, Pelléas et Mélisande), cette activité étant couplée avec des concerts. En janvier 1951, elle est invitée par le Conservatoire de Liège pour Geneviève (Pelléas et Mélisande) sous la direction de Fernand Quinet qu’elle connaît déjà pour avoir chanté sous sa direction et créé des mélodies de sa composition. Une belle distribution l’attend: le soprano français Janine Micheau (1914-1976), le ténor belge Frédéric Anspach7, le baryton/basse français Henri-B. Etcheverry (1900-1960) et la basse belge Maurice De Groote (1910-1994).


A cette même époque, un contact avec le Teatro del Liceo (Barcelone) est établi au début des années 1950 pour des représentations d’Aida et de Carmen : finalement, elles restent sans lendemain. Au-delà de la nécessité de pouvoir se libérer d’engagements contractés en Belgique, il faut réapprendre Amneris en italien, un autre écueil dans l’agenda chargé de l’artiste.


Les propositions abondent et pour les périodes contractualisées avec l’Opéra Royal de Gand, elle doit soumettre une demande d’autorisation à la direction. Elle participe à d’innombrables captations radiodiffusées, accordant une place de choix aux œuvres inédites, tout en privilégiant la musique ancienne et l’oratorio. L’excellente réputation engrangée en Belgique affirme désormais l’artiste comme une soliste de premier plan.


Saison 1951-1952, Lucienne Delvaux est invitée au Théâtre Royal de Liège (Samson et Dalila, Louise, Aida, Carmen), elle donne également deux récitals consacrés à des compositeurs français (Conservatoires de Bruxelles et de Liège).


Au Grand-Duché de Luxembourg, elle chante pour la radio la Messa da Requiem de Verdi (novembre 1951). Après ses prestations au Théâtre Royal de Liège, elle donne un concert le 16 mars 1952 à la Grande Salle des Fêtes (Société Royale de Zoologie d’Anvers, un important centre culturel de la ville). Ce concert est un tel succès que Lucienne Delvaux est contactée par la direction de l’Opéra pour débuter, saison 1952-1953 pour une série de 25 représentations.


A l'Opéra Royal d'Anvers, elle incarne le rôle-titre d’Orphée, puis elle donne un aperçu de son talent dans des opéras tels que Die Walküre, Das Rheingold, Lohengrin, Le Trouvère, Aida (alternant entre le flamand et l’italien), Carmen, Le Consul, Le Viol de Lucrèce, tous réappris en néerlandais pour la programmation anversoise!


Raymond Platel l’assiste dans la traduction et la préparation musicale destinée aux théâtres flamands: « Quelle barbe de devoir apprendre mes rôles en néerlandais! Mais finalement, je pus assimiler le texte grâce à mon mari qui était patient. Musicalement, la traduction me joua occasionnellement des tours, la nouvelle langue modifiant l’architecture prosodique. J’en passai des nuits blanches à repasser mes rôles et parfois, pour deux ou trois représentations seulement. » (L.D. à l’auteur en 2002).


A Anvers, Lucienne Delvaux chante tour à tour Mary (Le Vaisseau fantôme), Venus (Tannhäuser), Waltraute (Le Crépuscule des dieux), Ortrud, Brangäne, l’une des Walkyries et Fricka (La Walkyrie), Erda, etc. Contrairement à certaines sources, elle ne chantera jamais Kundry (Parsifal) à l’opéra, un rôle de soprano. Au concert, elle aborde régulièrement les Wesendonck Lieder ou des scènes choisies. En avril et septembre 1954, elle interprète des extraits de L’Or du Rhin, Tristan et Yseult et Tannhaüser aux côtés de Mina Bolotine et Jan Verbeeck (1913-2005) à l’Opéra Royal Flamand. Toujours à Anvers, elle participe à des représentations de gala qui ont le vent en poupe dans cette ville: De Mollekens, Unitas, Kindervreugd ou Club Telegraphic, etc. Avec le soprano Marie-Louise Hendrickx, Mina Bolotine et le ténor Marcel Vercammen (1910-2000) l’un des piliers du répertoire wagnérien, principalement lors des saisons 1952-1959. Même si elle aime tout particulièrement Verdi, Wagner détient une place prépondérante dans ses préférences musicales. Ses caractérisations sont extrêmement fouillées, restituant à chaque rôle ses lettres de noblesse dans une parfaite adéquation scénique et musicale.


M.-L. Hendrickx dira d’elle: « Mme Delvaux était une extraordinaire interprète: que ce soit dans Orphée à la Monnaie, Brangäne, Ortrud ou Venus à Anvers, nous avons toujours été fusionnelles dans notre travail, au concert également. Elle assimilait très vite son rôle, presque instinctivement, non seulement la ligne musicale et vocale, mais aussi, les directives de mise en scène. Il y avait certes une forme de retenue peut-être propre à sa nature, mais elle investissait l’espace grâce à sa seule présence. Et quelle voix! Nous étions en totale symbiose. Elle était très moderne dans sa manière de jouer, de vivre le personnage: elle aurait sans doute encore sa place dans le panorama lyrique d’aujourd’hui.» (M.-L. Hendrickx à l’auteur en 2011).


Même saison 1952-1953, elle est en Algérie (Oran) pour Aida, Il Trovatore et Cavalleria rusticana (toutes chantées en italien), en France pour d’autres représentations clôturant la saison à Nantes, Lille et Dijon, principalement pour Werther et Carmen. Lors de ses tournées en Afrique du Nord, elle chante sous le nom italianisé de Luciana Del Vó. C’est le ténor roumain Emilio Marinescu (1897-1986) avec lequel elle avait chanté à Gand (notamment dans Aida, Otello, Samson et Dalila) et à Bordeaux et qui, après avoir fondé une éphémère compagnie lyrique italienne, estime que pour être mieux intégrée aux autres artistes aux noms à consonance latine, son nom doit être modifié, le temps de deux ou trois saisons. Au Pays-Bas, elle prête à nouveau sa voix aux micros de la radio (Carmen) et donne quatre concerts avec le Rotterdams Operakoor. De retour au Théâtre Royal de Liège, elle donne deux représentations de Carmen en novembre 1952.

Lucienne Delvaux dans la belle Dulcinée (Don Quichotte). A gauche, Jacqueline Vallière et Diane Lange (Pedro et Garcias). Théâtre Royal de la Monnaie.
Photographie: Henri Vermeulen, Bruxelles.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

Saison 1953-1954, Lucienne Delvaux débute à la Monnaie sous l’égide de la première saison directoriale du ténor ukrainien Joseph Rogatchewsky (1953-1959). Elle y chante Orphée, Fricka (La Walkyrie), Dalila (Samson et Dalila), Madeleine (Rigoletto), Charlotte (Werther), Carmen, La belle Dulcinée (Don Quichotte), n’y chantant que deux saisons. Elle y chante également pour une reprise de La Passion (rôle de Marie, dans lequel elle remporte un autre vif succès).

Lucienne Delvaux dans Charlotte (Werther). Théâtre Royal de la Monnaie.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

Dans ce théâtre, elle partage l’affiche aux côtés de solistes tels que Francis Andrien, Valère Blouse, Albert Delhaye, Gilbert Dubuc, Emile Frandy, Germain Ghislain, Julien Haas, Claude Hector, Ludwig Hoffman, André Huc-Santana, Jean Laffont, René Lits, Eugène Régnier, Günther Treptow, Tadeusz Wierzbicki, Micheline Aubert, Mina Bolotine, Géri Brunin, Micheline Cortois, Lily Djanel, Marie-Louise Hendrickx, Diane Lange, Ysel Poliart, Raymonde Serverius, Jacqueline Vallière. Elle retourne au T.R.M. le 29 octobre 1959 pour la première Prieure pour la création de l’opéra de Francis Poulenc à Bruxelles. Elle y retrouve à quelques exceptions près les mêmes collègues qu’à Gand. Ses metteurs en scène sont Georges Dalman, Roger Lefèvre et Karel Locufier pour les Dialogues des carmélites.


A l’international, Lucienne Delvaux chante également (liste non exhaustive) à Aix-en-Provence, Angers, Angoulême, Annecy, Anvers (où l’artiste doit réapprendre son répertoire en langue néerlandaise), Arles (Festival), Avignon, Bâle, Bayonne (Festival), Bône, Bordeaux, Bregenz, Calais, Casablanca, Clermont-Ferrand, Colmar, Cologne, Constantine, Dijon, Dordrecht, Dortmund, Erlangen, Esch-sur-Alzette, Evian, Fréjus (Festival), Friedrichshafen, Genève, Grenchen, Hanovre, Hilversum, Kassel, La Haye, Lausanne, Lucerne, Lyon, Marseille, Metz, Mulhouse, Nancy, Nérac, Nice, Nîmes, Nurenberg, Pau, Reims, Rennes, Rotterdam, Saint-Denis, Saintes (Festival), Solingen, Strasbourg, Toulon, Toulouse, Tourcoing, Tournai, Tours, Troyes, Vienne (Festival), Villeneuve-sur-Lot (Festival), Zürich …


Désormais, son répertoire comprend non moins d’une centaine de rôles et d’œuvres, brassant près de trois siècles d’évolution musicale, nouant avec tous les styles, en français, italien, allemand, néerlandais, anglais, espagnol et russe. L’artiste s’impose une discipline de fer dans l’apprentissage d’œuvres dans leur langue originale et non plus dans les traductions française ou néerlandaise, comme l’exigeait la tradition.

Lucienne Delvaux dans la Mère (Louise). Théâtre Royal de Gand.
Photographie: J.M. Mertens.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

En dépit de sa carrière internationale, Lucienne Delvaux reste fidèle à Gand et à sa ville natale, Liège. Dans la première ville, elle incarne encore Ortrud, Amneris et la Reine Gertrude (saison 1956-1957), Eboli, Azucena, Eléonore dans La Favorite et Ulrica dans Un Bal masqué (saison 1957-1958). Elle se voit proposer le rôle de la Princesse pour la création d’Adrienne Lecouvreur en langue française le 25 janvier 1956: hélas, elle doit refuser car elle chante en France (Toulouse, Lille et Reims) notamment Hérodiade et Le Trouvère. Le rôle lui plaît et elle l’aborde saison 1958-1959. Elle y reprend Dalila, puis la première Prieure (Dialogues des carmélites pour la création le 6 mars 1959), Laura (La Gioconda), Eboli, Ortrud, Azucena, Marie dans La Passion), Ulrica, la Mère dans Maria Golovine (saison 1959-1960), Azucena, Gertrude dans Bank Ban, première en néerlandais de l’opéra de Ferenc Erkel, la Mère dans Louise, à nouveau Marie (saison 1960-1961). Elle reprend Don Quichotte et sa Belle Dulcinée (aux côtés de Jean Laffont campant un extraordinaire Sancho), Carmen, la Mère dans Louise (saison 1962-1963), Eléonore, la Reine Gertrude (saison 1967-1968), Amneris et Azucena, ses deux derniers rôles à l’Opéra Royal de Gand (saisons 1967-1969), alors qu’elle venait d’être nommée professeur d’art lyrique au Conservatoire de Liège.

