Le Panthéon des musiciens

De janvier 2013 à juin 2013

Marie-Claire ALAIN - Jean-Michel DAMASE

 

Le 26 février 2013 au Pecq (Yvelines) s'est éteinte l'organiste Marie-Claire ALAIN-GOMMIER dans sa quatre-vingt-sixième année. Issue d'une famille de musiciens, ancienne élève du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où elle remporta quatre premiers prix, elle a assurément marqué l'histoire de l'orgue au XXe siècle, grâce à la pureté de son style, à la clarté de jeu et à son interprétation intense et vivante louées unanimement par les critiques. Les nombreuses tournées qu'elle effectua dans le monde entier tout au long de sa carrière lui valaient à chaque fois un grand succès. Également pédagogue, cette Grande Dame de l'orgue a formé plusieurs générations d'organistes qui ont pu bénéficier d'un enseignement fondé sur une vaste culture organistique et l'apprentissage d'une exécution approfondie de la musique ancienne, romantique et symphonique. Ses nombreux enregistrements lui ont d'ailleurs valu une vingtaine de prix du disque (Bach, Buxtehude, Böhm, Clérambault, Haydn, Vivaldi, Pachelbel...). Voilà une quinzaine d'années, avec sa troisième intégrale Bach (14 CD chez Erato) les quatre millions de disques étaient déjà dépassés ! Organiste virtuose, elle était aussi organiste liturgique avec la tenue durant plus de soixante-dix ans du grand-orgue de l'église Saint-Germain-de-Paris à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), tout d’abord comme suppléante de son père Albert Alain, puis comme titulaire au décès de celui-ci en 1971.

Marie-Claire Alain
Marie-Claire Alain
( Photo X... ) DR
C'est à Saint-Germain-en-Laye, où sa famille est installée depuis plusieurs générations, que naît Marie-Claire, Geneviève Alain le 10 août 1926. Son père, Albert Alain (1880-1971), avant de se vouer à la musique avait débuté dans la menuiserie et l’ébénisterie afin de suivre la tradition familiale. Mais, bientôt, il entrait au Conservatoire de Paris où il obtenait notamment un 1er prix d'harmonie chez Caussade, un 2e accessit d'orgue dans la classe de Guilmant (1907), puis parachevait ses études auprès de Louis Vierne et Gabriel Fauré. Après avoir touché l'orgue Cavaillé-Coll de l'église Saint-Nicolas de Maisons-Laffitte (Yvelines) durant une vingtaine d'années, au moment de la naissance de sa fille il était alors titulaire du grand-orgue de Saint-Germain-de-Paris à Saint-Germain-en-Laye depuis 1924, ayant recueilli la succession d'Albert Renaud. Organier à ses heures, il avait construit son orgue de salon, instrument important de 4 claviers avec 42 jeux, de nos jours conservés en Suisse, à Romainmôtier. La grand-mère maternelle de Marie-Claire, Alice Flamant-Alberty (1871-1932) était aussi une excellente musicienne : pianiste, elle avait étudié avec Wilhelmine Clauss-Szarvady (1834-1907) qui avait reçu les conseils de Liszt et Schumann à Leipsick. En 1926, ses frères aînés, Jehan Alain (1911-1940), héroïquement mort au combat à l'âge de 29 ans, et Olivier (1918-1994) étaient déjà tous deux plongés dans la musique : le premier étudiait alors avec sa grand-mère et Augustin Pierson avant d’entrer bientôt au Conservatoire de Paris (1929) et le second, également très doué pour la musique, sera en mesure de suppléer son père à l'orgue dès l'âge de 10 ans. Quant à sa sœur, Marie-Odile Alain (1914-1937), organiste, pianiste tragiquement décédée dans un accident de montagne à l'âge de 23 ans, elle étudiait également le chant. Ajoutons enfin que son grand-père paternel, Paul Alain (1851-1879), ébéniste de formation, jouait en amateur de la contrebasse et accompagnait le plain-chant à l'église de Saint-Germain... C'est ainsi que baignant dans un tel milieu musical, très tôt férue de musique Marie-Claire Alain est capable de remplacer son père à l'orgue dès l'âge de 11 ans, grâce aux leçons de ses frères et de sa sœur. Elle étudie le piano avec Denise Billard-Liénart, l'orgue et l'harmonie avec son père, puis se perfectionne auprès d'Yves Nat. En octobre 1944, elle entre au Conservatoire de Paris dans la classe d'harmonie de Maurice Duruflé (1er prix en 1946), l'année suivante est admise dans celle de contrepoint et fugue de Simone Plé-Caussade (1ère médaille de contrepoint en 1948, 1er prix de fugue en 1950) et en 1947 rejoint la classe d'orgue de Marcel Dupré (1er prix en 1950) tout en recevant les conseils de Gaston Litaize et d'André Marchal ; elle suit aussi la classe d'esthétique musicale de Marcel Beaufils (2e prix en 1951).

