Prix de Rome 1920-1929

Marguerite CANAL - Jacques De LA PRESLE - Aimé STECK - Jeanne LELEU - Francis BOUSQUET - Robert BRÉARD - Robert DUSSAUT - Louis FOURESTIER - Yves de LA CASINIÈRE - René GUILLOU - Maurice FRANCK - Edmond GAUJAC - Henri TOMASI - Raymond LOUCHEUR - Elsa BARRAINE - Sylvère CAFFOT

1920

Marguerite Canal en 1931 (coll. Jacques Lunet)
Marguerite Canal en 1931
( (coll. Jacques Lunet) )
Marguerite CANAL (1890-1978)

La musique de cette femme-compositeur, tout à son image, est d’une rare sensibilité, et s’adresse à un public de connaisseurs. Elle puise son inspiration au sein même des plus belles pages de la poésie française, notamment parmi celles de Charles Baudelaire et Marceline Desbordes-Valmore, et ses mélodies sont d’un goût exquis. Sa musique de chambre est également recherchée et dénote une sûreté de métier qui ne se démentit jamais.

Née à Toulouse, la ville rose, le 29 janvier 1890, Marie-Marguerite-Denise Canal étudia la musique dans sa ville natale avant de rejoindre en 1903 le Conservatoire de Paris. Elève de Paul Vidal, en mai 1914, au château de Compiègne, elle tentait le concours du Prix de Rome aux côtés de 12 autres candidats, avec, pour l'épreuve préliminaire, une fugue sur un thème de Widor et la composition d'une musique pour choeur et orchestre sur le poème Juin de Leconte de Lisle, mais n'était pas reçue. Ce sont Marc Delmas, Edouard Mignan, André Laporte, Jean Déré, Marcel Dupré et Raymond de Pezzer qui furent admis à prendre part au concours définitif. La Grande Guerre interrompit le concours et ce n’est qu’à la reprise des épreuves, en 1919, qu’elle put enfin se représenter. Sa cantate Le Poète et la fée lui valut alors un premier Second Prix. L’année suivante, elle concourait à nouveau et remportait cette fois-ci le Grand Prix avec le poème dramatique Don Juan d'Eugène Adenis. Elle effectuait ensuite le séjour en Italie offert par l’Académie des Beaux-Arts à tous les premiers prix et ne revint à Paris qu’au début de l’année 1925. Elle se consacra alors à l’enseignement du solfège (chant) au Conservatoire national supérieur de musique.

Marguerite Canal à son piano, en 1951 (coll. Jacques Lunet)
Marguerite Canal à son piano, chez elle, en 1951
( (coll. Jacques Lunet) )

Cette femme discrète et chaleureuse a composé quelques œuvres pour orchestre éditées chez Jamin (Arabesque, Chanson pour Namy, La Flûte de Jade), des pages de musique de chambre, dont une Sonate pour violon et piano, écrite en 1922 lors de son séjour à Rome et publiée chez Jamin en 1926, Spleen pour violoncelle solo et quintette (id.), Idylle et Lied pour violon ou violoncelle et piano (id.) et Thème et variations pour hautbois avec accompagnement de piano (Ch. Gras, 1936), des pièces pour piano : Esquisses méditerranéennes (Heugel, 1930), Pages enfantines (Heugel, 1931), 3 Pièces romantiques (Enoch) et une centaine de mélodies d’une grande finesse, parmi lesquelles on peut citer Bien loin d’ici (Lemoine, 1940), Madrigal triste (id.) et Recueillement (Lemoine, 1941), écrites sur des poèmes de Baudelaire, Amour partout (Eschig, 1948), Dormeuse (id.), Fileuse (id.) et Pour endormir l’enfant (id.), sur des poésies de Desbordes-Valmore, Sagesse (Heugel) sur un poème de Paul Verlaine, Au Jardin de l'Infante (Eschig) et Musique (Jamin) sur des poésies d'Albert Samain, Chanson de l'Aube, L'Amour marin, Le Bonheur est dans le pré, Le Regard éternel (Lemoine) composés sur des poèmes de Paul Fort, 6 Chansons écossaises (Jamin) écrites d'après Leconte de Lisle, Le Miroir et Romance (Jamin) d'après Edmond Haraucourt... N’oublions pas également de nommer sa touchante mélodie intitulée Amours tristes (Lemoine, 1939), ainsi que ses admirables 3 Chants (Enoch, 1928) extraits du Cantique des Cantiques, et ses 10 Chansons et rondes enfantines d’une rare tendresse.

Marguerite Canal est morte à Toulouse, où elle s’était retirée, le 27 janvier 1978 à la veille de ses 88 ans. Sa musique, rarement jouée, mériterait pourtant largement d’être remise à l’honneur ! Le musicologue Mario Facchinetti disait d'elle en 1956 : « Marguerite Canal est une compositrice inspirée qui garde à la mélodie française le style de Fauré, Debussy et Duparc, style qui est sobre, noble et pur. »

Denis Havard de la Montagne
(novembre 2001, mise à jour : juin 2019)

Note : Après la mise en ligne de cette notice biographique en novembre 2001, une « Association Marguerite Canal » a été créée à Asnières (Hauts-de-Seine) en août 2003, mais celle-ci semble être depuis en sommeil : marguerite.canal.free.fr. En 2004 le label allemand Cavalli-Records, installé à Bamberg, a édité un CD consacré à la compositrice (CCD 250) avec 6 mélodies (Nell, Ici bas tous les lilas meurent, Douceur du soir, Un grand sommeil noir, Ecoutez la chanson bien douce, Il pleure dans mon coeur), Le Jardin de l'Infante et la Sonate pour violon et piano, oeuvres interprétées par Dominique Longuet (baryton), Andreas Lucke (violon) et Barbara Sarlangue-Laumeister (piano). Plus tard, en 2010, Guillaume Chilemme (violon) et Nathanaël Gouin (piano), ont à nouveau enregistré la Sonate pour le label Maguelone : www.maguelone.com (CD MAG 111.184), en même temps que la Sonate n°2 en sol majeur de Ravel.



1921

La Presle
Jacques de la Presle
( photo Walery, Paris, collection Mme Jean de La Presle )
Jacques de LA PRESLE (1888-1969)


Pages spécifiques:
Article principal et catalogue
Concerts

Les pensionnaires de la Villa Médicis en 1925. Sont notamment identifiés les musiciens Jacques de La Presle (1er rang, le 1er à gauche), Francis Bousquet (accroupi, tenant un chien), Robert Dussaut (debout sur la terrasse, le 7e avec une cravate en partant de la gauche) et à la droite de lui peut-être Paul Girette (1858-1930), Secrétaire général de l'Académie de France à Rome. Manque comme musicien pensionnaire cette année Jeanne Leleu. Les 13 autres pensionnaires présents et non encore identifiés sont à découvrir parmi les suivants : (entre parenthèses l'année d'obtention du Prix) - Section peinture : René-Marie Castaing (1924), Pierre Vieilledent dit Dionisi (1923), Pierre Ducos de la Haille (1922), Emile Beaume (1921) - Section sculpture : André Sallé (1924), Louis Bertola (1923), Jean Aubiné (1922), Elie Vézien (1921) - Section architecture : Marcel Péchin (1924), Jean-Baptiste Mathon (1923), Robert Giroud (1922), Léon Azéma (1921) - Section gravure en médaille : Lucien Bazor (1923) - Section gravure en taille-douce : Francis Montanier (1924), Raymond Brechenmacher (1922).
Vous pouvez consulter cette photo dans sa taille originelle, sous un autre onglet.

(coll. Alix de la Presle-Evesque) DR.

Villa Médicis, mai 1925, les pensionnaires des 6 sections (peinture, sculpture, architecture, musique, gravure en médailles, gravure en taille-douce) lors de l'Exposition annuelle des envois de Rome, inaugurée le 12 mai par le roi d'Italie. On reconnaît Jeanne Leleu au centre et au premier plan, à sa droite le directeur de la Villa Médicis Denys Puech, à la gauche de Leleu l'ambassadeur de France à Rome René Besnard et Jacques de la Presle (à l'extrême droite, avec des lunettes). Le tableau au mur en arrière plan, est le portrait en pied du sculpteur Denys Puech retouchant une esquisse dans son atelier de son Eve repentante, peint par Constantin Font, second grand prix de Rome en 1921. La statue (à droite) d'une femme nue qui porte un enfant sur sa tête et qui se mire dans un bassin est l’œuvre du sculpteur Charles Cassou (grand prix de Rome en 1920) qu'il a baptisée Miroir de Vénus étant destinée à une fontaine.
(coll. Alix de La Presle-Evesque) DR.


1922

Pas de premier prix.

Critique musicale d'Aimé Steck sur la réduction et réalisation de Joachim et Élisabeth Havard de la Montagne du motet d'André Campra Adducentur Regi Virgines, parue dans la revue Musique Sacrée - L'Organiste (1er juin 1954, n° 20, p. 32)
Aimé STECK (1892 - 1966)

Musicien aussi modeste que talentueux, cet homme de bien et de cœur, humble dans sa vie, était un véritable artiste. Bien que son œuvre musicale soit restée dans l’ombre, cet « ouvrier de Dieu » a consacré une grande partie de sa vie durant à servir avec élégance la musique liturgique dans laquelle il excellait. Son art, s’il n’avait pas été autant marqué par le sceau de la religion, lui aurait assurément ouvert les portes de la célébrité !

 

Né le 24 novembre 1892 à Constantine[1], c’est très tôt qu’il apprit le violon et fut admis au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. En 1917 il obtenait un Premier prix d’harmonie. Elève répétiteur de Widor dans sa classe de composition, il remportait en 1922 un deuxième Second Grand Prix de Rome. Cette année-là d’ailleurs ne fut décerné aucun Premier Grand Prix : Francis Bousquet, futur directeur du Conservatoire de Roubaix, décrochait le premier Second Grand Prix. S’il en était besoin, cette récompense démontre la valeur de notre artiste !

 

Après avoir collaboré avec Marcel Samuel-Rousseau et quelque peu avec Reynaldo Hahn, Aimé Steck entrait à la Radio et était également nommé chef des chœurs de l’Opéra-Comique. Avec la « Chorale polyphonique de Paris », en 1955 il a enregistré 6 Chants de Noël traditionnels (disque Decca FM133610). Mais, c’est surtout comme pédagogue, notamment au Conservatoire de Versailles (Pierre Doury, Bernard Wahl et René Maillard comptent parmi ses élèves dans cet établissement), qu’il exerça sa principale activité partagée, il est vrai, avec la composition musicale dont ses œuvres de musique sacrée. Il collabora aussi, dans les années cinquante, aux revues Musique Sacrée et Musique et Liturgie.

 

Premières mesures du motet à 4 voix mixtes Oremus pro Pontifice écrit par Aimé Steck et dédié au Chanoine Merret, maître de chapelle de Notre Dame de Paris. Éditions Musique et Liturgie, 1951
( coll. D.H.M. )

Son catalogue varié comporte principalement de la musique religieuse. Persuadé que la science musicale doit se mettre au service de l’Idée et qu’elle doit chercher, non pas à éblouir, mais à émouvoir noblement en mettant à sa place le beau et le vrai, Aimé Steck avait fait pour sienne cette pensée de Jean-Jacques Rousseau : « Les chants sacrés ne doivent point représenter le tumulte des passions humaines, mais, seulement, la majesté de Celui à qui ils s’adressent, et l’égalité d’âme de ceux qui les prononcent ». C’est ainsi que sa musique écrite toute en nuances est délicate et sincère, toujours parfaitement adaptée aux circonstances qui ont motivé sa création. Citons, parmi ses nombreux cantiques, motets et autres pages un chœur de sortie à 4 voix mixtes Reçois, mon Dieu (Procure du Clergé), un chant marial à 4 voix mixtes Salut, rose merveille (id.), un chant de Noël intitulé Pour le temps de Noël, pour chœur à 4 voix mixtes et accompagnement d'orgue, quintette à cordes et harpe (ad lib.), écrit sur une poésie de Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676), dédicacé "à Monsieur René Sedant[2], directeur des Editions Musique Sacrée" (id.), un autre chant pour 4 voix mixtes Jésus, ô Roi (id.), avec lequel le Chanoine Carol soulignait « la souveraine aisance du maître A. Steck dans l’art de conduire et de faire chanter toutes les voix d’un choral mélodiquement sans surprise. » ; un motet sur des paroles de Charles Péguy Heureux ceux qui sont morts (éd. F.-X. Le Roux, Strasbourg) et bien d’autres pièces du même genre, dont les motets Oremus pro Pontifice à 4 voix mixtes, Maria mater gratiae à 4 voix égales, O vos omnes et Jesu Salvator Mundi pour 4 voix d’hommes ou 4 voix mixtes, édités en 1951, les deux premiers aux éditions musicales de la Schola Cantorum et les deux autres chez F.-X. Le Roux, Ave verum pour basse solo et chœur facultatif à 4 voix mixtes avec accompagnement d’orgue, dédicacé « A Monsieur Joachim Havard de la Montagne, Maître de chapelle de Saint-Odile, Paris » (éd. F.-X. Le Roux).

 

Mentionnons encore qu’on lui doit des messes : Messe en l’honneur des martyrs Sts Denis, Rustique et Eleuthère pour 4 voix mixtes et orgue (éd. F.-X. Le Roux), Messe brève pour les défunts pour 4 voix mixtes et orgue (id.), un De profundis pour 4 voix mixtes et orgue (id.), et des arrangements d’œuvres anciennes, notamment le motet Hostias et Preces de L. Sabbatini, édité en 1951 à Strasbourg chez F.-X. Le Roux, ainsi que des pages pour orgue dont l’une sur l’Alma redemptoris (Procure du Clergé). Dans le domaine profane, il a composé, entre autres, un chœur à 4 voix mixtes : A Saint-Malo, beau port de mer (Leduc), un poème symphonique L’Embarquement pour Cythère (1925), une Fantaisie pour quatuor à cordes et piano (Paris, Sénart, 1924) et Quatre pièces berrichonnes pour orchestre avec piano conducteur : Ouverture berrichonne, Aubade mélancolique, Danses paysannes, Evocation champêtre (Paris, éd. Raoul Breton et Cie, 1927).

 

Aimé Steck s’est éteint, sans faire de bruit tout comme il a vécu, le 12 juin 1966 dans la maison de retraite de Nogent-sur-Oise (Oise) où il s’était retiré. L’organiste, compositeur et pédagogue Pierre Doury (1925-2018) qui enseigna l’écriture et la composition à la Schola Cantorum durant plus de 40 ans, parlant d’Aimé Steck, nous écrivait en 2003 : « …j’aimais beaucoup ce professeur rigoureux à qui je dois une grande part de ma formation de base, cet homme austère et intègre d’une grande honnêteté intellectuelle et musicale qui lui a probablement coûté une carrière plus brillante. »

 

Denis Havard de la Montagne

(octobre 2000, révision août 2021)



[1] Arthur Florent Steck est né en Algérie, à Constantine, où son père Auguste Steck, né à Paris le 6 mai 1861, coiffeur, avait épousé sa mère le 16 septembre 1891, Louise Jenny Alexandrine, institutrice, née dans cette ville le 10 août 1869. Cette famille Steck est originaire de Mutzig (Alsace), d’où était venu le grand-père d’Arthur, Auguste né en 1834, qui exerçait la profession de chef armurier. Elle ne paraît pas avoir de lien familial avec le chef d’orchestre Arthur Steck (1845-1915), qui fut notamment directeur de l’Orchestre du Théâtre de Monaco entre 1885 et 1894, fils d’un musicien et accordeur de pianos installé à Paris.

[2] Aïeul maternel de l’auteur de ce texte.