Lucienne Delvaux dans la Reine Gertrude (Hamlet). Théâtre Royal de Gand.
Photographie: J.M. Mertens.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

Dans la seconde ville, Liège, là où tout a commencé, son nom est à affiche dans Hérodiade, Aida, Le Roi d’Ys (saison 1953-1954), Hamlet, Aida, Hérodiade (saison 1954-1955), Don Carlos (1958-1959), Samson et Dalila, Carmen (saison 1959-1961), Lohengrin (saison 1962-1963), Un Bal masqué (saison 1964-1965), Le Trouvère, Le Vaisseau fantôme (1965-1966) et Aida (saison 1966-1967). Elle complète ce panorama lyrique par des concerts et récitals dans la Cité Ardente (Conservatoire, Association des Concerts permanents, L’Emulation, Concerts du midi, etc.)


Elle est aussi invitée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et au Musée Charlier, ainsi qu’à Charleroi, Mons, Namur, Ostende, Saint-Hubert, Spa, Stavelot, Verviers, Villers-la-Ville. Au Grand-Théâtre de Verviers, elle est invitée pour Werther et Carmen (1950-1951), Hérodiade et Lohengrin (saison 1959-1960) et Le Prince Igor (Kontchakovná, saison 1966-1967).

José Luccioni (Radamès) et Lucienne Delvaux (Amneris). Opéra de Paris.
Photographie: Studio Lipnitzki, Paris.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

Un passage remarqué à l’Opéra de Paris


En 1955, sa carrière la conduit à l'Opéra de Paris. Les conditions de son engagement méritent d’être livrées: « Après avoir déjà chanté France, notamment dans des grandes villes telles que sont Paris, Bordeaux, Toulouse et Lille, l’Opéra de Paris a eu vent de mes succès. Je n’avais pourtant pas encore sollicité d’audition, mais j’avais en ma possession une lettre de recommandation de Vina Bovy et du ténor français Louis Izar8. De retour d’Arles, où je venais de chanter Lohengrin au Théâtre Antique, je m’arrêtai deux jours chez une amie parisienne. Etant sur place, je décidai d’aller frapper à la porte de l’Opéra Garnier. Après avoir patienté un long moment, un collaborateur de la direction finit par me recevoir et me dit que ‘les effectifs étaient complets, mais que comme les vrais mezzos ne couraient pas les rues, il voulait bien m’écouter’. Cela ne me rassura pas trop, d’autant plus que j’étais épuisée par les représentations de Lohengrin en plein air car il y avait eu beaucoup de vent et j’étais un peu enrouée. Après avoir traversé un dédale de corridors mal éclairés, je me retrouvai sur l’immense scène de l’Opéra Garnier. Le pianiste et moi n’échangèrent même pas un regard. On me fit tout d’abord chanter les imprécations d’Ortrud, puis un air de Samson et Dalila et enfin, la grande scène d’Amneris! Tout cela sans répétition, sans raccord au piano et surtout, sans échauffement de voix. La tessiture d’Ortrud étant très tendue, avec des incursions soutenues dans l’aigu, il eût été bien plus sage de débuter par Dalila, dont la tessiture plus centrale convient mieux. Mais je m’en tirai plutôt bien et je chantai devant le rideau de fer baissé, la salle sombre, un rien inquiétante … Le monsieur en question fut impressionné et me convoqua pour une seconde audition en présence des administrateurs de l’Opéra. Je retournai donc à Paris quelques semaines plus tard et rechantai ce même répertoire, mais cette fois-ci, dans le bon ordre.  Dans la salle, parmi un aréopage de grands pontes de l’art lyrique, Emmanuel Bondeville, Maurice Lehmann et le baryton belge José Beckmans9, directeur de la scène, que j’avais connu lors d’un engagement au Théâtre du Capitole à Toulouse. Le contrat fut signé et je débutai le 2 octobre 1955 dans Amneris, aux côtés de Suzanne Sarroca et de José Luccioni.» Au Palais Garnier, Lucienne Delvaux chante également Bellone (Les Indes galantes, un rôle correspondant peu à son tempérament), Ortrud, l’Hôtesse (Boris Godounov), Dalila et Albine.


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Lucienne Delvaux dans le rôle-titre de Carmen
Photographie: Verhassel, Bruxelles.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

Paris, mais sans Carmen …


Il est regrettable que la première scène lyrique française ne lui ait pas offert Carmen, rôle défendu par Solange Michel (1912-2010)10, puis par Denise Scharley (1917-2011), deux parmi les meilleures Carmen de l’Opéra Comique et de l’Opéra Garnier (sans oublier la solaire Isabelle Andreani). A l’époque de l’engagement de Lucienne Delvaux, cet opéra n’avait quasiment jamais franchi le seul de l’Opéra Garnier (sauf pour deux galas, le premier le 11 novembre 1900, IIème acte uniquement et le second, le 21 décembre 1907). Puis, au tournant des années 1950, il est décidé de monter une nouvelle production, mise en scène par Raymond Rouleau pour sceller son retour à Garnier. Sans surprise, la cigarière se doit d’être française, car l’œuvre figure désormais au patrimoine lyrique populaire national. Elle est ainsi promise à la tornade Jane Rhodes (1929-2011), l’épouse du chef d’orchestre italien Roberto Benzi qui entre par la grande porte à Garnier, soutenue par un tapage médiatique non-négligeable. Du reste, la soirée inaugurale du 10 novembre 1959 a lieu en présence du Général de Gaulle. A Paris, dans un théâtre aussi important, on ne fait pas trop état du fait que le mezzo-soprano soit marié au chef d’orchestre qui la dirige …


Si Lucienne Delvaux finalement ne chante pas Carmen à l’Opéra de Paris, elle l’incarne avec régularité en France et à plus de 128 reprises tout au long de sa carrière. Dans l’héroïne de Prosper Mérimée, son jeu est contenu, tendant à éviter les excès trop coutumiers. Parfois, clichés et tradition aidant, le conventionnel de la main sur la hanche refait occasionnellement surface à la demande de tel ou tel metteur en scène (visible sur certaines photographies de studio). C’est une Carmen de pourpre, de feu et de sang, elle occupe l’espace, l’investit avec aplomb: la symbiose entre la voix et l’action dramatique est parfaite. Et si son jeu contient « plus de rouerie insidieuse que de fougue, plus de finesse que de violence » (cf. critique de La Lanterne du 2 mars 1959, elle y déploie une riche palette vocale, soutenue par une diction impeccable et un phrasé élégant. Ici, elle n’est pas le pâle Ersatz fourre-tout transformant Carmen en un dépotoir à voix (au pluriel). Soprano sans aigus ni graves, mezzo-soprano sans medium et reconverti, Falcon détrôné, contralto bâclé: tout semble bon pour saborder l’héroïne de Bizet et non seulement … Le catalogue des enregistrements disponibles en apporte une preuve probante.


Lucienne Delvaux dans le rôle-titre de Carmen.
A ses côtés, Robert Legros-Sorgel (Zuniga). Théâtre Royal de Liège.
( Photographie: D.R. - Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles©  )

Lucienne Delvaux est Carmen en Belgique, aux Pays-Bas (notamment pour des prestations radiophoniques pour Radio Hilversum et Radio-Avro), au Grand-Duché de Luxembourg, en Algérie, au Maroc mais également ailleurs en France: Aix-en-Provence, Bayonne (arènes), Bordeaux, Dijon, Fréjus (arènes), Lille, Mulhouse, Nantes, Nérac, Nîmes, Toulouse, Tours, etc. Elle côtoie les plus célèbres Don José ou Escamillo de son époque: Mario Altéry, Francis Andrien, Roger Barsac, Guy Chauvet, Albert Delhaye, Nicolaï Gedda, Julien Haas, Marcel Huylbrock, Raoul Jobin, José Luccioni, André Laroze, Max Lorenz (chantant son rôle en allemand), Arnold Van Mill, Eugène Régnier, Paul Rouffart, Henri Saint-Cricq (l’embonpoint aidant, contraint de chanter une partie de son rôle assis), Georges Vaillant, et tant d’autres.


A l’approche de la cinquantaine, la sagesse lui dicte d’abandonner Carmen: elle fait ses adieux à ce rôle lors d’une tournée de l’Opéra du Rhin (Opéra de Strasbourg) en Allemagne, Suisse et Grand-Duché de Luxembourg, saison 1964-1965.


Tout en continuant de se produire avec régularité à l’étranger, elle continue de chanter des premiers rôles dramatiques tels que la partie de mezzo dans le Requiem de Verdi, mais aussi Léonore, Azucena, Amneris, Dalila ou encore, Madame de Croissy, sans pour autant négliger des rôles plus secondaires (Hérodias, Madeleine, Mary, Taven, Ulrica, la Comtesse de Coigny), etc. La voix conserve intact tout le prisme de ses couleurs, avec un jeu scénique et une présence indéniables, comme en témoignent les dernières critiques. Jusqu’aux dernières représentations, l’artiste montre toute l’étendue de sa versatilité et la solidité de sa technique. A peine ralentit-elle ses activités une fois nommée professeur d’art lyrique.


En effet, dès le 1er octobre 1968, elle enseigne l’art lyrique au Conservatoire Royal de sa ville natale, occupant cette charge jusqu’en 1974, puis elle enseigne le chant à l’Académie de Chênée jusqu’en 1982.


Une rayonnante Lucienne Delvaux à l’occasion de son 90ème Anniversaire en 2006.
( Photographie : D.R. - Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© )

APRES L’ENSEIGNEMENT, UNE RETRAITE HEUREUSE


Rétrospectivement, le regard global posé par Lucienne Delvaux sur ses années d’enseignement est plutôt mitigé, hormis pour quelques éléments. Elle siège à des jurys de concours et son jugement, s’il est attendu, est aussi redouté. Elle est déçue, estimant que le vivier de jeunes chanteurs en herbe manque de feu sacré et que l’enseignement n’est pas en emphase avec les nécessités du métier. L’époque a changé, une page s’est tournée.


Après s’être retirée de l’enseignement, elle occupe aux côtés de Raymond Platel une confortable villa entourée de rosiers sur les hauteurs de Liège. Se rendant encore volontiers à l’opéra et au théâtre, elle garde un œil vigilant et critique sur les « productions», ce nom qu’elle abhorre et qu’elle se plaît, avec un brin d’humour, à décrier. Elle est parfois outrée par ce que la télévision a l’outrecuidance de diffuser, alors qu’elle fait preuve d’une étonnante mansuétude et d’un esprit visionnaire sur l’horizon lyrique contemporain et aime commenter avec un brin de malice les émissions télévisées. Pourrait-on lui en vouloir? Le Diktat de metteurs en scène, l’incompétence et l’ignorance de certains directeurs de théâtres (pourtant reconnue mais non condamnée), alliées à la cupidité d’agents artistiques dépeignent là un sinistre constat, flagrant et sans appel. Elle ne le cautionne pas, elle ne le saurait.