Dès l’obtention de ses 4 premiers prix, Marie-Claire Alain débute en 1950 une carrière d'organiste internationale qui va l'amener à beaucoup voyager et ce, durant plusieurs décennies. Ses quelque deux mille cinq cent concerts l'ont menée en Allemagne, Suisse, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Norvège, Italie, Grande-Bretagne, Portugal, Pologne, Hongrie, mais encore en Afrique du Nord et du Sud, aux Etats-Unis, au Canada, au Japon, en Australie, en Russie... De même ses deux-cent-cinquante disques enregistrés tout au long de son exceptionnelle longue carrière lui ont apporté une grande notoriété au point d'être sacrée par les Américains « The fisrt Lady of the organ ». Néanmoins, elle tiendra toute sa vie à exercer plus humblement son autre métier d'organiste liturgique qu'elle avait débuté en 1938 aux côtés de son père à Saint-Germain-en-Laye. Contrairement à bon nombre d'organistes qui se font valoir durant les cérémonies religieuses, Marie-Claire Alain s'en tiendra toujours à son rôle d'organiste d'église qui est de simplement commenter la liturgie et non de vouloir briller à tout prix. C'est ainsi que durant 70 ans, malgré ses nombreuses autres activités, elle va s’obliger, dans la mesure du possible, à aller jouer les offices du dimanche pour tenter de les rendre beaux avec des improvisations et de la musique d'ensemble adaptées au calendrier liturgique. A son départ de Saint-Germain, ce sont Marguerite de Jouvencel et Daniel Boussac, tous deux d'anciens élèves et ses assistants depuis 1971, qui lui ont succédé.

Interprète et concertiste virtuose de l'orgue, Marie-Claire Alain a été également une pédagogue internationale. Son enseignement s'étend sur plus de quatre décennies, tout d'abord suppléante de Simone Plé-Caussade au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (1954) et plus tard titulaire de la classe d'orgue du Conservatoire National de Région de Rueil-Malmaison (1978 à 1994) et chargée du « Cycle de formation professionnelle pour organistes » à celui de Paris (1991 à 2000), elle a aussi professé dans le monde entier, notamment aux USA : à Fort-Collins, Colorado (1971, 1973, 1975, 1981, 1993), aux Universités de Princeton, New Jersey (1976), de Kansas (1982), de Yale, Connecticut (1991), à l'Eastman School of Music de Rochester à New York (1984), à Dallas, Texas (1965, 1972), à Atlanta, Géorgie (1992), au Festival de San Anselmo, Californie (1994) ; au Canada : University McGill de Montréal et à Ottawa (1994, 1995) ; en Australie : à Stellenbosch et au Conservatoire de Pretoria (1983) ; aux Pays-Bas : Académie d'Haarlem (1957 à 1974, 1994) ; en Allemagne : à Dresde et Lepizig (1952), à Nüremberg (1983), au Conservatoire de Stuttgart (1985), à Kempen (1990) ; en Autriche : au Conservatoire de Varsovie (1993) ; en Suisse : à Romainmôtier (à partir de 1984), au Conservatoire de Berne (1994) ; à Taïwan : à Taipei (1993) et bien évidemment dans de nombreuses Académies françaises : Saint-Donat, Sylvanès, Masevaux, Mitry-Mory, Nice... Ayant bénéficié elle-même des enseignements de Dupré et de Marchal, alors à la tête d'écoles opposées, le premier grand défenseur de la perfection technique, le second du style et de la musicalité propres à l'interprète, et des conseils de Duruflé (sens du toucher) et de Litaize (connaissance de la registration) elle créa en somme une nouvelle école basée sur une synthèse des principes de ses Maîtres y ajoutant une parfaite connaissance des styles musicaux, avec une large ouverture d'esprit impliquant un grand respect de la pensée du compositeur tout en tenant compte de la sensibilité et de la personnalité de l'interprète. Ses élèves se comptent ainsi par centaines dans le monde entier. Citons au hasard pour la France : Marguerite de Jouvencel, Yves Devernay, Daniel Roth, Pierre Perdigon, Marie-Louise Jaquet-Langlais, Daniel Matrone, Jacques Taddéi, Gabriel Marghieri, Olivier Vernet, Hervé Morin, Pierre Cambourian, Vincent Warnier, Françoise Dornier... et hors de France : Jean Ferrard (Belgique), François Delor et Guy Bovet (Suisse), Martin Souter et David Tirrerington (Grande-Bretagne), Tan van Eck (Pays-Bas), Monique Gendron, Pierre-Yves Asselin et Geneviève Lagacé (Canada), Lyne Davis, George Baker, James David Christie et Jesse Eschbach (Etats-Unis)...