L'Embarquement pour Cythère d'Aimé Steck examiné par la critique musicale

 

« 28 novembre. — C'est au Châtelet qu'il nous faut aujourd'hui aller pour entendre du nouveau. M. Aimé Steck a commenté symphoniquement l'Embarquement pour Cythère. Pour décrire Watteau le musicien situe par un élégant menuet l'atmosphère — ne pourrait-on de nos jours évoquer l'ambiance plutôt que l'époque. D'autres motifs, jolis de courbe et chantants, vont et viennent en un plan clairement construit. L'auteur témoigne d'une nature délicate, d'une technique déliée, exprimant en toute sincérité, sans se croire obligé de sacrifier à la mode de l'heure, ses idées qu'il pare d'une orchestration fine et variée. Félicitons-le d'avoir donné un poème symphonique bien développé et soyons certains qu'il se libérera vite de l'influence, fort légitime, de Fauré. Un franc succès accueillit son œuvre à laquelle M. Pierné donna tous ses soins éclairés. »

(Lyrica, 1925, p. 656)

 

« Le 28, ce fut un poème symphonique de M. Aimé Steck, L'embarquement pour Cythère, construit selon les formules académiques, mais exempt toutefois de convention et de banalité, et qui constitue pour son auteur un précieux encouragement à dégager mieux sa personnalité, maintenant qu’il a prouvé qu’il était en possession de son métier. »

(Musique et Théâtre, 1925, p. 9) 

 

« Concerts-Colonne - Samedi 28 novembre.

L'Embarquement pour Cythère ! Quel charmant et poétique sujet ! Le jeune compositeur qui l'a choisi pour en tirer un poème symphonique a voulu dépeindre les hésitations des voyageurs qu'attirent les vacillantes nacelles, et teinter son orchestre « à la manière de » Watteau.

 

Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustres,

Comme des papillons, errent en flamboyant,

Décors frais et légers éclairés par des lustres

Qui versent la folie à ce bal tournoyant.

 

Les papillons, ainsi décrits par Baudelaire, volettent agréablement au son d'un joli menuet. Le thème d'amour, émis par les violoncelles, n'est pas moins attrayant ; le développement des, divers motifs est fort agréablement construit, et en somme cette œuvre est de nature à nous faire bien augurer de l'avenir de M. Aimé Steck. »

(Le Ménestrel, 4 décembre 1925, p. 497)

 

« M. Aimé Steck s'est inspiré du tableau célèbre de Watteau, « L'Embarquement pour Cythère », pour écrire une page de délicieuse musique que les Concerts Colonne nous ont fait entendre le 28 novembre. Sujet académique - n'est-ce point ; en effet, « l'Embarquement pour Cythère » qui valut à Watteau l'honneur d'être admis au sein de la docte assemblée ? - un sujet qu'un Prix de Rome de date récente se devait de choisir Mais M. Aimé Steck connaît trop les défauts du poncif pour y tomber et il côtoie agréablement le genre avec une adresse consommée, il le paie en passant de quelques teintes fauréennes, voire debussystes, vague souvenir parnassien qui fait penser à « Fêtes galantes ».

L'atmosphère est séduisante et distinguée au possible et il s'en dégage un charme très prenant. Point n'est besoin d'ajouter que M. Steck a du métier et qu'il tire admirablement parti de l'orchestre. »

(La Presse, 11 décembre 1925, p. 2)

 

Collecté par Olivier Geoffroy

(août 2021)



1923

Comoedia, 27 novembre 1923 - DR.
Odette Pauvert et Jeanne Leleu
Jeanne Leleu (à droite) et Odette Pauvert (1903-1966), respectivement Grand Prix de Rome de composition musicale (1923) et Grand Prix de Rome de peinture (1925), en 1925, dans les jardins de la Villa Médicis
( coll. famille de la Presle ) DR
Jeanne LELEU (1898-1979)

Si sa musique est caractérisée par " sa sensibilité, sa fraîcheur et sa grâce ", comme le souligne si justement Marc Honegger dans son Dictionnaire de la musique (Bordas, 1970) et où transparaît un talent incontestable, Jeanne Leleu, qui pratique l’écriture avec beaucoup de bonheur dans l’harmonisation et l’orchestration, n’en était pas moins pleine d’humour et de fantaisie. C’est ainsi que sur commande en 1947 de la Radiodiffusion française elle écrivait Femmes, une suite d’orchestre en 4 parties destinée à la danse qui évoque les différents types de femmes que l’on rencontre habituellement sur les scènes d’opérettes : Sémillantes et langoureuses, Tendres et sentimentales, Duègnes et ingénues, Volages ! Mais elle est également l’auteur d’un autre ouvrage chorégraphique en 3 actes, Nautéos, représenté à Monte-carlo en 1947, puis à l’Opéra de Paris en 1954, qui fut considéré à l’époque comme un des plus importants ouvrages du genre.

Née le 29 décembre 1898 à Saint-Mihiel, autrefois riche capitale du duché de Bar, d’un père chef de musique militaire et d’une mère professeur de piano, elle fut dès sa plus tendre enfance initiée à la musique. Elle était à ce point douée que ses parents décidèrent de l’envoyer au Conservatoire national supérieur de musique de Paris alors qu’elle n’avait que 9 ans. Elle resta dans cet établissement, placé sous la direction de Fauré à cette époque, durant 13 ans et inaugura même les nouveaux locaux de la rue de Madrid, après avoir connu ceux devenus trop étroits de la rue Bergère. Entre temps, elle eut le privilège, avec Germaine Durony, de créer le 20 avril 1910 à la Salle Gaveau -elle avait alors 11 ans !- Ma Mère l’Oye, pièces enfantines pour piano à 4 mains, que Ravel avait écrit deux ans plus tôt. Celui-ci la rendra un peu plus tard en 1913 dédicataire de son Prélude pour le concours de piano du Conservatoire de Paris (morceau de déchiffrage, Durand). Jeanne Leleu poursuivit ici et acheva ses études sous la direction de Marguerite Long (piano), Auguste Chapuis (harmonie), Georges Caussade (contrepoint et fugue) et Charles-Marie Widor (composition). C’est ce dernier qui l’amena au Concours de l’Institut pour lequel elle se présenta deux années de suite à partir de 1922, l’année même où elle composait un remarquable Quatuor pour piano et cordes (Heugel).
Fragments de deux pièces pour piano de Jeanne Leleu : A Napoli et Sérénade de Pulcinella extraites de En Italie, 10 pièces en un recueil
( avec l'aimable autorisation des éditions Alphonse Leduc )
La première fois, elle obtenait une mention honorable, sans qu’aucun Grand Prix ne soit décerné. L’année suivante elle recevait le Premier Grand Prix pour sa cantate Béatrix (Choudens) et s’installait ensuite en janvier 1924 à la Villa Médicis pour ne revenir à Paris qu’au tout début de l’année 1927. Ses envois de Rome révélèrent rapidement toute la science musicale de leur auteur qui savait tantôt se faire audacieux et savant, tantôt délicat et expressif. C’est ainsi que la Suite symphonique pour instruments à vent (1926, Leduc), les Esquisses italiennes (1926, Leduc), les Deux Danses (nocturne et rustique) (1927, Heugel) et Le Cyclope (1928), musique de scène pour le drame satyrique d’Euripide sont des ouvrages qui immédiatement ont assuré à Jeanne Leleu une place de choix au sein des compositeurs de sa génération. La suite symphonique Transparences (1931, Leduc), créée par Walter Staram en 1933, puis reprise par Philippe Gaubert aux Concerts du Conservatoire eut ensuite une carrière en province et à l'étranger. Cette œuvre est divisée en trois parties : L'arbre plein de chants, inspiré d'un texte d'André Gide : " Dans cet arbre, il y avait des oiseaux qui chantaient !... " ; Miroir d'eau, d'après les Fragments du Narcisse de Paul Valéry : " Te voici, mon doux corps de lune et de rosée... " ; et Etincelles d'été, tiré de La jeune Parque du même auteur : « Quel pur travail de fins éclairs consume maint diamant d'imperceptible écume... » et qui termine l'œuvre par un scherzo reflétant les milles étincelles des pierres précieuses... En 1947 elle était nommée professeur de déchiffrage au Conservatoire de Paris, et en 1952, professeur d’harmonie.

En dehors des ouvrages déjà cités, Jeanne Leleu n’a pas cessé de composer sa vie durant, toujours avec autant de bonheur. C’est ainsi qu’on lui doit encore Cortège d’Orphée, Fronton antique, Croquis de théâtre créé par Colonne le 5 octobre 1932, un Concerto pour piano et orchestre (1937), Jour d’été, ballet composé de quatre tableaux symphoniques réunis créé à l’Opéra-Comique en 1939, Virevoltes, suite pour orchestre (1957) et de nombreuses pièces pour piano éditées chez Leduc : Par les rues éclatantes, Pochades (4 pièces), En Italie (10 pièces), Un peu de tout..., des Mélodies chez Choudens, des Choeurs chez Hamelle et des Sonnets de Michel Ange chez Heugel.

Jeanne Leleu, cette grande dame de la musique méconnue du grand public, est décédée à Paris le 11 mars 1979.

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE

Eglise de Juvardeil (Maine-et-Loire)


Francis Bousquet
( photo X... ) DR.
Voir aussi cette photo
Francis BOUSQUET (1890-1942)

Si les aventures picaresques de Benjamin Rathery, médecin et trousseur de jupons, défenseur des pauvres et des orphelins sous Louis XV, admirablement interprétées par Jacques Brel, Claude Jade, Rosy Varte et Bernard Blier dans le film d’Edouard Molinaro (1969), Mon oncle Benjamin , le roman de Claude Tillier a également inspiré dès 1941 Francis Bousquet, qui, sur des paroles de Georges Ricou, écrivait une comédie musicale du même nom, créée à l’Opéra-Comique le 10 mars 1942 ! René Dumesnil parlera alors d’une " partition fort adroite et pittoresque, savoureuse et gaillarde comme le texte de Tillier. "

Affiche du film Mon oncle Benjamin (E. Molinaro, 1969)
Francis Bousquet, Solo de concours pour clarinette en si bémol, pour clarinette et piano, dédicacé "à Achille Carpentier", professeur au Conservatoire national de musique de Paris.
( (Paris, Ed Gallet et Marcel Combre) DR.
Partition complète en ligne sur le site de l'IMSLP
Fichier MP3 Fichier audio par Max Méreaux (DR.)

" Esprit distingué, homme affable et courtois ", comme l’écrivait le Journal de Roubaix du 21 décembre 1942, Charles-Francis Bousquet est né à Marseille le 9 septembre 1890, où il fit ses premières études musicales avant de rejoindre le Conservatoire de Paris. Premier prix d’harmonie en 1909 et de contrepoint l’année suivante, la Grande Guerre l’obligea à suspendre durant quatre années ses études entreprises auprès de Leroux, Gedalge et Widor qu’il ne put reprendre qu’en 1919. Il revint néanmoins de la guerre décoré d’une Croix de guerre avec étoile de vermeil. A trois reprises il se présenta au Concours de composition musicale de l’Institut à partir de 1921 ; la première année il obtenait un deuxième Second Grand Prix, la deuxième un premier Second Grand Prix et enfin en 1923, un deuxième Premier Grand Prix avec sa cantate Béatrix. De retour de Rome en avril 1926, il fut appelé à la direction du Conservatoire de Roubaix, poste qu’il occupa jusqu'à sa mort. Julien Koszul, grand-père maternel d’Henri Dutilleux, l’avait précédé de quelques décennies dans ce même poste où il avait eu l’occasion d’enseigner l’harmonie à Albert Roussel en 1893. Francis Bousquet fonda dans cet établissement les " concours d’honneurs " afin d’y créer une saine émulation et créa de nouvelles classes, notamment dans le domaine de l’art dramatique et la déclamation lyrique. Son action pédagogique a été des plus bénéfiques : fondation de l’Association symphonique du Conservatoire, renouvellement du matériel, électrification du grand-orgue, et dans un domaine plus vaste, création de l’Association des directeurs des conservatoires nationaux de France, dont il devint le président d’honneur.

Mais Francis Bousquet n’abandonna jamais la composition pour laquelle il se révéla toujours un musicien de grande valeur. C’est ainsi qu’on lui doit des œuvres lyriques, Zorriga, qui fut présenté aux Arènes de Béziers, Sarati le Terrible (Heugel), drame en 4 actes inspiré du roman de Jean Vignaud, créé le 9 mai 1928 à l’Opéra-Comique, Mon oncle Benjamin qui débuta une carrière à Roubaix avant d’être donné à l’Opéra-Comique, un ballet L’Esclave, une suite d’orchestre Soirs d’Afrique, un Concerto ibérique, des mélodies, une Suite symphonique et Hannibal-Symphonie, sa dernière œuvre. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages à caractère pédagogique, ainsi que sur l’histoire de la musique.

Francis Bousquet est décédé à Roubaix, le 21 décembre 1942, au cours de la nuit de dimanche à lundi.

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE

 

De quelques idées sur la Radio-Diffusion Nationale

(extrait d’une étude en 1938 sur la réorganisation rationnelle des services artistiques des postes régionaux de radio-diffusion par Francis Bousquet)

 

 

Qu’est-ce que la radiodiffusion ? C’est la possibilité d’envoyer du son à travers l’espace. Le son est « parlé » ou « chanté ».

 

Dans la première de ces deux grandes divisions, les postes de radio-diffusion ont accoutumé de ranger : 

Les conférences ● Les causeries spécialisées, éducatives ou utilitaires ● Les formes poétiques du discours : odes, satires, poèmes, théâtre dramatique, etc., etc... ● L’information, la fantaisie ● Les discours, les sermons ● La radio-scolaire.

 

Dans la deuxième, tout ce qui constitue la musique :

La symphonie ● La musique de chambre ● La virtuosité instrumentale ou vocale ● Le drame lyrique ● L’opérette ● Le music-hall, la revue ● La chanson, la chansonnette ● La danse, le jazz.

 

La fonction de la radio-diffusion étant d’envoyer du son à travers l’espace, il serait donc possible, en « émettant » d’un point central les programmes élaborés, compte tenu des divisions et subdivisions que nous venons d’énumérer, de satisfaire aux exigences des auditeurs de T.S.F. La centralisation des émissions nationales dans une « Maison de la Radio » apparaît donc, à priori, comme une solution rationnelle et séduisante. Cependant, le statut gouvernemental de la radio-diffusion a pourvu le réseau national de 12 postes régionaux officiels, disséminés à travers le territoire. Nous n’avons pas à étudier ici les raisons profondes de cette mesure de « décentralisation ». Mais, tout en demeurant dans les limites que nous trace l’activité strictement artistique de ces postes, indiquons que la création de ce réseau tentaculaire s’inspire de certaines nécessités. Parmi ces nécessités, citons en premier lieu le besoin impérieux pour la plupart de nos régions de posséder un langage radiophonique propre, adapté à leur activité, à leur production, à leurs coutumes. Tels sont, par exemple, les lieux d’élevage, les centres miniers, les provinces vinicoles, les cités industrielles, les cités maritimes... Toutes populations qui auraient tôt fait de se désintéresser d’une radio-diffusion centralisée, étrangère au rythme particularité de leur existence.

 

Une autre nécessité, non moins impérieuse, réside dans l’utilisation des forces intellectuelles régionales. Les Facultés provinciales ne sont-elles pas toutes désignées pour fournir la plus grande partie des « émissions parlées » et les adapter aux aspirations régionales qu’elles connaissent parfaitement, avec plus de bonheur que des noyaux intellectuels centralisés, ignorant tout, ou à peu près, de ces aspirations.

 

Devons-nous rappeler avec quelle douce ironie furent accueillies, par nombre de nos paysans, certaines causeries agricoles émises récemment par Paris ?