Dans les années quatre-vingts, le couple vend sa villa pour s’installer dans une élégante résidence non loin de la bucolique commune de Chaudfontaine, en bordure d’un parc. En 1999, Raymond Platel s’en va et une forme de vide insidieux s’engouffre petit à petit dans la vie d’artiste. Leur complicité artistique, ce ciment jadis essentiel de leur fusion, est désormais orpheline. C’est auprès de ses amis et de ses anciens collègues qu’elle retrouve une flamme et une joie de vivre communicatives.


Malgré le poids des ans, elle reste extrêmement alerte, gérant ses affaires dans les moindres détails et sachant toujours se faire respecter.


Conductrice expérimentée, elle aime la vitesse et sa conduite sportive est aux antipodes de celle d’une personne de son âge. Bravant les côtes sinueuses des environs, elle ne craint guère les occasionnels excès de vitesse et en dépit de sa témérité au volant, elle est d’une extrême prudence: aucun incident en 75 ans de conduite. Au soprano Marian Balhant qui lui demande si elle ne préfère pas l’autoroute aux routes secondaires, elle répond avec son aplomb coutumier: « Oui, certainement, c’est bien plus facile: mais quel ennui! ».


Exigeante avec autrui comme avec elle-même, toujours coquette, élégante et aimant la bonne chère, elle est une cliente assidue des modistes, couturiers et traiteurs de la région. Après s’être séparée à regret de son véhicule cabriolet (elle conduit jusqu’à l’âge de 93 ans), c’est elle qui se fait désormais conduire par des amies aux défilés de mode qu’elle aime tant.


Ces derniers temps, si une forme de lassitude et la tristesse d’un trop long crépuscule s’installent, l’esprit est toujours aussi vif et parvient à vaincre un corps fragilisé par le poids des ans. N’aimant pas se plaindre et s’acharner sur son sort, c’est elle qui s’enquiert de son prochain, toujours avec une amitié et une tendresse inconditionnelles. En parlant de musique et d’opéra, la voix reconnaissable entre mille, grave et puissante, s’illumine et résonne; la mémoire des noms et des événements, qui flanche occasionnellement, revient comme par enchantement. Alors, les étapes de la vie et de la carrière défilent, avec leur lot de souvenirs et d’anecdotes, souvent drôles et cocasses. Avec un sens de l’humour et de la dérision inaltérés, son éclat de rire communicatif résonnera encore longtemps dans le cœur de ceux qui l’ont aimée et qui ont eu l’honneur et le bonheur de la connaître.


Se souvenant des jours heureux, Lucienne Delvaux aimera répéter: "J'ai accompli mon devoir, je ne regrette rien, car j'ai donné le meilleur de moi-même."



DE L’IMPORTANCE DE LA MESURE ET DE LA NUANCE DANS LA MISE EN SCENE


Octave Dua dans Goro (Madame Butterfly), Création au T.R.M., 29 octobre 1909.
Photographie : Stern, Bruxelles.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

Une infinie reconnaissance au ténor Octave Dua …


La présence scénique de l’artiste est indéniable: un brin altière, naturellement élégante, Lucienne Delvaux déploie ses mouvements avec parcimonie, son port est impérieux et chaque inflexion, le moindre de ses regards en imposent. Mignon, Brangäne, Fricka, Venus, Margared, Hérodiade, Azucena, Amneris, Dalila, Charlotte ou Carmen: héroïnes de chair et de sang, de glace et de flamme … Le public ne se trompe pas: il a face à lui une tragédienne de première stature. Sur scène, même lorsqu’elle ne doit pas chanter, sa seule présence capte magnétise le regard, un compliment qui ne peut s’adresser qu’aux plus grands interprètes et l’artiste répète d’ailleurs souvent: « Peu de gestes, mais le geste juste, en harmonie avec le texte, la musique et l’action dramatique. La symbiose avec les partenaires de scène est capitale, lorsqu’elle est possible! Tout est écrit, autant dans la partition, que dans le livret! Pas besoin de tout réinventer! Que penser de la mort de la première Prieure dans les Dialogues? Elle est à l’agonie, c’est avec une grande économie de gestes et de mouvements que vous devez faire passer un frisson dans la salle. Le regard, le visage, les mains, la posture et surtout, le contrôle du souffle et la maîtrise de la coloration de la voix! Tout le reste n’a que peu d’importance. Quand vous trouvez un metteur en scène capable de comprendre cela comme ce fut le cas à Gand11, alors vous pouvez donner le meilleur de vous-même. » (L.D. à l’auteur en 2014).


Quand elle rejoint le Théâtre Royal de Gand, elle travaille la mise en scène avec le ténor belge Octave Dua (1882-1952): http://www.ars-bxl.be/octavedua.html. Au terme d’une splendide carrière en Belgique (la saison 1947-1948 est sa dernière saison en qualité de chanteur), aux Etats-Unis, en Amérique du Sud et en Australie, il officie comme metteur en scène, un rôle plus ou moins officieux, qu’il assume avec panache, le couplant avec celui de conseiller artistique. Son expérience a de quoi faire pâlir un chanteur aguerri! Quasiment aucun premier rôle, mais une galerie de seconds plans auxquels il insuffle la justesse nécessaire et surtout, une « présence » saisissante. Octave Dua, du reste, sait qu’au rideau final, que ce soit à Bruxelles, Buenos Aires, Londres, New York, Chicago ou Sydney, les salves d’applaudissements qui lui sont réservées sont autant nourries que pour les premiers solistes (et non des moindres, de Caruso à Chaliapine).


Octave Dua permet à Lucienne Delvaux d’affiner son jeu dramatique et lui prodige ainsi de précieux conseils. A ses côtés et bénéficiant de la vaste expérience de son aîné, elle évolue rapidement et c’est un déclic: « En dépit de sa petite taille et du fait qu’il était borgne, sa présence était, comment dire? imposante! Je l’ai encore écouté dans Manon lors de ma première saison à Gand, il chantait Guillot de Morfontaine aux côtés de Vina Bovy: ce petit bonhomme avait une présence scénique incroyable. Toute la troupe éprouvait un respect inconditionnel pour le ténor, à commencer par Vina Bovy. Je me trouvais face à un artiste immensément talentueux et expérimenté. Il ne pouvait que forcer l’admiration.» (L.D. à l’auteur en 2014).



De l’ingérence des metteurs en scène actuels


« Dans ma carrière, la mise en scène a toujours joué un rôle capital. Le metteur en scène est une des pierres angulaires du spectacle, mais permettez-moi de le rappeler: ce n’est pas lui le chanteur! Comme M. Dua nous le rappelait, ‘tout est dans la mesure et non dans l’extravagant, c’est là où l’intelligence du jeu sait se faire apprécier, dans le subtil et dans la nuance’ ».


« La scénographie et le jeu d’acteurs ne doivent pas distraire l’auditoire qui se concentre sur la musique, les voix et la cohérence de l’action dramatique. Actuellement, les chanteurs sont entravés par les metteurs en scène! Que dire d’une production espagnole des Nozze di Figaro où l’on voit la Comtesse assise sur une cuvette de W.C.? D’aucuns trouvent cela amusant, moi pas! Si les metteurs en scène actuels avaient ne fût-ce qu’un tout petit peu d’expérience en tant que chanteurs, on pourrait éviter ce massacre! Ils s’approprient un rôle qui ne devrait pas du tout leur être dévolu et certains directeurs de théâtres sont coupables de cautionner leur travail. Du reste, il n’est pas surprenant que certaines productions – je déteste ce mot – plus respectueuses, soient justement celles orchestrées par d’anciens chanteurs lyriques ou des artistes provenant du théâtre dramatique. C’est à méditer. »


« Dans ma carrière, la place de la mise en scène ne m’a jamais posé problème, bien au contraire. Que ce soit à Gand, à l’Opéra de Paris ou même, à la Monnaie, je n’ai pu que me réjouir de mes collaborations artistiques. Je me souviens également d’une éblouissante mise en scène de Marcel Lamy à Charleroi pour Samson et Dalila, ce fut un éblouissement et j’en fus enchantée. M. Lamy m’invita d’ailleurs en Suisse pour des concerts radiodiffusés et pour chanter au Grand-Théâtre de Genève, qu’il dirigeait alors entre 1962 et 1965. Je chantai des extraits de Hamlet et de Boris Godounov pour la Radio-Suisse Romande, ainsi que Les Nuits d’été, mais je ne pus me libérer pour une création qu’il voulait me confier et dont j’oublie le nom aujourd’hui.» (L.D. à l’auteur en 2009).



LA VOIX DE LUCIENNE DELVAUX, FAITE DE ROUGE ET D’OR …


Des premiers rôles de contralto et d’alto, la tessiture évolue sereinement vers celle du mezzo dramatique. La voix est imposante, mordorée et enveloppante. Les harmoniques sont « résonnantes « et solidement ancrées. Le grave et l’extrême grave sont naturellement sonores (comprendre: ni appuyés, ni poitrinés), le medium est d’une qualité et d’une couleur tout à fait exceptionnelles. Le haut medium conserve sa chatoyance et les aigus (aisément jusqu’au Fa4/Sol-b4) sont éclatants et percutants. Comme l’écrit un admirateur (cf. témoignage plus haut) la voix est faite « de rouge et d’or », de feu et de flamme, idéale pour les élans passionnés et les éclats dramatiques.


Occasionnellement et dans la phase plus tardive de la carrière, l’aigu, à partir du Sol ou du La-b4, peut se montrer récalcitrant (Eboli, Dalila, Hérodiade ou l’air de Marguerite « D’Amour l’ardente flamme », extrait de La Damnation de Faust, avec son terrible crescendo « accelerando » vers l’aigu). Aussi, l’occasionnel enrouement ou la fatigue peuvent compromettre les passages extrêmes, comme cela est le cas dans le trio clôturant l’air du Ier acte d’Hérodiade dans l’enregistrement radiophonique (ORTF) réalisé le 21 septembre 1963 aux côtés de Suzanne Sarroca, Robert Massard et Paul Finel (cf. témoignages plus haut). L’artiste est fiévreuse et souffre d’un début de laryngite: plutôt que d’annuler, elle chante. Ce malencontreux incident est tristement gravé pour la postérité. Pourtant, son interprétation est de premier ordre; aujourd’hui encore, elle laisse à ses partenaires de scène le souvenir d’une caractérisation parfaite dans le rôle-titre.