Au disque, Marie-Claire Alain a beaucoup donné. On lui doit en effet environ 250 enregistrements depuis ses premières gravures en février 1954 des Pièces inédites pour orgue de J.S. Bach à l'orgue de St-Merry pour « les Discophiles de Paris » (DP-32,1), alors dirigés par Norbert Dufourcq et qui vont bientôt être rachetés par Erato, la maison de disques à laquelle elle sera attachée durant plusieurs décennies. Elle va ainsi graver de nombreux disques dans pratiquement tous les domaines : de la musique concertante (J.S. Bach, K.P.E Bach, Haendel, Haydn, Vivaldi, Corette, Mozart, Charpentier, Saint-Saëns, Poulenc, Chaynes), des œuvres où elle réalise le continuo ou l'accompagnement, parmi lesquelles on trouve les Requiem de Campra, Gilles, Fauré et Duruflé, des cantates de Bach, des motets de Dumont, Delalande, Charpentier, Monteverdi, des Messes de Mozart, Liszt, Gounod, des Noëls, des pages des classiques français (Dagincourt, Clérambault, Couperin, Dandrieu, Grigny, Lebègue, Marchand, Daquin, Balbastre...), de la musique romantique, symphonique ou contemporaine : Liszt, Mendelssohn, Boély, Boëllmann, Franck, Saint-Saëns, Guilmant, Vierne, Widor, Messiaen... et son frère Jehan Alain dont elle est la première à graver l'oeuvre à partir de 1955. Mais c'est la musique baroque allemande qui sera longtemps son cheval de bataille avec Boehm, Bruhns, Buxtehude, Haendel (dont l'intégrale des 16 concertos pour orgue et orchestre en 1962), Lübeck, Pachelbel, Tunder et Walther... et bien évidemment J.S. Bach, auquel elle consacre 3 intégrales : 1959-1967 (Danemark, Suède, Allemagne) ; 1978-1980 (France, Suisse, Danemark) ; 1985-1993 (sur orgues historiques en Allemagne, Pays-Bas et France (14 CD, Erato 4509-96358.2).

Docteur honoris causa de plusieurs universités, dont celles du Colorado et du Texas, récipiendaire de nombreuses décorations, récompensée par bon nombre de prix du disque, Marie-Claire Alain, l'une des musiciennes les plus accomplies de la seconde moitié du XXe siècle, s'en est allée à l'âge de 85 ans. Sa messe d'obsèques, célébrée le 1er mars en l'église de Saint-Germain-en-Laye, en présence de sa famille, de nombreux amis, artistes et anciens élèves a débuté et fini par une station du cercueil sous l'orgue qu'elle avait fidèlement servi durant tant d'années. Aurélie Decourt, sa fille et biographe de la famille concluait la cérémonie en ces termes : « il vaut mieux que Dieu aime la musique, Il va en prendre plein les oreilles »...