 

Si nous reconnaissons de bonne grâce que les provinces françaises ont de sérieux avantages à retirer de la situation présente, elles offrent en revanche à la radio-diffusion nationale un patrimoine d’une richesse incomparable : le Folklore.

 

Constatons, avec regret, qu’on a cru l’exploiter en « servant » le dimanche, entre deux émissions parlées, un air de biniou ou de musette. Or, si le folklore, par son fonds existant, peut dès à présent contribuer à subvenir aux besoins de plusieurs rubriques radiophoniques (chansonnettes et chansons, danses, tours de chant, lectures de poèmes, radio-scolaire[1], par le fonds qu’il faudrait constituer sans tarder, il devrait se trouver à la base de l’art spécifiquement radiophonique de l’avenir.

 

Mais cet art spécifiquement radiophonique qui devrait être la préoccupation dominante de ceux qui détiennent en leurs mains les destinées de l’art nouveau, personne n’y songe, hormis quelques rares artistes.

 

On donne à la radio ses cadres, tant administratifs qu’artistiques. On construit une belle machine, mais que lui donne-t-on à broyer ? Le répertoire déjà usé, périmé, de nos théâtres lyriques ; le répertoire de nos grands concerts symphoniques, qui décèle déjà des signes de lassitude, le répertoire de nos théâtres d’opérette, qui, ayant seul vu la chance lui sourire, est pressé comme un citron.

 

Si bien que, quand on a écouté Faust, à l’Opéra on le reçoit d’un théâtre de province. Lorsqu’on l’a entendu au théâtre lyrique provincial, l’appareil vous le renvoie de l’Opéra. Le dimanche, ou, lorsqu’il y a un « trou » dans l’horaire, on le réentend en disque. Puis le jazz en exécute une parodie, ou un chanteur en ressasse un air dans son « tour de chant ».

 

Dans le domaine symphonique, on n’échappe pas davantage à cette ambiance d’insupportable redondance. L’opérette vous poursuit de votre théâtre à votre salle de cinéma favorite, ou de votre cuisine à votre chambre à coucher. La Fille de Madame Angot, La Veuve Joyeuse ou Le Pays du Sourire, accommodés à toutes les sauces n’en ont pas pour longtemps à se rendre exaspérants... Et Tout va très bien, Madame la Marquise, que vous avez subi avec Ray Ventura, vous est débité en chanson, en disque, en tour de chant, en fantaisie arrangée pour petit orchestre, ou en soli d’accordéon…

 

Etant donné le pouvoir de consommation de la radio-diffusion, espère-t-on vivre longtemps avec d’aussi pauvres ressources ?

 

Disons tout de suite que ce n’est pas en faisant appel aux acteurs professionnels qu’on retardera cette usure et qu’on évitera ses conséquences. En effet, les acteurs, appartenant au théâtre, formés pour le théâtre, ne donneront jamais à la radio-diffusion autre chose que ce qu’ils connaissent. C’est logique et inévitable.

 

Il faut constituer pour tous les postes des troupes spécialisées, composées non pas d’acteurs (le jeu scénique étant un facteur nul en matière de radio-diffusion), mais d’interprètes capables d’apprendre vite et bien et de donner, aussi souvent qu’il le faudra, des opérettes, des opéras comiques, des opéras, des drames lyriques, des drames, des comédies, des tragédies non jouées dans les théâtres, en attendant que soit constitué un art spécifiquement radiophonique.

 

C’est possible, le travail de studio permettant aux interprètes de s’aider des textes, et de ne pas apprendre par cœur, comme au théâtre.

 

Ainsi, notre radio-diffusion remplirait son devoir, envers le Passé, en constituant une sorte de Musée National, dramatique et musical. Combien d’œuvres seraient ainsi rendues à la vie, pour le plus grand plaisir de tous, depuis le lettré ou le musicologue, jusqu’à l’auditeur des campagnes qui entendrait enfin du « nouveau », si paradoxal que cela puisse paraître...

 

Certes, Paris a déjà fait en ce sens des efforts auxquels nous applaudissons, mais cela doit devenir la règle, non l’exception.

 

Et pendant que notre radio-diffusion tirera de notre fonds national des œuvres inconnues du plus grand nombre, non parce que dénuées de valeur, mais le plus souvent, parce que difficiles de réalisation scénique, on pourrait élaborer cet art spécifiquement radiophonique dont nous parlions plus haut. Elaboration lente et difficile qui comptera des expériences mort-nées et des expériences heureuses. Mais celles-ci traceront les sillons féconds, dans lesquels les artistes répandront le grain des futures moissons.

 

Nous disions tout à l’heure que le folklore devrait se trouver à la base de l’art nouveau.

 

Nous ne prétendons point que l’art nouveau sortira du folklore comme Vénus sortit de l’onde. Mais nous pensons que le folklore, issu du peuple, doit retourner au peuple. Nous croyons fermement que ces poèmes populaires, nés de la mer ou de la glèbe, qu’ils chantent les mœurs simples de nos pères ou les coutumes des coins de France où ils sont nés, sont autant de sources d’inspirations capables de toucher le cœur des hommes. Nous nourrissons l’espoir que la radio-diffusion, à l’instar du cinéma, ne flattera pas bassement les masses en les abêtissant, mais, au contraire, qu’elle les éduquera, qu’elle saura leur donner le goût de penser et le sentiment de la dignité humaine. Elle doit se servir du folklore comme un moyen propre à atteindre ce noble but. Aux poètes vivants, dont nous n’hésitons pas à voir le prototype en la personne de Jean Giono, il faut demander une formule simple, mais nouvelle et élargie, qui, prenant son point de départ dans la chanson de geste, la chanson à boire ou la chanson à danser, aboutirait à la magnifique fresque populaire. Fresques lyriques et aussi fresques dramatiques. Le drame n’est-il pas, en effet, la substance même du vocero corse, pour ne citer que lui ?

 

A coup sûr, la radio-diffusion considérée sous cet angle, est le plus bel instrument de propagande mis par la science à la disposition des grandes démocraties. Sauront-elles en faire vibrer les sonorités harmonieuses ? Souhaitons-le ardemment. Ce ne sont pas les divinités de la guerre qui doivent s’affronter devant le micro. C’est aux forces saines de la pensée humaine qu’il échoit d’en faire résonner, ici comme au loin, les fibres si subtiles. Il n’est pas de plus belle, de plus haute mission.

 

Francis Bousquet

Président de l’Association des Directeurs d’Ecoles de Musique

 et Conservatoires Nationaux de France,

Membre du Conseil de Gérance de Radio P.T.T. Nord.

(in L’Art musical, 1938)



[1] Nous avons montré, dans notre rapport sur la réorganisation de l’enseignement musical officiel des départements, comment l’instituteur, en prenant comme exemple la chanson populaire La Bataille de Steinkerque, pouvait donner à la fois aux jeunes enfants, une leçon de chant, une leçon d’histoire, une leçon d’astronomie et obéir ainsi au principe : « instruire en amusant » dont tout le monde parle mais que personne n’applique.



Robert Bréard en 1958
Robert Bréard en 1958
( coll. famille Leconte )
Robert BRÉARD (1894-1973)

Notice détaillée et nombreuses illustrations sur cette page.



1924

(Excelsior, dimanche 4 mai 1924) DR.

Liste des 14 candidats à la première épreuve du Prix de Rome 1924

(concours d’essai, château de Fontainebleau, 4 mai)

 

I – présents sur la photo (de gauche à droite), 1er rang :

- Edmond GAUJAC (1895-1962), admis à l’épreuve définitive, obtient le 2ème grand Prix.

- André SENTERRE dit ROUBAUD (1901- ?), éliminé, 1er Prix harmonie (excellence) en 1919.

- Robert BRÉARD (1894-1973), admis à l’épreuve définitive, mais non primé (avait obtenu un second grand Prix en 1923). [appelé par erreur « Brocard » dans la légende de la photo, numéroté 1].

- Auguste SCHIRLÉ (1895-1971), éliminé (futur organiste parisien).

- Henri TOMASI (1901-1971), éliminé (obtiendra un second grand Prix en 1927).

- Jeanne MALKA (1897-1975), éliminée. Plus tard, mariée en 1925 à Henri MEUNIER, connue sous les noms de Jane Bos ou Paul Chantelauze, elle fera une carrière de compositrice, principalement de pages pour piano, de chansons, entre autres pour Charles Trenet (Sais-tu ?, Viens, Pourquoi ?), et surtout d’une cinquantaine de musiques de films dans les années 1930, parmi lesquels on peut citer Théodore et Cie de Pierre Colombier (1933) avec Raimu et Albert Préjean, Mam’zelle Spahi de Max Vaucorbeil (1934) avec Noël-Noël et Saturnin Fabre, Les Demi-vierges de Pierre Caron (1936) avec marie Bell et Madeleine Renaud, Le club des aristocrates de Pierre Colombier (1937) avec Elvire Popesco et Jules Berry, etc… [elle est appelée par erreur « Milka » dans la légende de la photo, numérotée 2].


II – 2e rang :

- Maurice FRANCK (1897-1983), éliminé (obtiendra une Mention en 1925, puis un second grand Prix en 1926).

- Louis FOURESTIER (1892-1976), éliminé, mais obtiendra le 1er grand Prix l’année suivante.

- Maurice BERTIN (1894-1963), éliminé, fils d’Edouard Bertin (1860-1919), avocat à la Cour d’appel de Bordeaux, adjoint au Maire de cette ville et membre du Conseil général du 2ème canton de Bordeaux.

- Raymond LOUCHEUR (1899-1979), éliminé, obtiendra le 1er grand Prix en 1928.

- Yves de LA CASINIERE (1897-1971), admis à l’épreuve définitive, mais non primé (avait obtenu un 2ème second grand Prix en 1923 et obtiendra un 1er second grand Prix en 1925).

- Georges d’Esparbès, homme de lettres, et à sa gauche (avec des lunettes) un secrétaire.


Non présents sur la photo :

- Robert DUSSAUT (1896-1969), obtient le 1er grand Prix.

- René GUILLOU (1903-1958), obtient une Mention (décrochera le 1er grand Prix en 1926).

- Jean CLERGUE (1896-1969), éliminé. Fils d’un professeur au Conservatoire de Toulouse, il fera une importante carrière de compositeur, pianiste et chef d’orchestre. Durant les années 1930, il est 1er chef et pianiste aux postes d’état (Radio-Paris, PTT, Radio-Colonial, Tour-Eiffel).

D.H.M.

Robert DUSSAUT (1896-1969)

Robert Dussault
Robert Dussaut
(photoX...) DR.
Voir aussi cette photo
(Excelsior, 6 juillet 1924) DR. Denis

" La musique de M. Dussaut n’a rien d’outrecuidant, d’hermétique, ni d’effarant. Elle va droit au but qu’elle se propose d’atteindre ; elle évite la laideur, l’incohérence et la fausse originalité. Elle dédaigne la mode saugrenue et lui préfère la saine logique. Elle se présente simplement, se développe normalement ". Ces lignes, dues à la plume d’Alfred Bruneau, membre de l’Institut, publiées dans Le Matin du 7 avril 1930, résument parfaitement dans ses grandes lignes l’ensemble de l’œuvre de ce compositeur sur lequel d’ailleurs les dictionnaires de musique sont peu prolixes ! Destinées en réalité à commenter la première audition des Danses serbes, tirées de La Fontaine de Pristina de Robert Dussaut, données par Gabriel Pierné aux Concerts Colonne, Alfred Bruneau ajoutait " Soutenue par une instrumentation solide, elle [sa musique] a, jusque dans ses chœurs vigoureux et attrayants, de l’éclat, du charme et de la verve. Elle mérite son succès ".

Robert Dussaut est né à Paris le 19 septembre 1896. Très tôt il entrait au Conservatoire de Paris, quelques années avant qu’Henri Rabaud ne succède à Gabriel Fauré (1920). Il se présentait plus tard au Concours de Rome et décrochait le premier Grand Prix en 1924, avec la cantate Les Amants de Vérone. Parti à Rome entre janvier 1925 et avril 1928 pour le traditionnel séjour à la Villa Médicis, il se consacrait ensuite, à partir de 1936, à l’enseignement du solfège au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. La guerre l’empêcha cependant de prendre une classe d’écriture, comme lui avait promis le directeur de l’époque. Mais son enseignement du solfège allait bien au delà de la seule théorie, c’était une véritable classe de musique et on y déchiffrait des opéras !

Discret dans sa vie, Robert Dussaut l’était également dans la diffusion de ses œuvres et peu ont été éditées. Cependant son catalogue est important et couvre plusieurs genres de musiques : théâtrale, orchestrale, de chambre et vocale. On lui doit ainsi deux drames lyriques : La Fontaine de Pristina en 4 actes et 7 tableaux, dont le livret et la partition ont été écrit par l’auteur à la Villa Médicis lorsqu’il était pensionnaire de l’Académie de France (prix Georges Bizet de l’Académie des Beaux-Arts), et Altanina en 3 actes (commande de l’Etat), d’après une pièce de Jacques Audiberti, créé au Grand-Théâtre de Bordeaux en 1969 avec Berthe Monmart dans le rôle-titre ; un opéra-comique en 3 actes écrit sur un livret de Michel Carré : Manette Lescaut ; un autre opéra en 3 actes, paroles et musique de l’auteur : La conversion de Némania ; une pièce en vers en 1 acte avec musique de scène (paroles et musique de l’auteur) : L’ultime traversée ; une Symphonie n° 1 pour instruments à cordes, et une Symphonie n° 2 pour grand orchestre, dite également Symphonie chorégraphique et formant le ballet Quod advenit (Commande de l’Etat), qui fut récompensé par le prix Tornov-Loeffler de l’Académie des Beaux-Arts ; une Rapsodie serbe pour grand orchestre, avec chœur " ad libitum " ; un Psaume slave pour chœur et orchestre ; deux récits orchestraux : Ardor et Contemplation ; un Quatuor à cordes (Grand prix Jacques Durand de l’Académie des Beaux-Arts) ; un Quintette pour piano et cordes (prix Jacques Durand de l’Académie des Beaux-Arts) ; une Suite brève pour violon et piano (Lemoine) ; des Mélodies (Lemoine), des Vocalises (Leduc, Lemoine), ainsi que 4 cantates, des chœurs et d’autres pièces diverses...

Ceux qui ont pu écouter la musique de Robert Dussaut ont été conquis par son habilité (René Dumesnil), et son sens très sûr du rythme, de la poésie et du théâtre (Alfred Bruneau.

Robert Dussaut au piano entouré de ses élèves, vers 1955.
Au dernier rang, la deuxième en partant de la droite: sa fille la pianiste Thérèse Dussaut. 1

( collection Thérèse Dussaut )

Robert Dussaut était également un théoricien de la musique. Ses travaux d’acoustique musicale sont renommés, notamment auprès de l’Académie des Sciences en vue de fixer le la du diapason à 432 vibrations à la seconde : le 9 juin 1950 Robert Dussaut proposait en effet un son fixe : sol 3 = 384 Hertz, d’où le " diapason logique " : la 3 = 432 Hertz et do 4 = 512 (2 puissance 9). A l’unanimité les membres de l’Académie des Sciences approuvaient sa proposition et rédigeaient le 3 juillet un vœu demandant que le la 432 soit adopté... Il est aussi l’auteur d’une communication intitulée " Proposition de quelques réformes en théorie acoustico-musicale ", faite lors du Colloque international d’acoustique musicale, qui s’était tenu à Marseille du 27 au 29 mai 1958, et de 72 articles d’acoustique musicale publiés dans le Larousse de la musique (2 volumes, sous la direction de Norbert Dufourcq, 1957). Au mot " Echotechnie ", nouveau système harmonique dont il est l’inventeur, il présente son système basé sur la recherche des sons résultants (différentiels, additionnels et conjonctionnels) autour d’un accord primaire considéré comme " engendreur " des autres sons. N’oublions pas enfin un ouvrage théorique de grande valeur : Clartés sur les bases scientifiques de la musique, préfacé par plusieurs professeurs du CNSM.