Pourtant, aucune de ces réserves ne saurait être imputable à une défaillance technique. Ce sont là les limites de la tessiture naturelle avec, pour ce type de voix, son extension vers le grave (Fa2), limitant naturellement l’extension vers l’aigu au-delà du Sol4, voire du La4. Surtout, la couleur, la texture et la puissance de la voix restent intactes et cela, jusqu’aux toutes dernières représentations de Samson et Dalila, Falstaff ou Le Trouvère, saison 1968-1969. Le 31 janvier 1969, l’artiste interprète le Stabat Mater de Vivaldi au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles: malgré la solennité de l’œuvre, c’est plus de dix minutes d’applaudissements qui sont réservés à l’artiste en pleine maturité dans une interprétation bouleversante.



Des enregistrements trop confidentiels


Quasiment aucun enregistrement commercial est disponible, alors que de nombreuses captations radiophoniques et non des moindres, attendent d’être rendues publiques. Toutefois, dans le circuit live, il existe une intégrale d’Hamlet (jadis parue chez EJS en microsillon, captée à Gand aux côtés de Lucy Tilly, Stany Bert, Jean Laffont, Gilbert Dubuc et Lucien Cattin) où Lucienne Delvaux campe une magistrale Reine Gertrude). Quant à la radio-télévision belge, peu propice à préserver les archives sonores d’un passé pourtant pas si éloigné, elle devrait encore posséder les enregistrements de Carmen (sélection, 9 février 1958), d’un concert comprenant des extraits de La Favorite et Le Roi d’Ys, 16 décembre 1962), d’un récital de mélodies françaises (février ou mai 1963), de Pacem in terris (de Darius Milhaud sous la direction de Franz André, 8 novembre 1966) et d’un concert « avec Jean Laffont et Raymonde Serverius », parmi d’autres trésors.


Egalement et sur base des archives de l’artiste méticuleusement compilées par Raymond Platel, la R.T.B. aurait capté: Gianni Schicchi (le petit rôle de Zita, 1954), Mithridate Eupatore (Scarlatti, 1957), La Lune amère (Froidebise, 1957), Didon et Enée (rôle de la Sorcière, avec Teresa Berganza, sous la direction d’André Vandernoot, 1958), Das Lied von der Erde (1963), Scènes de Faust (Bondeville, première belge, 1963), La Passion selon Saint Mathieu (1961), à nouveau La Lune amère (P.B.A. de Bruxelles, 1961), Requiem (Dvořák), Actus tragicus et la cantate N°3 (Bach, 1963), Requiem solennel (M. Haydn, 1964), Salomé (petit rôle du Page, 1965), Les Béatitudes (capté par la radio belge depuis l’Eglise Notre-Dame de Paris, 1965), la Messe du Couronnement, suivie de la cantate Actus tragicus, BWV 106 (Bach, 1965), l’oratorio In Terra Pax (Martin, 1966), Le Roi David (1967), La Tour de Babel (René Barbier, 1967), Requiem de Verdi (depuis l’Abbaye de Floreffe, 1967), Cessate, omai cessate (cantate RV 684 de Vivaldi, 1967), IXème Symphonie (Beethoven, 1969), Orestès (Feldbusch pour le Prix Italia 1969), Requiem (Mozart, depuis le P.B.A. de Charleroi, 1971), Pacem in Terris (1966), etc. Du côté de la radio flamande: une sélection de Carmen (1958), un concert comprenant des extraits de La Favorite, Le Roi d’Ys, Carmen et Samson et Dalila, 1962), un Stabat Mater (Pergolesi) avec M.-L. Hendrickx (1963) et Les Astronautes (cantate « radiophonique » de Van de Woestijne pour le Prix Italia, 1963).


En France, la RTF a enregistré Le Viol de Lucrèce (15 février 1956), un concert lyrique (15 mars 1956), une captation en direct de Hänsel et Gretel retransmission de l’Opéra de Strasbourg, un concert (Orphée, La Favorite, 1er juin 1963), la version d’Hérodiade (cf. ci-dessus) et Les Euménides de Darius Milhaud (10 décembre 1970). Des extraits de Werther, captés en public au Grand-Théâtre de Bordeaux en 1960 et un concert d’opéra comique français «à Paris entre 1965 et 1970 « auraient été réalisés « officiellement », selon Lucienne Delvaux.


Enfin, aux Pays-Bas, il subsiste des extraits de La Damnation de Faust, Werther et Le Roi d’Ys réalisés pour Radio-AVRO Hilversum (18 juillet 1951) et un concert d’airs lyriques (12 avril 1957). Quant aux sélections de Samson et Dalila (20 mai 1951) et de Carmen (Radio KRO-Hilversum, 13 mai 1953), elles sont reprises dans le CD de Musique en Wallonie (cf. ci-dessous), bien que ce dernier indique la date du 15 mars 1953.



« Lucienne Delvaux, Airs, Mélodies, Oratorios », double CD édité par Musique en Wallonie (2007), référence : MEW07390740

Ce coffret a pu être rendu possible grâce à des bandes magnétiques préservées par l’artiste (d’autres, notamment des sélections de Werther ainsi que des récitals de mélodies sont entre les mains de « collectionneurs ») et par la chronologie de carrière compilée par Raymond Platel.


MEW07390740 - Extraits de Carmen et Dalila (CD1)

Carmen et Dalila sont les deux rôles lyriques totalisant le plus grand nombre de représentations et de larges extraits sont reportés sur le CD de Musique en Wallonie.


Les sélections de Carmen sont issues d’une captation radiophonique de 1953 à Hilversum. Il est indéniable qu’ils soulignent l’aplomb et la séduction de l’interprétation: enjouée et charmeuse. Quel Don José pourrait résister à une « Habanera » et à une « Séguedille » aussi enjôleuses et si finement ciselées? Dès les premières notes, c’est là une Carmen du sud, elle est solaire et charnelle, c’est la flamme. Vient ensuite la relative légèreté de la « Chanson bohème » (IIème acte, 1er CD, plage 3), si elle se veut insouciante et volage, elle est bien restituée avec panache et au travers d’une riche palette de couleurs ; difficile de ne pas succomber aux charmes de la cigarière. Quant à l’ »air des cartes » (IIIème acte, 1er CD, plage 4), donne un aperçu de l’impact dramatique de la voix, avec ses graves sonores et naturels, un passage-test où tant de Carmen se brûlent les ailes. Vient enfin le duo final du IVème acte (1er CD, plage 5) aux côtés du Don José du ténor belge Albert Delhaye (1916-1978), pourtant à l’apogée de sa carrière, mais à la voix déjà prématurément vieillie et affublée d’un large vibrato (des rôles tels que Eléazar dans La juive, Pedro dans Tiefland, Manrique dans Le Trouvère, Canio dans Paillasse et Werther ne peuvent qu’en être responsables). En dépit de cette réserve, c’est un bel instantané de drame lyrique, soutenu par une direction d’orchestre (Johannes den Hertog), les chœurs et les seconds plans du KRO Hilversum de très bonne tenue.


Samson et Dalila est représentée par d’amples extraits des actes I et II. La voix y est enveloppante, suave et mordorée. Dans le premier air « Printemps qui commence » (Ier acte, 1er CD, plage 6), la beauté de la voix est souveraine, le contrôle de la ligne abouti. Toute l’autorité de l’interprétation est perceptible dans « Samson recherchant ma présence » de l’acte II (1er CD, plage 7), même si le La aigu sur le mot «brave» est habilement transposé. Moment d’anthologie avec le célébrissime « Mon cœur s’ouvre à ta voix » et le final du IIème acte (1er CD, plage 8) qui nous réservent une heureuse surprise avec la voix claironnante d’un inconnu, le ténor Frank Beckma. Excellente direction d’orchestre (AVRO Hilversum) par le chef français Jean Fournet, une figure musicale incontournable aux Pays-Bas.


MEW07390740 - Autres extraits lyriques (CD1)

La rare Margared (Le Roi d’Ys) est représentée par le redoutable air de l’acte II « De tous côtés j’aperçois dans la plaine », interprété avec un panache et une autorité dramatique indéniable, habilement dirigé par Edgard Doneux. La veine wagnérienne omniprésente chez Lalo est ici palpable, ce qui nous amène à déplorer l’absence à l’heure actuelle d’extraits d’opéras wagnériens.


Autre agréable surprise avec l’air suivi de la cabalette de Leonora (La Favorita), rondement menées et avec aplomb, toujours sous la conduite d’Edgard Doneux. L’italien est bien restitué, conférant à l’émission une rondeur et une suavité parfaites. Sans aucun doute, cette Leonora eût été digne des plus réputés théâtres de la péninsule italienne et bien au-delà.


Autre rôle dramatique souvent abordé à la scène : Amneris, cette fois-ci pour les micros de l’I.N.R. L’artiste y est royale avec une voix à son zénith. Son Aida est le soprano belge Huberte Vecray12, lumineuse certes, mais trop préoccupée à produire du beau son et malgré quelques sonorités pincées dans le haut medium et les passages ff, sous la baguette d’un Edgard Doneux cette fois-ci moins inspiré. Le premier CD se termine par le terrible air d’Eboli »Oh don fatale » (Don Carlos), également en italien et chanté avec une belle assurance (orchestre et chef non identifiés.)


MEW07390740 – Oratorio et mélodies (CD2)

Le second CD nous transporte vers l’oratorio et la mélodie. Il débute par le superbe « Suscepit Israël », tiré du Magnificat de Carl Ph. Emanuel Bach, puis se poursuit avec des fragments peu entraînants de Pacem in Terris (Darius Milhaud) et la rare suite pour orchestre et voix de Serge Prokofiev, intitulée Alexandre Nevsky (op. 78). Les deux premiers extraits ont été captés par la R.T.B., ils permettent d’apprécier la profondeur et la richesse harmonique de la voix. Le sixième mouvement tiré d’Alexandre Nevsky, « Le Champ des morts : ‘A travers le manteau blanc de neige’ » permet aux accents pathétiques et à cette forme de solennité propre au répertoire russe d’éclore en un chant proprement bouleversant.


Le cycle Les Nuits d’été, une composition chère à Lucienne Delvaux, est sur le plan vocal magnifiquement abouti, même si la direction d’orchestre est routinière sous la baguette de Francis Travis dans une autre captation de la R.T.B. L’allegretto de la « Villanelle » supposé être primesautier et insouciant est alourdi par un tempo d’une lenteur exaspérante … Le reste du cycle est par ailleurs magistralement interprété par le mezzo-soprano, avec un sculptural «Le spectre de la rose » et un non moins dramatique «Sur les lagunes ».


Ce panorama s’achève avec la romance de Marguerite dans La Damnation de Faust, « D’amour l’ardente flamme », avec sa ligne vocale périlleuse (orchestre et chef non identifiés.) Même si une légère tension est perceptible dans les passages extrêmes, justement là où des contralti peuvent bûcher, la maîtrise de l’instrument reste exemplaire. Surtout, l’interprétation et l’accent sont aboutis, appréciation à peine altérée par une qualité de report en studio très moyenne. Il s’agit d’un beau témoignage de l’étendue du talent de la cantatrice et qui résume bien sa versatilité artistique. Le coffret est assorti d’un livret en français, anglas, néerlandais et allemand. Une erreur est à signaler en page 17 du texte français: Lucienne Delvaux n’a jamais chanté Mère Marie, mais bien Madame de Croissy, Mère Henriette de Jésus, la première Prieure).