Quelques enregistrements de Marie-Claire Alain dans la revue Etudes
L'orgue de la famille Alain

D.H.M.

Compositeur fécond, musicien indépendant attaché à la tonalité, grand interprète de Fauré, Jean-Michel DAMASE était à l'aise dans tous les genres, de la variété et du film à la musique religieuse. Né le 27 janvier 1928 à Bordeaux, Jean-Michel Damase commence à barbouiller de la musique en même temps qu'il commence à lire et en même temps qu'il s'essaye au piano. Il faut dire que sa mère n'est autre que la harpiste et pianiste Micheline Kahn (1889-1987), grande amie et interprète de Fauré. Brillante élève d'Alphonse Hasselmans au Conservatoire de Paris (1er Prix en 1904), elle est notamment la créatrice de l'Impromptu pour harpe, op.86, et d'Une Châtelaine en sa tour, op. 110, de Fauré les 7 janvier 1905 et 30 novembre 1918 à la Société Nationale de Musique, ainsi que de pages de Ravel (Introduction et allegro pour harpe, flûte, clarinette et quatuor à cordes, le 22 février 1907 à Paris), Vierne (Rhapsodie pour harpe, le 4 mars 1909) et Caplet (Conte fantastique avec le Quatuor Poulet, dans sa version pour harpe celtique, le 18 décembre 1923, salle Erard à Paris) et enseigne à l'Ecole Normale de Musique de Paris. Élevé à Paris, ses dons précoces pour la musique lui font aborder le piano et le solfège dès l'âge de cinq ans en assistant aux cours de Samuel-Rousseau et à neuf ans il met en musique trois petits poèmes de Colette (Rouge-gorge, Mon âne, La Perle égarée) qu'il a connue par l'intermédiaire de sa mère et d'Hélène Jourdan Morhange. Bientôt remarqué par Marguerite Long, celle-ci le prend pour élève dans son école puis le mène en 1941 dans la classe d'Alfred Cortot à l'Ecole Normale de Musique de Paris. Parallèlement, il est aussi élève de Claude Delvincourt au Conservatoire de Versailles : le 3 mai 1941 au Trianon-Palace de Versailles, lors d'un concert consacré aux œuvres de celui-ci pour fêter sa récente nomination au poste de directeur du conservatoire de Paris, « un jeune élève de Delvincourt, âgé de 13 ans, Jean-Michel Damase a joué avec une aisance intelligente et rare : 1° Heures juvéniles  (extraits): Pour jouer quand il pleut, Pour faire danser la compagnie, 2° Croquembouche (extraits) : Omelette au rhum, Linjer Tart, Nègre en chemise, Croquignols. Le caractère humoristique de ces courtes pièces a été rendu à la perfection et avec une technique remarquable par ce jeune virtuose. Son succès a été vif. » Entré ensuite au Conservatoire National Supérieur de Musique, il décroche en 1943 un prix de piano dans la classe d'Armand Ferté et en 1944 s'inscrit dans la classe d'harmonie et contrepoint de Marcel Dupré tout en suivant les cours de composition d'Henri Büsser à partir de l'année suivante. Premier prix de composition en 1946, année où il écrit son 1er opus : un Trio pour flûte, harpe et violoncelle (Lemoine), il tente vainement cette année le concours de Rome, mais un an plus tard remporte le Grand Prix avec le conte lyrique en 1 acte Et la Belle se réveilla sur des paroles de Paul Arosa (Salabert).