Compositeur, chef d’orchestre, pédagogue, théoricien, Robert Dussaut était aussi un humaniste convaincu. Il a en effet créé une nouvelle langue pour remplacer l’Esperanto, ce langage international lancé en 1887 par un médecin polonais. Il est mort à Paris le 23 octobre 1969.

Robert Dussaut avait épousé une musicienne, Hélène Covatti. Née à Athènes le 3 janvier 1910, celle-ci avait obtenu, au cours de ses études au CNSM, un 1er prix d’harmonie, un 1er prix de fugue et le prix Alphen de composition pour sa Sonate piano-violon. Elle a ensuite longtemps été chargée de cours dans ce même établissement. De cette union est issue la pianiste Thérèse Dussaut, née à Versailles le 20 septembre 1939. Elève de Marguerite Long dans son école de piano, de Jean Doyen au CNSM, et plus tard de Wladimir Horbowski à la Musikhochschule de Stuttgart et de Louis Hiltbrand à Genève, et enfin de Pierre Sancan à Paris, Thérèse Dussaut est une concertiste de renommée internationale. Elle a parcouru plusieurs fois le monde, notamment en 1975 lors de l’année Ravel. On lui doit plusieurs enregistrements d’importance, parmi lesquels l’intégrale pour clavier de Rameau (1978, Archiv Production), pour laquelle elle réalisa la révision et la transcription, et en 1991 quatre pièces de Ravel : la Valse, Pavane pour une infante défunte, Valses nobles et sentimentales, Miroirs (CD Pierre Vérany, PV 787022). Directeur artistique du Festival en Cévennes, titulaire de la classe de perfectionnement et d’interprétation du CNR de Toulouse, elle tenait récemment, du 14 au 29 juillet 2001, une master-classe de piano à l’Académie de musique d’été de la " School of Perfomance Mastery " à Kiev (Ukraine), qui prépare les pianistes au Concours international Horowitz.

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE 1

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1) Nous sommes reconnaissant à Mme Thérèse Dussaut d'avoir bien voulu mettre à notre disposition ses souvenirs et ses précieuses archives. [ Retour ]



1925

Louis FOURESTIER (1892-1976)

Louis Fourestier
Louis Fourestier (1892-1976)
chef d'orchestre,
pédagogue et compositeur,
Grand Prix de Rome 1925
( photo parue dans Le Guide du Concert,
21 novembre 1952 )
La musique française doit beaucoup à Louis Fourestier, fondateur de l’école des chefs d’orchestre française. De brillants chefs d’orchestre actuels, tels Serge Baudo, Louis Frémaux, Roger Boutry, Allain Gaussin, Yves Prin, Jean Prodomidès ont bénéficié de son enseignement. C’est en effet lui qui a imposé et défendu avec ardeur la musique du début du XX° siècle.

Fac similé, affiche de concert
Fac-similé programme hommage national à Gabriel Fauré
pour le cinquantenaire de sa mort, le 4 novembre 1974
à l'église de la Madeleine, avec notamment
Gaston Litaize aux grandes orgues,
Joachim Havard de la Montagne à l'orgue de chœur,
les solistes Jocelyne Chamonin et Gérard Souzay
placés sous la direction de Louis Fourestier,
1er Grand Prix de Rome en 1925.
( Collection DHM )

Né à Montpellier le 31 mai 1892, il reçut les premières leçons de musique de son père et étudiait le violoncelle au conservatoire de sa ville natale, avant de venir à Paris. Là, admis au Conservatoire dans les classes de Gedalge, Guilmant, d’Indy, Dukas et Leroux, il remportait les Premiers Prix d’harmonie en 1911 et de contrepoint l’année suivante. Prix Rossini en 1924, avec sa cantate Patria, Grand Prix de Rome l’année suivante, avec son autre cantate La Mort d’Adonis, il recevait également en 1927 le Prix Heugel avec son poème symphonique Polynice (Heugel). Inspiré de Sophocle, cette œuvre fut jouée aux Concerts Colonne en 1928. Le musicologue René Dumesnil nous dépeint admirablement bien l’atmosphère qui s’en échappe : " La deuxième partie, qui peint le combat d’Etéocle et de Polynice et la double mort des frères ennemis, est sauvage et puissante à souhait ; la douleur d’Antigone, qui forme le motif principal du final, est exprimée largement par de beaux accents. " A cette même époque Colonne donnait également une autre de ses œuvres, un poème symphonique intitulé A saint Valéry (Heugel). Inspiré du Pierre Nozière d’Anatole France, le compositeur nous " montre les nymphes venant de danser en chœur autour de la tombe du bon saint Valéry. L’atmosphère nocturne est d’une jolie couleur transparente et fine et l’auteur laisse voir ses qualités techniques et l’originalité de ses idées. "

Durant cette période d’avant-guerre l’activité créatrice de Louis Fourestier est importante. Il compose en effet d’autres pages pour chant et orchestre sur des textes de Rabindranath-Tagore et Paul Valéry, un ballet, ainsi qu’un opéra-comique Le Coup de Fusil. Mais c’est principalement pour ses activités de chef d’orchestre qu’il s’imposait plus particulièrement. En 1919, alors qu’il était encore militaire, il dirigeait déjà un orchestre composé d’une quarantaine de soldats et se produisait en zone d’occupation à Saarbrücken. C’est à cette époque qu’il fit la connaissance de la chanteuse et professeur de musique allemande Julie Berl (née en 1875) qu’il épousera en 1929 à La-Villeneuve-en-Chevrie (Yvelines). Après un passage à Marseille puis à Bordeaux, il était engagé en 1927 à l’Opéra-Comique et un peu plus tard, en 1938 à l’Opéra où il succédait à Philippe Gaubert, un ancien lauréat du Grand Prix de Rome, tout comme lui. Avec Ansermet et Cortot il dirigea également l’Orchestre Symphonique de Paris dès sa fondation en 1928, avant de laisser la place à Pierre Monteux. Après la guerre, il traversait les frontières afin de diriger en Espagne, Allemagne, Italie et en Suisse. A deux reprises (1946 et 1947) c’est lui qui ira assurer la direction des opéras français au Metropolitan Opera de New York.

Violoncelliste, chef d’orchestre, compositeur, Louis Fourestier était également un pédagogue né. De 1946 à 1963 il enseigna la direction d’orchestre au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Il s’appliqua ici, comme à la tête des divers orchestres qu’il a conduits, à mieux faire connaître le répertoire des musiciens français de son époque. C’est en ce sens qu’on lui doit beaucoup.

Même si ses compositions sont totalement tombées dans l’oubli de nos jours, il n’en n’est pas moins vrai que Louis Fourestier a écrit de fort belles pages. En dehors des œuvres déjà mentionnées plus haut, signalons un excellent Quatuor à cordes daté de 1937 (Durand), ainsi que plusieurs mélodies profanes ou religieuses éditées chez Heugel : Offrande lyrique, Chant des guerriers, Adward et un admirable Ave Maria...

Bien qu’âgé de 82 ans, à peine deux ans avant de disparaître, le Comité national pour les commémorations musicales, placé sous le haut patronage du Secrétariat d’Etat à la Culture, le choisissait pour diriger un hommage national à Gabriel Fauré. Cela se passait le 4 novembre 1974 à l’église de la Madeleine, jour anniversaire de la mort de Fauré. Furent données à cette occasion plusieurs œuvres de ce compositeur : sa Messe basse, trois motets (Ave Verum, Maria mater gratiae et Tantum ergo), le fort beau Cantique de Racine et bien entendu, l’admirable et poignant Requiem op. 48. Les solistes Jocelyne Chamonin et Gérard Souzay étaient de la partie, ainsi que Gaston Litaize qui improvisa sur le nom de Gabriel Fauré aux grandes orgues et Joachim Havard de la Montagne à l’orgue de chœur. Qui mieux que lui, défenseur ardent de toute la musique française de cette période, pouvait diriger ce concert-hommage pour Fauré ?

Louis Fourestier est décédé le 30 septembre 1976 à Boulogne-Billancourt, dans la banlieue parisienne. C’était un grand chef d’orchestre qui vivait pleinement sa musique. On raconte que lors de d’une représentation de l’oratorio dramatique Jeanne au bûcher d’Arthur Honegger, en décembre 1950 à l’Opéra de Paris, le public perçut quelques tremblements dans sa baguette en dirigeant les dernières mesures tant le moment était intense !

Après le décès de son épouse Julie Berl, arrivé le 29 mars 1967 à Boulogne-Billancourt, il s’était remarié le 6 juillet 1967 à Paris avec la pianiste et professeur au Conservatoire de Paris Lucette Descaves (1906-1993), alors veuve du pianiste et chef d’orchestre Georges Truc (1893-1941) qu’elle avait épousé en 1932.

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
(mise à jour : juillet 2022)


Yves de La Casinière
Yves de La Casinière
( photo R. Martin, Paris, avec l'aimable autorisation de M. et Mme J. Belge )
Yves de LA CASINIÈRE (1897-1971)

Yves Chiron de La Casinière, né le 11 février 1897 à Angers, Inspecteur principal de l'Enseignement musical de la Ville de Paris, a été notamment élève de Nadia Boulanger à l'Ecole Normale de musique, et de Max d'Ollone et Georges Caussade au Conservatoire national supérieur de musique. En 1923 il se présentait au Concours de Rome et sa cantate Béatrix lui valait un deuxième Second Prix. L’année suivante, à nouveau candidat avec la cantate Les Amants de Vérone, l’Académie des Beaux-Arts n’estimait pas devoir le récompenser. Tentant d’obtenir le Grand Prix, il concourait une dernière fois en 1925 avec La mort d’Adonis qui fut seulement primée par un premier Second Prix.

Yves de la Casinière est l'auteur, entre autres œuvres, d'une Symphonie pour piano et orchestre (chez l'auteur, 38, rue Falguière, Paris XV°), de poèmes symphoniques : Persée et Andromède, Hercule et les Centaures (id.), de pages de musique de chambre : Sonatine pour piano et violoncelle (Rouart Lerolle, 1924), Sonatine pour piano et violon (Rouart Lerolle) interprétée par Andrée Berty et Constance Maurelet, le 14 juin 1941, Salle Debussy (8, rue Daru, Paris), lors du 141e concert du "Triptyque" de Pierre d'Arquennes, 7 Petites pièces très faciles pour clarinette avec accompagnement de piano (A. Zurfluh, 1956), Berceuse pour hautbois et piano (Leduc, 1957), Thème varié pour trombone et piano (Leduc, 1958), Trio avec piano (chez l'auteur, 38, rue Falguière, Paris XV°), Quatuor avec piano (id.) Études pour piano (id.), et de mélodies : Le Cheval, Au clair de lune (Sénart). N'omettons pas également ses pièces pour orgue, parmi lesquelles figure un fort joli Concerto.

Fac-similé couverture de
La lecture musicale par
Yves de La Casinière,
éditée à Paris en 1955
aux Éditions A. Zurfluh
( Coll. DHM )
Publicité pour la Sonatine
(piano et violoncelle)
éditée par Rouart, Lerolle et Cie,
in Le Guide du Concert, 3 avril 1925

On doit également à Yves de La Casinière, qui a consacré une part importante de sa carrière à l’enseignement du solfège, de nombreux ouvrages pédagogiques parmi lesquels nous citerons : Initiation à la lecture et à la dictée de la musique (A. Zurfluh, 1958), 25 minutes de travail pianistique journalier au moyen du nouveau déliateur, de la progression et du disque (avec la collaboration de Jacques Dupont, A. Zurfluh, 1958), La technique du clavier par l’image, méthode de piano, 1ère, 2e, 3e, 4e années d’étude ( id.), et surtout son ouvrage le plus important dans ce domaine : La lecture musicale, série d’exercices progressifs ou complémentaires avec ou sans accompagnement de piano (7 recueils publiés chez A. Zurfluh en 1955, 1956 et 1958).

Yves de la Casinière est décédé à Paris en 1971, laissant deux enfants : Anne et François.

D.H.M.



1926

René GUILLOU (1903-1958)

René Guillou
René Guillou
( Coll. famille Messmer, avec son autorisation ) DR
René Guillou,rédigeant sa partition Chimères
René Guillou, rédigeant sa partition Chimères
à Sury près Léré (18) en 1934
( Coll. famille Messmer, avec son autorisation ) DR

Le 14 novembre 1931, lorsque Pasdeloup créait à Paris La Tentation de Saint Antoine, poème symphonique d’après l’œuvre de Flaubert écrit par René Guillou, frère du compositeur et chef d’orchestre à la Radio Ernest Guillou, le public présent ovationnait l’œuvre. Et pourtant, ce musicien est de nos jours totalement oublié et même ignoré des dictionnaires de musique. Seule Vefa de Bellaing, dans son Dictionnaire des compositeurs de musique en Bretagne (Ouest Editions, 1992) en fait état.

Né à Rennes le 8 octobre 1903, René-Alfred-Octave Guillou débuta son apprentissage de la musique auprès de son père Alfred Guillou, employé des Postes et surtout mélomane averti. Après quelques années passées au Conservatoire de sa ville natale, il fut admis au Conservatoire national supérieur de musique de Paris où il fréquenta les classes de Marcel Samuel-Rousseau, Charles-Marie Widor et Henri Büsser. A l’âge de 16 ans il obtenait un premier prix d’harmonie au Conservatoire de Rennes, et plus tard, à celui de Paris, les prix d’harmonie (1921), de piano et d’accompagnement au piano (1924), de fugue (1924), histoire de la musique (1921) et composition (1924). Cette même année 1924 il se présentait au Concours de composition de l’Institut avec la cantate Les Amants de Vérone qui lui valait une mention honorable. A nouveau candidat l’année suivante, il n’était pas retenu pour l’épreuve finale, mais en 1926 le premier Grand Prix lui était enfin décerné avec la cantate L’Autre mère, sur un texte de M. de Forge.

Jusqu'à son départ pour Rome, tout en poursuivant ses études supérieures de musique au Conservatoire de Paris, René Guillou touchait l'orgue de l'église Notre-Dame de Versailles. Il avait été nommé à ce poste en 1920, à la suite de Jacques de La Presle, qui, tout comme lui fut lauréat du Concours de Rome. A cette époque, le grand orgue de tribune, installé dans un buffet de 1686, comptait 33 jeux répartis sur 3 claviers manuels de 54 notes et un pédalier de 27 touches. C'était la composition adoptée par le facteur Merklin lors de sa reconstruction complète en 1868. Plus tard, en 1945-48, puis en 1967-70 les Etablissements Gonzalez et Muller interviendront à leur tour pour effectuer d'importants travaux de transformation et d'agrandissement, qui aboutiront à la composition actuelle de 56 jeux. Fin 1926, René Guillou laissa les claviers de ce grand orgue à Madeleine Heurtel, une nièce de Léon Boëllmann et fille du directeur de l'Ecole Niedermeyer. Durant son séjour à Versailles, il eut maintes occasions de se produire en concerts, et à chaque fois sa prestation était remarquée. Ce fut notamment le cas le 22 avril 1923 à la chapelle du château : il tenait là l'importante partie d'orgue de l'oratorio Marie-Madeleine de Massenet. L'instrument-roi pour lequel il a toujours eu une certaine prédilection, a d'ailleurs inspiré à René Guillou quelques pièces pour grand orgue, toutes éditées chez Lemoine en 1929 : Andante symphonique, Cortège de nonnes, Loetitia Pia et Nocturne mystique.