Lucienne Delvaux chez elle en 2010. Amneris, pour la toute dernière fois …
(  Photographie: D.R. - Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© )

EXTRAITS D’ENTRETIENS AVEC LUCIENNE DELVAUX (2001-2015)


Quel regard portez-vous sur votre carrière lyrique?


« Ma réponse vous surprendra peut-être: un regard serein. J’ai toujours su que je voulais chanter, c’est ce que j’ai fait. J’ai concilié le concert avec le lyrique, puis j’ai enseigné. J’aurais certainement dû mieux assurer ma promotion à l’étranger, mais je n’avais pas d’agent artistique. J’ai d’abord tout géré moi-même, puis mon mari s’en est chargé. Enfant, je voulais d’abord être danseuse classique, puis le chant m’a poursuivie – rires -. » « Au concert ou au récital, à l’opéra ou en salle de classe au Conservatoire de Liège, j’ai exercé mon métier entièrement consacré à la musique et j’en suis extrêmement heureuse. »


Comment vous prépariez-vous à vos rôles?


« Depuis mes débuts à Gand en 1947, j’ai toujours confié la préparation musicale à mon mari, excellent répétiteur. Quant aux répétitions avec orchestre, elles étaient rares et se limitaient souvent à deux, la colonelle, puis la générale, en costumes. Certains autres solistes, tout comme moi d’ailleurs, avaient leur propre répétiteur, soit au théâtre, soit en studio privé. A Gand, des collègues se rendaient chez Maurice et Olympe De Prêter, quant à moi, je travaillais avec Ray Platel. Je commence toujours par examiner la tessiture du rôle, puis je m’empare et m’imprègne du texte, non seulement ma partie, mais généralement toutes les répliques des autres rôles. Puis, j’étudie ma partie musicalement: la musique uniquement et au piano, puis avec l’ajout progressif des paroles. Egalement, j’attache beaucoup d’importance à la lecture d’ouvrages historiques, de monographies, de biographies pouvant m’éclairer sur l’époque du livret et sur l’opéra. Vient aussi le travail avec l’ensemble et bien-sûr, avec le chef d’orchestre et le metteur en scène. N’oublions pas la langue du rôle, car à l’époque, nous chantions la plupart du temps dans des traductions! Mon premier opéra à Gand fut chanté en néerlandais: De Bruid der Zee ou La Fiancée de la mer. Je fus bien obligée de l’interpréter dans cette langue, mais comme cet opéré a été composé sur un livret écrit en néerlandais, l’harmonie d’ensemble était tout à fait préservée. L’Opéra Royal s'efforçait alors de préserver un équilibre: on chantait tant en français qu'en flamand. Certains opéras du grand répertoire d’opéra ou d’opéra comique tels que Carmen, Samson et Dalila ou Hérodiade, étaient toujours chantées dans leur langue originale. Les opéras germaniques, russes ou slaves étaient traduits vers le néerlandais. Je fus contrainte de réapprendre une partie de mon répertoire dans une autre langue et fus grandement aidée par mon mari, à qui je dois une fière chandelle! A partir des années 1960, j’ai commencé à apprendre mes rôles dans leur langue originale, l’époque imposant des changements radicaux. »


N’est-il pas difficile de passer de Rameau à Debussy ?


« C’est une question que l’on m’a souvent posée. On doit toujours chanter avec sa propre voix, sans jamais tenter de la modifier. La couleur est celle intrinsèquement liée à votre instrument et il faut veiller à la maintenir tout à fait intacte. Ce qui change et doit s’adapter, c’est l’interprétation, donc le style. J’ai d’ailleurs toujours dit et inlassablement répété que Wagner est belcantiste et que Satie est classique! Par conséquent, je vous répondrai que si ce principe de base est respecté, c’est un jeu d’enfant – ou presque ! (rires)»


Quelles différences avez-vous pu déceler au début des années 1950 entre les productions des théâtres belges et étrangers?


« Au tournant de la guerre, tout était à reconstruire, il fallait composer avec la mesure des budgets alloués aux théâtres, souvent au compte-gouttes. La beauté des décors, l’ampleur de la masse chorale, le nombre de répétitions et bien entendu, l’orchestre en dépendaient. Chanter à l’Opéra de Paris fut autre chose que le Théâtre Royal de Gand sur le plan des effectifs des chœurs, de la qualité de l’orchestre et de la grandeur des décors. Le Théâtre Municipal d’Oran, de plus petites dimensions, proposait des décors simples certes, mais toujours très soignés et originaux. En France en général, mais aussi en Suisse, si les décors et les mises en scènes n’étaient pas toujours justes ou intéressantes, elles étaient souvent plus rutilantes et imposantes qu’en Belgique, où je dois le reconnaître, l’ambiance de travail était plus chaleureuse. »


Quel rôle la mise en scène a-t-elle joué dans votre carrière?


« Un rôle capital et déterminant, car elle est le moteur tractant le spectacle, mais elle ne doit pas le détruire comme c’est le cas actuellement! Elle doit l’accompagner et le soutenir. Ce fut le cas: je ne fus jamais gênée par la direction scénique. Je dois énormément à Octave Dua, qui signa plusieurs mises en scène et régies à Gand. Sa vaste expérience internationale nous a tous éclairés et guidés. Courtois, respectueux et modeste, il avait un grand sens de l’humour et surtout, il respectait les artistes, quels qu’ils fussent, car il les connaissait si bien: seconds plans, premiers plans et solistes de renom, choristes et petites mains. Sa courtoisie était légendaire, à la hauteur de son talent. Le geste devait être mesuré et trouver une justification propre, il devait être un aboutissement et non un déclencheur. Le regard, le maquillage, les mains et la posture du corps sont des éléments exigeant une maîtrise parfaite, parfois difficile à atteindre lorsque l’on doit se concentrer sur la musique et sur sa voix. Ses préceptes scéniques m’auront éclairée et aidée: j’ai ainsi pu enseigner et perpétuer ce savoir auprès de mes élèves en classe d’art lyrique. »


« Plus tard, je collaborai avec Karel Locufier, lui aussi un ancien ténor, autour de la création des Dialogues des carmélites en Belgique, saison 1958-1959. Pour respecter la pièce de Georges Bernanos, l’atmosphère devait être sobre, presque contenue. La ligne épurée des décors, la rigueur des costumes et une direction d’artistes minimaliste, ont permis à cette première de connaître un franc succès. La voix et l’expression devaient passer en premier lieu; ce sont elles qui commandaient le regard et le geste, dans un équilibre constant, toujours au service du texte. Ce fut un magnifique travail d’ensemble.»


Lucienne Delvaux dans la mort de Madame de Croissy, la première Prieure, lors de la création des Dialogues des carmélites en Belgique. Sur sa gauche, Marian Balhant et Huberte Vecray.
Photographie: J.M. Mertens.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

Comment s’est déroulée la création des Dialogues des carmélites en Belgique?


« Il y avait un défi de taille à relever, l’œuvre était nouvelle, ayant été créée en 1957 et pas n’importe où, mais à la Scala de Milan. Nous ignorions tout de la réception que nous réserveraient le public et la presse dans notre petite Belgique. Les répétitions furent soutenues et ce fut un réel travail d’ensemble. La distribution des rôles avait été particulièrement soignée, avec des chanteurs essentiellement belges. Le rôle de la Madame de Croissy, la première Prieure, n’est pas une caractérisation facile: la scène de la mort est un intense moment de drame, poignant et envoûtant. C’est aussi la spiritualité du rôle qui m’a poussée à accepter cette création. Après Gand, nous avons présenté les Dialogues dans d’autres villes du pays avec, à chaque fois, le même accueil favorable. »



Distribution de la création des Dialogues des carmélites

Théâtre Royal de Gand, vendredi 13 février 1959
Représentation de gala placée sous les auspices du Consulat général de France à Gand.


Direction musicale: Robet LEDENT
Mise en scène et co-direction des décors: Karel LOCUFIER
Décors: Lucien DE RIJCKE
Direction des chœurs: Jeff VANDERSTRAETEN
Répétition musicale: Suzanne BLATTEL
Costumes: Maison MAES (Tielt), Sidon ROSSEL
Perruques: Maison DELVOYE (Courtrai)
Accessoires religieux: Atelier d’Art A. BRESSERS (Gand)

Avec Marian BALHANT (Blanche de La Force, Sœur Blanche de l’Agonie du Christ), Lucienne DELVAUX (Madame de Croissy, Mère Henriette de Jésus, la première Prieure), Huberte VECRAY (Mère Marie de l’Incarnation, la sous-prieure), Géri BRUNIN (Madame Lidoine, Mère Thérèse de Saint-Augustin, la Nouvelle prieure), Lia ROTTIER (Sœur Constance de Saint-Denis), Yola DE GRUYTER (Mère Jeanne de l’Enfant-Jésus), Mimi DAEMERS (Sœur Mathilde), Richard PLUMAT (Le Marquis de La Force et le Géôlier), Stany BERT (Le Chevalier de La Force), Frank LATHAUWER (ou THAUWER: l’Aumônier du Carmel), Antoon LAMOT (L’Officier), John VISSERS (Le premier Commissaire), Roger WILLEMS (Le deuxième Commissaire), Carlos DELCAMPO (Thierry et le vieux Monsieur), Francis DE PAEP (Javelinot, le Médecin), Simonne VAN PARIJS (La première vieille Dame), Mia CLEIN (La deuxième vieille Dame). Les autres sœurs du Carmel: E. DESES, M. BAUWENS, M. COLPAERT, S. DE BRABANDER, L. RIJCKAERT, S. VEREECKE, M. VAN BEECK, T. CLAUS, M. DEGERICKX, J. RIGAUX


Lucienne Delvaux se métamorphose en première Prieure. Création des Dialogues des Carmélites à Gand, 1959.
( Photographie : D.R. - Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© )

L’année 2013 marque le cinquantième anniversaire de la mort de Francis Poulenc et même si la création des Dialogues des carmélites en Belgique en 1959 n’est quasiment pas du tout relayée par la presse française de l’époque, une figure musicale et artistique autant marquante que celle de l’héritier de Rhône-Poulenc se doit d’être commémorée en son alma mater. Concerts, récitals, reportages, conférences et colloques essaiment, mettant en exergue un riche legs musical.


Les 15 et 16 novembre 2013, un Colloque International Francis Poulenc se tient à l’Opéra Bastille. Il porte notamment sur la programmation, la diffusion et la réception de ses œuvres; l’accueil réservé à la première des Dialogues en Belgique puis au Grand-Duché de Luxembourg est tout naturellement examiné et débattu (le 16 novembre).