Jean-Michel Damase (cl. Billaudot)
Jean-Michel Damase
( photo éd. Billaudot ) DR

Avant de partir à la Villa Médicis, Jean-Michel Damase, qui avait débuté une carrière de pianiste, part en tournée de concerts jusqu'à mi-décembre 1947. C'est ainsi qu'il jouera avec un orchestre en Tunisie et en Algérie la Ballade de Fauré, les Variations symphoniques de Franck et la Rhapsodie de Liapounow, puis en Belgique à la fin octobre il donnera une série de récitals et en novembre plusieurs concerts dans le midi de la France, avant de terminer cette tournée par des concerts de pianiste-virtuose en Autriche et en Angleterre. Entre temps, le 5 novembre, il est de passage à Paris pour assister à l’Institut de France à l’exécution de sa cantate primée au Concours de Rome. Cette même année 1947 voit la composition de son opus 2,  un Quintette pour violon, alto, violoncelle, flûte et harpe (Lemoine). Suivit ensuite son séjour à la Villa Médicis de Rome, de février 1948 à avril 1951, au cours duquel il composa, entre autres œuvres imposées, un 1er Concerto pour piano et orchestre (1949, Salabert) 3 Interludes pour orchestre de chambre (1948, Lemoine), une Sarabande pour harpe (1948, Lemoine) et une Sonate pour piano, op. 24 (1950, Salabert), qui remaniée à Paris par la suite sera donnée en première audition le 4 novembre 1954 à l'Ecole Normale de Musique. En 1950, il écrit la musique du ballet de Roland Petit et Alfred Adam La Croqueuse de diamants (paroles de Raymond Queneau) qui deviendra l'immense succès que l'on connaît de Zizi Jeanmaire (1ère au Théâtre de Marigny le 25 septembre 1950). C'est lors de son séjour en Italie qu'il décide de se consacrer davantage à ses activités de compositeur, ce qu'il fera toute sa vie durant avec un catalogue des plus impressionnants. Sa 1ère Symphonie est écrite en 1951-52, complètement revue en 1953 puis présentée l'année suivante à Charles Münch qui, le premier en prend connaissance : il la met aussitôt à son programme du Festival de Strasbourg !

Cependant, dans un premier temps, à son retour de Rome il continue sa carrière de pianiste débutée bien avant son entrée au Conservatoire de Paris, la limitant volontairement au répertoire français, et effectue plusieurs tournées en Europe, aux Etats-Unis (débuts à New York le 20 avril 1954) et en Amérique latine. L'enregistrement de la première intégrale Nocturnes et Barcarolles de Fauré lui vaut en 1960 le Grand Prix du Disque. Il déclare à cette époque qu'il n'a pas étudié le piano avec le désir de faire une carrière de concertiste, mais simplement pour jouer des œuvres peu connues, aimant à en enregistrer. Néanmoins, il poursuit l'écriture de pièces pour piano et sa seconde œuvre importante dans ce domaine, après la Sonate de 1950, est un Thème et Variations (Lemoine), composé entre juillet et octobre 1955 et donné également à l’école Normale le 17 novembre 1955 dans le cadre des concerts organisés par Le Triptyque. Au printemps 1957, une nouvelle page pour piano voit le jour : Féeries (Lemoine), 16 courtes pièces (La Belle au bois dormant, Riquet à la houpe, l'Oiseau bleu, le Mouton, la Chatte blanche, la Biche au bois, le Petit Chaperon rouge, Cendrillon, le Petit Poucet, la Balle et la Bête....) destinées à être enregistrées et à servir de commentaire musical à un recueil de contes célèbres. La première audition