Durant le traditionnel séjour passé à la Villa Médicis, de janvier 1927 à avril 1930, René Guillou composa notamment une Habanera pour violon et orchestre (Lemoine), exécutée chez Lamoureux en 1927, la mélodie Puisque j’ai mis ma lèvre écrite sur un poème de Victor Hugo, donnée en 1928 à l’Académie de France à Rome, et Mezzogiorno - Midi sur Rome, donné en avril 1929 au Lyceum Romano. Compositeur distingué, auteur de mélodies, concertos, symphonies, on lui doit entre autres œuvres un Adagio et Suite pour piano et violoncelle, créé en 1934 à la Société Nationale, un Hymne de la Bretagne à Paris, qui fut exécuté lors de l’Exposition Internationale de 1937, un Hymne funèbre donné en première audition chez Colonne le 19 mars 1938, une Symphonie en la mineur (Pasdeloup, 1948), une Seconde Symphonie en ut majeur créée le 9 janvier 1956 par Pierre-Michel Le Conte... et plusieurs pages de musique de chambre : Pièces pour piano (Leduc, 1927), Assise pour piano (Leduc, 1928), Diurnes pour piano (Leduc, 1929), Plein air pour piano (Leduc, 1929) , Quatre pièces pour piano (Leduc, 1929), Suite des motifs de terroir pour piano (Leduc , 1929), Trois pièces pour violon et piano (Leduc, 1931), Ballade pour basson, avec accompagnement de piano (Gras, 1936), Sonatine pour saxophone alto ou cor anglais ou cor d'harmonie et piano (Leduc, 1946), Mon nom est Rolande, légende pour cor chromatique en fa et piano (de Lacour, 1950).

On lui doit aussi un Quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle qu’il créa, tenant la partie de piano, aux côtés de Marcel Reynal (violon), Joseph Duts (violon), Jean-Robert Lefebvre (alto) et Umberto Benedetti (violoncelle) en mars 1932 à Monte-Carlo, aux séances de musique de chambre. Celles-ci avaient été fondées en 1925 par Louis Abbiate à l’Ecole Municipale de Musique. En mars 1935, ces mêmes interprètes jouaient à nouveau cette œuvre au même endroit. Il existe un enregistrement à la radio réalisé par le Quatuor Lespine (Pierre Lepetit et Jacques Lespine, violons, Jean Duc, alto, Jean Lespine Violoncelle), diffusé le 20 juin 1953 sur la chaîne Programme National (archives INA, notice PHD86056140).

René Guillou est mort le 14 décembre 1958 à Paris Xe, dans son domicile du 208 rue de Crimée. Divorcé de Alice Leclerc, il laissait alors veuve sa seconde épouse, Gabrielle Lesouchu, qui, quatre années plus tard le rejoignait dans la tombe (9 mars 1962).

C’est lui, avec le compositeur et producteur Jean Yatove, qui parraina le 21 mai 1946 Gilbert Silly, beaucoup plus connu sous le pseudonyme de chanteur « Gilbert Bécaud » (1927-2001), pour son admission à la Sacem en tant que compositeur.

D.H.M.
(2001, révision 2024)


Maurice FRANCK (1897-1983)

Maurice Franck
Maurice Franck
( Coll. Lise Lehmann-Chanut )

Signature de Maurice Franck
Signature autographe, ca 1970
( Coll. M.B. )
Maurice Franck en 1926
Maurice Franck en 1926
(Agence photographique Rol/coll. Bnf-Gallica) DR.

Issu d’une famille originaire d’Oberelbach (Bavière), Maurice Franck est né à Paris le 22 avril 1897 dans le neuvième arrondissement. Son père, Jules Franck (1858-1941), ancien élève du Conservatoire de Paris où il avait obtenu un 1er prix de harpe, était directeur de la musique des temples de la rue de la Victoire, de la rue des Tournelles et de la rue Notre-Dame-de-Nazareth depuis 1895, et premier harpiste solo de l’orchestre de l’Opéra, là-même où jouait également son oncle le violoncelliste Gustave Franck (né en 1861). Maurice débuta des études musicales au Conservatoire de Paris, dans la classe de piano de Santiago Riéra, dans laquelle il obtint un 2e accessit en juillet 1914, mais la guerre l’obligea à les interrompre. Engagé volontaire le 5 juillet 1915 à l’âge de 18 ans, dans le 29ème Régiment d’artillerie (matricule de recrutement 675), il ne sera démobilisé que 4 années plus tard, le 18 septembre 1919, avec le grade de lieutenant. Affecté dans plusieurs autres régiments au cours du conflit, il fut cité à deux reprises à l’ordre du régiment. Le 7 avril 1918 : « envoyé dans la nuit du 24 mars 1918, vers 23 h. dans le village de Guiscard [Oise] qui venait d’être évacué par nos troupes qui se repliaient, a pu s’assurer qu’il n’était pas encore occupé par les allemands et a fait parvenir ce renseignement au commandement. » et le 20 novembre 1918 : « a accompagné pendant 3 jours dans sa progression, se mettant constamment en liaison avec elle et causant à l’Infanterie un excellent effet moral. » Cela lui valut la Croix de Guerre avec 2 étoiles de bronze.

Après la guerre, Maurice Franck retourna au Conservatoire de Paris, où il reprit ses études de piano (2ème prix en 1920), puis fréquenta les classes de Marcel Samuel-Rousseau (harmonie) et de Paul Vidal (contrepoint et fugue). En 1924 il se présentait pour la première fois au Concours de Rome (sujet : Les amants de Vérone) sans obtenir toutefois de récompense. L’année suivante, La mort d’Adonis lui valait une mention honorable, et en 1926 sa cantate L’autre Mère était primée par un 1er Second Prix. Deux nouvelles tentatives, en 1927 et 1928, avec les cantates Coriolan et Héracles à Delphes, ne lui permirent pas de décrocher l’ultime récompense.

Par arrêté du 28 octobre 1937, il fut nommé professeur d’une classe de solfège (chanteurs) au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, en même temps qu’Yvonne Gall (chant), Gabriel Grovlez (ensemble instrumental) et Jean Devémy (cor). Pédagogue de grande classe et passionné, Maurice Franck va en effet consacrer une bonne partie de son temps et de son énergie à l’enseignement de la musique. Mais, durant la seconde guerre mondiale il va être victime, tout comme bon nombre d’enseignants juifs, de la politique anti-juive de l’époque. Bien qu’il soit prisonnier de guerre à ce moment et absent, il est révoqué du Conservatoire le 19 décembre 1940 en même temps que ses collègues Lazare Lévy (piano) et André Bloch (harmonie), en vertu du décret du 3 octobre 1940 (loi portant sur le statut des juifs). Plus tard, en septembre 1942, 43 élèves juifs ou « demi-juifs » vont être renvoyés à leur tour, parmi lesquels figure Odette Gartenlaub. Libéré en août 1941, Maurice Franck ne put donc reprendre sa classe et fut arrêté quelques mois plus tard (décembre) pour être interné un temps au Camp de Royallieu à Compiègne où là, d’ailleurs, il montait une chorale avec les autres prisonniers. Transféré au camp de Drancy (avril 1942), il va être heureusement libéré 4 mois plus tard en raison de son profond engagement durant la 1ère guerre. Mais, il ne put être réintégré au Conservatoire, en même temps que Lazare Lévy, qu’en novembre 1944 (arrêté du 15 novembre, publié au J.O. du 9 décembre), y professant bientôt une classe d’harmonie.

Promotion 1952-1955, Centre nat. de préparation au C.A.E.M. (La Fontaine, photo printemps 1955)
De gauche à droite, rang du haut : Andrée RAVEL (FONTBONNE) – Jacques GRINDEL – André GRATIUS - Édith VIGIER (GRATIUS) - Monique BIGUENET (LENOBLE) – Paulette ROUXEL (LESAGE)
Rang du bas : Mireille ABRAM (BONHOMME) – Serge CORDIER - Claudine LECLERC (Le GÔ) – Andrée ROTH - Édith DEYRIS - Janine CIZERON - Claudine LÉNAT (VILLE) - Marie BON - Jean LENOBLE - Colette NERCESSIAN née SARLES - Charlotte SALLÉ (LANFRANCHI) - Gisèle COTTARD (LARMONIER)
Professeurs : Jacques CHAILLEY – Maurice FRANCK – Blanche SOURIAC
Absent(e)s : Pierrette CONTE née LABORY – Albert ROUSTIT
Cliquez sur cette photo ou ici pour voir un grand format.
( Photo coll. Jean Lenoble ) DR
Marcelle Franck
Maurice Franck
Marcelle Franck et Maurice Franck
( Coll. Lise Lehmann-Chanut )

Il sera élu plus tard président de l' « Association des anciens élèves et élèves de cet établissement et du Conservatoire national d'art dramatique ». Dévoué au renouvellement de l'enseignement de la musique dans le secteur public, il enseigna également l'harmonie en cours privés collectifs aux Studios Pleyel, secondé par son épouse qui y professait le solfège et la dictée musicale, auprès des candidats du concours d'entrée au Centre national de préparation au certificat d’aptitude à l’enseignement de la musique (C.A.E.M.), ainsi qu'au Lycée la Fontaine à Paris. Il enseignait ainsi le solfège et la lecture à vue de mélodies avec paroles aux futurs professeurs des lycées et collèges. Là, se mettant volontiers au piano, ses élèves groupés en arc de cercle autour de lui, il aimait leur faire découvrir, par la lecture à vue, les œuvres injustement méconnues de la musique française dans le répertoire vocal et dans celui de l'opéra. Mais ce n’est pas tout, Maurice Franck tint aussi un rôle éminent dans la formation des élèves de l’Institut Beethoven de Paris. Cette école de musique, installée rue de Rennes, et dirigée par sa fondatrice Hélène Amiot, dépendait de l’Association Beethoven, fondée le 28 novembre 1948 « pour l’aide aux jeunes artistes instrumentistes et chanteurs et la propagation de la musique dans tous les milieux ». Des professeurs tels que Maurice Franck, Noël Gallon, Maurice Hewitt, Georges Jouatte, André-Lévy, René Maillard, René Leroy, Auguste Le Guennant et René Saorgin y enseignaient le piano, du jardin musical aux classes de virtuosité et de concert, l’écriture musicale (harmonie, contrepoint, fugue, composition, orchestration) et préparaient aux concours d’entrée au CNSM et aux concours internationaux.

En 1946, Georges Hirsch, administrateur de la Réunion des Théâtres lyriques nationaux, appela Maurice Franck, en même temps que Robert Blot, pour diriger l’orchestre de l’Opéra. Le dimanche 15 septembre, en matinée, il dirigeait pour la première fois avec Roméo et Juliette. Ce n’était pas un inconnu dans cette institution puisqu’il y occupait déjà depuis quelque temps le poste de chef de chant. Il se produisait durant plusieurs saisons, y conduisant notamment Don Juan (25 octobre 1946), Padmavâti d’Albert Roussel (9 décembre 1946), Ariane et Barbe-Bleue de Dukas (11 avril 1947) qui lui valut cette critique de Maurice Brillant dans le quotidien L’Aube du 16 avril : « […] un très bel orchestre — ce qui est d’importance. Car dans le merveilleux poème de Dukas, aux parties indissolublement liées, l’orchestre, non seulement tient une place, mais, au sens propre du mot, joue un rôle de premier plan. Grâce à M. Maurice Franck, il le joue à souhait : prodigieux ruissellement des pierreries, symphonie des joyaux fluides au 1er acte ; éblouissant final printanier du second... et tout le reste […] », Rigoletto (26 mai 1950) et bien d’autres opéras montés à cette époque, entre autres Otello (Verdi), Fidelio (Beethoven), Sylvia (Delibes), Samson et Dalila (Saint-Saëns) ou encore Les Santons (Tomasi) et Impressions music-hall (Pierné)...

Après la guerre, au cours de laquelle il fut fait prisonnier et, alors interné un temps au Camp de Royallieu à Compiègne avait monté une chorale avec les autres prisonniers (1942), Maurice Franck fut durant quelques saisons chef d’orchestre à l’Opéra de Paris (1946). A cette époque on y donnait Roméo et Juliette (Gounod), Rigoletto et Otello (Verdi), Don Juan (Mozart), Fidelio (Beethoven), Sylvia (Delibes), Samson et Dalila (Saint-Saëns) ou encore Les Santons (Tomasi) et Impressions music-hall (Pierné)...

Maurice Franck : Trio d'anches
REM 311240 XCD (DDD) )

Comme compositeur, on lui connaît des pages de musique de chambre : Sonatine pour violon et piano, interprétée par Madeleine Massart et l’auteur le mardi 17 mars 1936 à 21 h., Salle Debussy (8 rue Daru), au cours d’un concert du Cercle Musical de Paris, Trio d’anches en la pour hautbois, clarinette et basson (Selmer, 1937), donné à la radio (Tour Eiffel) le vendredi 5 juin 1936 à 20h30 par le « Trio d’Anches de Paris », Thème et variations  pour alto et piano (Durand, 1957), qui fut notamment joué par la Société Nationale de Musique à l’Ecole Normale de Musique le 28 janvier 1959 (Robert Boulay et Henriette Puig-Roget), Fanfare, andante et allegro pour trombone et piano (Salabert, 1958), Suite pour harpe (Editions musicales transatlantiques, 1959), Deuxième Trio d’anches pour hautbois, clarinette et basson (id., 1960), Suite pour alto et piano (id., 1965), Prélude, arioso et rondo pour saxhorn en si bémol, trombone basse ou tuba et piano (id., 1969), Prière pour hautbois et piano (Billaudot, 1984), Quatuor à cordes, et des morceaux de musique vocale : Psaume XXVIII (1934), donné en 1945 à Paris par les Concerts Colonne, Trois Mélodies humoristiques : Histoire Sainte, Histoire Allemande, Histoire Espagnole, créées aux Concerts Poulet le samedi 14 décembre 1935 à 17h15 Salle Pleyel, sous la direction de l’auteur,Quatre Mélodies, données en première audition dans la série de concerts « Le Tryptique » de Pierre d’Arquennes, le 15 mars 1957 à l’Ecole Normale de Musique, par l’auteur au piano et la chanteuse Suzanne Guyol, et dont la presse souligna tout le charme et la délicate inspiration, Trois Mélodies pour chant et piano : La chanson des marins hâlés (P. Fort), La rose oubliée (F. Bessier) et La chanson de l’adieu (F. Bessier), Salabert, 1951, Psaume XXVI pour 4 voix mixtes a capella (Salabert, 1955), ainsi qu’un ballet Lettres dansantes, un opéra bouffe Atalante, et un autre opéra bouffe intitulé Grambrinus, créé à Mulhouse en mai 1961. Il a aussi composé quelques musiques de films, notamment celles de La merveilleuse tragédie de Lourdes de l'acteur et réalisateur Henri Fabert (1933), avec Jean-Pierre Aumont dans le rôle de Georges et Hélène Perdrière dans celui d'Odile Duprat, du court-métrage Que serais-je sans elle, produit par l'Alliance Israélite Universelle (1951) et de Dolorès et le joli coeur, un moyen-métrage de Georges Chaperot (1951).

Mentionnons encore une Suite à danser pour orchestre, composée de cinq numéros destinés à être dansés : « Le 1er numéro évoque un cortège, d'abord lointain, qui se rapproche pour terminer fortissimo. Le 2ème, Burlesque, est une simple pochade livrée à la fantaisie du danseur. Le 3ème, Valse, écrit pour petit orchestre est bâti sur deux thèmes ; c'est une valse française, avec tout ce que ce qualificatif comporte de clarté. Le 4ème est un Menuet, d'allure plutôt majestueuse et le 5ème un Final, Allegro vivo, conclusion fougueuse de cette petite suite. » Ces courtes pages « agréables, vivantes, colorées et bien orchestrées » [Maurice Imbert dixit] furent interprétées à la Salle Gaveau, le dimanche 8 décembre 1935 à 16h45, aux Concerts Lamoureux, sous la direction d’Eugène Bigot.