L’auteur met ainsi à la disposition du Colloque et du Pr. Malou Haine13, une partie de ses archives musicales et des textes d’interviews exclusives qu’il a réalisées avec les derniers interprètes survivants (Lucienne Delvaux, Marian Balhant, Géri Brunin, Suzanne Blattel et Stany Bert) de la création des Dialogues. cf.:

http://www.conservatoiredeparis.fr/voir-et-entendre/actualites/article/15-et-16-novembre-2013-colloque-international-francis-poulenc-2e-partie-opera-bastille-paris/?tx_ttnews%5Bnpage%5D=10



Que pensez-vous des mises en scène contemporaines et du rôle des chanteurs dans celles-ci?


« Elles sont trop souvent une ingérence dans la cohésion et l’équilibre des spectacles, ni plus, ni moins. Elles sont discutables et peu appropriées, souvent hors contexte et dénaturent la trame historique et le livret. Lisez les critiques de la presse: les trois-quarts des articles évoquent la mise en scène, les décors et les costumes. A peine deux ou trois lignes sur les chanteurs, quand on n’estropie pas leurs noms ou leur catégorie vocale! Les artistes doivent pouvoir se sentir à l’aise, ne pas être étriqués dans une direction d’acteurs trop intrusive, voire directoriale. Du reste, certains solistes n’ont pas besoin d’être dirigés: ils vivent leur rôle et le restituent dans sa totalité sans intervention extérieure. Je pense à Lily Djanel qui avait vraiment un tempérament dramatique, au baryton belge Francis Andrien, qui fut mon tout premier Escamillo à la Monnaie: beau, grand, racé et distingué, son jeu était fabuleux et on ne voyait que lui! Même Mina Bolotine qui était plutôt imposante, avec une économie de gestes, savait conférer à ses caractérisations un impact dramatique indéniable, même chose pour Boris Christoff, magistral et toujours juste! L’époque a changé, mais je doute que des solistes de cette trempe puissent accepter le totalitarisme des metteurs en scène actuels! Les mises en scène respectueuses sont désormais trop rares. »


Quels furent vos chefs d'orchestre préférés?


« Franz André, Maurice Bastin, Frits Célis, René Defossez, Jésus Etcheverry, Wilhelm Furtwängler, Michel Plasson, Georges Prêtre, Karl Elmendorff, Luigi Martelli, Georges Sebastian, etc. Ils étaient des véritables maîtres de musique. Une collaboration fusionnelle, équilibrée et soignée, sans aucunes frictions. Je n'ai malheureusement pas été dirigée par mon second mari, car nous n’avions pas le même répertoire. Il dirigeait régulièrement Faust, Madame Butterfly, Tosca ou La Bohème et des œuvres flamandes dans lesquelles je n’avais pas ma place. Je me souviens de la sévérité de René Defossez, notamment dans Werther à la Monnaie: mon partenaire, le ténor14, se trompait systématiquement dans le duo final du IVème acte. René Defossez le corrigeait systématiquement et patiemment reprenait avec lui. A la générale, il se fâcha après avoir repris le passage pour la énième fois et lui dit: ‘Cher ami, veuillez m’apporter votre partition de travail, je vous prie! ‘ Le ténor s’exécuta, quitta la scène et rejoignit le chef au pupitre. René Defossez compara le passage incriminé sur les deux partitions et déclara: ‘Alors, vous voyez bien qu’elles sont pareilles! Voulez-vous que nous échangions nos postes? Passez donc la nuit à répéter ce passage, sinon je confie Werther à un autre ténor!’. Je ne saurais oublier Maurice Bastin: un grand monsieur, la crème de la crème, un passionné et un perfectionniste. Fin connaisseur des voix, chanter avec lui était un immense bonheur: il vous ‘portait’ dans une parfaite symbiose entre le pupitre et les solistes. Il me dirigea également à Liège lors de concerts et à Spa dans les années 1960. Un grand chef aux connaissances musicales encyclopédiques.»


Vous fourmillez d’anecdotes liées à votre carrière …


« J'étais à Strasbourg, j'y chantais le rôle-titre d’Hérodiade. Nous en étions à la cinquième représentation. Tous les solistes, y compris moi-même, étions pourtant bien rôdés et préparés. Hérodiade se tient tout près d'Hérode, tentant de le séduire, mais après le récitatif d'Hérodiade, je suis frappée d’un incroyable trou de mémoire: impossible de me souvenir des paroles! Finalement, Régine Crespin me souffle mon texte, me remettant sur les rails pour ainsi dire. Souvenir coquasse, avec un dénouement heureux! A l’Opéra de Paris, dans Samson et Dalila, je faillis trébucher et tomber. Ma traîne s’accrocha sur les aspérités des planches ou sur un clou et me déséquilibra. Sans vouloir interrompre l’action, je conservai mon calme, tout en me tournant face au public et tirant sur les côtés de la cape. J’entendis un sinistre craquement, puis le bruit d’un déchirement … Le constat dans la loge fut sans appel: une déchirure de quelques centimètres telle une balafre, avait abimé ma traîne! Un technicien me rapporta pendant l’entracte le lambeau d’étoffe en question. J’en ris encore, mais sur le moment … Vous pensez bien que des souvenirs et des images, j’en ai tant! J’ai beaucoup appris en chantant aux côtés d’artistes réputés, ce fut une source d’inspiration, peut-être davantage avec les aînés: je pense à Max Lorenz, Raoul Jobin, Henri Saint-Cricq ou encore, Vina Bovy ou pour la mise en scène, Octave Dua pour lequel j’ai toujours éprouvé du respect, mais aussi, une grande affection. »


Vous avez côtoyé tant d’artistes de premier plan …


« En effet et toujours dans une parfaite entente, aucune rivalité, aucune jalousie ou coups bas. Régine Crespin et Suzanne Sarroca m’ont laissé un souvenir radieux, deux belles voix méridionales et des collègues charmantes. Michèle Le Bris m’a aussi marquée par son engagement dramatique et sa magnifique voix de grand lyrique, notamment dans Aida et Hérodiade. Mina Bolotine m’a impressionnée par son tempérament dramatique et sa présence scénique. Mia Hendrickx possédait elle aussi une somptueuse voix de grand lyrique: nos voix, comme avec Crespin et Sarroca, se fondaient idéalement. Teresa Berganza m’a laissé un souvenir inaltéré: une voix précieuse, aux mille et une couleurs, une interprétation sensible et raffinée. Elle distillait son chant, tel un orfèvre. Nous avons chanté Didon et Enée, puis nous nous sommes retrouvées pour deux concerts à Paris. Parmi les autres mezzo-soprani, j’ai apprécié Solange Michel, mais également Simone Couderc que j’ai eu la joie d’applaudir dans Carmen et Hélène Bouvier. Parmi les messieurs, André Huc-Santana m’a stupéfiée dans Don Quichotte: non seulement sa voix, mais sa stature et sa présence scénique, tout comme Boris Christoff qui aurait pu se passer de chanter, tant il en imposait par son seul jeu de scène. Emilio Marinescu fut un immense et sculptural Otello, Tony Poncet un claironnant Don José ou Fernand dans La Favorite malgré un physique peu flatteur, toujours perché sur ses talonnettes, Max Lorenz un monumental Tristan, José Luccioni un puissant Radamès ... Parmi les barytons, trois noms me viennent à l’esprit: Robert Massard pour la beauté et la puissance de sa voix, puis Gabriel Bacquier et Michel Trempont pour la parfaite adéquation entre le chant, le jeu d’acteur et l’intelligence de l’interprétation: ils parvenaient à recréer un personnage tout à fait naturellement. Guy Grinda fut un collègue particulièrement sympathique, à l’esprit vif et doté d’un grand sens de l’humour. J’appréciai aussi le ténor français André Burdino, un habitué de Gand et un ami de Vina Bovy: l’élégance même, autant dans la voix qu’à la scène et à la ville. Roger Barsac, autre artiste français, avec lequel je chantai Aida, Hamlet, Mignon, et Hérodiade, avait une imposante présence scénique et une voix mordante, qu’il modelait comme de la pâte! »


Et le ténor belge Fernand Ansseau?15


« Je n’ai jamais chanté à ses côtés, car il s’était déjà retiré de la scène avant mes débuts, alors qu’il était encore en pleine gloire. Fernand Ansseau possédait selon moi une voix absolument parfaite. J’ai eu la chance de le rencontrer au Conservatoire de Bruxelles où il enseignait et préparait alors ses élèves au concours qu’il avait créé. Il venait de renoncer à poursuivre sa carrière, alors qu’il était encore en pleine possession de ses moyens. Une légende et pour moi, un mythe absolu. Charmant, séduisant, portant magnifiquement le Borsalino, il avait une présence incontestable et une réelle aura. Bien que très courtois, il était plutôt réservé et parlait peu. C’était en 1940 ou en 1941 et j’assistais à une série d’auditions au Conservatoire. En arrivant et tout en me dirigeant vers les salles de répétitions, en dépit des lourdes portes capitonnées et des fenêtres fermées, j’entendis une ample voix de ténor chantant l’air d’Orphée ‘J’ai perdu mon Eurydice’… La voix s’engouffrait littéralement dans les corridors! Je m’arrêtai pour écouter et moi qui venais d’étudier le rôle, je fus transfigurée par la beauté, la facilité, le style et la puissance. Je reconnus immédiatement sa voix! Je croisai au même instant le baryton belge Jean Lescanne qui concourait pour le Prix Ansseau et qui avec sa faconde habituelle, m’interpella: ‘Eh bien, Lucienne, que fais-tu là, as-tu payé ton ticket pour le concert de Fernand Ansseau?! Viens, je vais te présenter!’. C’est ainsi que je me retrouvai face au ténor de ma jeunesse! Il était au piano, en costume Prince-de-Galles gris, chemise et pochette blanches, extrêmement élégant. Il jouait lui-même au piano, l’accompagnatrice étant reléguée dans un coin du studio, l'élève visiblement écrasée de timidité …. Il me sourit et me dit: ‘Je connais déjà votre belle voix, vous êtes sur la bonne voie: nous nous retrouverons bientôt’ ».


« J’aurai l’occasion de le retrouver à Paris en compagnie d’un ami pianiste, où il était venu écouter l’une de mes représentations d’Aida à l’Opéra Garnier. J’ai pourtant chanté avec de fabuleux ténors: aucun n’égale sa voix, à la fois héroïque et dramatique, mais lyrique et suave. Je l’ai écouté dans Canio à la Monnaie, juste avant la guerre: je ne puis vous décrire la sensation que m’a procuré cette voix! Un torrent de sons, et une musicalité impeccable. Il était relativement peu mobile sur scène, mais il se dégageait de lui un calme et une maîtrise absolue. Ses gestes tout en étant mesurés étaient précis et percutants: il campait un personnage des plus crédibles. A la maison, nous possédions ses disques, notamment l’air d’Orphée et celui de Werther: que de frissons! Alors, pouvoir le rencontrer et lui parler fut pour moi un honneur. Quand je le revis à l’Opéra de Paris, je lui rappelai l’anecdote: il me sourit et me complimenta sur ma carrière. Cet homme avait un charme fou.»16 (L.D. à l’auteur en 2010).