publique est donnée par l'auteur lui-même le 14 janvier 1959 à l'Ecole Normale. A cette époque il se produit également avec les Concerts Colonne, la Société des Concerts du Conservatoire et l'Orchestre Radio-Symphonique. Délaissant quelque peu sa carrière de pianiste, tout en enseignant son instrument à l'Ecole Normale de 1961 à 1964, avant d'être nommé en 1967 directeur du Conservatoire de Boulogne-Billancourt, il se tourne cette fois résolument vers l'écriture musicale. C'est l'époque où il déclare à la question qui lui est posée par Gavoty et Lesur quant à savoir s'il est passéiste ou avant-gardiste [in « Pour ou contre la musique moderne », Flammarion, 1957], « J'espère être ni l'un ni l'autre, mais je préfère la sincérité à la nouveauté forcée, car toute trouvaille valable doit être d'abord sincère : il lui faut exprimer une nécessité pour le compositeur. » Voilà bien ce qui caractérise l'ensemble de l’œuvre de Jean-Michel Damase : la sincérité avec une musique résolument tonale qui s'inscrit dans la tradition classique française ; il aime le raffinement tant dans la mélodie que l'orchestration ; c'est un compositeur indépendant qui va écrire de nombreuses œuvres dans tous les genres : orchestrales, vocales, de chambre, pour le théâtre. On a parfois écrit que son « invention musicale d'une grande facilité et d'une grande veine aimable » se traduisait par « un langage agréablement et élégamment conservatorial. » Sans doute est-ce pour toutes ces raisons que sa musique, moderne et claire, va être rapidement jouée par de grands interprètes tant Français qu'étrangers, notamment Pierre Barbizet, Jean-Pierre Rampal ou encore Lily Laskine. Sa musique de chambre est très prisée et ses Sonates pour flûte, violoncelle et piano, et pour flûte et harpe sont souvent interprétées et enregistrées. Concernant ses œuvres lyriques, Clarendon (Bernard Gavoty) écrit dans Le Figaro du 18 juin 1963 que « sa Colombe est ravissante […] elle devait faire – du moins devrait-elle – le tour du monde, pour enchanter les cœurs sensibles à la jolie musique dont vous avez paré la comédie douce-amère de Jean Anouilh. Vous aussi, vous possédez le double et rare talent de savoir nous faire rire aux larmes, puis d'en faire perler d'autres au bord des cils... » Plus tard, le 30 avril 1970, il ajoute dans ce même journal, à propos de sa comédie musicale Madame de... (Louise de Vilmorin) « Que c'est donc exquis, un art qui fait semblant d'être simple, qu'il est rafraîchissant de goûter une finesse de plume, une harmonie ingénieuse, une modulation troublante, un mélisme intelligent : miettes d'un festin inaccessible, dont nous sommes les Lazare ! » Suzanne Demarquez disait déjà en 1955 (in Le Guide du Concert, n° 90) au sujet de la création du ballet Le Prince du Désert (Paris, 4 novembre 1955) : « ...nous retrouvons Damase, fils de Fauré et de Ravel et toujours bien lui-même, cependant : lignes mélodiques aisées, coulant de source pure, jolies harmonies marquées au sceau de la distinction et de la maîtrise, maîtrise que dénote la souplesse des enchaînements et la sûreté de l'écriture des deux pianos... » Ainsi qu'on le voit, l'unanimité va se faire rapidement sur son œuvre qui « montre une intime connaissance des capacités instrumentales, son orchestration est pleine et colorée », comme le souligne si justement B. Serrou.