Couverture d'un livre
de solfège paru chez Eschig en 1951
et dédicacé à "Madame Gangloff,
ma collaboratrice dévouée
"
( Coll. DHM )

Le Psaume XXVIII avait été donné précédemment à Paris en 1ère audition, le 23 décembre 1934 au Théâtre Sarah-Bernhardt, sous la direction de l’auteur, lors d’une séance des Concerts Poulet. A cette occasion Maurice Imbert écrivait : Sous la direction de l'auteur le remarquable M. Singher plaida ensuite la bonne cause du Psaume XXVIII de M. Maurice Franck, chant suppliant et hymne de reconnaissance. L'ensemble de la partition a un caractère hébraïque marqué. L'accent fort de la première partie, au mouvement large, frappe. La seconde section, « Béni soit le Seigneur », est animée et entraîne. Dans l'éclatante péroraison symphonique, les thèmes se nouent et forment un combat. Tout au long de ce Psaume, fort bien écrit, M. Franck a réussi à allier la sincérité à un heureux calcul.

Quant au Psaume XXVI, il fut composé en captivité en Autriche, à l’Oflag XVII A, le 14 septembre 1940.

Maurice Franck, qui a longtemps enseigné le solfège et l’harmonie, a également écrit des ouvrages pédagogiques, notamment : Vingt-huit leçons de solfège (2 vol., Max Eschig, 1951), et Quinze leçons de solfège à sept clés, chant et piano (Editions musicales transatlantiques, 1964)...

La discographie des œuvres de ce compositeur est pratiquement inexistante. Cependant la maison de disques REM a sorti en 1995 un CD (REM 311240 XCD) dans lequel le Trio d’anches de Monte-Carlo (Jean-Paul Barrellon, hautbois, Daniel Favre, clarinette, et Jacques Petit, basson) interprète le Trio d’anches de Maurice Franck, ainsi que celui de Marcel Mihalovici, la Suite pour trio d’anches d’Alexandre Tansmann, et la Suite pour hautbois, clarinette et basson de Daniel-Lesur. Et, plus tard, en 1998, aux côtés d’œuvres d’autres auteurs (Fauré, Tournier, Pierné, Tailleferre, Renie), sa Suite pour harpe a été enregistrée par Anna-Maria Ravnopolska par le label bulgare Gega New (GD152). Comme interprète (pianiste et chef d’orchestre), on peut l’écouter dans un enregistrement de 1954 (disque vinyle 33 tours, Le Chant du Monde, LD-A-8079), intitulé « Le Groupe des Six », comprenant des œuvres pour voix et piano ou pour voix et orchestre, avec la soprano Irène Joachim. Cet enregistrement a été réédité en 2015 par la BNF, dans sa Collection sonore, et est disponible par Internet auprès de iTunes, Deezer et Qobuz.

Maurice Franck est mort le 21 mai 1983 à Paris XVIIe, laissant une veuve, Marcelle Horvilleur, née le 27 octobre 1899 à Paris, également musicienne comme on l’a vu précédemment, qui lui survit durant cinq années avant de décéder le 28 septembre 1988. Il avait eu la douleur de voir disparaître à Auschwitz son frère Louis, né le 12 décembre 1891 à Paris, sa femme Jeanne et leurs 5 enfants : lui, ingénieur des eaux et forêts, le 27 mars 1944 à l’âge de 52 ans, elle, née Jeanne Friedmann (44 ans), ainsi que Nicole (16 ans), Robert (15 ans), Claude (13 ans), Lise et Jacqueline (jumelles, 9 ans) tous les six gazés dès leur arrivée au camp le 7 mars 1944.

Denis Havard de la Montagne

Cours d'écriture musicale tonale par Michel Baron, élève de Maurice Franck (en accès libre).



1927

Edmond GAUJAC (1895-1962)

Excellent musicien, ce compositeur discret a toujours fuit la notoriété pour mieux se consacrer à sa passion : l’enseignement de la musique. Directeur des Conservatoires de Lille, puis de Toulouse durant 31 ans, il y enseignait également l’harmonie et l’écriture. A Toulouse, il a su poursuivre avec talent l’œuvre de rénovation qu’avait commencée son prédécesseur Aymé Kunc et rendre ainsi le conservatoire de cette ville l’un des plus réputés du pays. Au rigorisme parfois excessif d’Aymé Kunc, il parvint à substituer cette bonhomie méridionale qui n’empêcha pas cependant la qualité. Henri Bert, l’un de ses successeurs, rapporta vers 1985 cette anecdote : " Edmond Gaujac aimait autant la pêche que l'enseignement. Des histoires, bons mots et naïves réparties émaillent les conversations des musiciens de Toulouse et d'ailleurs. Qui ne connaît l'histoire de la statue de Marianne qu'il disposait habilement devant la fenêtre de son appartement avec un air penché et coiffée d'un béret basque, pour que l'appariteur de service affirme à tout un chacun : "Chut, ne dérangez pas M. le Directeur, il a l'inspiration". M. le Directeur était... à la pêche ! Mais un jour, M. l'Inspecteur le croisa à son retour de promenade, la canne à pêche sur le dos et la vérité se répandit jusqu'à Paris !... "

Né à Toulouse le 10 février 1895, dans une famille de condition modeste, il fut mis en apprentissage chez un luthier à l'issue de sa scolarité. Très tôt passionné par la musique, il fréquenta les cours du soir du Conservatoire de Toulouse, et obtenait à l'âge de 16 ans les prix de solfège, de cor et d'harmonie. Entré en 1911 au Conservatoire de musique et de déclamation de Paris, dans la classe d'harmonie de Xavier Leroux, il dut néanmoins suspendre durant quelques années ses études musicales à partir de 1914, au moment où il s'engagea dans l'armée. Son comportement héroïque durant la Grande Guerre lui valut la Croix de Guerre. Une fois les hostilités terminées, Edmond Gaujac reprenait ses études au CNSM et obtenaitt les prix d'excellence d'harmonie, de fugue, ainsi que de direction d'orchestre dans la classe de Vincent d'Indy. Afin de subvenir à ses besoins il décrochait à cette époque un poste de corniste à l'Orchestre des Concerts Colonne, alors dirigé par Gabriel Pierné. Il se présenta la première fois au Concours de Rome en 1924 et sa cantate Les Amants de Vérone fut couronnée par un premier Second Grand Prix. Trois ans plus tard, il parvenait à gagner le Grand Prix ; la scène lyrique Coriolon l’avait davantage inspiré ! Il partit ensuite à la Villa Médicis où il séjourna de janvier 1928 à avril 1931, et dès son retour en France il fut nommé directeur du Conservatoire de Lille. Son action musicale dans cette ville fut particulièrement intense, notamment à la tête de l'Orchestre de Radio-Lille, dont il assura la direction à partir de 1934. De cette époque datent ses premières compositions que d’aucuns qualifient de " belle facture, dans un langage où l’on reconnaît l’influence de Gabriel Fauré. " : Vocalise pour violon, alto, flûte, hautbois ou trompette en ut, avec accompagnement de piano (C. Gras, 1936), Scherzetto pour piano (C. Gras, 1937), Pastorale pour piano (C. Gras, 1938), Impulsions pour piano à deux mains (Durand, 1939)...

Gaujac : Vocalise Gaujac : Vocalise
Couverture et première page de la partition Vocalise, pouvant être exécutée par un violon, un alto, une flûte, un hautbois ou trompette en ut avec accompagnement de piano, par Edmond Gaujac. Édition Ch. Gras, Paris, Lille, 1936, "Collection Villa Médicis par les premiers grands prix de Rome de musique"
( Coll. D.H.M. )

En 1945, Edmond Gaujac quittait le nord de la France pour aller recueillir la succession Aymé Kunc à la tête du Conservatoire de Toulouse, poste qu’il occupera jusqu'à sa mort arrivée 17 années plus tard, en 1962.

Le catalogue de ses nombreuses œuvres écrites tout au long de sa vie concerne bien des genres différents. On y trouve en effet des pièces pour orchestre : Esquisses provençales, Symphonie romantique, Fantaisie..., des scènes lyriques : Vénus et Adonis..., un grand oratorio intitulé Sainte-Germaine de Pibrac, dont 6 fragments furent donnés aux Concerts Colonne le 16 décembre 1935, des mélodies, et de la musique de chambre, parmi laquelle plusieurs pages pour saxophone : Funambulie, 3 pièces pantomimiques pour saxophone alto et piano (Billaudot, 1985) et Rêves d’enfant, petite suite pour quatuor de saxophones (Billaudot, 1989). Cette dernière œuvre a été enregistrée à plusieurs reprises, notamment au cours des années 1970 par le " Quatuor Deffayet " [disque 33 tours VSM C 069-16 369, avec d’autres pièces de Boutry, Challan, Clérisse, Decruck, Françaix, Planel et Vellones], et en 1989 par le " Quatuor Emphasis " [cassette]... Le compositeur Jean-Marie Depelsenaire (1914-1986), auteur de nombreuses pages de musique de chambre et d’un petit oratorio Les Sept dernières paroles du Christ, pour baryton solo, ténor solo, basse solo, chœur à 4 voix mixtes, orgue ou orchestre (Editions musicales transatlantiques, 1961) est l’un de ses nombreux anciens élèves...

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE

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1) Nos vifs remerciements vont à Mme Nicole Jacquemin, bibliothécaire du C.N.R. de Toulouse, qui a eu l'amabilité de nous fournir certains détails nous faisant défaut. [ Retour ]

Henri TOMASI (1901-1971)

(photo Lipnitzki) DR.  

Henri-Frédien Tomasi est né le 17 août 1901 à Marseille. Fils de Xavier Tomasi (1876-1956), facteur des postes à Marseille et flûtiste amateur, et de Joséphine Vincensini, il est ainsi issu d’une famille corse de Penta-di-Casinca. Entré en 1908 au Conservatoire de sa ville natale où il obtient notamment un 1er Prix d’harmonie en 1916, il poursuit ses études musicales après la guerre au Conservatoire national supérieur de musique de Paris à partir de 1921. Là, il y suit les classes de Charles Silver (harmonie), Georges Caussade (contrepoint et fugue), Paul Vidal (composition) et Vincent d’Indy (direction d’orchestre). Sorti de cet établissement en 1928 après avoir obtenu l’année précédente un 1er prix de direction d’orchestre et un 1er Second Grand Prix de Rome avec la scène lyrique Coriolan (paroles de Guy de Téramond) – le 1er Grand Prix ayant été décroché par Edmond Gaujac et le 2ème Second Grand Prix par Raymond Loucheur – il poursuit sa carrière de chef d’orchestre, déjà débutée en 1926, à la tête d’un orchestre symphonique que le quotidien Le Journal, organisateur de manifestations musicales de grande tenue, avait créé cette même année,

 

En 1931, il est engagé comme chef d’orchestre lors de la création de « Radio-colonial », poste qu’il occupera durant plusieurs années, et l’année suivante, il rejoint la toute nouvelle société de concerts de chambre « Le Triton » (trois tons), fondée par Pierre-Octave Ferroud avec le concours de Henry Baraud, Emmanuel Bondeville, Jean Rivier et Filip Lazar. Celle-ci fut très active durant près d’une décennie pour stimuler la création et la diffusion d’œuvres contemporaines de musique de chambre. Rappelé sous les drapeaux en août 1939, comme adjudant (chef de fanfare) au 203e Régiment d’infanterie alpine et démobilisé en juillet 1940, il s’installe un temps à Marseille, pouvant ainsi reprendre ses activités de chef auprès de l’Orchestre National de la Radio française alors déplacé en zone non occupée, avant d’être engagé en 1946 à l’Opéra de Monte-Carlo comme 1er chef.

 

En 1957, il décide de mettre fin à ses activités de chef qui l’avait mené au cours de sa carrière à se rendre à travers le monde, entre autres en Extrême-Orient avant la guerre, afin de se consacrer davantage à la composition. Depuis 1921, date du début de sa production avec des pièces pour piano : Fantoches et Pièces brèves (2 Suites), il n’avait en effet jamais cessé de composer. C’est ainsi qu’on lui doit plus de 200 œuvres dans tous les domaines : des musiques pour orchestre, concertantes, de chambre, pour un seul instrument, pour la voix avec accompagnement, des chœurs a cappella ou avec accompagnement, des opéras et opéra-comiques, des cantates, ballets, messes, ainsi que des musiques pour le cinéma, la télévision ou la radio. Parmi toutes ses œuvres, ce sont ses opéras L’Atlantide en 4 actes et 9 tableaux, d’après le roman de Pierre Benoit (création le 26 février 1954 au Théâtre municipal de Mulhouse, puis en première audition à Paris aux Concerts Lamoureux, le 27 février 1955, sous la direction de l’auteur) et Miguel Manara en 4 actes et 6 tableaux, écrit sur un livret de L. Milosz (première audition à Paris aux Concerts Pasdeloup, le 12 décembre 1954, sous la direction de l’auteur) qui restent attachés au nom de Henri Tomasi… Voir catalogue complet en ligne dans le site officiel consacré à Henri Tomasi par son fils Claude : https://www.henri-tomasi.fr/catalogue-des-oeuvres/

 

Décédé le 13 janvier 1971 à Paris IXe à l’âge de 70 ans, ses obsèques furent célébrées à Avignon. La dessinatrice et peintre Odette Camp, qu’il avait épousée à Paris en 1928, lui survivra quelques années avant de s’éteindre à Louveciennes en 1979, elle aussi à l’âge de 70 ans.

 

La ville de Bastia a donné son nom à son Conservatoire à Rayonnement Départemental qui s’appelle dorénavant « Conservatoire de Corse Henri Tomasi ».

D.H.M.

(notes provisoires , août 2021)

 

 


Les grandes œuvres de la musique contemporaine française en 1948, par Gaston Dufy
Henri Tomasi, musicien méditerranéen

 

D’origine corse mais né sur la rive opposée, à Marseille, en 1901, Henri Tomasi s’est révélé l’un des compositeurs les plus doués de sa génération. Esprit novateur, musicien d’âme, harmonisateur subtil et orchestrateur aux multiples combinaisons des timbres, son chant exhale le lyrisme des nostalgies, des passions fouettées par l’air marin de toutes les rives méditerranéennes. Nourri par l’enseignement du Conservatoire National, il y fut un brillant élève de Vincent d’Indy et Philippe Gaubert entr’autres, obtint le second Grand Prix de Rome en 1927 et la même année inaugurait sa carrière de chef d’orchestre. Depuis vingt années, sa réputation s’est internationalisée et a monté parallèlement avec celle de compositeur. A celle-ci je consacre ces lignes.

 

Son bagage comprend plus de soixante ouvrages importants, Messe, une Symphonie, plusieurs Poèmes symphoniques, Ballets, Concertos, un Requiem et de nombreuses mélodies.

 

CYRNOS

Sa première œuvre caractéristique date de 1929. Cyrnos est un poème symphonique pour orchestre et piano principal. Il naît en Corse aux environs de Bastia en un petit village surplombant la mer et se laisse inspirer par l’âme collective d’une race qui s’exhale avec sincérité du joyeux tumulte d’une tarentelle ou de la tristesse douloureuse d’un Vocero. Il se penche avec amour sur cette ile embaumée, s’en empare et symbolise l’âme corse.