Marian Anderson, contralto américain (1897-1993)
en récital au Carnegie Hall en 1948, accompagnée de Franz Rupp.
( Photographie : Phil Burchman Agency, New York. - Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© ) DR

« Parmi les chanteurs appréciés au récital ou au concert, il y eut le contralto noir américain Marian Anderson. Je l’ai écoutée ici à Liège en 1948: j'en conserve un émouvant souvenir… Une voix saisissante et enveloppante, dramatique et pathétique. Pourtant, elle n’était pas au meilleur de sa forme ce soir-là, mais le talent était intact et ce fut inoubliable. Il y eut aussi la bouleversante Kathleen Ferrier – que je n’ai jamais écoutée à la scène, uniquement au disque et à la radio - et le soprano Teresa Stich-Randall, dont un récital consacré à Mozart à la Cathédrale de Lausanne m’a impressionnée: sa voix était aérienne et lumineuse, telle une flûte. »


Lucienne Delvaux dans sa loge. Concert, Radio-Télévision Belge, ca. 1970.
( Photographie: Omnia, Bruxelles. - Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© )

Vous avez consacré une part substantielle de votre carrière à l'oratorio, au concert et à la musique contemporaine …


« En qualité d’interprète d'oratorio, je me suis produite pour les grands concerts en Belgique, en Hollande, en France, en Suisse, mais aussi en Allemagne et au Luxembourg. J'ai régulièrement chanté pour les micros de la radio belge, hollandaise, française et luxembourgeoise. En 1970, l'ORTF a fait appel à moi pour interpréter les Euménides de Darius Milhaud. J’ai aussi souvent chanté la mélodie, en assurant des créations et bien sûr, des extraits d’opéra. Mon répertoire allait du classique au moderne: Bach, Haydn, Händel, Gluck, Purcell, Vivaldi, Scarlatti, Beethoven, en passant par Berlioz, Dvórak, Wagner, Verdi, Mahler, Richard Strauss, Franck, Milhaud, Honegger, Poulenc, Menotti, Bartók, Bécaud, Szokolay, Franck Martin, Britten ou encore, Feldbusch. Notamment, j'ai créé pour la radio belge La Lune Amère, de Froidebise. Une grande partie de ces compositions est hélas tombée dans l’oubli … Le récital et le concert m’ont préparée au lyrique: j’ai suivi les conseils de Berthe Serwir! En chantant régulièrement pendant la guerre, j’ai posé, assoupli et affirmé ma voix. Octave Dua et indirectement, Vina Bovy, seront ensuite mes véritables maîtres pour l’art lyrique: tous deux compléteront les bases que j’avais acquises. Gardons à l’esprit que le concert est une première expérience formatrice et non un aboutissement en soi. »


Quel est votre secret pour aborder un répertoire aussi large?


« Veiller à ne jamais altérer la couleur naturelle de votre voix: avec une technique solide, vous pourrez la maintenir intacte. En cela, les préceptes belcantistes sont une clé universelle! Je l’ai toujours répété à mes élèves: seule l’interprétation, donc le style, doit s’adapter à la partition et non la voix. La palette de nuances et de dynamiques fait partie de l’interprétation. Vous taillez les facettes d’une pierre, mais n’en détruisez pas le cœur. Avec une telle préparation, vous pouvez absolument tout chanter. Il m’est arrivé de devoir interpréter, en une semaine, un oratorio de Bach – à deux reprises -, Azucena dans Le Trouvère, puis le Stabat Mater de Vivaldi et un récital de mélodies françaises contemporaines! Nous avons trop d’exemples de magnifiques voix abimées par une mauvaise technique. Etudiez, toujours et encore! Décortiquez le texte, vous devez vous en imprégner. Il faut tout entreprendre pour ne pas altérer son instrument. N’abordez pas trop tôt un premier rôle ou un emploi trop lourd, ménagez-vous! Chantez sur vos propres réserves et jamais sur votre capital. »


Que feriez-vous si, d’un coup de baguette magique, vous pouviez révolutionner l’univers lyrique actuel?


« Je dégagerais le budget nécessaire pour recréer une troupe. Des chanteurs expérimentés feraient travailler les jeunes talents avec un répétiteur, leur enseignant le métier sur le bout des doigts. Rattachés à un théâtre, donc à un ensemble, ils débuteraient par des seconds rôles, pour alterner avec des premiers, deux ou trois saisons suffiraient, juste de quoi les rôder. Surtout, je remettrais vite les metteurs en scène à leur juste place, à l’exception de ceux connaissant les voix et le répertoire, autant dire: personne! Même chose pour les directeurs d’opéras! Je réinstaurerais au sein des conservatoires la déclamation lyrique et de manière systématique, l’histoire de la musique et l’art lyrique, disciplines uniquement confiées à des professionnels de la scène. De nos jours, on ne comprend plus un traitre mot, ni à l’opéra, ni dans le registre de la mélodie où là justement, la ligne de chant et la prosodie doivent être exemplaires. J'ai débuté tout de suite sur scène, bien qu’étant inexpérimentée: en fait, je suis heureuse d’avoir eu cette chance. J’ai appris les rudiments du métier seule, en autodidacte. Puis, progressivement, grâce au soutien du directeur et en totale harmonie avec le metteur en scène et enfin, avec le chef d'orchestre. Quant à la rencontre avec Octave Dua, elle fut capitale. Je vous le rappelle, ce fut une chance de pouvoir le rencontrer à l’Opéra Royal de Gand: travailler avec un chanteur de cette envergure, ce fut une aubaine. A la Monnaie, Georges Dalman, Roger Lefèvre et Marcel Claudel seront de précieux alliés des chanteurs, patients, respectueux, connaissant la vocalité de chacun. Anciens artistes lyriques eux-mêmes, ils furent les bons maîtres au bon endroit. Je me souviens de ce que m’avait dit le baryton José Beckmans lorsque je le rencontrai après la première d’Aida à l’Opéra de Paris: ‘Madame, votre jeu scénique est aussi saisissant que l’ampleur de votre voix. Vous êtes une superbe tragédienne, parfaite en tous points.’  Aucune prétention de ma part en vous confiant cela, j’étais alors au faîte de ma carrière: j’avais appris, patiemment et humblement. »


L’un des derniers sourires de Lucienne Delvaux.
Photographie: D.R.
( Fonds musical C.P. Perna, Bruxelles© )

Avez-vous des regrets?


« Non, mais plutôt un constat: mon mari m’assistait dans la gestion de ma carrière, il était mon secrétaire particulier. Les contacts internationaux n’étaient pas faciles à établir. Si je pouvais interpréter un rôle complet en allemand, italien, anglais, néerlandais et espagnol, c’était une autre affaire que de parler couramment la langue! Pour moi, cela était capital. Raisons pour lesquelles je n’allai finalement pas à Bayreuth. Même refus à un impresario allemand qui m’avait écoutée à la Monnaie dans Fricka, chantée en allemand. Suis-je entêtée? Peut-être! (rires) Et puis, il y eut les négociations avec l’Espagne, notamment avec le Teatro del Liceo de Barcelone … Il aurait pu y avoir les Etats-Unis, notamment grâce à un contact de Vina Bovy qui m’avait sollicitée à plusieurs reprises ou encore, la Grande-Bretagne, notamment avec une tournée de concerts consacrés à Gustav Mahler et des représentations de Samson et Dalila au Covent Garden … La page est tournée: ma carrière aura été équilibrée et je dois l’avouer, très satisfaisante. »



EXTRAITS DE PRESSE


« Le rôle d’Amneris est l’un des plus lourds et des plus redoutables du répertoire de mezzo. Mme Delvaux y témoigna d’une intelligence scénique et d’une vaillance vocale que nous tenons à souligner et qui lui valurent un succès personnel marqué au quatrième acte. »

Gaston HEBBELYNCK, critique musical et chroniqueur, La Flandre libérale. Première Amneris (Aida), Théâtre Royal de Gand, 17 décembre 1948.

« Lucienne Delvaux fut une Brangäne monumentale, avec un organe plein et chaud et un jeu sobre et intensément vécu ».

Filter (Anvers), Tristan et Yseult, Opéra Royal d’Anvers, 4 novembre 1949.



« Surtout, je me souviens de la meilleure Amneris que j’aie vue ou entendue à la scène, un mezzo-soprano belge de 26 ans, Lucienne Delvaux, qui avait l’allure d’une jeune princesse éthiopienne. Elle possédait une voix et un tempérament dignes des plus prestigieuses scènes internationales.  J’entendis Aida à l’Opéra de Paris en 1939 et aucun des artistes n’arriva à la cheville de cette constellation de vedettes.»

(Traduit de l’anglais par l’auteur).
Leo RIEMENS, lexicographe et critique musical hollandais (1910-1985). Opera News, Aida, Théâtre Royal de Gand, 12 mars 1951.


« Luciana Del Vo (Amneris) au mezzo d’un volume sensationnel, puissant et chaud. »

L’Echo d’Oran, Aida, Opéra Municipal d’Oran, 12 décembre 1952.


« J’ai gardé Lucienne Delvaux pour la fin, parce que cette tragédienne à la voix chaude et pleine de richesse fut, à mon avis, la plus wagnérienne d’un lot de vedettes incontestables. »

L’Echo du dimanche, Lohengrin, Opéra Municipal d’Oran, 22 octobre 1954.


« Lucienne Delvaux apporte à Fricka une voix puissante qu’elle conduit sans effort et qui remplit aisément un vaste vaisseau »

au sujet d’une reprise de La Walkyrie (chantée en allemand).
La Dernière heure, La Walkyrie, Théâtre Royal de la Monnaie, Bruxelles, 24 mars 1955.


« Les chanteurs sont tous excellents. Citons particulièrement Lucienne Delvaux, la première Prieure prestigieuse et bouleversante dans le rôle bref qui commence dans la froideur et s’achève dans la passion. »

Jacques STEHMANN (1912-1975), La Lanterne, création des Dialogues des carmélites, Théâtre Royal de Gand, Bruxelles, 2 mars 1959.


« La caractérisation la plus exceptionnelle fut celle de la première Prieure de Lucienne Delvaux qui désormais mérite une réputation internationale. »

(Traduit de l’anglais par l’auteur).
Leo RIEMENS, Opera News, reprise des Dialogues des carmélites, Théâtre Royal de Gand, 1959.