L'oeuvre de Jean-Michel Damase est immense : son catalogue comprend plus de 300 pièces dans tous les genres, de la musique pour orchestre à celle pour le cinéma et la télévision, en passant par la musique de chambre, la mélodie, les chœurs, l'opéra, l'opérette, le ballet. Difficile de citer ici l'intégralité de son oeuvre, pour laquelle d'ailleurs il a obtenu le Grand Prix de la Ville de Paris, néanmoins en dehors de celles déjà notées supra, mentionnons encore celles-ci : pour orchestre : Badinage, Danse du trésor d'Orphée, Cortège, Farandole, La Valse mauve, Piège de lumière, Prélude du matin, Silk Rhapsodie, Suite en sol ; musique concertante : Ballade pour guitare et cordes, des Concert pour trompette, des Concertino pour harpe, pour piano, des Concerto pour contrebasse, pour cor, pour flûte, pour harpe, pour piano (2), pour violon, des Rhapsodie de Printemps, pour flûte, pour hautbois, Sérénade, Suite concertante, Variations sur un thème de Rameau ; musique de chambre : Cortège pour ensemble de harpes, Adage, Arioso, Asymétrie, Azur, Basson junior, Berceuse chinoise, Bien affectueusement, Bourrée chromatique, Capriccio, Chanson du Matelot, Comptine, Conversations, 4 Divertissements, Épigraphe, Five o'clock tea, Hymne, Intermède, Lutheries, Madrigal, Marionnettes, Menuet éclaté, Pantomimes, Pavane à cinq temps, 5 Petits dialogues, 3 Pièces pièces pour clarinettes, 3 Pièces pour contrebasse, Prières sans paroles, Prologue, 5 Quatuor, Questions, des Rhapsodie (5) dont une pour harpe et orgue, Sarabande et Rigaudon, Scherzo piano flûte, Sérénade, Solmidomi, 8 Sonates, 3 Sonatines, Songes, Suite pastorale (3), Thème varié, 4 Trio, Vacances, Variations « Early morning », Variations pour quintette à vents ; musique pour un seul instrument : on trouve ici de nombreuses pièces pour instruments divers : le piano : Aubade, Carillon, Dédicace, 8 Etudes pour piano, Fanfares, Formules et problèmes, Intermezzo, Mazurka cassée, Introduction et Allegro, Mirage (à 4 mains), Pastorale, Petites corvées (10), Tarentelle, Toccatine, Trilogie (3), ainsi que plusieurs pages pour piano et harpe (Thème et Variations, Ritournelles (5), Promenade, Les Chameaux, L'Insecte) ; l'orgue : Pastorales (4), Toccata, Passacaille et Final ; la harpe (Adagietto, Aubade, Ballade irlandaise, Cadence, Duo, Etude de concert, 12 Etudes pour harpes, 2 volumes de 60 pièces d'Etudes pour harpe, Fileuse, Introduction et Toccata, La Pluie, Les Cloches, Pastourelle, Poissons, Sicilienne variée, Vitrail ; la flûte : Etudes de perfectionnement (25), Etudes faciles et progressives (50), Etdues mélodiques (20), Etudes pour flûte (24), Etudes pour flûte (25), Etudes techniques (25), Grandes études (25), ainsi que quelques pièces pour trompette, clarinette ou guitare ; musique pour voix seule : Marelles ou avec accompagnement : 3 Chansons, Jeux d'amour, L'Arche de Noël, La Perle égarée, Le Calme des tempêtes, Mon Âme, No Exit (2), Poèmes (2), Une lettre de Charles Baudelaire et une Ouverture, Confiture, Fermeture pour soprano, baryton et ensemble instrumental ; des choeurs : Hymne pour la jeunesse, Rondels (5), Psaumes de David (11) ; des Opéras : Eurydice, L'Héritière, Le Matin de Faust, Scoubidou, la poupée qui sait ; des opérettes : Eugène le mystérieux, La Tendre Eléonore ; des ballets : Balance à trois, Belles Damnées, Fondation de la cité, La Boucle, La Noce foraine, Lady in the ice, Othello, Piège de Lumière ; une Messe pour choeur à 3 voix mixtes et orgue ; une vingtaine de musiques pour le cinéma et la télévision parmi lesquelles Le Père de Mademoiselle de Marcel L'Herbier, Les Collants noirs de TerenceYoung, Bel-Ami de Pierre Cardinal et Folies-Bergère (avec Philippe-Gérard) d'Henri Decoin ; et une dizaine d'ouvrages de Leçons de solfège. La plus grande partie de ses œuvres est éditée chez Lemoine ou Billaudot. On relève un point commun à toute sa musique « a priori gaie, chantante, mais riche d'une certaine nostalgie, d'une petite profondeur » : la fidélité à la tonalité. D'ailleurs n'avait-il pas déclaré un jour n'avoir « jamais sollicité et encore moins tenté » de se rallier à certains mouvements doctrinaires d'avant-garde !

La discographie de Jean-Michel Damase est peu étoffée par rapport à l’œuvre considérable qu'il laisse. On trouve néanmoins quelques enregistrements actuellement commercialisés, notamment en tant qu'interprète une réédition des Nocturnes 1 à 6 de Fauré (Decca) et comme compositeur quelques pages de musique de chambre !

Directeur des concours de l'Ecole Normale de Musique de Paris de 2001 à 2005, Jean-Michel Damase décède le 21 avril 2013 dans un hôpital parisien ; il est inhumé au cimetière de La Naze à Valmondois (Val-d'Oise), aux côtés de sa mère. Son légataire universel n'est autre que le chanteur Jean-Claude Darcey, né en 1949 à Lorient, 1er Prix de chant du Conservatoire de Paris en 1971, engagé à l'Opéra de Paris l'année suivante avant de se produire et d'obtenir un vif succès dans l'opérette (à Bobino, au Théâtre du Châtelet et à Mogador) et marié à la danseuse Danièle Fugère.

Denis Havard de la Montagne

 


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