 

VOCERO

Poème Symphonique

Egalement écrite en Corse, cette partition illustre un drame du pays qui de nos jours tend à passer à la légende. En voici l'argument : « En Corse, quand le stylet a fait une victime, celle-ci est transportée dans sa demeure et déposée sur la Tola. Le glas annonce aussitôt la nouvelle, Ies parents envahissent la chambre mortuaire où commence la Gridatu, vocifération se traduisant par des lamentations coupées de brûlants serments de vengeance, le tout saccadé par des coups de crosse de fusil. Les pleureuses se prennent la main, et d'un rythme qui s’accélère, elles dansent autour du corps la ronde funèbre du Caracolu que suit bientôt un morne silence. Une vocératrice entonne alors le Vocero. Son chant débute par un soupir, se poursuit par des litanies passionnées et s’achève, enfin par un appel à la vengeance. » Cette partition extrêmement puissante chargée d’une orchestration aux couleurs violentes et somptueuses, est conçue en un vérisme stylisé et idéalisé, et ces scènes haletantes soudées en une gradation cohérente et fort musicale.

 

TAM-TAM

Poème symphonique

Ce Poème symphonique évoque un drame de la brousse. Il est suggéré par la pièce de M. Julien Maigret. La partition comporte outre l’orchestre un mezzo soprane et un chœur de voix d’hommes. « Il fait lourd. Ciel sombre à bandes rougeâtres du jour qui se termine. Un blanc, chef de poste, seul de sa race parmi les noirs de l’Oubanghi, est en proie au cafard. Par des paroles maladroites il a blessé sa compagne noire. Celle-ci l’avertit du danger qu’il courre en se moquant des mœurs qu’il ne comprend pas. Autour du couple, le rythme de « Tam-Tam » obsédant et entrecoupé de chants et de cris commence à inquiéter l’homme blanc. Pour endormir sa vigilance, la femme noire lui chante une mélopée de son pays. A ce signal, le « Tam-Tam » se rapproche de plus en plus menaçant et dans un cri, la tribu se jette sur l’homme blanc qui, malgré sa défense, est exécuté rapidement. Une longue plainte s’exhale dans le silence de la nuit africaine. Il fallait un sacrifice aux dieux nègres. »

 

Le compositeur a créé sur cet épisode une ambiance sonore d’un relief saisissant, réussissant sans faire emprunt au folklore africain une œuvre d’une remarquable densité, solidement construite où sonorement plane le mystère.

 

DANSES DE RÊVE

Suite symphonique

En quatre parties : Berceuse, Cortège, Séduction et Sortilèges, cette suite que vantait Louis Aubert en ces termes « .... prenantes par leur force expressive, leur éclat et leur vie rythmique, j’ajoute que la substance musicale en est riche. » Primitivement écrite pour un ballet, en voici la donnée : « Don Juan devenu lépreux après une vie de débauches, s’est réfugié loin du monde. Un matin, la jeune Girolama, émerveillée par les roses du jardin, entre pour en cueillir une. Au même moment, Don Juan surgit. Epouvantée d’abord, elle est rassurée par les paroles du monstre qui lui permet de revenir, promettant de ne plus se montrer. Cependant, les jours suivants, Girolama souhaite de revoir Don Juan et l’appelle. Il paraît, et comme elle prend devant lui une rose qu’elle porte à ses lèvres, il souhaite d’être à la place de la fleur. Poussée par la pitié, Girolama donne un baiser au monstre transformé aussitôt en un jeune amant radieux. » Par endroits, un rythme espagnol nous rappelle que l’aventure se passe en Ibérie, et tout au long de l’œuvre, la lumière d’Espagne illumine la partition.

 

Parmi ses autres importants ouvrages, signalons un Capriccio pour violon et orchestre qui offre au violoniste de métier assez sûr pour l’aborder, l’occasion de faire briller à la fois ses qualités de virtuosité et de sonorité, grâce aux heureux contrastes de sa matière musicale.

 

Son Concert Champêtre pour hautbois, clarinette et basson en cinq mouvements est plein d’entrain, d’une étonnante jeunesse. Enfin, sa Symphonie en ut, écrite en 4 parties, est ardente et vaste. Les thèmes superposés atteignent parfois une puissance dramatique et toujours l’allant et la franchise du langage soutiennent l’intérêt constant. L’attaque mystérieuse du Scherzo et le lumineux épanouissement du choral sont d’un prodigieux effet.

 

Henri Tomasi, actuellement chef d’orchestre à Monte-Carlo, dirigera la saison cet été au Grand Casino de Vichy et au début de l’hiver est engagé pour conduire le Concertgebouw à Amsterdam. Son activité dans les deux domaines reflète l’une des qualités de ses œuvres : la vie intense.

 

(in Images musicales, Pâques 1948)

collection et numérisation DHM

 

Entretien en 1950 d’Yves Hucher avec Henri Tomasi

 

 

Un enfant heureux ce doit être « Claudinet », entendez le tout jeune Claude Tomasi – cinq ans. Il a déjà son « coin », Le Coin de Claudinet, Douze pièces faciles pour Piano, écrites par Papa, illustrées par Maman. Mais, hélas ! il va bientôt devoir aller à l’école ! et… renoncer aux voyages !

 

– En effet, me dit Henri Tomasi, je mène une vie errante, tantôt à Monte-Carlo

 

– où vous êtes premier chef d’orchestre à l’Opéra.

 

– …tantôt à Vichy

 

– où vous dirigez, durant la “saison”, l’Opéra et les concerts…

 

Ajoutez à cela que je suis invité chaque année, au Concertgebow d’Amsterdam, à Hilversum et à Genève, que je sillonne la province, le Luxembourg, la Hollande et la Suisse…

 

– …et que vous devez penser aussi au public parisien, toujours heureux de vous revoir, de vous entendre et de reprendre contact avec vos œuvres.

 

Je crois que c’est nous qui ne pouvons nous passer de ce contact nécessaire et de cette ambiance dans laquelle nous devons nous retremper après avoir vécu six mois de l’année… ailleurs.

 

– Et que pensez-vous de ces publics divers que vous fréquentez ?

 

Beaucoup de bien. Ils sont divers, mais toujours sincères et spontanés. Les efforts entrepris ces dernières années pour le développement et la décentralisation de la culture musicale se font déjà sentir, et nous ne pouvons que nous en féliciter.

 

– Et que dirigez-vous le plus volontiers ?

 

Mais tous les classiques, bien entendu, et à l’étranger plus volontiers encore que chez nous, les œuvres françaises qui tiennent une place de plus en plus grande.

 

– Et quels sont vos projets pour cette saison ?

 

A Paris, l’Opéra doit reprendre Les Santons

 

– …dont le cinéma nous a donné une remarquable reproduction qui, je veux l’espérer, a été projetée sur les écrans de province…

 

– …et à l’Opéra-Comique, nous reverrons, je pense, la Rosière du Village. J’ai terminé deux ballets : La Féerie Laotienne sur un livret de José Bruyr et la Nuit obscure de Saint Jean de la Croix.

 

Ici, ce n’est plus moi qui interromps la phrase commencée, mais l’inévitable téléphone. J’en profite pour jeter un coup d’œil sur le bureau. Devant un pupitre où règne, seule, en pleine lumière, une grande page qui contient le canevas de l’œuvre en chantier, est ouvert un manuscrit : les signes sont rapides, à peine esquissés et pourtant parfaitement lisibles. Tout est clair, aéré, net, propre. On sent l’ennemi du “truquage”, de l’effet facile, c’est là le manuscrit de quelqu’un qui dit ce qu’il a à dire, sans préméditation, ni effort, ce qui ne veut pas dire sans préparation ni travail. Mais la conversation téléphonique est achevée. Mon indiscrétion est découverte, ce qui m’évite une question indiscrète !

 

– C’est là, la partition de Miguel Mañara, d’après le Lithuanien Milosz.

 

– un opéra ?

 

Quatre actes et six tableaux.

 

– Pour cette année ?

 

Ne soyons pas si exigeants !

 

– Et quels sont vos projets immédiats ? Ne venez-vous pas de diriger l’Orchestre Lamoureux ?

 

Oui, après avoir en le plaisir de prendre contact avec la belle jeunesse qui bénéficie des concerts éducatifs de Colonne. Quel enthousiasme spontané et quelle foi compréhensive !

 

– Mais vous repartez ?

 

Oui, pour Monte-Carlo. Je serai ici au début de mars, pour régler une série d’enregistrements : le Concerto de trompette, le Concerto d’alto, le Vocero, Tam-Tam

 

– Donc, nous vous garderons un bon moment ?

 

Pas trop. Car je dois penser aussi aux grandes semaines internationales de musique qui vont se dérouler, cette saison, à Vichy, et simultanément au théâtre et au concert. Ce sera, je crois, une très grande saison.

 

– Nous vous entendrons bien cependant à la radio ?

 

Oui, le 2 mars, je donnerai, avec l’Orchestre National, un concert de musique moderne dont la 1ère audition de mon nouveau Concerto pour saxophone. Par ailleurs, Jean Fournet fera entendre mes Fanfares liturgiques le 4 mars, aux Concerts Lamoureux.

 

Nouvelle interruption ! Ce n’est plus le téléphone ! C’est une charmante visiteuse qui répond au nom de « Folette »…

 

Une petite chienne perdue que nous avons recueillie à Marseille.

 

A ce nom, un souffle a passé dans la pièce… Je me souviens qu’Henri Tomasi est Corse, et nous évoquons « son » pays qui n’est pas son pays natal puisqu’il vit le jour à Marseille… Il me dit son regret de ne pas être marin, et je pense à Debussy, à Roussel, à Jean Cras. “Follette” vient de mettre une patte sur un tronc d’arbre… pardon, sur le tam-tam qui prend sa place dans l’orchestre lorsque l’on joue l’œuvre qui en a reçu le nom. Notre entretien se poursuit, debout, car de cette évocation de la mer, nous nous sommes levés pour contempler une imposante collection de bateaux. Naviguons ! Naviguons !

 

« C’est vers »… ce beau pays, «  énorme et délicat « 

« Qu’il faudrait que mon cœur en peine naviguât … »

 

O Verlaine, pardon ! Mais entre le moyen-âge et la Corse, entre la musique de tes vers et certains accents du musicien à qui je parle de toi, il y a tant de liens !

 

Ceux-là sont mes maîtres, me dit maintenant Henri Tomasi. Voyez : Vidal, Caussade, Gaubert.

 

– De celui-ci, j’évoque justement en cet instant les Quatre poèmes de la Mer, pour lesquels j’ai une prédilection.

Or tout s’enchaîne, tout semble s’appeler et se répondre dans le bureau de ce musicien pour qui le paysage est un état d’âme, Odette Camp-Tomasi n’est-elle pas un peintre de très grand talent, qui nous parle, elle aussi, de la Corse, de la mer, de la beauté d’un paysage entrevu ou longuement contemplé ?

Et soudain, je songe qu’il va falloir prendre congé, et que nous commençons à peine à bavarder. Je pose cependant toutes mes questions, celles que l’on prépare… et les autres…

Et si vous voulez les connaître et entendre les réponses, reportez-vous au numéro du Guide du 6 février 1932. Le moins de trente ans qu’était alors Henri Tomasi avait déjà répondu à ces questions, et José Bruyr était le souriant bourreau… Or, Henri Tomasi n’a pas changé. Certes, il ne dit plus qu’il « rêve » de théâtre, ni qu’il « s’est essayé » à écrire un opéra. Mais il a toujours pour Ravel et Florent Schmitt les mêmes mots, pour la mer et la musique, les mêmes amours, et sur le visage le même sourire, la même jeunesse, et la même flamme …

(in Le Guide du concert, 24 février 1950)

collection et numérisation DHM


Entretien en 1954 de Claude Chamfray avec Henri Tomasi

 

 

Henri Tomasi… Le teint halé d’un marin. Une pointe d’accent méridional. Le regard clair et légèrement voilé du rêveur. L’allure vigoureuse de l’homme qui aime le contact direct avec la nature sauvage.

 

Ce Corse d’origine qui n’a jamais voyagé qu’en imagination, a pourtant écrit plusieurs œuvres musicales aux sujets exotiques. Mais contrairement à d’autres compositeurs, il n’a point cherché à utiliser des thèmes originaires des pays étrangers. Sa musique n’est pas à base folklorique. Le folklore, il le crée à sa façon. Il le fait naître de son imagination, évitant ainsi la banalité de ces musiques de bazar et d’exposition coloniale.

 

L’Atlantide en est un nouvel exemple. Cette Atlantide qui vient d’être créée à Mulhouse (après avoir été inconsidérément évincée à Paris malgré l’assentiment de deux membres du Comité de l’Opéra) et qui remporta un tel succès dans cette ville, qui ne compte pourtant que 100.000 habitants, que deux représentations supplémentaires vont être ajoutées à la série de quatre qui avait été prévue. Puis L’Atlantide ira en Suisse, à Lyon, à Nancy… Bien entendu, c’est sur le nouvel opéra d’Henri Tomasi que la conversation s’amorça.

 

– Une question nécessaire bien qu’elle manque d’originalité : quand et comment avez-vous eu l’idée de mettre L’Atlantide en opéra ?

 

Il y a longtemps que j’avais remarqué les possibilités qu’offrait à un musicien ce roman de Pierre Benoit. L’idée d’en faire une œuvre lyrique remonte au temps où je lisais cette œuvre pour la première fois. Or, ayant été demandé pour écrire la musique des Agriates – dont l’action se situe en Corse – je m’étonnais un jour devant Pierre Benoit que L’Atlantide n’ait pas encore fourni le sujet d’un opéra. J’appris ainsi qu’un compositeur avait voulu utiliser le roman à cette fin. « Mais on avait fait ouvrir la bouche à Antinéa. C’est une erreur », me dit l’écrivain ! Je réfléchis alors au moyen de traiter le personnage principal sans le faire chanter. J’imaginais un compromis : le ballet étant un genre actuellement en pleine vogue, pourquoi ne pas confier le rôle à une danseuse ? Je soumis mon projet à Pierre Benoit, qui l’accepta. Ceci se passait il y a deux ans et demi. Peu après, j’étais victime d’un accident qui m’obligeait à une immobilité prolongée. Je venais d’achever Don Juan de Mañara, et profitai de ce repos forcé pour travailler à L’Atlantide.

 

– A en juger par son audition à la radio, vous avez introduit dans cet opéra une importante partie symphonique, et qui se suffit à elle-même puisque l’on n’est aucunement gêné par l’absence du spectacle – pas même par l’absence de celui de la danse.

 

Dans cette partition, j’ai voulu, d’une part, traduire la psychologie des personnages, d’autre part, créer un climat sonore mystérieux et sensuel. Les récitatifs sont rapides. Mais les chanteurs chantent, car c’est là une œuvre lyrique ; et il y a une trame symphonique en quelque sorte naturelle. Le ballet des djinns, la valse dans la crypte, le tournoiement qui entraîne Saint-Avit dans le crime : tous ces passages sont symphoniques et je compte tirer de L’Atlantide une suite pour orchestre qui ne nécessitera aucune modification du texte initial.

 

– Les retours de thèmes que j’ai constatés correspondent-ils, dans votre œuvre, à des retours de personnages ?

 

Je ne suis point partisan du procédé employé par Wagner. Il est, à mon sens, invraisemblable d’habiller un personnage toujours avec le même thème. Les états d’âmes changent. Donc mes thèmes aussi. Quand je les reprends, c’est sans insistance. Je fais parler Morhange un peu comme le Père de Foucault, avec austérité. Ceghir est oriental, mais j’ai évité d’appuyer ce trait. Saint-Avit est représenté par une musique passionnée. Tanit, elle, est par essence plus près du folklore puisqu’elle est une esclave. Chez Antinéa, j’ai marqué le caractère africain et mystérieux, mais je n’ai pas voulu la situer dans le temps. Bref, le côté thématique est traité à la manière de Bizet dans Carmen.