« Lucienne Delvaux présenta une Carmen particulièrement vivante et sensible, mettant dans son jeu plus de rouerie insidieuse que de fougue, plus de finesse que de violence; et cela ne nous déplaît nullement. Sa voix est d’un timbre riche et d’une puissance impressionnante »

La Gazette de Liège, Carmen, Théâtre Royal de Liège, 8 novembre 1950.


« Comme on s’y attendait, la Carmen de Lucienne Delvaux fut parfaite scéniquement et vocalement. L’artiste, qui possède une science totale de la scène, campe une gitane à la fois diabolique, fantastique, fataliste et sensuelle. Elle conduit le jeu avec maîtrise, entraînant à sa suite tous ses partenaires. Point n’est besoin sans doute d’insister encore sur les qualités de sa belle voix de mezzo à l’aigu éclatant, au mezzo noir et profond. Elle recueillit un très vif succès personnel. »

La Dernière Heure, Monnaie, 18 février 1961.


« Lucienne Delvaux est impériale en Hérodiade. On admire son port de reine, ses attitudes altières, la violence qui l’emporte ; on apprécie aussi son mezzo profond particulièrement bien venu en la circonstance. Le métier aidant, elle était sans doute la meilleure sur le plateau . »

Nord-Eclair, Opéra de Lille, 18 mars 1965.




ROLES ET ŒUVRES INTERPRETEES PAR LUCIENNE DELVAUX ET LEUR NOMBRE D’EXECUTIONS

(TABLEAU NON EXHAUSTIF EXCLUANT LES RECITALS ET CONCERTS)



Œuvre17

Compositeur

Personnage ou partie vocale

Nombre d’exécutions

Adrienne Lecouvreur

Cilea

Princesse de Bouillon

9

Aida

Verdi

Amneris

68

Alexander Nevsky

Prokofiev

Partie de mezzo-soprano

1

André Chénier

Giordano

Comtesse de Coigny

3

El Amor brujo (version révisée de 1916)

de Falla

Partie de mezzo-soprano

2

L’Amour des trois oranges

Prokofiev

Princesse Clarice

5

L’Amour et la vie d’une femme

Schumann

Partie de mezzo-soprano

19

Les Astronautes (cantate radiophonique, Prix Italia 1963)

Van De Woestijne

Partie de mezzo-soprano

1

Un Bal masqué

Verdi

Ulrica

16

Bank Ban

Erkel

Gertrude

6

Le Barbier de Séville

Rossini

Berta

4

Les Béatitudes

Franck

Partie d’alto

9

Bluthochzeit

Fortner

Die Schwiegermutter

2

Boris Godounov

Moussorgski

L’Hôtesse

13

Carmen

Bizet

Rôle-titre

119

Cavalleria rusticana

Mascagni

Mamma Lucia/Santuzza

11/5

Le Château de Barbe-bleue

Bartók

Judith

5

Le Consul

Menotti

La Mère

12

Les Contes d’Hoffmann

Offenbach

Mère d’Antonia

7

Le Crépuscule des dieux

Wagner

Waltraute

6

La Dame blanche

Boieldieu

Marguerite

2

La Dame de pique

Tchaïkovsky

Comtesse

2

Dialogues des carmélites

Poulenc

Madame de Croissy, la première Prieure

19

Didon et Enée

Purcell

Didon et la Sorcière

4

La Fiancée de la mer

Blockx

Guduul

5

Don Carlos

Verdi

Princesse Eboli

15

Don Quichotte

Massenet

La belle Dulcinée

17

L’Enfance du Christ

Berlioz

La Vierge Marie

4

Eugène Onéguine

Tchaikovsky

La Nourrice

4

Les Euménides

Milhaud

Partie de mezzo-soprano

5

The Fairy Queen

Purcell

Secrecy/Summer

4/2

Falstaff

Verdi

Mrs Quickly

8

Faust

Gounod

Dame Marthe Schwerlein

21

Scènes de Faust

Bondeville

Partie de mezzo-soprano

2

La Favorite

Donizetti

Léonore

10

La Fiancée vendue

Smetana

Ludmila

4

La Fiancée du timbalier (Op. 82)

Saint-Saëns

Partie de mezzo-soprano

3

Gianni Schicchi

Puccini

La Zia Principessa

5

La Gioconda

Ponchielli

Laura

4

Gloria (RV 588)

Vivaldi

Partie d’alto

5

Gloria (RV 589)

Vivaldi

Partie d’alto

3

Maria Golovine

Menotti

La Mère

10

Hamlet

Thomas

Reine Gertrude

20

Hansel et Gretel

Humperdinck

La Sorcière

9

Hérodiade

Massenet

Rôle-titre

48

L’Horizon chimérique

Fauré

Partie de mezzo-soprano

6

Les Indes galantes

Rameau

Bellone

7

In Terra pax

Martin

Partie de contralto

4

Jeanne d’Arc au bûcher

Honegger

Catherine

3

Judith

Honegger

La Servante

3

Lakmé

Delibes

Mallika

4

Das Lied von der Erde

Mahler

Partie d’alto

10

Lohengrin

Wagner

Ortrud

33

Louise

Charpentier

La Mère

21

La Lune amère

Froidebise

Partie d’alto

3

Madame Butterfly

Puccini

Suzuki

7

Le Medium

Menotti

Madame Flora

8

Messa da Requiem

Verdi

Partie d’alto

6

Messe du couronnement

Mozart

Partie d’alto

5

Le Messie

Händel

Partie d’alto

7

Mignon

Thomas

Rôle-titre

5

Mireille

Gounod

Taven

4

Missa solemnis

Beethoven

Partie d’alto

2

Il Mitridate eupatore

Scarlatti

Issicratea

3

Noces de sang

Szokolay

La Mère

5

Les Nuits d’été

Berlioz

Partie de mezzo-soprano

27

L’Opéra d’Aran

Bécaud

Mara

12

L’Or du Rhin

Wagner

Erda

6

Orestès

Feldbusch

Partie de contralto

4

Orphée et Eurydice

Gluck

Orphée

19

Otello

Verdi

Emilie

4

Pacem im terris

Milhaud

Partie d’alto

5

La Passion

Dupuis

Marie

12

La Passion selon St. Mathieu

Bach

Partie d’alto

15

La Passion selon St. Jean

Bach

Partie d’alto

17

Pelléas et Mélisande

Debussy

Geneviève

4

Peter Grimes

Britten

Auntie

4

Poème de l’amour et de la mer

Chausson

Partie de mezzo-soprano

5

Le Prince Igor

Borodine

Kontchakovná

2

Requiem

Dvorák

Partie d’alto

3

Requiem

Mozart

Partie d’alto

12

Le Revizor

Egk

Anna, l’épouse du maire

6

Rigoletto

Verdi

Madeleine

11

Le Roi David

Honegger

Premier contralto

3

Le Roi d’Ys

Lalo

Margared

30

Salomé

R. Strauss

Hérodias

3

Samson et Dalila

Saint-Saëns

Dalila

50

Saül

Haendel

Sorcière d’Endor

5

Neuvième Symphonie

Beethoven

Partie d’alto

11

Siegfried

Wagner

Erda

6

Stabat mater

Vivaldi

Partie d’alto

19

Tannhäuser

Wagner

Venus

12

Tristan et Iseult

Wagner

Brangäne

20

La Tour de Babel (Op. 39)

Barbier

Solo contralto

2

Le Trouvère

Verdi

Azucena

30

Les Troyens

Berlioz

Didon

7

Le Viol de Lucrèce

Britten

Lucretia

5

Le Vaisseau fantôme

Wagner

Mary

6

La Vie brève

De Falla

La Grand-mère

2

La Walkyrie

Wagner

Waltraute/Fricka

23

Werther

Massenet

Charlotte

22

Wesendonck-Lieder

Wagner

Partie de mezzo-soprano

12




REMERCIEMENTS


L’auteur remercie M. Stefano Mazzonis di Pralafera, Directeur général de l’Opéra Royal de Wallonie et l’Union des Artistes (Belgique)18 du témoignage de sympathie officiel rendu à la mémoire de l’artiste lors de la cérémonie religieuse survenue le 12 juin 2015. Enfin, il exprime sa gratitude et sa reconnaissance à Mmes Simone Durette et Jeanne-Marie Boirs, toutes deux des proches de l’artiste, pour l’avoir assisté dans la vérification et le recoupement d’informations familiales concernant Lucienne Delvaux.


Claude-Pascal PERNA
Tous droits réservés
SABAM, CAE 620435975
(octobre 2015)

1 Cf. hommage de l’auteur: http://www.musimem.com/laffont.htm

2 Cf. hommage de l’auteur: http://www.musimem.com/verbeeck.htm

3 Cf. hommage de l’auteur: http://www.musimem.com/balhant_marian.htm

4 Cf. hommage de l’auteur à Corneil de Thoran: http://www.musimem.com/thoran.htm

5 Cette règle sera parfois bafouée, comme lors de l’audition du soprano léger belge Lise Rollan en 1952 où Vina Bovy lui impose d’interpréter des rôles d’opéra comique français (Lakmé, Mignon, Mireille) en néerlandais … Cf. portrait de l’auteur: http://www.musimem.com/Rollan.htm

6 Cf. portrait de l’auteur: http://www.musimem.com/balhant_marian.htm

7 Cf. succinct portrait par l’auteur: http://www.ars-bxl.be/fredericAnspach.html

8 Louis Izar, ténor (1895-1970), apprécié à Gand, où il crée Le Pays du sourire aux côtés de sa femme, le soprano Germaine Roumans (1932) et où il incarne Mârouf, savetier du Caire. Directeur artistique du Capitole (Toulouse) entre 1951 et 1966.

9 Cf. succinct portrait par l’auteur: http://www.ars-bxl.be/JoseBeckmans.html

10 Cf. hommage de l’auteur: http://www.musimem.com/Michel_Solange.htm

11 Karel Locufier (1918-1979), ancien ténor, est le metteur en scène.

12 Cf. portrait par l’auteur: http://www.musimem.com/Vecray_Huberte.htm

13 Malou Haine, Professeur honoraire de l'ULB (Université Libre de Bruxelles), Conservateur honoraire du MIM (Musée des Instruments de musique, Bruxelles), Chercheur-Associé à l'Institut de Recherche en Musicologie /IreMus-UMR 8223 (CNRS-Paris-Sorbonne), Co-Directeur avec Michel Duchesneau de la Collection "MusicologieS", Editions Vrin (Paris).

14 Il s’agit du ténor belge Eugène Régnier, pourtant un excellent ténor (NDA).

16 Fernand Ansseau crée la version pour ténor en langue française à l’Opéra Comique sous la direction de Paul Vidal en 1921.

17 Les créations in loco ou absolues ne sont pas indiquées, faute de recoupements fiables pouvant les étayer.

18 Cf. hommage de l’auteur publié par l’Union des Artiste (Belgique): http://uniondesartistes.be/wp-content/uploads/2015/10/bulletin-U.A.S-de-septembre-2015.compressed.pdf

 


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