 

– Opéra que vous admirez, je suppose ?

 

Pour moi, Carmen et Pelléas réunis représentent le modèle-type de l’opéra parce qu’on y trouve la passion, la sensibilité et un « climat » . Ce sont là mes œuvres de chevet.

 

– Il y a précisément antinomie entre votre volonté d’exprimer la psychologie de vos personnages de théâtre, ce qui implique une musique intérieure et de couleur un peu sourde, et votre orchestration toujours lumineuse et colorée. Est-ce ici le Méditerranéen qui réapparaît ?

 

Sans aucun doute. J’ai passé mon enfance en Corse et en Provence et les impressions poétiques qui m’ont marqué à cette époque ont laissé des empreintes persistantes. Or les demi-teintes n’existent pas là-bas. Il n’y a que la pleine lumière et des ombres profondes. Point de demi-teintes. C’est pourquoi je n’aime pas les « moitié-moitié » comme l’on dit dans le « Nord ». J’aime au contraire la musique claire. Pour moi cet art se compose de trois éléments : rythme, mélodie et climat sonore. Je cherche toujours leur synthèse. Autre conséquence de mon besoin de clarté : le désir de m’exprimer dans un langage concis. A l’origine L’Atlantide comportait cinq heures de musique. A la création, elle n’en avait plus que trois. Depuis, je l’ai encore allégée en supprimant un fragment qui durait vingt minutes.

 

– Avez-vous une nouvelle œuvre en chantier ?

 

– J’écris en ce moment Sampiero Corso, opéra sans folklore.

 

– Il me semble que vous vous refusez à utiliser des thèmes populaires dans vos œuvres ?

 

Je ne veux pas être obnubilé par le folklore. Ce qui m’intéresse, c’est le côté humain ou historique des personnages et sujets que je traite.

 

– Même lorsque vous écrivez un ballet ? Dans Noces de Cendres, par exemple, récemment créé à Strasbourg et que le Festival de Vichy présentera cette saison ?

 

Dans ce ballet, J’ai traité la guerre par un scherzo. Le thème de la femme qui en revit les atrocités, exprime une lassitude dramatique. Là aussi, j’ai voulu créer un climat sonore en peignant les horreurs de la guerre, un peu comme l’avait fait Goya.

 

– Et maintenant, quels sont vos projets ?

 

Écrire Nuits de Provence, qui formera une suite de quatre Nocturnes. Ce seront des impressions poétiques : Les Saintes-Marie avec leur camp de gitanes ; Les Baux avec leurs troupeaux traversant les collines par une nuit étoilée ; La Nuit de la St-Jean, sorte de ronde qui, cette fois, utilisera un thème populaire tandis que pour Les Antiques j’ai imaginé le passage des Légions romaines.

 

– J’en suis à me demander qui domine en vous, du musicien psychologue ou du poète ?

 

J’aime la musique dramatique ; mais je me sens porté vers des évocations poétiques.

 

– Pourtant vous avez composé ce qu’on dénomme de la « musique pure » : des Concertos, de la musique de chambre…

 

Savez-vous qu’il est difficile de savoir où s’arrête la « musique pure » ? Voyez Beethoven avec sa Symphonie Pastorale. Voyez Ravel et Debussy… Le point de départ d’une œuvre musicale peut être un paysage, ou le mystère qui se dégage d’un être humain. En ce qui me concerne, ce sont des sensations que j’absorbe et que je transforme en musique. La lecture d’ouvrages littéraires excite mon imagination. Quand je lis Giono ou Bosco, je transcris immédiatement leur texte, en musique. Partout, même en voyage, même dans le train, je compose de la musique

 

– Il est une question que je me suis souvent posée à votre égard : comment un chef d’orchestre peut-il être un compositeur original et se soustraire à la pénétration inévitable de la musique qu’il dirige ? Comment peut-il éviter de devenir un plagiaire inconscient ?

 

Dans mon cas, il n’y a pas de secret mon manque de mémoire explique tout !

 

– Voici donc un travers bienfaisant et qu’on souhaiterait trouver chez bien des compositeurs ! D’autant que si vous oubliez vite vous devez retenir momentanément avec facilité puisque vous dirigez souvent par cœur. Mais, au fait, votre activité de chef d’orchestre ?

 

Elle continue. Je pars tout à l’heure pour Mulhouse. De là j’irai à Alger. Puis je dirigerai une série de concerts en Hollande.

 

– Comment trouvez-vous donc le temps de composer ?

 

Pour écrire, je me retire dans quelque coin perdu de Corse ou de Provence

 

Décidément, Henri Tomasi est un poète invétéré !

(in Le Guide du concert, 12 mars 1954)

collection et numérisation DHM



1928

Raymond Loucheur (Cl. Lipnitzki)
Raymond Loucheur vers 1956
( photo Lipnitzki )
Raymond LOUCHEUR (1899-1979)

Raymond Loucheur vers 1955
Raymond Loucheur vers 1955
( photo X... ) DR

Article sur une page spécifique.



1929

Elsa BARRAINE (1910-1999)

Elsa BARRAINE. Détail d'après une photo de groupe dans la classe de composition de Paul Dukas en 1929, au conservatoire.
( Photo X. )

Née à Paris le 13 février 1910, fille d'Alfred, violoncelliste soliste de l'orchestre de l'Opéra et membre de la Société des Concerts du Conservatoire, Elsa Barraine a fait toutes ses études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris avec Georges Caussade, Jean Gallon et Paul Dukas. Premier Grand Prix de Rome en 1929 avec sa cantate la Vierge guerrière (Jeanne d'Arc), triptyque saint sur un poème d'Armand Foucher, elle fut successivement chef de chant à la Radio (1936), directrice de la maison de disques Chant du Monde (1944) et professeur au CNSM (1953). En 1969 elle était nommée professeur d'analyse dans ce dernier établissement et en 1972 inspecteur à la Direction de la musique au Ministère de la Culture, chargée des théâtres lyriques nationaux. Symphoniste talentueuse, on lui doit de la musique pour orchestre (3 Symphonies, une Fantaisie pour piano et orchestre, une Suite astrologique pour petit orchestre...), de la musique pour la scène (Le Roi-bossu, Le Mur, La Chanson du mal-aimé, Les Paysans...), de la musique de chambre et instrumentale (Quintette à vent, Suite juive pour violon et piano, Musique rituelle pour orgue, gongs et xylorimba...) et de la musique chorale : Hymne à la lumière pour soprano et orchestre, Poésie ininterrompue (cantate sur des poèmes de Paul Eluard), Cantate du Vendredi saint sur un texte de Pierre Emmanuel... Ellle est morte le 20 mars 1999 à Strasbourg.

D.H.M.

Le Prix de Rome d'Elsa Barraine vu par Le Ménestrel

 

 

« L'Académie des Beaux-Arts s'est réunie le 30 juin, sous la présidence de M. Forain, assisté de MM. Ch.-M. Widor, secrétaire perpétuel et Cordonnier, vice-président, en vue de l'attribution du Grand Prix de Rome de Composition musicale.

 

A. la Section de Musique (composée de MM. Alfred Bruneau, Gustave Charpentier, Georges Hue, André Messager, Gabriel Pierné, Henri Rabaud), qui se trouvait au complet, avaient été adjoints MM. Alfred Bachelet, Henri Bûsser et Marcel Samuel-Rousseau.

 

La cantate choisie était une scène lyrique de M. René Puaux : Héraclès à Delphes. Hercule, s'arrêtant à la croisée des chemins dont l'un descend vers la plaine thébaine et l'autre monte vers le Parnasse, se trouve aux prises avec la Volupté et la Vertu. Bien entendu, cette dernière triomphe et conduit le héros sur le chemin du Parnasse. Cette cantate conçue, selon le rite traditionnel, pour trois personnages, présentait toutefois cette particularité assez rare de comporter une seule voix d'homme et deux voix de femmes. Tous les candidats, sauf un, ont fait d'Hercule un ténor. Un seul (M. Vaubourgoin) a écrit le rôle pour baryton aigu. Aucun d'eux n'a cru devoir adopter la voix de basse, qui eût convenu particulièrement au héros grave et sage et eût de plus présenté l'avantage d'assurer à l'ensemble vocal un fondement plus solide et un meilleur équilibre. Quant aux voix de femmes, les candidats ont adopté, en majorité, le soprano pour la Volupté et le mezzo bu le contralto pour la Vertu. Pourtant, Mlle Barraine et M. Franck ont préféré l'ordre inverse. […]

 

Mlle Elsa BARRAINE, née à Paris en 1910, élève de MM. Paul Dukas et Henri Büsser, qui concourait pour la première fois, a obtenu d'emblée un deuxième second Grand-Prix. Sa cantate fut interprétée par Mlles Elsa Ruhlmann, Estève et M. Thill, avec, au piano, M. Robert Casadesus et l'auteur. Cette toute jeune fille, qui possède déjà une singulière sûreté d'écriture, est en outre douée, de toute évidence, d'une nature fine, sensible, qui ne s'extériorise encore qu'incomplètement, mais qui est pleine de promesses. Cette nature un peu mélancolique, d'un charme assez fauréen, apparaît dès le prélude de la cantate (qui oscille autour de la mystérieuse tonalité d'ut dièse mineur) et s'exprime ensuite avec plus de délicatesse que d'envergure, les voix étant soutenues par un accompagnement plus pianistique qu'orchestral (trémolos, arpèges, accords plaqués très souvent syncopés) qui affecte un certain caractère d'intimité d'une séduction réelle. »

(6 juillet 1928, p. 304)

 

« Le 20, juin, l'Académie des Beaux-Arts s'est réunie sous la présidence de M. Cordonnier, assisté de MM. Ch.-M. Widor, secrétaire perpétuel et Sicard, vice-président, en vue de l'épreuve annuelle pour l'attribution du Grand Prix de Rome de Composition musicale. A la Section de Musique (composée de MM. Alfred Bachelet, Alfred Bruneau Gustave Charpentier, Georges Hue, Gabriel Pierné, Henri Rabaud), qui se trouvait au complet, avaient été adjoints MM. Max d'Ollone, Maurice Ravel et Paul Vidal. C'est devenu, depuis quelques années, un lieu commun de se lamenter, presque à chaque concours, sur l'insignifiance ou l'absurdité du texte de la Cantate. En raison de la pénurie troublante, et de plus en plus accusée, des envois de manuscrits, l'Académie des Beaux-Arts doit se contenter généralement d'élucubrations d'une invraisemblable faiblesse, sur lesquelles les infortunés concurrents sont ensuite obligés de pâlir pendant un mois, ce qui ne peut d'ailleurs qu'accroître leur mérite quand ils réussissent à les animer d'un semblant de vie. Le texte imaginé cette année par M. Armand Foucher et intitulé La Vierge guerrière, triptyque saint, dépasse vraiment toute mesure. Trois scènes : 1°A Domrémy, sous le hêtre aux Loges-les-Dames, Jehanne fait paître ses moutons blancs et chante une pastorale en filant sa quenouille ; 2° « Une douce lumière » naît derrière le théâtre (sic). L'Archange Saint-Michel paraît « dans son éclatante auréole », se dit l'envoyé de Dieu, révèle à Jehanne son rôle providentiel par un discours qui contient entre autres cette perle : « Pars à Vaucouleurs » (resic). Il la convie à « quitter père et pays », à délivrer Orléans ; à conduire le Dauphin à Reims et à retourner ensuite aux combats. 3° A la cour de France, c'est la scène qui traîne dans tous les manuels classiques ; Jehanne reconnaît par une intuition divine Charles VII, qui se dissimule parmi les courtisans ; scène que-M. Armand Foucher agrémente de trouvailles bien personnelles. Jehanne, en effet, se présente au Roy en lui déclarant bravement :

 

... Je suis ycelle

Jehanne d'Arc la Pucelle.

 

Car Jehanne s'exprime en vieux français alors que, sans qu'on puisse deviner pourquoi, Charles VII lui répond en français moderne (s'il est toutefois permis de s'exprimer ainsi). L'archaïsme de la langue employée par Jeanne d'Arc a eu peut-être pour but de fournir aux concurrents un texte plus musical, ainsi qu'on en peut juger par ces citations :

 

Non plus que meschiefs hommes d'armes,

ou encore :

Cy, dans votre retrait

Vous ouïrez mainttrait

 

Dialogue de Jehanne et du Roy : « La Pucelle » baise la main de Charles et reçoit l'étendard. Réapparition de l'archange... pour prendre part au trio final : En avant ! Front unique contre les ennemis « du Droit et de la Justice » (Déjà !).

 

Ce texte présentait au moins un avantage : puisqu'il était inexistant, sans signification ni mystique, ni dramatique, il laissait à l'Académie des Beaux-Arts la liberté, d'ailleurs quelque peu embarrassante, d'apprécier également ceux des candidats qui l'avaient doté d'une signification théâtrale dont il était dépourvu et ceux qui, sans tenir aucun compte de ce texte, n'avaient cherché qu'un prétexte à musique.

 

C'est à ce dessein qu'a obéi, parce que son tempérament personnel l'y portait, Mlle Elsa BARRAINE, née à Paris en 1910, élève de MM. Paul Dukas et Henri Busser, qui l'an dernier avait obtenu d'emblée un Deuxième Second Grand Prix et à laquelle, cette année, l'Académie des Beaux-Arts a fort justement décerné le Premier Grand Prix. Sa cantate, chantée par Mlle Jane Laval, MM. Paulet et Roger Bourdin, avec au piano M. Maillard-Verger et Fauteur, confirme une nature que la cantate de 1928 avait déjà révélée pleinement. Cette nature est d'ordre essentiellement musical et non dramatique ; une sensibilité très contenue donne naissance à une substance musicale surtout cérébrale, mais de haute qualité, d'une séduction d'autant plus vive qu'elle s'enveloppe d'une écriture complexe, mais aussi sûre que distinguée, où domine souvent un chromatisme plus raffiné qu'expressif. Le prélude et l'apparition de l'archange donnent notamment lie à quelques mesures extrêmement remarquables. Quant au trio final, très « écrit », il se termine par un decrescendo inattendu, conception qui, dans l'ensemble du concours, resta exclusivement personnelle à Mlle Barraine. Dépourvue de toute intention théâtrale, sa cantate, sans aucun rapport avec le sujet, s'imposait par la seule valeur intrinsèque de sa musique, qui s'exprime d'ailleurs dans la langue la plus actuelle. Le triomphe de cette jeune musicienne, dont le talent ne se développera sans doute que dans le cadre de la musique pure, est de nature à montrer la juste valeur des criailleries de ceux qui (esclaves d'un esprit de chapelle, heureusement périmé, mais dont la malfaisance fut autrefois certaine) s'attardent encore à reprocher à l'Institut de favoriser exclusivement, par le maintien de la cantate de concours, l'emploi des « déplorables formules de musique de théâtre en usage pendant là première moitié du XIXe siècle ». Il ne saurait pourtant être question de substituer à la cantate de Rome un mouvement de symphonie ou de quatuor. Le concours de Composition du Conservatoire a été institué dans ce but, et l'Institut doit rester attaché à la forme théâtrale qui, si elle ne représente peut-être pas toujours l'expression la plus élevée de la Musique, possède au point de vue social une valeur supérieure et une force de rayonnement prépondérante, parce qu'elle s'adresse au coeur de la foule et non au cerveau d'une élite. »

(5 juillet 1929, p. 307-308)

Documentation recueillie par O. Geoffroy

(octobre 2020)


Sylvère CAFFOT (1903-1993)

Sylvère Caffot, dit René Sylviano
( Coll. Gilles Caffot )
Pseudonyme : René SYLVIANO. Article spécifique.


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